NOTRE CAMARADE COMBATTANT ET MILITANT MOHAMED TEGUIA

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Une fois de plus, les travaux de Boumediène LECHLECHE replacent dans la perspective historique une figure emblématique du mouvement national et social algérien, telle que celle du regretté Mohammed TEGUIA, combattant intègre, passionné et intelligent de la cause patriotique et de l’idéal communiste, disparu prématurément il y a vingt cinq ans.

Socialgerie et ceux qui ont partagé ses engagements et ses épreuves renouvellent à cette occasion leurs hommages à sa valeureuse famille engagée et à ses proches qui l’ont soutenu dans ses souffrances physiques et morales.

Et appelle à joindre de nouveaux témoignages sur les luttes démocratiques et sociales auxquelles a participé notre camarade, en particulier celles concernant la très dure année 1968, celle de l’affrontement exacerbé entre la violence répressive du régime et la résistance des forces appelant auxsolutions politiques, pacifiques et conctructives de la crise ouverte après l’idépendancde et le 19 juin 1965.


Chers amis(es) et camarades ,

à l’occasion de la 25 ème année du décès du regretté Mohamed Téguia , et dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’indépendance nationale, permettez-moi de lui rendre hommage à travers cette modeste contribution documentaire.

Amicalement.

B.Lechlech


L’HISTORIEN ET LE LOUPrécit du commandant Lakhdar Bouregâa (sur Teguia et le loup lors de sa première blessure) – transmis par B. Lechleche.


HOMMAGE DE B. LECHLECHE À MOHAMED TEGUIAle 30 janvier 2013


LISTE DES DÉTENUS DE 1968Parti de l’Avant-Garde Socialiste (ORP) – N° 33 – ALGER le 22 juillet 1968document original transmis par B.Lechleche.


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… conte ou réalité…

L’HISTORIEN ET LE LOUP*

récit du commandant Lakhdar Bouregâa

(sur Teguia et le loup lors de sa première blessure)

Mohamed Téguia a été grièvement blessé à deux reprises pendant la guerre de libération. La seconde fois c’était le 8 août 1961.Il était alors secrétaire de la Wilaya IV. Il fut blessé et fait prisonnier lors de l’accrochage qui a coûté la vie au chef de Wilaya, Si Mohamed Bounaâma , au cœur de Blida.

Quatre mois plus tôt, en avril, il avait déjà été blessé dans un accrochage à Oued Laakhra, littéralement l’Oued de la fin du monde, au sud-est de Chréa, sur le versant sud des monts de Blida. C’était une région boisée, avec un terrain fortement accidenté.

Se traînant tant bien que mal avec sa blessure à la jambe, Mohamed Téguia s’est mis à l’abri, dissimulé par des buissons. Après avoir essayé d’arrêter l’hémorragie par un bandage de fortune, il s’est adossé à un arbre. Comme le terrain était en pente, il avait peur de glisser. Il mit ses pieds sur une grosse pierre , essayant de trouver, la position la moins inconfortable. Et il a entamé sa longue attente. Seule la nuit le sauverait.

Dans le feu de l’action, ses compagnons s’étaient dispersés. Il s’est retrouvé tout seul. Les unités françaises qui menaient un ratissage dans ce secteur étaient nombreuses. Il était hors de question de tenter un combat frontal. Les consignes étaient claires. L’ALN avait perdu trop d’hommes dans les batailles inégales pour se laisser entraîner dans des accrochages meurtriers. L’ordre de dispersion avait donc été donné, et un lieu de rendez-vous fixé. Mais Téguia, blessé , ne pouvait bouger. Il attendait donc la nuit, pour que les unités françaises rentrent. Il pourrait alors se traîner pour chercher de l’aide.

Mais la nuit venue, les unités françaises ont bivouaqué sur place. Un groupe de soldats français se trouvait à une vingtaine de mètres du buisson qui l’abritait. Il entendait distinctement leurs voix. Ils campaient tranquillement, discutant autour d’un grand feu.

Téguia était épuisé. Sa blessure le faisait souffrir. Elle l’affaiblissait considérablement. Sa jambe était raide. Le sang s’était coagulé, donnant à sa jambe une couleur et une allure inquiétante. Il faisait froid, et il n’avait rien mangé.

Il était dans un état de semi-conscience. Il n’arrivait pas réellement à dormir. C’était plutôt des évanouissements, durant lesquels il gardait une vague conscience de sa situation.

Il sentit vaguement qu’on le tirait par le pied. Une petite traction, suivie d’une autre, plus forte. Il avait auparavant senti une sorte de frottement contre sa jambe. Mais il n’avait pas vraiment conscience des faits. Il ne s’était pas réveillé. C’est la douleur, dans la jambe, qui l’a finalement réveillé. Il lui fallut plusieurs secondes pour reprendre ses esprits, et pour pouvoir distinguer ce qui l’entourait.Là, au milieu des buissons, un loup, tenait tout prés de sa jambe. Ses yeux luisaient dans l’obscurité. Au bout d’un moment, le loup baissa la tête, mordit dans le bas du pantalon et commença à tirer. C’est le loup qui était à l’origine de ces frottements, une sorte de caresse, qu’il avait ressenti sur sa jambe. L’animal léchait alors le sang séché qui collait au pantalon.

Maintenant, le loup semblait avoir des doutes. Il n’était pas sûr que sa proie était morte. Il voulait s’en assurer. Ou peut-être pensait-il que sa victime était morte, et essayait – il de la traîner vers son terrier.

Mohamed Téguia ne pouvait rien faire. Les militaires français étaient toujours – là, à vingt mètres. Il ne pouvait tirer sur le loup. Il saisit une pierre, mais se rendit compte que s’il la lançait contre l’animal, elle risquait de provoquer un bruit qui pourrait attirait la curiosité des militaires. Et ce loup qui repartait à la charge, tirant encore et encore.

Curieusement, il y’avait comme une complicité entre l’homme et l’animal sur un point : ne pas faire de bruit. Ne pas alerter les militaires français. L’instinct de survie chez l’homme, l’instinct du chasseur chez l’animal , les poussaient à une lutte silencieuse . Qui dura longtemps.

Téguia réussi à couper son buisson jusqu’au matin. Les militaires français levèrent alors le camp. Ils allaient plus loin, poursuivant leur ratissage. Ils pensaient que les éléments de l’ALN étaient déjà loin, et partaient à leur poursuite. Ils ne pouvaient imaginer que l’un d’eux était là , à quelques mètres , et qu’il suffisait de faire un petit tour pour le retrouver, presque agonisant.

Mais l’épreuve n’était pas finie. Il fallait survivre, dans cet endroit isolé, sans nourriture, sérieusement blessé de surcroit. Il ne pouvait même pas bouger. Par quel miracle Téguia a survécu ? Je ne la sais pas. Prés de quarante huit heures après sa blessure, des bergers le retrouvèrent, totalement épuisé. Ils le secoururent et alertèrent l’ALN, qui le prit en charge. Il fut rétabli, et reprenait ses fonctions quelques temps plus tard.
Mais le destin s’acharnait sur lui. Le 8 août 1961 , il était de nouveau blessé et fait prisonnier à la suite d’un accrochage à Blida. Il fut sauvagement torturé, et en a gardé des séquelles jusqu’à sa mort.

Ce compagnon qui avait vécu prés de Si Mohamed Bounaâma de par sa fonction de secrétaire de Wilaya, avait une force de caractère peu commune. Militant communiste, il faisait preuve d’une très grande ouverture d’esprit. Réservé , à la limite de la timidité, il remplissait sa mission consciencieusement, avec une tranquille détermination.

Après l’indépendance, il a été arrêté et torturé. Mais il gardait la foi, et une soif de savoir exceptionnelle. Il a repris ses études à l’âge où d’autres pensaient partir en retraite. Il a soutenu un doctorat , et a enseigné l’histoire à l’université d’Alger jusqu’à sa mort. Il a notamment publié ‘’ l’Algérie en guerre ‘’, et ‘’ l’ALN à travers un échantillon, la Wilaya IV ‘’.

* Extrait du chapitre:‘’La guerre:A- des faits et des hommes‘’ de l’ouvrage titré:‘’Les hommes de Mokorno‘’, du Moudjahid et compagnon du regretté Mohamed Téguia, Lakhdar Bouragâa. Traduit de l’arabe Pages 63 à 67.

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SERVICE DE PRESSE

du Parti de l’Avant-Garde Socialiste (ORP)

N° 33 – ALGER, le 22 juillet 1968

QUELQUES PRÉCISIONS

SUR LES DERNIÈRES ARRESTATIONS DE PROGRESSISTES

Dans sa déclaration du 20 courant, le PAGS dénonçait la vague répressive qui frappe un grand nombre de progressistes parmi lesquels des militants ou sympathisants de notre Parti.
Citons à titre d’exemple et pour Alger seulement, l’arrestation de:

  • Djelloul NACER, vice-président de l’UNEA ( recherché depuis 3 ans)
  • Djamel LABIDI, membre du Comité éxécutif de l’UNEA (également recherché depuis 3 ans)
  • Abdelkrim ATBI, fonctionnaire
  • Ali MERROUCHE, ancien responsable à la direction centrale du FLN
  • Yahia HENINE, direc teur au ministère de l’Information
  • Nouyreddine HASSANI, assistant à la Faculkté des sciences, responsable syndical
  • Mohamed TEGUIA, ex-député, directeur technique à la SOALCO
  • DEKKALI, élève ingénieur
  • Rachid SALHI, docteur en Médecine, responsable syndical
  • MEKKI, ingénieur à la SONATRACH
  • Ahmed AKKACHE, professeur
  • Mustapha SAADOUN, fonctionnaire au ministère de l’Agriculture, ancien officier de l’ALN (Wilaya 4)
  • De Mouro,
  • MOKARNIA, syndicaliste, anesthésiste à l’hôpital Mustapha
  • Miloud MEDJANIA, cadre technique à la SONATRACH,
  • Khelil ABDOU, cadre technique à la SONATRACH
  • VIGNOTTE, pharmacien
  • deux frères DJAZOULI
  • SENIGRI, ancien responsable de la JFLN
  • DJEBBAR, étudiant
  • Mlle ZINEB, étudiante
  • Mlle Anissa LAZIB, étudiante
  • Mlle Assia LAZIB, lycéenne
  • Mlle Halima BRAHIMI, lycéenne
  • Mlle BESSACI, fonctionnaire de l’Éducation nationale

Quelques uns ont déjà été relâchés. Certains d’entre eux ont subi des sévices.

Cette liste est cependant loin d’être complète pour Alger. de plus d’autres arrestations et interpellations ont lieu sur tout le territoire national, entretenant ainsi un climat politique propice aux manœuvres dangereuses de la réaction et de l’impérialisme.

Tous les progressistes et les antiimpérialistes, où qu’ils se trouvent, doivent s’opposer à l’arbitraire policier qui frappe des militants et des patriotes défenseurs des acquis de la révolution.

Plus que jamais, le bon sens et l’intérêt national commandent que soit mis fin à la répression contre les progressistes.

LISTE DES DÉTENUS DE 1968Parti de l’Avant-Garde Socialiste (ORP) – N° 33 – ALGER le 22 juillet 1968document original transmis par B.Lechleche.

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HOMMAGE À MOHAMED TEGUIA

par B. LECHLECHE

Il y’a vingt cinq ans (un quart de siècle), le 27 janvier 1988 s’était éteint notre camarade Mohamed Téguia à l’âge de 61 ans, brillant historien, ancien officier de l’A.L.N et membre de la direction de l’ex. P.A.G.S.

À cette occasion, et dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’indépendance nationale, pour laquelle il a donné le meilleur exemple dans l’engagement total, par la lutte, le travail, et le sacrifice inouï, avant et après son obtention, je tiens par devoir de mémoire, personnellement, à lui rendre hommage par cette petite et modeste contribution documentaire.

Et cela sans attendre de compléter sa biographie, par des éléments nouveaux, auprès des membres de sa famille, ou de ses compagnons d’armes, de lutte politique et de travail scientifique de recherche historique.[[Je réserve une petite contribution sur l’œuvre de recherche historique du regretté M.Téguia pour une rencontre scientifique probable dans un proche avenir.]]

Voilà un petit extrait de ce que j’avais écrit en 1990 sur l’un de ses travaux: ‘’ Notre regretté camarade M.Téguia, dans son ouvragel’Algérie en guerre”, aborda ces aspects liés à la guerre de libération nationale, qui méritent d’être approfondis. Il soulignait le rôle joué par la petite bourgeoisie révolutionnaire dans la conquête de l’indépendance malgré ses déboires … En parlant des aspects négatifs, il ne veut pas noircir le tableau, en partant des considérations politiques de l’heure. Son style d’approche est novateur , …( il est conseillé pour les gens qui croient à l’histoire controversée des communistes durant la guerre de libération).

Par sa rigueur scientifique sans complaisance , y compris avec le P.C.A, il est arrivé à être utilisé par son argumentation, contre l’histoire de ce dernier, par des journalistes intégristes qui ignorent que son auteur était membre de la direction du P.A.G.S! ’’
[[Cet extrait se trouve dans une publication non diffusée publiquement suite aux débats sur la torture en fin d’année 1990.]]

Ce patriote et communiste algérien, mérite un hommage particulier, à la fois en tant que Moudjahid de l’A.L.N (Wilaya 4) issue du M.A.L.G à ses débuts, pour tous ses travaux de qualité sur l’histoire de la guerre d’indépendance nationale (enseigné dans les académies militaires et universités du monde), et militant engagé pour une Algérie de progrès et de justice sociale.

Pour cet hommage on lance un appel à toutes les parties qui se sentiront concernées.[[L’idée de cet hommage a été émise tôt, mais les conditions n’ont pas permis jusque-là de la concrétiser, parce que on tenait à faire participer toutes les parties concernées. _ Je souhaite beaucoup de courage à Madame Téguia qui lutte contre la maladie,comme je salue Yacine et Tareq en leur disant que ce n’est que partie remise.]]

Oran, le 27 janvier 2013.

B. Lechlech

Chercheur-historien

.


Documents en annexe

pour accéder aux documents scanés,

cliquer sur les liens


1- Texte de M. Téguia joint au livre de A. Benzine ‘’ Le camp ’’.

page 133

pages 134 et 135

pages 136 et 137

page 138


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2- Photo du maquis avec le chahid Si Mohamed et d’autres compagnons d’armes.


3- Texte introductif à son ouvrage sur l’A.L.N en Wilaya 4.

document 3.1

document 3.2


4- Préface de M.Rebérioux à ce même ouvrage.

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document 4.2

document 4.3

document 4.4


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5- Photo du maquis en compagnie du chahid Si Mohamed et d’autres compagnons.


6- Extrait d’un ouvrage d’un ancien du M.A.L.G qui confond, espérons-le, le regretté M. Téguia l’historien décédé, avec M. Téguia l’ex. Ministre toujours en vie, et de surcroît qui est puisé du livre qui présente son auteur comme défunt!!

document 6.1

document 6.2


7- Expression maladroite de son auteur (le fils de Si Salah) sur le regretté M. Téguia dans son livre parlant du parcours de son père, et de l’affaire dite de l’Élysée.

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8- Archive relative à l’arrestation du regretté M. Téguia et d’autres progressistes qui seront malheureusement torturés par quelqu’un dont le passé est indigne de l’Algérie indépendante.

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LE PRÉSIDENT HOLLANDE RÉPOND À JOSETTE AUDIN

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Lundi 17 décembre 2012

Par Rosa Moussaoui, Alger,

envoyée spéciale

L’Humanité.fr

blog algerieinfos

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On est loin de la sécheresse administrative de l’accusé de réception qui avait répondu à sa lettre au président de la République, en août dernier. Cette fois, François Hollande répond de façon circonstanciée à la demande de Josette Audin que soit «connue et reconnue» la vérité sur le sort de son mari, Maurice Audin, enlevé, torturé et assassiné par les parachutistes de Massu, Bigeard et Aussaresses, en juin 1957, à Alger (voir l’Humanité du 14 décembre).

«Plus de cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, l’État français doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d’abord, mais également envers l’ensemble des citoyens», écrit le chef de l’État dans une missive reçue vendredi matin par Josette Audin. À la veille de sa visite d’État en Algérie, mercredi et jeudi, François Hollande confirme qu’il se rendra «sur la place Maurice-Audin, à Alger, en hommage à la mémoire» du jeune mathématicien communiste qui avait embrassé la cause de l’indépendance algérienne.

«J’ai par ailleurs demandé à Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, de vous recevoir afin de vous remettre en mains propres l’ensemble des archives et documents en sa possession relatifs à la disparition de votre mari», conclut le président français.

Josette Audin, qui s’était vu opposer un silence assourdissant par Nicolas Sarkozy en 2007, juge cette réponse «positive», même si elle attend de connaître les termes précis de «l’hommage» promis par François Hollande et la nature exacte des documents qui lui seront remis par le ministre de la Défense. Le président de la République ne précise pas, en effet, si ce geste implique une levée du secret-défense sur tous les documents relatifs à l’affaire Audin. Autre difficulté, selon l’historienne Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d’Algérie: «Il n’est pas évident que des traces écrites témoignent d’un ordre d’exécution de Maurice Audin. En revanche, des témoins existent, ils doivent parler, dire la vérité.» En mars dernier, une enquête du Nouvel Observateur révélait de nouveaux éléments sur l’affaire Audin, extraits d’un manuscrit du colonel Godard, ancien commandant de la zone Alger-Sahel. Ce document contredit la thèse officielle selon laquelle Maurice Audin se serait évadé lors d’un transfert. Il confirme que le militant communiste a été tué par les militaires qui le détenaient et mentionne même le nom de celui qui l’aurait mis assassiné, le sous-lieutenant Gérard Garcet, aide de camp du général Massu. À plus de quatre-vingts ans, l’homme coule aujourd’hui une retraite tranquille en Bretagne.

Le général tortionnaire Paul Aussaresses racontait en 2008, dans l’un de ses sinistres déballages, que cet homme faisait partie de «l’état-major de la main gauche» chargé des «basses besognes»,en fait un escadron de la mort qui officiait à la villa des Tourelles, sur les hauteurs d’Alger.

D’après Aussaresses, condamné en 2002 pour «apologie de crime de guerre», la hiérarchie militaire comme les autorités politiques recevaient des rapports sur les exécutions sommaires: «Je le disais à Massu. En plus de la réunion quotidienne du matin, j’écrivais en quatre exemplaires tous les jours ce que nous faisions, de façon détaillée. Il y avait un exemplaire pour Massu, un pour le ministre résidant Lacoste et un pour le général Salan. Massu savait tout. Le gouvernement aussi. […] On ne faisait pas toujours des listes pour Paul Teitgen, le secrétaire général de la préfecture. Certains, on les attendait dehors et on les exécutait. Après, on les “assignait à résidence”.» Les barbouzes, liés par un «pacte du silence», se chargeaient ensuite de faire disparaître les corps. Parfois en les enterrant sur les lieux mêmes de leur exécution. Le plus cyniquement du monde, Aussaresses raconte que des exécutions sommaires, «il y en a eu quelques-unes, c’est vrai, à la villa des Tourelles. Des types arrivés de jour… On les a enterrés sur place. Ils doivent être encore dans le jardin».

Rosa Moussaoui, 17 décembre 2012. L’Humanité.fr


Lettre de Josette Audin à François Hollande

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sur socialgerie, lire aussi:


[D’UNE RIVE A L’AUTRE, HONORÉ PAR DEUX PEUPLES MAURICE AUDIN, SON ENGAGEMENT POUR L’INDEPENDANCE ET LA PAIXpar Sadek Hadjerès, le 26 MAI 2004article publié le 29 mai 2004 dans Le Matin, Le Quotidien d’Oran, et l’Humanité

mis en ligne socialgerie le 25 février 2010, article 201->201]

[RÉFLEXIONS SUR Maurice AUDIN ET LA TORTURE
(à l’occasion de l’inauguration d’une place Maurice Audin à Paris le 26 mai 2004) – par Sadek Hadjerès

format pdf. téléchargeable
http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/2004_05_26_Reflexions_sur_Maurice_Audin_et_la_torture.pdf->http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/2004_05_26_Reflexions_sur_Maurice_Audin_et_la_torture.pdf]


[À L ’OCCASION D’UN HOMMAGE À MAURICE AUDIN

CONTRE LA TORTURE? TOUT EST DANS LES NIVEAUX DE CONSCIENCE ET DE MOBILISATION ENTRETIEN de Sadek Hadjerès, AVEC ALGER RÉPUBLICAIN LE 29 MAI 2004

… entretien donné par Sadek Hadjerès à Alger républicain en 2004., à l’occasion de l’hommage rendu à Maurice Audin par l’inauguration d’une place de Paris à sa mémoire.

Le problème a aujourd’hui encore des résonances douloureuses franco-algériennes et aussi algéro-algériennes en rapport avec les évolutions après l’indépendance…


mis en ligne socialgerie, article 200, le 24 février 2010->200]

format pdf téléchargeable: http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/Audin_SH_Algerep.pdf


[INTERPELLATION DU MINISTRE DE LA DÉFENSE AU SUJET DE MAURICE AUDIN – le 31 mai 2012

socialgerie – article 864->864]

original pdf téléchargeable: http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/letaudinledrian.pdf


[GUERRE D’ ALGÉRIE : RÉVÉLATIONS SUR L’AFFAIRE AUDIN
PAR NATHALIE FUNES – « LE NOUVEL OBSERVATEUR » – le 1er mars 2012

mise en ligne socialgerie le 3 mars 2012, article 761;->761]


[HENRI ALLEG : « L’IDÉE INTERNATIONALISTE ÉTAIT PRIMORDIALE DANS NOTRE ENGAGEMENT »entretien avec Rosa Moussaoui – L’Humanité – mars 2012;

Socialgerie, article 789 mis en ligne le 31 mars 2012->789]

… malgré la censure, les saisies, ce livre a circulé sous le manteau. Cette diffusion était-elle organisée par des militants, ou le livre est-il passé spontanément de mains en mains?

Henri Alleg. La seule chose que je sais, c’est qu’à Alger, personne ne l’avait eu, personne ne le connaissait au moment de la parution. C’est en France que “La Question” a eu une répercussion immédiate et formidable. Cet élan doit sans doute beaucoup à la stupidité du gouvernement français et à sa décision de saisir le livre. Très vite, Nils Andersson, un éditeur basé en Suisse, a pris contact avec Lindon pour lui demander l’autorisation de le publier. Lindon a accepté. Le livre était minuscule, des valises passaient clandestinement la frontière. Immédiatement après sa saisie, “La Question” a été traduite en anglais et publiée à Londres, puis aux Etats-Unis, ce qui lui a donné un écho international.
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La bataille pour la vérité continue

Un demi-siècle après son enlèvement par des militaires français, on ne sait toujours pas dans quelles conditions a été assassiné votre ami et camarade Maurice Audin…

Henri Alleg. Cette bataille pour la vérité continue. Maurice Audin a été arrêté dans les mêmes conditions que moi. Très peu de temps après son enlèvement par les paras, on a annoncé à sa femme qu’il avait «disparu». Il est invraisemblable que les autorités françaises, que les parachutistes aient pu prétendre ne rien savoir du sort de Maurice. C’est certain: il a été assassiné par ces équipes de tortionnaires couverts et tenus en main par les autorités policières et militaires.

Dans cette affaire, le refus d’ouvrir une enquête, l’attachement des autorités françaises au mensonge est à la fois odieux et absurde. À Alger, à Oran, dans les petites villes, lorsque les militaires annonçaient la «disparition» d’un prisonnier, personne n’ignorait qu’il était en fait question d’assassinat.

Dire et répéter, jusqu’à ce jour, que Maurice Audin a été «mal gardé», qu’il s’est évadé et qu’il a «disparu», c’est abject. La vérité, c’est qu’il a été assassiné, comme des centaines, des milliers d’autrjavascript:barre_raccourci(‘‘,’‘,document.getElementById(‘text_area’))es. Personne ne peut dire autre chose.

Que changerait la reconnaissance de la torture comme crime de guerre?

Henri Alleg. La France, les autorités françaises prétendent incarner, aux yeux du monde entier, les droits de l’homme, les libertés, les grandes idées nées de la Révolution française. C’est une façon mensongère de présenter l’histoire. Pendant la guerre d’Algérie, les autorités françaises ont piétiné ces idées, ces principes. Comme ils sont encore piétinés aujourd’hui à Guantanamo et en Afghanistan. Le combat pour la vérité, qui est un combat d’aujourd’hui, doit se poursuivre sans relâche. On ne peut pas tout simplement parler de l’avenir sans respecter la vérité.


MON TÉMOIGNAGE SUR LES JOURNÉES DE DÉCEMBRE 1960 À ORAN

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MESSAOUD BENYOUCEF

le 6 décembre 2012

Le samedi 10 décembre 1960, j’arrivai, par la micheline de l’après-midi, dans mon village pour y passer ce qui restait de week-end. Le petit train ralliait Rio-Salado-El-Malah à partir d’Oran en une heure exactement et il était d’une ponctualité jamais prise en défaut. J’étais alors élève en terminale philo au lycée Lamoricière (que j’orthographiais La mort ici erre) d’Oran. Dans ma classe, la philo 1, -52 élèves-, je représentais la moitié des effectifs arabes à moi seul. Mais l’itinéraire de la maison au lycée -situé en ville européenne évidemment- devenant toujours plus périlleux à cause des ratonnades et Monsieur Vié le sage, notre prof de philo, ne tolérant pas plus de cinq fautes d’orthographe dans une dissertation (auquel cas l’impétrant se voyait gratifier d’un zéro, avec commentaire public et meurtrier), l’effectif arabe fut décimé puisque mon congénère jeta l’éponge à mi-parcours. Je demeurais donc le seul Arabe au poste.

Au village, l’atmosphère me sembla inhabituelle. Un je ne sais quoi flottait dans l’air; les Européens qui faisaient le boulevard sur la magnifique place, un grand quadrilatère ceinturé par une double rangée de palmiers, m’apparaissaient, à tort ou à raison, graves et silencieux, eux d’ordinaire si exubérants et volubiles. Le soir, j’appris que, durant la matinée d’hier, le général De Gaulle avait fait une visite au chef lieu d’arrondissement, la ville de ‘Aïn-Témouchent distante de douze km de notre village, et qu’il y avait eu des manifestations d’Européens, hostiles au chef de l’État qui criaient «Algérie française», et des contre-manifestations d’Arabes dont le mot d’ordre était «Algérie algérienne».

Je fus stupéfait d’entendre cela. Je ne pouvais pas imaginer, fût-ce l’espace d’une fraction de seconde, que des Arabes pussent manifester dans les rues. Notre région, la plaine d’Oran à Tlemcen (le pays des Béni-Amer), était un fief de la grosse colonisation européenne (cf. l’article “Une archéologie du raï,” dans ce même blog). À l’instar d’Oran, de nombreux villages, dont le nôtre, comptaient ainsi plus d’Européens que d’Arabes. Les Arabes n’avaient donc qu’à bien se tenir. Je pouvais d’autant moins imaginer la chose que j’avais -j’ai toujours- en mémoire les terribles répressions qui s’étaient abattues sur mon douar en 1954 puis en 1956, emportant de nombreux membres de ma famille. Les visions d’horreur avaient provoqué en moi un traumatisme qui s’était traduit par des crises de somnambulisme et une angoisse jamais surmontée depuis.

En effet, malgré le rapport de force extrêmement déséquilibré et une géographie de plaines aux riantes cultures, notre village et notre douar, participèrent à l’insurrection du 1er novembre 54. Incroyable? Non. Notre douar et notre village avaient de qui tenir: les Béni-Amer n’avaient jamais cessé de combattre les Ottomans. Puis ils se dressèrent contre les Français sous la conduite de l’émir Abdelkader. Épopée tragique dont la mémoire collective gardait certainement les traces.

Ce fut mon père qui m’apprit la nouvelle de ce qui deviendra, pour l’histoire, l’Insurrection du 1er novembre 54 et qui n’était pour l’heure que des attentats assez insignifiants. Ce fut par un samedi après-midi, quand il vint me «sortir» du lycée pour le week-end. J’étais entré en sixième, au lycée Lamoricière, en octobre 1954, sous le régime de l’internat. (J’avais pour «pion» d’internat Ahmed Médeghri, récent bachelier math’élem et futur ministre de l’Intérieur de l’État algérien indépendant). L’internat fut un supplice pour moi. Jeté dans la grande ville, dans un milieu presque complètement européen -et Européen plutôt rupin-, moi qui ne trouvais déjà pas mes repères dans le village où nous avions emménagé en 1949, laissant mes deux sœurs mariées au douar Messaada. Le changement de résidence, du douar au village, fut un crève cœur pour moi, non seulement parce qu’il fallait dire adieu à la délicieuse liberté de gambader à travers champs du matin au soir, mais parce qu’il fallait encore quitter mes sœurs bien-aimées, surtout l’aînée qui était ma deuxième mère.

Mon père, déjà atteint par la maladie qui allait l’emporter six mois plus tard, à 50 ans, était abattu. Nous faisions route vers le village dans sa Citroën; il m’avait acheté un sachet de bonbons à la gomme du Prisunic. Il m’apprit que H’med -le mari de ma sœur aînée- avait été arrêté et que Kada -l’horloger du village-, un parent de mon père, avait été tué par les gendarmes. Un de nos cousins de la branche maternelle, un militant du MTLD qui n’avait rien à voir avec les attentats, avait été tué, lui, à l’intérieur des locaux de la brigade de gendarmerie par un colon milicien qui lui défonça le crâne à coups de manche de pioche. Sous le regard des gendarmes et dans leurs locaux. Je n’avais jamais vu mon père à ce point accablé. Je me suis alors rappelé une discussion qu’il avait eue avec Kada dans le minuscule coin atelier que l’horloger avait aménagé dans son appartement d’une pièce.

Mon père: «Tu veux faire la guerre à la France avec ton 6,35?» – Kada, sur le même ton et s’adressant à moi: «Ton père est encore impressionné par la puissance militaire de la France». Mon père, mobilisé, venait de rentrer de la guerre mondiale. (À son retour, les gendarmes étaient venus l’arrêter; il passa quelques jours dans les geôles de la brigade de Lourmel-El Amria. Les gendarmes dirent que c’était pour le protéger des milices ultras qui entendaient prolonger ici les massacres du 08 mai 45). Mon père était badissi (tout notre douar était acquis à l’enseignement du cheikh Benbadis), très proche du PCA, et avait été un ouvrier syndiqué à la CGT. C’est dire qu’il voyait les choses avec les nuances de la politique. Kada, lui, était un P.P.A. pur et dur; il ne rêvait que d’en découdre avec «la France». Je me souviens très bien du soupir triste mais éloquent de mon père: «Tu ne sais pas de quoi ils sont capables». Peut-être pensait-il, lui aussi, à cette discussion ce samedi-là, sur la route du village, car il me dit: «Ça va être terrible, mon fils.»

Le 1er novembre, Kada avait légèrement blessé un garde champêtre avec son 6,35; les gendarmes lui avaient donné la chasse et l’avaient tué. Mon beau-frère, le mari de ma sœur aînée, quant à lui, faisait partie d’un groupe qui devait attaquer une caserne à Saint-Maur-Tamezougha, la nuit du 1er novembre 54. En cours de route, les hommes s’aperçurent que les munitions que le responsable leur avait distribuées à la dernière minute, n’étaient pas les bonnes. Ils rebroussèrent chemin. (Le responsable en question était Abdelhafid Boussouf qui, recherché depuis le démantèlement de l’O.S., l’Organisation spéciale, en 1949, se planquait du côté de Lourmel-El-Amria, à une quinzaine de km de chez nous. Hocine Aït Ahmed, lui, s’était planqué encore plus près, à Er-Rahel-Hassi-El-Ghella, à 7 km de là, avant de rejoindre Le Caire). Quant aux armes et munitions, elles provenaient du lot que Mostfa Benboulaïd avait récupéré en Libye, dans les stocks abandonnés par l’Afrika Korps de Rommel. Quand les gendarmes se présentèrent chez lui, mon beau-frère travaillait dans son champ. «Où est le fusil?». Mon père lui constitua un avocat. Ce qui n’empêcha pas les gendarmes de le torturer en lui cassant toutes ses dents avant de l’envoyer en prison pour vingt ans. Il a eu, malgré tout, de la chance: quelques mois plus tard, il aurait été abattu sur place, sans autre forme de procès.

Encore mon père ne vit-il pas les indicibles années 56 et 57. Pour l’attaque des fermes de colons, les Arabes du douar payèrent en vies humaines le centuple de ce que les saboteurs avaient infligé aux seuls cultures (des pieds de vigne arrachés) et matériel (des granges incendiées et des poteaux télégraphiques sciés). Le douar fut détruit par dynamitage des maisons -celle de ma sœur cadette dont le mari avait pris le maquis où il perdit la vie avait volé en éclats-, la zone déclarée interdite et les habitants, du moins ce qu’il en restait, déportés dans un centre de regroupement, le «village nègre» de Rio-Salado.

Mon père ne vit pas la sœur de ma mère perdre dans la même journée deux de ses garçons pendant que le troisième, trop jeune, était emporté par les soudards du DOP pour leur servir d’esclave. Ma tante en perdit la raison. Mon père ne vit pas non plus son très cher cousin germain à qui il nous confia sur son lit de mort, disparaître à tout jamais avec son jeune frère dans l’archipel des DOP -les dispositifs opérationnels de protection, centres de torture et d’exécutions sommaires. Ce fut cet oncle, qui était par ailleurs l’un des responsables du FLN local, qui s’opposa à ce que je fasse la grève des cours de mai 1956, la stupide et injustifiable grève que j’aurais néanmoins bien voulu faire pour ne plus retourner en internat. Cet oncle disparut sans avoir réussi à châtier le milicien colon qui avait assassiné notre cousin maternel dans la brigade de gendarmerie: la bombe déposée sur la fenêtre de la chambre à coucher du milicien fit long feu.

Le DOP du village acquit très vite une réputation terrorisante à travers la région. Là étaient les limbes de l’enfer. Là officiait un lieutenant avec son commando de supplétifs arabes. Le seul nom du lieutenant faisait trembler les hommes les plus endurcis. C’était un monstre froid, capable de toutes les ignominies comme de tuer un homme dans le seul but de profaner ensuite la femme de la victime, sans craindre le regard de ses enfants. Notre village n’a jamais trouvé les mots pour dire le monstre et ses sacrilèges inouïs, et se tait depuis lors.

Ma sœur aînée me disait que notre père était aimé de Dieu qui l’avait rappelé à lui pour lui épargner toute cette horreur. Je ne pouvais pas la croire, étant -enfant déjà- radicalement indifférent à la religion. Ma sœur était membre du Nidham (le FLN). J’en ai eu la conviction en ces jours de novembre 1954, quand je suis allée lui rendre visite chez elle, au douar Messaada. Elle avait vingt ans de plus que moi et c’est elle qui m’a élevé. Elle me demanda, ce jour-là, de l’accompagner au puits. Là, au fond d’un vallon, au pied d’un immense caroubier, dans son ombre propice, là précisément où elle m’emmenait, à peine enfant, jouer dans le ruisselet pendant qu’elle puisait l’eau, un homme attendait; il était revêtu d’un treillis militaire. Il me prit dans ses bras, m’embrassa; je le connaissais bien; c’était un gars de notre douar; il avait échappé aux arrestations qui avaient suivi le 1er novembre et était maintenant dans l’armée de libération nationale. Lui et ma sœur eurent un conciliabule de plusieurs minutes. Je ne devais plus jamais revoir cet homme si attachant, si spontané; il tombera parmi les premiers.

Dimanche 11 décembre

Les manifestations gagnèrent Alger. Je n’en saisirai l’ampleur que le lendemain. Ce dimanche soir, je rentrai à Oran par le dernier autocar des TRCFA. L’avantage, c’est que le car observait un arrêt à hauteur du cinéma Rex, dans le quartier de Saint-Antoine. J’habitais avec ma tante tout près de là; j’éviterais ainsi la gare SNCF, située, elle, en plein plateau Saint-Michel, un quartier dangereux pour les Arabes (et qui deviendra, en effet, l’un des bastions de l’OAS).

Lundi 12 décembre,

Je débouchai sur le haut du boulevard Galliéni à 7H30, comme à mon habitude car je sortais tôt pour éviter les mauvaises rencontres. De là, on avait une vue plongeante sur l’entrée principale du lycée. Une masse noire d’élèves était attroupée devant les grilles. Ce n’était pas normal; à cette heure-ci, d’habitude, il n’y avait que peu de monde. Je m’approchai prudemment, restant toutefois à bonne distance, près de la brasserie le Cintra. Les élèves discutaient de manière véhémente et s’interpellaient à haute voix. Je me dis que c’étaient là, à n’en pas douter, les prolégomènes d’une manifestation: les élèves européens allaient installer un piquet de grève devant le portail, empêcher leurs camarades d’entrer et les entraîner vers le forum d’Oran, la Place des Victoires (que les Arabes de la médina appelaient “La place des histoires” car c’était toujours là, en effet, que les mauvaises histoires commençaient). L’itinéraire était toujours le même: rue de la Vieille Mosquée puis bifurcation à droite par l’avenue Loubet qui ouvrait sur la place par l’une de ses extrémités et sur le monument aux morts par l’autre bout. Et, après avoir vociféré pendant des heures et applaudi les orateurs ultras qui se succédaient au balcon de l’immeuble de la pharmacie, on allait déposer une gerbe au monument aux morts en chantant «C’est nous les Africains…». Ordonnancement immuable des manifestations européennes depuis les journées des barricades algéroises, en janvier de cette année. Il va de soi que nul Arabe n’avait intérêt à se trouver dans le voisinage de cet itinéraire au moment des processions.

J’attendais donc en me faisant aussi invisible que possible que les élèves lèvent le siège quand je vis venir vers moi un camarade arabe du lycée. Malek Eddine Kateb était passé à côté des élèves européens, les toisant avec sa superbe naturelle. Les matamores européens du lycée –il y en avait quelques-uns-, le craignaient. C’est que Malek n’était pas du tout venant arabe: c’était le fils d’un commissaire de police d’Oran, doublé d’un footballeur à la carrure de déménageur et à l’excellent jeu de tête; son front bombé et large catapultait les ballons avec une force rare. Nous nous connaissions depuis la sixième bien que nous ne fussions pas dans la même classe: c’était le cours de langue vivante qui nous réunissait -nous étions une poignée, dont quelques Européens, à faire de l’arabe classique en première langue. Sûrement apitoyé par mon gabarit de passe-lacet et ma petite taille, Malek me répétait: «Si quelqu’un te cherche noise, tu m’appelles!». Je n’eus pas à le faire car je vivais en paix avec tout le monde et, de plus, j’aurais trop craint pour l’éventuel chercheur de noise: un coup de boule de Malek, c’était l’infirmerie assurée et de nombreux points de suture à la clé.

-Tu as vu ce qui s’est passé hier à Alger? me dit-il en m’entraînant vers le haut du boulevard.

– Oui.

Tu as vu qu’il y a eu une centaine de morts?

– Oui.

Mais les gens n’ont pas reculé! Aujourd’hui, c’est le tour d’Oran! On va en Ville-Nouvelle!

Chemin faisant, je réfléchissais: si les manifestants arabes avaient pu s’exprimer c’est qu’ils allaient clairement dans le sens de la stratégie gaullienne qui poussait à l’affirmation de « la personnalité algérienne» afin d’isoler «l’Algérie de papa», celle des colons ultras. (J’entendrai, plus tard, dire que le maire de ‘Aïn-Témouchent, M. Orséro, avait poussé dans ce sens, incitant les employés arabes de la commune à ne pas se laisser impressionner par les ultras et à manifester leur soutien à la ligne du général De Gaulle.)

Aujourd’hui, avec le recul, je sais qu’il y a eu de cela, que même des officiers des sections administratives spécialisés (SAS) ont poussé dans cette direction. Qu’à l’inverse, les ennemis de la ligne gaullienne étaient derrière la dure répression qui a frappé les manifestants. Mais je suis très sceptique face aux allégations de ceux qui prétendent que le FLN a été derrière ces manifestations. Le FLN n’a jamais témoigné d’une culture politique de cette nature: mener un travail de masse, d’éducation et de conviction auprès des gens, privilégier l’action collective, ne faisait pas partie de son répertoire simpliste sanctifiant la lutte armée. Le PCA le lui a reproché à maintes reprises durant la guerre. Le FLN n’a jamais eu qu’un rapport instrumental aux masses. Qu’il ait tenté de profiter du mouvement en ce sens est plausible, mais seulement en ce sens.

En chemin, Malek m’avait quitté en arborant un air mystérieux; il m’avait fixé rendez-vous près du kiosque de l’esplanade centrale de la Ville-Nouvelle –la Tahtaha. Arrivé sur la place, je ne vis rien que de très habituel: les gens vaquaient à leurs occupations. J’étais très déçu, frustré. Au bout de quelques dizaines de minute d’attente, je vis une femme voilée se diriger vers moi. À dire vrai, je la trouvai un peu trop grande et trop forte pour une femme; elle s’arrêta à ma hauteur, leva la voilette qui lui masquait le bas du visage. – « On va y aller ! Tiens-toi prêt ! ». C’était Malek. Je m’aperçus alors que des jeunes gens -une vingtaine peut-être- s’étaient rassemblés près du kiosque; sans doute Malek leur avait-il fixé rendez-vous là? Notre petit attroupement se mit alors à grossir au fil des minutes, par effet grégaire mécanique, phénomène que tout un chacun a pu observer dans la vie courante: il suffit que quatre à cinq personnes s’agglutinent autour de quoi que ce soit pour que le groupe grossisse à vue d’œil.

En l’occurrence cependant, il y avait un autre facteur qui jouait et qui était comme palpable, celui de l’attente. Tout le monde attendait qu’il se passe quelque chose après les manifestations d’Alger, la veille, qui eurent un énorme retentissement. Et de fait. Sans crier gare, quelqu’un du groupe hurla: «Tahia El Djazaïr!». Comme un seul homme, nous reprîmes son cri: «Tahia El Djazaïr», et nous nous mîmes spontanément en marche dans l’esplanade. Il n’y avait ni meneur, ni chef, juste un groupe de jeunes gens qui allait devenir une marée humaine. Comment?

Je serais incapable de le dire. Je me suis retrouvé, sans que je l’aie voulu, dans la rangée de tête de la marche et je ne savais pas ce qui se passait derrière moi car j’étais dans une espèce d’ivresse, le sentiment diffus que je n’existais plus en tant que personne mais en tant qu’infime partout d’un tout articulé, vivant. Jamais auparavant je n’avais éprouvé rien de semblable. Je n’ai plus souvenir que du moment où je me suis retourné et j’ai vu la place noire de monde; et tout ce monde criait: «Tahia El Djazaïr»; et les rues adjacentes à la tahtaha étaient également noires de monde. C’était incroyable. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, des milliers de personnes s’étaient rassemblées et criaient à la ville et au monde leur volonté de vivre libres et dignes. Car le seul slogan répété à l’infini était ce Tahia El Djazaïr! qui voulait dire: L’Algérie libre vivra! C’était bien d’un hymne à la liberté et à la dignité que des milliers de gens à la poitrine et aux mains nues avaient chargé ce simple slogan.

Déjà, les CRS se déployaient à l’extrémité de l’esplanade, sur la place Roux, et venaient à notre rencontre. Nous avons continué à avancer, nullement intimidés. Les premières grenades lacrymogènes qui explosèrent à nos pieds ne nous firent pas reculer; au contraire, ce sont les CRS qui, sous notre poussée pacifique, reculèrent jusqu’à la place Roux. Là, ils se contentèrent de tenir la place qui était l’une des portes de la médina en nous abandonnant la Tahtaha. Il est raisonnable de penser que le service d’ordre ne s’attendait pas à une manifestation de cette envergure. Les sphères dirigeantes ont sûrement commencé à s’inquiéter quand les Européens se mirent de la partie. En effet, depuis le boulevard Paul Doumer -qui sépare la médina du plateau Saint-Michel- parvenait maintenant l’écho d’un cri bien connu: «Algérie française!». La foule arabe, comme un seul homme, se rua alors dans les ruelles menant au dit boulevard où une masse d’Européens défilait. Les soldats du contingent arrivèrent à la rescousse et continrent les manifestants arabes dans le réduit de la médina en fermant les accès encore libres avec du barbelé. La première journée vit donc les manifestants maîtres de la Ville-Nouvelle. À la nuit tombée, et à l’approche du couvre-feu, je rentrai chez moi, fourbu et aphone.

Le lendemain, je sortis à mon heure habituelle, non sans avoir emporté mon cahier de philo -un classeur- pour donner le change à ma tante (qui ne devait pas être si dupe que cela vu les sons rauques que j’émettais en guise de voix), et je me dirigeai droit vers la Tahtaha. Bis repetita, la journée fut une copie conforme de la première. Ainsi passèrent les quatre premiers jours de manifestations dans la Ville-Nouvelle. Au cinquième, tout changea. Arrivé sur l’esplanade, je vis qu’elle était occupée par des Bérets verts. Des fusiliers marins et des gardes mobiles se tenaient dans les rues adjacentes et aux différents carrefours. Un dispositif pensé pour empêcher tout départ de manifestation. Nous tentâmes un premier rassemblement ; les Bérets verts nous chargèrent avec leur brutalité naturelle. Ce fut, dès lors, le jeu du chat et de la souris dans les rues de la médina: petits groupes mobiles de manifestants pourchassés par les parachutistes. Vers 15h, un jet de lance à incendie propulsa une toute jeune fille sur moi et je me suis retrouvé les quatre fers en l’air, entouré de marsouins. Mains derrière le dos, je fus conduit sur l’esplanade centrale. Là, nous étions déjà quelques-uns à avoir été capturés, assis en tailleur, les mains sur la tête, sous la surveillance de Bérets verts. Le nombre de prisonniers grossissait au fil des minutes et bientôt une bonne partie de la place fut occupée. À 17H, on nous embarqua dans des camions en direction du stade Magenta. Là, nous fûmes parqués sur le terrain de football.

Je connaissais bien ce stade qui faisait partie du complexe militaire appelé Camp Saint-Philippe. Il était situé à deux cents mètres de chez moi, derrière le cinéma Rex. C’est là que le lycée nous faisait faire la préparation militaire, cette année même. Une parenthèse pour dire que l’internat et la préparation militaire, ajoutés à la vision de soudards en «opération» dans mon douar, firent définitivement de moi un antimilitariste viscéral: je me suis radicalement identifié, depuis l’année de seconde (1958-59), au héros d’Allons z’enfants d’Yves Gibeau.

Nous sommes restés là, des heures durant, à faire les cent pas, à bouger sans cesse car la température était tombée. Mes congénères témoignaient de beaucoup de sollicitude à mon égard parce que j’étais certainement le plus jeune, 17 ans. Ils me prodiguaient des encouragements. J’avais très froid car vêtu d’un léger blouson, de plus mouillé par le jet de canon à eau. Mais mon cahier de philo était sain et sauf et le cache-nez vert qui ne me quittait jamais, également. Mon père m’a toujours obligé à en porter pour protéger ma poitrine qu’il me frictionnait tous les soirs à l’essence de térébenthine: mon pauvre père ignorait que l’asthme n’a jamais capitulé devant la térébenthine.

À un moment, l’un d’entre nous, visiblement la mort dans l’âme, sortit de sous sa chemise un vieux numéro du magazine Paris Match et y mit le feu pour se réchauffer. Le poids des mots ni le choc des photos n’ont fait… le poids devant la froidure du mois de décembre. À 21H exactement, on vit les soldats installer une table devant les vestiaires. Un officier du contingent, un jeune aspirant à fines lunettes, y prit place; on nous ordonna de nous mettre en rang devant l’entrée du terrain grillagé. La vérification d’identité allait commencer. Les premiers à passer devant l’aspirant furent emmenés ensuite vers les vestiaires par des parachutistes. Quand se fit entendre la musique assourdissante expectorée par les hauts-parleurs placés sur le toit desdits vestiaires, je me mis à trembler: le DOP de mon village diffusait à longueur de journée la musique destinée à couvrir les cris des suppliciés. Jamais plus je n’entendrai les rengaines de Gloria Lasso sans éprouver dégoût et terreur.

Quelqu’un dans la file disait que les paras avaient des listes, qu’il y avait des traîtres parmi les manifestants, que ceux qui seraient reconnus seraient acheminés vers le centre de triage des arènes, etc. Je n’en menais pas, large.

N’aie pas peur petit ! me souffla celui qui était à côté de moi. Montre que tu es un homme!

Certes, ce n’étaient que des mots. Mais quel effet roboratif ils eurent sur moi! Je leur dus certainement de ne pas me présenter à l’aspirant en tremblant car peur et froid conjuguaient leurs effets et j’avais du mal à maîtriser les mouvements de mes genoux. Et ce fut mon tour.

Carte d’identité! dit l’aspirant.

J’ouvris mon blouson pour sortir ma carte de ma poche intérieure.
Qu’est-ce c’est que ça ? s’écria l’officier.

Sous ma chemise, une protubérance avait fait sursauter l’aspirant. A-t-il cru qu’il s’agissait de la crosse d’une arme à feu?
C’est mon cahier de philo.

L’officier me considéra d’un drôle d’air.
Fais voir !

Il feuilleta longuement le classeur, ne fut pas sans remarquer le buste de femme, un nu fait de la main experte de mon voisin de table, Pierre Dorr, qui couvrait tout ce qui se trouvait à portée de sa main de bustes de nus, sans demander la permission à personne. L’officier me demanda en quelle section j’étais, dans quel lycée, etc. puis me dit: Rentre chez toi! Je fis mouvement vers la sortie quand deux parachutistes accoururent vers l’officier en manifestant bruyamment leur désaccord avec sa décision. Je n’entendis que la réponse de l’aspirant:

Il n’en est pas question! Et se tournant vers moi, cria: Rentre chez toi!

Les «prisonniers», derrière le grillage, l’entendirent. Alors, ils se mirent à hurler à mon adresse:

Ne sors pas! Ils vont te tuer!

Il y eut un moment de confusion durant lequel je restai bras ballants, ne sachant que faire. L’aspirant se leva et se dirigea vers les prisonniers, leur demandant ce qui se passait. L’un d’eux prit la parole calmement ;

Mon lieutenant, c’est le couvre-feu ; il ne peut pas sortir seul; il va se faire tirer dessus.

L’officier ne répondit pas mais héla deux soldats du contingent :

Prenez la Jeep et accompagnez-le chez lui ! Suis-les ! ajouta-t-il dans ma direction.

Je suivis les deux soldats en toute confiance. Je leur signalai que j’habitais tout près de là. Ils m’accompagnèrent à pied, sans déranger la Jeep.

Quand ma tante ouvrit la porte et qu’elle me vit entre deux soldats, elle eut un coup au cœur.

Le lundi suivant, je repris le chemin du lycée. Le hall d’entrée n’était pas assez spacieux pour contenir la masse des élèves qui se pressaient devant le bureau des absences. Le surveillant général arriva alors, faisant trembler le sol sous sa masse de pachyderme, les naseaux fumants. C’était ma bête noire car j’étais sa tête de Turc. Il hurla à l’adresse du pion qui délivrait les billets d’entrée :

Pas besoin de billet. Envoyez-les tous en classe, sauf celui-ci, là. -Il s’agissait de moi- Mettez lui 8 heures de colle et renvoyez-le chez lui.

Une voix tonna alors derrière moi :

Si vous le renvoyez, je demanderai le renvoi de tous vos protégés qui continuent leur grève des cours et qui n’ont rien à craindre, eux!

C’était M. Vié le sage, mon prof de philo, qui venait de fusiller l’amas de suif qui se retira tête basse et la queue entre les pattes.

Allez en classe ! me lança mon prof.

Dans la salle, il n’y avait qu’une dizaine d’élèves; les autres étaient dans la cour et refusaient de reprendre la classe. M. Vié le sage fit son cours normal devant un parterre réduit à sa plus simple expression. Comme l’on peut s’en douter, cet épisode n’arrangea pas mes affaires avec mes condisciples européens. La majorité m’ignorait -ou faisait semblant. Je n’avais pour copains que Pierre Dorr -fils d’un officier métropolitain de la gendarmerie mobile-, Saïman -Juif et gaulliste- et Joseph, catholique fervent.

Quand s’achèvera l’année scolaire sur un baccalauréat perturbé par les manifestations, je devrai la vie à un petit groupe de quatre personnes: Saïman, Pierre Dorr et deux jeunes filles européennes, élèves au lycée Stéphane Gsell et amies de Pierre. C’était au sortir de la dernière épreuve. Nous remontions la rue d’Arzew depuis le collège moderne de jeunes filles. À hauteur du bar Le Musset, je fus soudain encerclé par un groupe de jeunes en blouson noir. Ils tenaient des chaînes de vélo. «Alors, le bicot! Comme ça, on présente le bac?». Je ne me souviens que de cette première phrase. Tout était devenu silence et obscurité autour de moi. Ai-je eu le temps de me représenter ce qui allait fatalement s’ensuivre? Non. La main ferme de Saïman me tira du cercle de la mort; les deux jeunes filles, Pierre et Saïman formèrent promptement un rempart autour de moi et me poussèrent de l’avant. Si incroyable que cela puisse paraître, les blousons noirs n’esquissèrent pas un geste. Quatre frêles jeunes gens et jeunes filles ont paralysé les ratonneurs avec pour seule arme leur grandeur d’âme.

Dixi et salvavi animam meam

Honneur à l’aspirant qui m’a sauvé de la Question en cette nuit glaciale de décembre 1960.

Honneur à mes condisciples Dorr et Saïman, ainsi qu’aux deux jeunes filles du lycée Stéphane Gsell, qui m’ont sauvé la vie en cette journée de juin 1961.

Honneur à mon prof de philo, M. Yves Vié le sage, pour l’ensemble de son œuvre.

Paix à l’âme de mon ami Malek.

MESSAOUD BENYOUCEF

http://braniya.blogspot.fr/

le 6 décembre 2012


illustration:  » Lutte pour l’émancipation » de David Alfaro Siqueiros


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Rappel d’articles repris par socialgerie sur la grève historique des Dockers d’Oran en février 1950, et les dessins de Boris Taslitzki et Mireille Miailhe, illustrations des luttes des dockers, et des femmes en solidarité avec leurs luttes contre la répression :

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Article 182, mis en ligne le 13 février 2010: FÉVRIER 1950: UN DÉFI CINGLANT A L’ÉTAT COLONIAL: LA GRÈVE HISTORIQUE DES DOCKERS D’ORAN – par Ahmed AABID, historien, paru dans EL WATAN du 13 février 2010.


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article 187, mis en ligne le 23 septembre 2010: UN VOYAGE SINGULIER – 1951 -1952 : Mireille MIAILHE & Boris TASLITZKI, DEUX PEINTRES EN ALGÉRIE À LA VEILLE DE L’INSURRECTION


6 & 7 DECEMBRE – PARIS – COLLOQUE – IMA & BnF : LA GUERRE D’ ALGÉRIE, UNE GUERRE COMME LES AUTRES?


Annonce colloque – Rappel [ [ annoncé une première fois sur socialgerie le 15 novembre 2012 – brève 574 ]]


« La guerre d’Algérie: une guerre comme les autres? »

à l’Institut du Monde Arabe (IMA)

et à la Bibliothèque nationale de France (BnF)

les 6 et 7 décembre prochains.

Des littéraires, des historiens, des linguistes, des anthropologues, des chercheurs en sciences politiques et en sciences de la communication, mais aussi des intellectuels contemporains du conflit (Nils Andersson, directeur des éditions de la Cité; Paul Thibaud, directeur de Vérité-Liberté et, plus tard, de la revue Esprit) y interrogeront la catégorisation d’une guerre qui semble souffrir, plus que d’un déficit de désignation, de l’abondance de ses représentations concurrentes.

Pour finir en beautéÀ la fin du colloque, le célèbre comédien Agoumi proposera la lecture de textes de Kateb Yacine, Jean Sénac, Jean El-Mouhoub Amrouche et quelques autres…

L’entrée est libre, dans la limite des places disponibles.

Venez nombreux, et n’hésitez pas à faire circuler l’information.

Le programme joint récapitule toutes les informations utiles (lieux notamment).

pour d’autres informations, contacter
Catherine Brun

Maître de conférences en littérature française / Associate professor of French literature

EA 4400 « Écritures de la modernité » conventionnée CNRS

Université de la Sorbonne nouvelle

13, rue de Santeuil ? 75005 Paris

catherine.brun@univ-paris3.fr


Pour accéder au programme détaillé

cliquer sur l’illustration


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programme développé

présenté
sur le blog braniya

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http://braniya.blogspot.fr/2012/11/la-guerre-dalgerie-une-guerre-comme-les.html

PROGRAMME DÉVELOPPÉ

6-7 décembre 2012

Colloque international organisé par Catherine Brun

en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France,

l’Institut du Monde Arabe ;

l’Université Sorbonne Nouvelle –

Paris 3 / CNRS (EAC 4400)

Comité scientifique :

Etienne Balibar, Catherine Brun, Jeanyves Guérin, Régine Robin, Todd Shepard, Benjamin Stora, François Zabbal

Parce que la guerre d’Algérie n’a été officiellement reconnue telle que tardivement, en 1999, elle est souvent appelée, encore aujourd’hui, la «guerre sans nom». En France, on en fait l’emblème d’un consensus du silence, des tabous de l’histoire, du refoulé de la pensée, de la création, de la mémoire. Et pourtant, bien avant le «saut quantitatif» impulsé dans les années 1990 par l’ouverture partielle des archives publiques de la guerre et, à partir des années 2000, les premiers travaux systématiques sur les pratiques de torture en Algérie, les productions de tous ordres sur le sujet sont massives. Davantage que d’un déficit de désignation, cette guerre semble avoir souffert de l’abondance de ses appellations concurrentes. En outre, sa perception a été brouillée par la réminiscence d’autres conflits, dont les représentations sont venues se télescoper à ses réalités propres ou, en aval, par son instrumentalisation au profit de nouveaux affrontements.

C’est à interroger la catégorisation de ce conflit qu’il s’agira de s’atteler, pour mieux démêler l’écheveau de ses représentations historiques, littéraires, philosophiques, et médiatiques.

Deux axes seront retenus.

  • Le premier, diachronique, invitera à s’interroger sur la manière dont les représentations de cette «guerre» entrent en résonance avec d’autres conflits, passés (guerre de Sécession, deuxième guerre mondiale, Indochine) ou à venir (Vietnam, conflits dans les territoires occupés palestiniens, guérillas latino-américaines).

    Quelle(s) transmission(s)?

    Quelle(s) solution(s) de continuité ?

    Quelles ombres portées par ces autres guerres sur la «guerre d’Algérie» _ et, réciproquement, quelles disséminations de la guerre d’Algérie?
  • Le second, synchronique, s’attachera, toujours à partir des représentations, à repenser la pertinence de la désignation «guerre d’Algérie» en regard d’autres: «maintien de l’ordre», «opérations de pacification», «opérations de police», «révolution», «guerre d’indépendance», «guerre de libération», «guerre de décolonisation», «djihad», «guérilla», «guerre en Algérie», “guerre du renseignement”, ou encore «événements». Il s’agira de contextualiser ces options verbales, d’en saisir les implications et les attendus, sans négliger de penser ce que ces variations-distorsions, cosmétiques ou autoritaires, font à la langue.

Journée I : D’une guerre à l’autre

Institut du Monde Arabe,

1 rue des Fossés Saint-Bernard, Paris 5e

Salle du Haut Conseil, au 9e étage


Matinée

9h-9h15 : Ouverture du colloque

par Mona Khazindar,

directrice générale de l’IMA,

et par Carle Bonafous-Murat,

Vice-Président du Conseil scientifique de la Sorbonne nouvelle

9h15-9h30 : Présentation du colloque par Catherine Brun


Présidence : Todd Shepard

9h30-10h :

Nils Andersson (Éditeur)

Fondateur de La Cité-Éditeur à Lausanne, il a pendant la guerre d’Algérie, en étroite relation avec Jérôme Lindon aux Éditions de Minuit et François Maspero, réédité après leur saisie en France “La Question” de Henri Alleg et “La Gangrène” et publié d´autres documents, notamment “Les Disparus”, “La Pacification”, “Le Temps de la justice”, tous également interdits.

Co-président de l´Association pour la défense du droit international humanitaire, il a contribué à plusieurs ouvrages sur le système des relations internationales.

Ressentis d’une guerre non déclarée.

L’intervention portera sur la spécificité de l’insurrection algérienne par rapport à d’autres guerres de libération. À partir du moment où l’Algérie n’était plus considérée comme française, mais algérienne, la guerre ne pouvait, compte tenu des polarisations, que devenir triangulaire.

J’examinerai brièvement les perceptions contradictoires: s’agissait-il d’une «révolution algérienne», d’une guerre de libération, d’un conflit complexe anti-algérien, entre Français?

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10h-10h30 :

Philippe Mesnard

(PR Littérature UBP Clermont-Ferrand2 / CELIS)

Double mémoire, mémoire plurielle entre nazisme, génocide des Juifs et guerre d’Algérie

Il s’agit d’interroger la coexistence (convergence et/ou divergence) de la conscience du génocide des Juifs, de la guerre d’Algérie et des mémoires et traditions politiques de la résistance chez les intellectuels français durant les années 1950 et 1960; on s’efforcera d’inscrire ce panorama dans le paysage européen de l’époque en tenant compte des contextes italien, suisse et allemand (RFA et DDR). Dans un deuxième temps, on se concentrera sur des exemples précis d’œuvres (le nombre dépendra du temps de communication) qui se sont constituées à partir de ce dialogue entre mémoires et événements.

Ainsi, cette étude se situe entre histoire des idées (concernant un échantillon assez vaste d’intellectuels) et études littéraires et cinématographiques (des cas limités et exemplaires). Cela permettra de dégager des tendances lourdes et quelques figures d’exception. À ces deux niveaux, cela engagera, d’une part, à nuancer l’idée selon laquelle le génocide des Juifs a été occulté durant les décades d’après-guerre et, d’autre part, à souligner que la guerre d’Algérie a joué un rôle important dans la constitution de la mémoire du nazisme et du génocide des Juifs.

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10h30-11h :

Désirée Schyns

(MCF Littérature Haute Ecole de Gand)

Désirée Schyns a fait des études de lettres françaises à l’Université d’Utrecht et travaillé comme journaliste et traductrice littéraire aux Pays-Bas. Aujourd’hui elle est maître de conférences en traduction français-néerlandais à la Haute Ecole de Gand en Belgique et chercheur en traductologie à l’Université de Gand. Ses recherches portent d’une part sur la traduction de textes multilingues dans un contexte postcolonial et d’autre part sur la mémoire culturelle relative à la guerre d’Algérie. Elle a écrit un livre sur la mémoire littéraire de la guerre d’Algérie dans la fiction algérienne francophone (L’Harmattan 2012).

Une guerre peut en cacher une autre :

la mémoire multidirectionnelle

chez Assia Djebar, Maïssa Bey et Boualem Sansal.

Dans les représentations de la guerre chez Assia Djebar (“Les nuits de Strasbourg”, 1997), Maïssa Bey (“Entendez-vous dans les montagnes…”(2002) et Boualem Sansal (“Le village de l’allemand”, (2008) la guerre d’Algérie entre en résonance avec la deuxième guerre mondiale. Cette résonance est palpable dès 1965, quand Mouloud Mammeri fait parler allemand à un officier français en pleine guerre d’Algérie dans son roman “L’opium et le bâton” et dès 1979, quand Yamina Mechakra, dans “La grotte éclatée”, relie entre eux les crimes nazis, la Grande guerre et la seconde guerre mondiale.

Les écrivains francophones algériens sont des précurseurs, évoquant des transferts entre des évènements que nous avons toujours considérés séparément.

J’analyserai la façon dont Djebar, Bey et Sansal relient la guerre d’Algérie et la Deuxième guerre mondiale. Comment mettent-ils en scène cet entrecroisement de plusieurs guerres? Est-ce que la Shoah joue un rôle primordial dans leur représentation? En quoi la mémoire littéraire de la guerre d’Algérie agit-elle comme un projecteur braqué sur d’autres formes d’injustices et de violences? La hiérarchie entre mémoires est-elle suspendue? Comment les différentes guerres s’éclairent-elles, ou s’agit-il au contraire d’un brouillage?

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11h-11h30 : Discussion


Présidence : Alain Ruscio

11h45-12h15 :

Christian Olsson

(Maître de conférences en science politique à l’ULB (Belgique)

Christian Olsson est Maître de conférences en science politique / relations internationales à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), rattaché au REPI/ ULB (Recherche et Enseignement en Politique internationale). Il est diplômé de l’IEP de Paris (2000) et docteur en science politique/ relations internationales de l’IEP de Paris (2009). Ses travaux portent sur la sociologie des pratiques de sécurité ainsi que sur les doctrines militaires de type contre-insurrectionnel et leur application, notamment en Afghanistan et en Irak. Il est rédacteur associé de la revue Cultures & Conflits.

Usages et mésusages de la guerre d’Algérie dans la pensée militaire contemporaine sur les guerres d’Afghanistan et d’Irak

Que ce soit au travers du film « La bataille d’Alger» de Gillo Pontecorvo, des romans de Jean Lartéguy, des pratiques du général Bigeard ou des écrits des lieutenants-colonels Galula et Trinquier, les forces armées américaines (pour ne se limiter qu’à elles) ont développé une relation complexe à la «guerre d’Algérie» dans le contexte des guerres d’Afghanistan et d’Irak.

Simultanément érigée en modèle et en contre modèle, la guerre d’Algérie a tantôt permis de refouler le Vietnam Syndrome toujours renaissant, tantôt de souligner – à la faveur d’une lecture passant les conséquences politiques de la bataille d’Alger sous silence – l’actualité supposée des écrits de Trinquier.

Enfin, la relecture critique de la guerre d’Alger a parfois permis aux chefs militaires américains de dénoncer la torture comme pratique contre-productive.

Ainsi, nous essaierons de montrer que si le parallèle entre la guerre d’Algérie d’une part, celles de l’après-2001 d’autre part, se justifie, c’est moins du fait des caractéristiques objectives de ces conflits que du fait des débats doctrinaux qu’ils ont suscité au sein des forces armées respectivement françaises et américaines. Ces derniers sont en effet à maints égards comparables en dépit des décennies qui les séparent.

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12h15-12h30 : Discussion


Après-midi

Présidence : Jeanyves Guérin

14h30 – 15h :

Alain Ruscio

(historien, Dr d’État, directeur du Centre d’information et de documentation sur le Vietnam contemporain)

Alain Ruscio, historien, Dr ès Lettres, a consacré l’essentiel de son travail de recherche, dans un premier temps, à l’Indochine coloniale et à la phase finale de cette histoire, la guerre dite française d’Indochine (1945-1954).

Depuis quelques années, il a orienté ses recherches vers une histoire comparative, étudiant les autres colonies françaises. Il a notamment porté ses travaux sur ce qu’il est convenu d’appeler le «regard colonial» (“Le Credo de l’homme blanc”, Éd. Complexe, 2002). Il s’honore d´avoir eu comme préfaciers à certains de ses ouvrages Madeleine Reberioux, Raymond Aubrac et Albert Memmi. Dernier ouvrage paru, en collaboration avec Rosa Moussaoui, “L’Humanité censuré. Un quotidien dans le guerre d’Algérie”, Éd. Le Cherche-Midi, 2012.

Face aux guerres coloniales, de l’Indochine à l’Algérie:

parcours de Mauriac, Sartre et Camus.

En novembre 1954, quand commence le conflit algérien, les grands noms de l’intelligentsia française ont été à même d’observer dans les années précédentes un autre conflit de même type, avec, certes, ses particularités – et, le cas échéant, de prendre parti: la guerre d’Indochine.

Camus, Mauriac, plus encore Sartre, bien d’autres encore, ont émis des opinions. Dans quelle mesure ce premier conflit de la «décolonisation tragique» a-t-il façonné les esprits, préparé les engagements de la période de la guerre d’Algérie? On soulignera les permanences, mais aussi les évolutions, voire les ruptures, entre 1945 et 1962.

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15h – 15h30 :

Emilie Roche

(MCF en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3)

Emilie Roche est Maitre de conférences en sciences de l’information et de la communication au sein de l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.

Elle a travaillé, pour sa thèse notamment, sur les représentations médiatiques de la violence et de la torture pendant la guerre d’Algérie.

Ses travaux portent également et plus largement sur l’histoire de la presse écrite et plus spécifiquement sur les news magazines (l’Express, Le Nouvel Observateur).

Elle a notamment publié un ouvrage sur La presse en France depuis 1945, chez ellipses et a collaboré à l’ouvrage collectif dirigé par C. Blandin Le Figaro, histoire d’un journal (« Le Figaro en guerre d’Algérie »).

Indochine, Algérie, Vietnam:

intertextualité des discours de presse

sur les violences et les tortures.

La guerre d’Algérie, en France, et la guerre du Vietnam, aux Etats-Unis, font l’objet de discours médiatiques sur les violences et les tortures perpétrées contre les groupes armés engagés dans les conflits et les populations civiles.

L’étude de ces discours dans la presse hebdomadaire d’information française et américaine montre des similitudes quant aux présupposés et aux prismes d’interprétation mobilisés pour représenter la guerre et dénoncer les violences et les tortures.

Dès lors, au regard de ces deux guerres de décolonisation, quelle(s) intertextualité(s) des guerres d’Algérie et du Vietnam dans la presse française et américaine?

À partir d’un corpus réunissant les principaux hebdomadaires d’information Newsweek, Time, Le Nouvel Observateur et L’Express nous proposerons une analyse socio-discursive des discours engagés contre ces deux guerres.

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15h30 – 16h : Discussion


Présidence : François Zabbal

(Rédacteur en chef de Qantara)

16h15 – 16h45 :

Abderrahmane Moussaoui

(Pr Université Lyon 2)

D’une guerre l’autre, Une violente mémoire

Dans l’historiographie officielle, aussi bien que dans l’imaginaire collectif des Algériens, certains aspects de la guerre de libération sont sur mémorisés, alors que beaucoup d’autres relèvent d’un oubli largement partagé.

Cependant, pour tous les Algériens, la guerre de libération nationale, fondement premier de leur être ensemble, demeure un lieu de mémoire privilégié; le lieu où se confirme le mieux cette assertion de E. Renan, «l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et que tous aient oublié bien des choses».

La mémoire de la guerre, de « la révolution» telle qu’on la désigne ici, relève de l’imaginaire collectif parce qu’elle ne constitue pas un capital symbolique exclusivement entre les mains des représentants du pouvoir.

Ces derniers ne sont pas les seuls à s’autoriser de la guerre de libération comme source de légitimation; leurs opposants le revendiquent également.

Lors des affrontements sanglants qui avaient opposé le régime à son opposition islamiste, les représentants du pouvoir se pensaient comme les légitimes défenseurs d’une Algérie arrachée à la colonisation.

Les membres des groupes armés sont dénoncés comme fils de harkis.

C’est à la même guerre que se réfèrent les groupes islamistes armés qui se posent comme les redresseurs de torts causés aux martyrs en trahissant leur idéal.

Derrière la guerre réelle, une autre guerre … symbolique faisait rage.

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16h45-17h15 :

Christiane Chaulet-Achour

(Pr. de Littérature Comparée et Francophone, Université de Cergy-Pontoise)

Christiane Chaulet Achour, née à Alger en 1946, y a vécu et travaillé comme enseignante à l’Université d’Alger de 1967 à 1994. Elle est actuellement professeur de Littérature comparée et francophone à l’Université de Cergy-Pontoise. Spécialiste de la liaison enseignement du français et écriture littéraire, de l’intervention linguistique en situation coloniale puis post-coloniale, elle a publié de nombreuses études sur la littérature algérienne dont elle est une des spécialistes. Dès son Anthologie de la littérature algérienne de langue française [co-édition Bordas-ENAP, 1990], elle sonde les rapports de la Littérature à l’Histoire, en privilégiant la guerre de libération nationale. Elle a coordonné avec Pierre-Louis Fort les Actes du colloque de Cergy-Pontoise sur l’année 1962 (à paraître chez Karthala en 2013).

Guerre de libération nationale et « deuxième » guerre en Algérie des années 1990: guerres en miroir?

On comparera trois fictions (“Les Amants désunis” d’Anouar Benmalek, Albin Michel, 1998; “Rose d’abîme” d’Aïssa Khelladi, Le Seuil, 1998; “Les amants de Shéhérazade” de Salima Ghezali, éd. de l’Aube, 1999) qui, comme le discours médiatique dominant, établissent un parallèle entre la guerre de libération nationale et la guerre civile des années 1990. Les convergences établies et les différences soulignées seront examinées pour comprendre la fonction de ces assimilations dans les discours tenus sur l’Algérie de la post-indépendance.

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17h15 – 17h45 :

Zaïneb Ben Lagha

(MCF en littérature arabe moderne et contemporaine, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3)

“Le livre de l’émi”r de Waciny Laredj ou l’altérité en contexte de guerre coloniale.

Dans son roman “Le Livre de lémir”, Waciny Laredj revisite la guerre d’Algérie mais aussi, à travers elle, la figure de l’émir Abdelkader, dans un contexte très particulier, celui d’une autre guerre, celle contre le terrorisme menée au nom du choc des civilisations qui véhicule une vision essentialiste de l’Autre.

Waciny Laredj recompose, à partir de sources diverses, le personnage de l´émir Abdelkader s’intéressant non pas tant à la figure du guerrier qui constitue l’image emblématique de l’émir, mais plutôt à un aspect moins connu du personnage, ses rapports avec les Français et tout particulièrement avec l’un d´entre eux, Monseigneur Dupuch, l´évêque d’Alger.

À travers cette rencontre entre ces deux figures et l’amitié à laquelle elle va donner progressivement naissance, c’est la question de la représentation de l´Autre en contexte de guerre coloniale qui est posée.

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17h45 – 18h15 : Discussion


18h30 –

Paul Thibaud

(ancien directeur de Vérité-Liberté et d’Esprit)

L’intrication franco-algérienne et ses effets négatifs


Journée II : Les mots pour la dire

Matinée

9h20 :

Ouverture des travaux par Denis Bruckmann,

directeur des Collections de la BnF.

Présidence : Emilie Roche

9h30 – 9h45 :

Frédéric Manfrin

(chef du service Histoire de la BnF, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme):

«Les tracts de la guerre d’Algérie dans la collection de recueils de la BnF»

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9h45 – 10h :

Philippe Mezzasalma

(chef du service Presse, département Droit, économie, politique) :

«La presse en Algérie de 1945 à l’indépendance au travers des collections de la BnF»

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10h – 10h30 :

Régine Robin

(Historienne et Pr. de sociologie à l’Université de Québec), Francine Mazière (Pr de linguistique, Laboratoire d’Histoire des Théories Linguistiques, Paris 13, Paris 7/CNRS)

Régine Robin est à la fois universitaire, traductrice et romancière. Après une carrière universitaire en France, jusqu’à la thèse d’État en histoire, elle devient professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Pionnière en analyse du discours, elle mène depuis vingt ans des recherches sur les identités, la langue et la littérature, l’écriture migrante, les cultures de l’entre-deux guerres, la culture yiddish, les problèmes de la mémoire collective, les usages et mésusages du passé ainsi que sur les musées. Elle a obtenu le Prix du Gouverneur général au Canada en 1987 pour “Le Réalisme socialiste: une esthétique impossible” (Paris, Payot, 1986) et le Prix Jacques Rousseau de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences pour l’ensemble de son œuvre, le Prix Spirale pour Le Golem de l’écriture en 1999 et le grand prix du livre de Montréal, pour“ Berlin Chantiers en 2001.” Elle est membre de la Société Royale du Canada.

La première analyse de discours sur l’Algérie :

la thèse de Denise Maldidier (1969).

La thèse de Denise Maldidier, «Analyse linguistique du vocabulaire politique de la guerre d’Algérie d’après six quotidiens parisiens», a été soutenue à Paris X-Nanterre en 1969. Elle n’a jamais été publiée.

Or ce travail pose les bases et esquisse les directions de ce qui deviendra «l’analyse du discours du côté de l’histoire», tant en matière de corpus (la presse joue alors un rôle essentiel dans ce champ de recherche) que d’analyse d’énoncé. Et ces avancées théoriques et méthodologiques sont élaborées sur un corpus singulier, peu interrogé: «la guerre» (mot alors peu employé), abordée comme «une crise qui engendre les tensions les plus grandes au sein de la communauté française». Denise Maldidier propose la lecture d’une «mise en question» de la France par la lutte des Algériens. Cette thèse est aujourd’hui à lire et relire.

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10h30 – 11h :

Julien Hage

(Post-doc en histoire, Université de Bourgogne)

Julien Hage, né en 1977, ancien élève de l´École normale Lettres-Sciences Humaines de Lyon (ENS-LSH), agrégé d’histoire, est attaché temporaire d´enseignement et de recherche à l´université de Bourgogne, spécialiste d’histoire de l’édition et de l’imprimé politique contemporains, en charge de la réalisation des corpus numériques, co-auteur avec Alain Léger et Bruno Guichard de François Maspero et les paysages humains (La Fosse aux ours, 2009), auteur d’une thèse intitulée “Feltrinelli, Maspero, Wagenbach: une nouvelle génération d’éditeurs politiques d’extrême gauche en Europe occidentale, 1955-1982, histoire comparée, histoire croisée,” à paraître en 2013 aux Presses de l´École Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques, commissaire scientifique de l´exposition consacrée aux éditeurs engagés contre la guerre d’Algérie, La Plume dans la plaie (Musée du Montparnasse, mars 2012).

Réseaux éditoriaux, tribunes imprimées et circulations de textes au sein des mouvements d’opposition à la guerre d’Algérie

Lors de la guerre d’Algérie, la censure a réduit au silence la grande presse et contraint à la prudence le monde de l’édition, à l’exception de quelques maisons d’avant-garde, comme Minuit ou Maspero.

Les réseaux de porteurs de valises et les groupes d’insoumis et de déserteurs ont été contraints de mettre en place clandestinement un système médiatique de liaison et de contre-information.

Cette communication se propose d’envisager d’une manière globale, à travers une analyse à la fois matérielle, textuelle et symbolique, la circulation des textes, avec ses fluidités et ses hermétismes, au sein des tribunes des opposants à la guerre, et ce, sur tous les supports: livres, brochures et périodiques, de Témoignages et documents à Vérités Pour, l’organe du réseau Jeanson.

Elle entend ainsi interroger les différentes déclinaisons des grands thèmes et enjeux de cette crise: la torture, l’insoumission et la désertion, la violence et la révolution algérienne, afin de mettre en lumière les différentes options politiques et les sensibilités contrastées des acteurs et des locuteurs engagés dans cette lutte.

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11h -11h30 : Discussion


Présidence : Benjamin Stora

11h45-12h15 :

Nassima Bougherara

(MCF HDR en langue et civilisation allemandes, Université Stendhal/Grenoble3)

Nassima Bougherara-Gaspoz a enseigné neuf ans à l’Université d’Alger. Elle est actuellement Maître de conférences en civilisation et histoire politique de l’Allemagne à l’Université Stendhal de Grenoble. Elle a été interprète auprès de l’Ambassade d’Algérie à Berlin-Est en RDA (1974-1976) et aux Ministères de l’Industrie et des Hydrocarbures (1977-1980) à Alger.

Ses travaux portent notamment sur les rapports franco-allemands à l’épreuve de la question algérienne, à travers l’analyse d’archives diplomatiques et de corpus de presse. Elle réfléchit également aux phénomènes d’interculturalité dans l’espace germanique : traductions de l’œuvre d’Assia Djebar ou statut des travailleurs algériens en RDA.

Etudes des résonnances et des représentations politiques et médiatiques de la guerre de libération nationale dans l’espace germanique (1954-1962)

Un corpus d’archives politiques et diplomatiques allemandes et françaises offrira matière à l’analyse de discours. On y circonscrira l’emploi de concepts récurrents et de réseaux d’oppositions ou de substitutions qui révèlent des mentalités et des représentations de la guerre et de la nation. On étudiera les catégories de qualificatifs qui constituent une

constellation autour de la figure du nationaliste algérien, leurs synonymes, leurs dérivés et leurs dénominateurs communs. On analysera plus particulièrement les représentations qui intègrent et figent le sens de la catégorie fonctionnelle de « l’ennemi » – catégorie propre à toute guerre – dans une perspective comparatiste.

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12h15 – 12h45 :

Gabriel Périès

(Politiste, HDR, Directeur du Département Langues et Sciences Humaines de TELECOM Évry)

Les représentations de la guerre d’Algérie en Amérique latine: entre la revendication révolutionnaire et les pratiques anti-subversives (1959-1983)

Les représentations de la guerre d’Algérie dans le discours de la gauche révolutionnaire latino-américaine ainsi que dans le discours des doctrines militaires contre-insurrectionnelles pendant la même période (1959-1990).

Il s’agira de voir comment se déterminent les formes discursives et normatives de légitimation de la violence politique et sociale (représentation du couple ami/ennemi, formes d’organisation de la guerre, structures des champs politico-militaires, discours de l’exceptionnalité, transferts de connaissance et de représentation des conflits et du politique entre secteurs militaires à l’échelle internationale par rapport au continent sud-américain pendant la guerre froide, l’expérience des peuples vietnamien et algérien comme modèle révolutionnaires / contre-révolutionnaires) etc.

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12h45 – 13h : Discussion


Après-midi

Présidence : Abderrahmane Moussaoui

14h30 – 15h :

Pierre Vermeren (Pr Paris I – UMR 8054 – Centre d’étude des mondes africains)

Professeur à Paris 1 en histoire du maghreb contemporain depuis la rentrée 2012, après 6 ans passsés à Paris 1 comme maitre de conférences. Membre du laboratoire Centre d’études des mondes africains (CEMAF), Pierre Vermeren a habité 8 ans au Nord de l’Afrique, dont 7 ans au Maroc. Il a soutenu un Doctorat sous la direction de René Gallissot à Paris 8 sur la formation des élites marocaines et tunisiennes (2000), puis une HDR sous la direction de Nadine Picaudou à Paris 1 en 2010, consacrée à l’historiographie française du Maghreb post-colonial. Depuis quelques années, il a participé à plusieurs jurys de thèses consacrées à la guerre d’Algérie, et encadre des travaux de masters et de doctorats consacrés à l’histoire du Maghreb cotemporain.

Nommer la guerre d’Algérie et ses combattants:

essai d’interprétation à partir des discours et des termes en usage au Maghreb.

Pour la majorité des Français qui ont soutenu et accompagné le FLN dans sa lutte pour l’indépendance (période de la guerre d’Algérie), la «révolution algérienne» est une lutte qui se situe dans une triple filiation politique et idéologique: la révolution française (lutte pour l’égalité et la liberté), la guerre d’indépendance américaine (droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) et la lutte anti-impérialiste (anticolonialisme en temps de guerre froide).

Tout cela est vrai. Mais ce que la langue française n’a pas perçu, ou trop rarement, c’est la dimension religieuse islamique de ce conflit. De ce point de vue, les termes de «martyr» et de «mudjahid» sont sans ambiguités, tout au moins en arabe.

Il est intéressant de revenir aux termes et aux discours en usage à l’époque pour soulever cet angle mort de l’anti-impérialisme en terre d’islam.

15h – 15h30 :

Daniel Lançon

(PR Littérature française et francophone, Université Grenoble 3)

Professeur de littératures française et francophones à l’Université Stendhal-Grenoble 3, Daniel Lançon est directeur scientifique des ELLUG (Éditions Littéraires et Linguistiques de l’Université de Grenoble). Il est également co-fondateur du séminaire «Orientalismes» à l’ENS-Ulm, mensuel depuis janvier 2008.

Ses travaux portent sur les francophonies orientales, la poésie française moderne et contemporaine, la littérature des voyages, les orientalismes littéraires.

Il a récemment co-dirigé des ouvrages sur Yves Bonnefoy (“Yves Bonnefoy, poésie, recherche et savoirs”, Hermann, 2007) ; Edmond Jabès (“Edmond Jabès : l’éclosion des énigmes”, Presses Universitaires de Vincennes, 2007) ; les littératures en français (“L’Ailleurs depuis le romantisme: essais sur les littératures en français”, Hermann, 2009); les “Perspectives européennes des études littéraires francophones” (actes du colloque international de Grenoble, Honoré Champion, sous presse).

Il prépare pour 2013 un essai biographique sur Bonnefoy (“Yves Bonnefoy: histoire des œuvres et naissance de l’auteur. Des origines aux Poèmes (1923-1980)”, chez Hermann) et une anthologie “Voyage au Sinaï, (1700-1914”), chez Geuthner.

Il a également écrit sur Assia Djebar («L’invention de l’auteur : Assia Djebar entre 1957 et 1969 ou l’Orient second en français», dans le collectif Assia Djebar, littérature et transmission, publié aux Presses de la Sorbonne Nouvelle en 2010) et la revue Esprit («1962 : l’Algérie de la revue Esprit» dans le collectif 1962.Algérie-France, mémoires partagées, à paraître chez Karthala).

« Usages de langue dans les écrits religieux de la « guerre » d’Algérie »

(corpus) : une dizaine de récits personnels et journaux, publiés rétrospectivement mais rédigés pendant la période 1954-1962 par des prêtres, des séminaristes, des hommes de foi, catholiques, protestants, d’origine ou convertis: (esquisse de problématique) : conscience (ou non) d’un « djihad » par ces appelés ou pieds-noirs, contradictions du discours universaliste de la religion face aux réalités d’un conflit à qualifier, à nommer.

15h30 – 16h :

Jeanyves Guérin

(PR Littérature, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3)

Jeanyves Guérin est professeur de littérature française du vingtième siècle à Paris 3 et directeur de l’école doctorale de littérature française et comparée. Ses recherches portent sur le théâtre français du vingtième siècle, sur les écrivains journalistes (Camus, Mauriac) et sur la littérature engagée (Camus, Sartre, Malraux). Il a notamment publié Camus. Portrait de l’artiste en citoyen (François Bourin, 1993), Albert Camus. Littérature et politique (Honoré Champion, 2013). Il a dirigé plusieurs dictionnaires, parmi lesquels le Dictionnaire des pièces françaises du vingtième siècle (Honoré Champion, 2005), Dictionnaire Albert Camus (Robert Laffont, 2009), et une dizaine d’ouvrages collectifs. Il a collaboré à la Nouvelle Revue française et à Esprit.

1954-1957 : Écrivains et intellectuels entre hésitations et incertitudes

Entre 1954 et 1957, les gouvernements de Mendès France, Edgar Faure et Guy Mollet défendent le maintien de la présence française en Algérie.

Peu d’’ntellectuels se prononcent pour l’indépendance. Ceux qui s’expriment disent leur embarras ou esquissent des compromis que l’évolution de la situation condamne.

On connaît les positions de Camus. On s’interrogera sur la façon dont Mauriac, Pierre-Henri Simon, Jules Roy, auteurs catholiques, ou encore dont Jean Daniel, analysent et mettent en perspective l’ évènement.

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16h-16h30 : Discussion


Présidence : Daniel Lançon

16h45 – 17h15 :

Todd Shepard

(Associate Professor, Department of History, Johns Hopkins University):

Historien à Johns Hopkins University, Todd Shepard est spécialiste de la France et de son empire colonial au XXe siècle. Il examine les interactions entre l’histoire de l’impérialisme, les institutions étatiques, et les identités nationales, raciales et sexuelles. Son premier livre, “The Invention of Decolonization.” “The Algerian War and the Remaking of France” (Cornell U.P., 2006), a été traduit en français sous le titre: “1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France”; il vient d’être réédité en poche. (Payot, 2008; 2012).

Domestiquer pour réformer. Le rejet français de la référence « coloniale » pour définir le conflit

Dès novembre 1954, les autorités françaises soulignent, trouvant sur ce point un large écho dans la presse française aussi bien qu’internationale, que les évènements en Algérie n’ont rien à voir avec ce qui se passe ailleurs, dans d’autres territoires coloniaux, comme dans d’autres colonies françaises. L’Algérie est exceptionnelle. Le refus du terme «colonial» pour expliquer la situation algérienne n’implique par contre pas d’admettre qu’il y ait un ou plusieurs «problèmes» algériens; le plus important, selon une analyse proposée d’abord par le gouvernement de Pierre Mendès France et son ministre François Mitterrand, reprise ensuite pour expliquer la politique dite d’«intégration», est le racisme français dont souffrent les «Musulmans» algériens.

Cette intervention propose d’analyser comment cet enchevêtrement de termes a fonctionné pendant la guerre, bien qu’il paraisse aujourd’hui incompréhensible, voire inimaginable.

17h15 – 17h45 :

Catherine Brun

(MCF Littérature, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3):

Catherine Brun est maître de Conférences à la Sorbonne nouvelle et membre de l’unité de recherche «Écritures de la modernité, Littérature et Sciences humaines».

Depuis sa thèse (1998), et parallèlement à ses travaux sur Pierre Guyotat (“Pierre Guyotat, essai biographique”, Paris, Éditions Léo Scheer, 2005; Europe, mai 2009) et “le théâtre du deuxième vingtième siècle” (Gatti Vinaver), ses recherches portent principalement sur les rapports de la littérature et du politique.

C’est ainsi que l’écriture en langue française de la guerre d’indépendance algérienne est devenue l’un de ses objets de prédilection.

Commissaire, avec Olivier Penot-Lacassagne, de l’exposition “Engagements et déchirements, les intellectuels et la guerre d’Algérie”, présentée à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC), à Caen, jusqu’en octobre, elle est co-auteur du livre qui l’accompagne (IMEC/Gallimard, juin 2012).

Distorsions verbales et mobilisations littéraires

Deux ans après que Maurice Blanchot a dénoncé, dans la prise de pouvoir par De Gaulle, une «perversion essentielle» qui transforme le pouvoir politique en puissance de salut, Bernard Dort s’insurge contre une perversion plus «sournoise» : la «perversion du vocabulaire», élevée «à la hauteur d’un instrument de gouvernement».

À ses yeux, «cette dégradation du langage» doit être perçue comme «l’un des signes de l’action dissolvante exercée par la guerre d’Algérie», et figure «au premier rang des motifs qui ont amené intellectuels et écrivains français à manifester leur opposition inconditionnelle à la poursuite de cette guerre.»

Le rappel de quelques-unes des distorsions verbales (coups de force ou auphémisations) de la période permettra d’examiner les réactions qu’elles ont suscitées chez les artistes et les intellectuels et de s’interroger sur leur apparente «frivolité».

_____

17h45 – 18h15 : Discussion


18h30 – 19h10 : Lectures, par Agoumi


et sur le blog chiricahua

http://chiricahua.over-blog.com/article-la-guerre-d-algerie-une-guerre-comme-les-autres-112505772.html


ALGÉRIE ÉTÉ 1962: UNE INDÉPENDANCE AUX DEUX VISAGES

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50ème annversaire de l’été 1962:

une indépendance aux deux visages

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http://www.youtube.com/watch?v=6-SEw1XtNt8

->http://www.youtube.com/watch?v=6-SEw1XtNt8]


… c’est à dire la révolution (en 62) a changé d’orientation

… et puis après, … 40 ans après on vit encore de la crise de 62…

Salah Boubnider


ALGÉRIE, HIER, AUJOURD’HUI, ET DEMAIN ?

Voici un article d’un ton nouveau de Brahim Senouci.

Il retrace dans l’histoire les sacrifices immenses du peuple algérien. Des sacrifices qui se comptent par milliers et milliers de victimes.

La guerre de libération contre le colonialisme et sa cohorte de martyrs a été suivie d’un grand changement politique pour le pays.

Mais depuis 50 ans d’autres milliers de victimes données en gages « pour le progrès, le développement, l’accès au rang des pays acteurs de leurs destins» n’ont pas été payées en retour.

Brahim Senouci espère un renouveau d’indignation, d’exigences révolutionnaires pour que les nouveaux martyrs voient enfin leurs sacrifices suivis d’effets.

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par Brahim Senouci

http://brahim-senouci.over-blog.com/

Le Quotidien d’Oran

le 29 septembre 2012

Les anniversaires sont souvent l’occasion d’établir un bilan, de
dessiner des perspectives d’avenir. Que dire alors du cinquantenaire
de l’indépendance du plus vaste pays d’Afrique, indépendance arrachée
au bout d’une lutte qui a ému le monde entier, qui a souvent suscité
l’éveil politique des consciences de plusieurs générations d’hommes et
de femmes, en Europe et dans le tiers-monde? On le sait.

Cet événement n’a guère suscité les passions

. Accueilli avec
indifférence, il n’a donné lieu à aucun bilan, hormis les
sempiternelles envolées d’un patriotisme de commande. Pas de
perspective, hormis celle de la reconduction ad nauseam de
l’immobilisme, juste un feu d’artifice coûteux destiné à masquer
l’absence de projet et de toute velléité de questionnement sur les
raisons qui nous ont conduits là où nous sommes, c’est-à-dire d’être
en situation de dépendance, à 97 %, d’une ressource non renouvelable

Paradoxalement, c’est dans l’ancienne métropole que le cinquantenaire
a fait l’objet d’une intense couverture.

Télévisions, journaux, y ont
consacré de nombreuses productions. De petites MJC (Maisons des Jeunes
et de la Culture) en ont abondamment débattu. Bien sûr, la date du 19
mars a pris le pas sur celle du 5 juillet. Bien sûr, le colonialisme a
été présenté d’une manière singulièrement «adoucie». Bien sûr, il
n’a pas été vraiment question des Algériens. Cette guerre n’a été
présentée que comme une affaire française, l’Algérie n’étant que la
toile de fond des événements qui ont secoué la France, de l’OAS au
“coup d’Etat constitutionnel de mai 1958”. Le titre d’un film de
Stora, diffusé il y a vingt ans par la télévision algérienne, “les
années algériennes”
, la déclaration de Giscard d’Estaing à sa descente
d’avion à Alger où il était accueilli par Boumediene, «La France
historique salue l’Algérie indépendante»
, montrent bien le peu de
place qu’occupe l’Algérie, simple «parenthèse dans la glorieuse
histoire de France».

La France se paie même le luxe de la magnanimité. Elle appelle ainsi à
intervalles réguliers à la « réconciliation», à la signature d’un «traité d’amitié» qui viendrait sceller les retrouvailles des ennemis
d’hier. Pour autant, elle refuse de revoir le passé. Elle appelle à
l’oubli des blessures d’hier en appelant à «regarder vers l’avenir».
Ce faisant, elle veut éviter que le passé soit revisité, pas seulement
parce qu’elle y a joué le mauvais rôle, mais parce qu’elle ne veut pas
remettre en cause fondamentalement la matrice de pensée qui a rendu
possibles la colonisation, les massacres de masse, l’acculturation. Ce
qui a rendu les horreurs admissibles par l’opinion française, c’est la
construction de la figure de l’Algérien, présenté comme
ontologiquement pillard, prédateur, voleur. C’est à ce prix que la
France a pu installer au coeur de sa «démocratie» un espace
d’exception dans lequel les sujets de l’Empire n’avaient pas les mêmes
droits que les Français ordinaires. En revanche, ils avaient le devoir
de mourir pour cette «patrie» qui les méprisait. Les dizaines de
milliers de morts africains n’ont pas eu le droit de voir leurs noms
gravés dans l’ossuaire de Douaumont. Les soldats africains du
débarquement de Provence n’ont pas eu le droit de défiler sur les
Champs-Elysées. Après avoir vaincu, au prix de dizaines de milliers de
morts, l’armée allemande, ils ont été priés de repartir dans leurs
foyers et ils ont été remplacés par des soldats blancs, au teint
frais. Les soldats algériens démobilisés ont pris le bateau pour
l’Algérie. Ceux qui étaient originaires de Sétif, Guelma, Kherrata et
des hameaux environnants y ont trouvé les séquelles fraîches du
massacre des leurs, massacre commis par la Nation qu’ils venaient de
libérer

Cinquante ans plus tard, la France refuse toujours de reconnaître sa
culpabilité. Elle exclut la possibilité d’un récit algérien de la
guerre d’Algérie et souhaite figer le passé dans une narration dont
elle a été de bout en bout la maîtresse d’œuvre.

Sa structure mentale
lui interdisait de penser l’indigène comme un acteur possible de son
propre destin. Plus généralement, dans l’inconscient collectif de
l’Occident, il s’agit d’un impensable. Les 80 % de l’Humanité qui sont
extérieurs à sa sphère sont assignés à résidence dans une altérité,
une infériorité irréductibles.

C’est un impensable commode. Il est vrai que ces 80 % vivent dans un
monde marqué par la violence interne, la corruption, la prédation.
Plutôt que d’inscrire ces maux dans une grille de lecture qui permet
de leur donner une genèse politique et sociale, le discours occidental
les attribue à une fatalité liée à l’essence même de ces peuples. Le
bénéfice est énorme. En effet, les richesses dont la nature les a
pourvus sont déclarés illégitimes. Durant sa présidence, Giscard
d’Estaing avait dit à propos des pays exportateurs de pétrole et de la
facture pétrolière: «Ils viennent nous prendre chaque année 250.000
voitures»
. «Prendre» équivalait dans sa bouche à «voler». Dans
son esprit, il lui était insupportable d’avoir à payer pour du pétrole
indûment détenu par des infra humains qui n’y avaient aucun droit. Ce
tribut équivalant à «250.000 voitures» qu’il était contraint de
verser en échange de livraisons de pétrole était perçu comme une
rançon.

Plus grave, ce discours de délégitimation de la possession de
richesses naturelles est complaisamment relayé dans le Tiers-monde,
notamment en Algérie.

Naguère, on a pu entendre un président en
exercice se demandant à voix haute si le pétrole représentait un
bienfait ou une malédiction. Il bouclait ainsi la boucle en accusant
les hydrocarbures de l’Algérie d’être responsables de son
sous-développement. Bien entendu, le président en question ne trouvait
aucun défaut à sa gestion du pays Il s’est aussi trouvé des
intellectuels pour proposer, sans vraiment plaisanter, que l’on mette
le feu à Hassi Messaoud pour permettre à l’Algérie de décoller enfin !
L’Occident relaie ce discours en appelant l’Algérie à s’insérer dans
l’économie mondiale plutôt que de s’y intégrer. La différence n’a rien
de sémantique. S’insérer, c’est garantir l’approvisionnement des pays
développés en matières premières et ouvrir son marché pour que s’y
déversent leurs produits. S’intégrer suppose la participation à la
marche du monde en contribuant au développement de l’industrie, du
savoir, de la culture

C’est probablement le propre des peuples qui ont vécu de longues
périodes d’assujettissement. Ils finissent par intégrer l’image forgée
pour eux par les maîtres d’hier. Le discours sur la malédiction de la
rente est d’abord un discours occidental. Ce discours avait ainsi mis
l’état effarant du Zaïre sur le compte de ses énormes richesses
minières. Les dirigeants zaïrois puis congolais l’ont repris à leur
compte, justifiant d’une certaine manière les menées des pays
occidentaux participant à la razzia sur le cuivre, le coltan…

Il y a en Algérie un besoin d’expression identitaire.

Les Algériens
ont le regard rivé sur les autres (on se compare) et s’inquiètent du
regard des autres (on donne à voir une image de soi). C’est que
l’image est brouillée. L’homo algerianus est un être mystérieux; il
ne s’est pas tout à fait défait de ses habitudes d’étranger à un monde
gouverné par d’autres. Il y a une très grande difficulté pour les
Algériens à se penser comme une communauté de destin, à s’inscrire
dans l’action collective. Mille et un exemples en attestent. L’état de
notre cadre de vie, l’acceptation du recours aux passe-droits et à la
corruption, la méfiance maladive que nous nous inspirons mutuellement,
sont autant de signes de nos difficultés à vivre ensemble. Un
raccourci audacieux (tant que ça?) mais saisissant consisterait à
établir un lien entre la crasse des cités, les fonctionnaires véreux,
l’anarchie des hôpitaux d’une part et le martyrologe des 150.000
victimes de la décennie noire. Une société qui accepte de vivre dans
un déni permanent de justice, dont les membres acceptent d’accéder à
leurs logements en empruntant un escalier sombre, sale et branlant, de
vivre sans eau parce qu’incapables de faire l’effort collectif de
réparer une pompe, de payer pour un misérable document administratif,
qui acceptent que des malades grabataires puissent rester à la porte
des hôpitaux pendant que d’autres y soignent leurs petits bobos , est
une société capable d’accepter la mort brutale d’une grande partie des
siens. Il y a donc, outre la violence exercée par le Pouvoir, celle
banale que nous nous infligeons quotidiennement les uns aux autres.

Une telle situation est-elle imaginable ailleurs? Les événements
d’Irlande ont commencé avec ce qui est resté dans la mémoire
collective comme le Bloody Sunday. En 1972, la police britannique tire
sur des manifestants pacifiques. Il y eut 13 morts, oui 13 et non
13.000! Cet événement a changé radicalement la donne en Irlande.

Il est célébré de manière régulière, notamment à travers des chansons
de John Lennon ou du groupe U2. Il a ouvert la voie à l’émancipation
des citoyens d’Irlande du Nord, jusque là victimes de discriminations.

La petite Irlande n’a pas supporté la mort de 13 de ses enfants. Nous
avons non seulement intégré la mort de 150.000 des nôtres mais nous
avons accepté, au moins de manière tacite, que cette mort n’ait AUCUNE
CONSEQUENCE TANGIBLE!

Comment avons-nous pu intégrer cela, sans un cri, sans une plainte?
C’est là que nous devons nous poser des questions sur nous-mêmes, en
tout cas cesser de nous dédouaner de la moindre responsabilité dans ce
qui nous arrive.

Il y a une nécessité impérieuse, celle de poser enfin un cadre
d’analyse pertinent.

Cinquante ans plus tard, il est grand temps de
procéder à un examen objectif des verrous qui entravent notre élan
vers le progrès. Il faudrait sans doute procéder à un réexamen de nos
relations avec l’ancienne puissance tutélaire.

La Chine proteste et
inflige des mesures de rétorsion envers le Japon quand le gouvernement
de ce dernier décide d’honorer des criminels de guerre ayant sévi sur
son territoire.

L’Algérie, gouvernement et société, reste silencieuse
quand le gouvernement de la France amnistie les généraux de l’OAS et
projette de transférer les cendres de Bigeard aux Invalides. Serait-ce
que nous considérons que nos suppliciés d’hier n’ont pas d’importance? Il faudrait répondre à ces questions dans un cadre propice, en
sachant que les réponses ne sont écrites nulle part et qu’il faudra
les chercher au plus profond de nous-mêmes

Le cinquantième anniversaire peut marquer l’Histoire de l’Algérie s’il
est l’occasion de l’ouverture d’un immense chantier.

Il s’agira de
procéder à une réappropriation critique de notre passé
, de faire le
point sur ce qui nous leste et que nous taisons inconsciemment. Il
s’agira d’engager enfin la rédaction d’un récit national, sans gloire,
sans complaisance et sans honte, récit dont les générations futures
reprendront le fil et en assureront la pérennité.

Il faudra également engager l’immense chantier de la culture. Aucun
pays, aucun ensemble ne peut se développer s’il ne dispose pas d’un
soubassement culturel. La naissance de l’Occident coïncide avec la
Renaissance, la «découverte» (en réalité, l’invasion) de l’Amérique,
l’imprimerie Le symbole de ce nouvel élan est Léonard de Vinci, non
pas le génial précurseur de l’aviation ou le mathématicien fasciné
par le nombre d’or, mais le peintre de la Joconde ou le sculpteur
d’incomparables Piétas. Tous les historiens s’accordent à en faire le
symbole du formidable élan de l’Occident qui lui a permis d’être,
encore aujourd’hui, la zone la plus riche du monde.

La culture est le préalable incontournable du progrès. Notre société,
plus largement les sociétés musulmanes, doivent sortir du consensus
mou autour du moins-disant culturel. L’innovation doit cesser de
représenter un danger mais une chance. Il faut que l’esprit créatif
puisse s’y exprimer, retrouver l’esprit des siècles durant lesquels le
monde avait le regard rivé sur l’Orient musulman.

Nous partons de
loin, d’une société acculturée, appauvrie par des décennies
d’occupation coloniale, privée même de langue! «La langue est la
maison de l’être»
, disait le poète Paul Valéry. À cette aune, les
Algériens résident dans une masure qui tombe en ruines. Le dialecte
tel qu’on le pratique dans nos villes est de plus en plus sommaire. Il
avait une réelle substance naguère. Il pouvait servir de support à des
échanges plutôt complexes. Alloula, Ould Kaki, Kateb Yacine y ont
puisé la matière de leurs oeuvres maîtresses. Aujourd’hui, leurs pièces
risquent de ne plus être comprises par les plus jeunes qui se
satisfont de quelques centaines de mots bricolés à partir de l’arabe,
du français ou de l’espagnol. L’année dernière, j’ai assisté à la
représentation au TRO d’une pièce de Sid Ahmed Sahla, «El Haouma el
meskouna»
. Cette pièce est construite sur la langue, telle qu’elle
était pratiquée il y a quelques décennies (et qu’elle est encore
pratiquée dans nos campagnes). Elle redonne vie à des expressions, des
vocables qui ne sont plus du tout en usage. Un sondage express auprès
des jeunes qui formaient la majorité de l’assistance m’indique qu’ils
n’ont compris que 20 % du texte Il en va de même pour le tamazight.

Loin des envolées de Marguerite Taos Amrouche ou des poèmes de Si
Mohand ou Mhand, il a connu le même appauvrissement que l’arabe
dialectal. Bien que non berbérophone, j’ai parfois le sentiment que je
peux suivre une conversation dans cette langue tant elle est truffée
de mots étrangers, principalement français.

Oui, c’est d’un effort immense que l’Algérie doit payer l’accès au
progrès, au développement, à l’accès au rang des pays acteurs de leurs
destins. Aucun raccourci ne nous épargnera la peine de suivre le
chemin escarpé d’une remise en cause lucide suivie d’une entreprise
ardue, longue et patiente. Ce sera difficile, peut-être moins qu’on ne
pourrait le croire. Il s’agira d’une belle aventure, génératrice d’un
nouveau souffle, d’un nouveau sens qui nous donneront la force de nous
élever au-dessus de nous-mêmes pour donner à notre pays meurtri la
grandeur qu’il mérite.

«L’HISTOIRE DU PAYS SOUFFRE DES PORTEURS DE MÉMOIRE»

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DAHO DJERBAL, HISTORIEN, À L’EXPRESSION

Entretien réalisé par Amar Chekar

L’EXPRESSION

Mardi 24 Juillet 2012

«Un débat entre histoire et mémoire»

Le Congrès de la Soummam a constitué le premier pouvoir algérien souverain autochtone du XIXe siècle.

L’Expression: Daho Djerbal, vous avez été convié les 12 et 13 juillet derniers à une conférence sur le Congrès de la Soummam du 20 Août 1956 à Ifri. Qu’en est-il de l’importance de cette rencontre?

Daho Djerbal: Evidemment, dans la rencontre scientifique, il y a eu des chercheurs, des historiens et des témoins oculaires qui ont travaillé dans les préparatifs, l’organisation et la sécurité des éléments du Congrès de la Soummam. Ces témoins ont rencontré des responsables qui sont venus de toutes les régions du pays au Congrès de la Soummam. C’était réellement une occasion assez rare et assez originale.

D’habitude, on se retrouve dans des colloques universitaires ou dans des cérémonies organisées par des partis, ou par d’autres institutions officielles de l’Etat. Donc, pas de dialogue. Mais à cette occasion, il y a eu un dialogue, «un débat entre histoire et mémoire». Cela est le premier aspect qui est très important. Il y avait à la fois des gens âgés qui ont connu et vécu la période. Il y a aussi les jeunes de l’association Horizon qui a pris l’initiative d’organiser cette rencontre et des jeunes d’Ouzellaguène et de la localité de la vallée de la Soummam.

Parlez-nous de l’aspect du Congrès de la Soummam…

Le deuxième aspect de la question sur le Congrès de la Soummam lui-même, c’est que le Congrès de la Soummam a connu beaucoup d’interventions qui ont insisté dans le discours politique, ou des discours idéologiques. Ces discours-là, vont essayer de mettre en évidence le caractère particulier et les particularismes de la région. Au fond du discours, tout s’est passé comme si la Kabylie et les Kabyles qui ont pris cette initiative et assuré la réussite du Congrès de la Soummam, le 20 Août 1956 à Ifri, à Béjaïa, ont finalement payé le prix de l’organisation de ce Congrès, puisque les décisions prises par les congressistes au Congrès de la Soummam ont étés contestées.

Mais en même temps et malgré les divergences, il y a une fierté du fait que le Congrès de la Soummam a été une occasion de créer une unité de commandement, des institutions centralisées et une organisation unique dans l’histoire de l’Algérie. Donc, un embryon de l’Etat algérien indépendant.

Il y a des questions de divergences, de malentendus, de règlements de comptes entre les éléments qui se sont réunis au Congrès de la Soummam, ou les éléments qui n’ont pas pu arriver au Congrès de la Soummam pour une raison ou une autre. Tout cela a permis un vrai débat entre historiens, chercheurs et une population de tout âge. En fait, rien n’est tranché une fois pour toutes. On continue à travailler sur toutes ces questions et ces approches, qu’elles fussent celles du point de vue des partisans de Abane Ramdane, des partisans de Ben Bella, du point de vue des partisans des deux Wilayas I et II, des partisans de Omar Benboulaïd, des partisans de Adjal Adjoule, de Zighoud Youcef, Ali Kafi et d’autres partisans d’autres régions comme le colonel Ouamrane et toutes ces questions ont été abordées d’une manière sérieuse, sans préjugés et sans instrumentalisation politique. Ce travail-là est nouveau en termes d’écriture et connaissance de notre histoire, et c’est très important. Ce qui appartient à l’Histoire est resté à l’Histoire, et ce qui relève de la politique est resté au politique.

Qu’en est-il justement de la question des archives du Congrès de la Soummam?

Les archives du Congrès de la Soummam contiennent, à la fois des procès-verbaux qui ont été plus ou moins récupérés ou conservés. Mais il y a aussi les rapports qui ont été faits par les représentants des différentes zones qui sont devenues actuellement des wilayas. Donc, aujourd’hui, il y a lieu de faire un bilan de ce qui existe en Algérie et en France. Parce que l’armée française a pu récupérer des documents. Il y a des sacs de documents du Congrès qui ont été récupérés par l’armée française. Une partie se trouve dans les archives de l’armée française à Vincennes, une autre partie ailleurs, et il faut arriver à faire les inventaires pour faire les copies, les consulter ou les exploiter. Mais aussi, de la volonté des chercheurs d’aller les trouver où ils sont. Tout cela dépend des accords entre les deux Etats.

56 ans après le Congrès de la Soummam, 50 ans après l’Indépendance nationale, que représente réellement ce Congrès aux yeux de l’opinion publique et de l’Etat?

Ce qui me semble important à retenir, indépendamment des accords et des divergences qui se sont exprimées, c’est que c’est la première fois depuis l’Emir Abdelkader, depuis le XIXe siècle qu’il y a eu la constitution d’un pouvoir souverain autochtone et ce, depuis quatre siècles. Depuis l’arrivée des Turcs. Il faut savoir que le pouvoir central était représenté par des étrangers. Quand les Turcs sont partis, ce sont les Français qui constituaient le pouvoir central. Hors, l’événement révolutionnaire de 1954, ensuite couronné par le premier congrès du FLN (1954- 1962), du 20 Août 1956 à Ifri (Béjaïa) (à ne pas confondre avec la politique FLN 1962-2012). C’est solennellement du point de vue de la mémoire collective algérienne et internationale, la naissance d’un pouvoir algérien autochtone. Cela est un fait historique énorme et considérable.

Enfin, les Algériens ont leur pouvoir politique, leur souveraineté présentée par un groupe révolutionnaire qui a conduit le pays à l’Indépendance nationale.

A priori, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire de l’Algérie est souvent écrite par des étrangers. Du coup, l’historien algérien a-t-il accès aux archives du pays ou celles se trouvant en France ou ailleurs?

Je dis oui et non. Que l’histoire est écrite par des étrangers. L’histoire d’Algérie est écrite par des Français en particulier par des Allemands, des Anglais, des Américains qui ont écrit sur la Guerre d’Algérie. Mais, il y a aussi des Algériens qui ont écrit sur l’histoire de la Guerre d’Algérie et plus à partir des archives locales ou archives déposées en France. Je rappelle que le problème qui se pose, c’est que beaucoup de ces archives de fonds ne sont pas accessibles.

Les archives militaires sont des archives qui sont prises sur l’Armée de libération nationale (ALN). Donc, on ne peut y accéder que si nous possédons des autorisations spéciales, délivrées par les autorités gouvernementales françaises. Le problème, c’est aussi pareil chez nous. Il y a des archives de l’ALN et du Gpra qui ne sont pas accessibles aux chercheurs algériens. On ne peut pas jeter la pierre que d’un seul côté. Mais, il faut voir des deux côtés. Comment faire en sorte, aujourd’hui que ces archives sont réglementées par la loi en plus des règlements intérieurs, inaccessibles, non seulement aux chercheurs, mais à tous les citoyens? Les archives c’est un domaine public, ce n’est pas une propriété de l’Etat.

Qu’en est-il de l’intérêt de la repentance de la France et ce, en réponse aux appels successifs sur le sujet?

Pour moi, c’est une fausse piste et une fausse issue. La question de la relation entre l’Algérie et la France a été réglée depuis l’Indépendance. Cela est un premier aspect. Maintenant, la question de la repentance est soulevée par des institutions officielles et gouvernementales. Le problème du pardon et des relations est un domaine qui relève de l’Histoire. Cela ne règle pas le problème. On s’est battus contre les colons français et ils sont partis.

Le dédommagement, c’est l’Indépendance nationale.

De quoi souffre réellement l’histoire de l’Algérie?

L’histoire de notre pays souffre des porteurs de mémoire. Ces porteurs de mémoire se considèrent comme les seuls habilités à parler de l’histoire de l’Algérie. L’histoire de l’Algérie appartient à tous les citoyens algériens.
Chaque citoyen a le droit d’écrire et de recueillir la mémoire de ce qui s’est passé. Donc, il n’y a pas quelqu’un qui soit plus habilité que l’autre pour défendre les valeurs, les symboles et les figures algériennes. Chaque Algérien est concerné. Le fait de consacrer la chose et de faire en sorte que l’institution soit le gardien du temple, ça fausse la réalité.

Quel est au juste votre point de vue, en tant qu’historien, sur la qualité de l’enseignement de l’histoire dans le secteur de l’éducation nationale?

Ecoutez, le problème qui se pose, c’est que le secteur et les départements qui se chargent du manuel scolaire, ne s’appuient pas sur la recherche historique. Ils font appel à des personnes ou à des institutions officielles du parti unique au départ, puis les partis dominants des institutions gouvernementales qui, aujourd’hui, ne représentent pas la volonté nationale. Il y a des travaux de recherche qui sont extrêmement importants. Il y a des textes originaux qui ont été publiés. Il y a des articles écrits par des historiens, des dirigeants de la Révolution algérienne qui pourraient faire partie du manuel scolaire nationale. Or, tout cela n’existe pas pour l’instant. Je pourrais vous envoyer même des sujets posés lors d’un examen du baccalauréat. C’est un scandale sans nom.

Les erreurs commises à l’encontre de la réalité. Les contresens historiques, etc. C’est tellement gros qu’on ne peut imaginer de poser de telles questions à des élèves de la classe terminale. Alors, où sont-elles les commissions scientifiques qui sont chargées de vérifier au moins la véracité et la validité des chronologies et biographies des personnes? Où sont-elles ces commissions chargées de la description d’événements essentiels historiques et de l’histoire contemporaine de l’Algérie? il n’y en a pas.

On se retrouve dans des comités et en face de gens qui se considèrent comme des spécialistes de l’histoire, alors qu’ils n’ont même pas les validations académiques pour pouvoir faire ce travail de très grande responsabilité historique.

Donc, il y a une sorte de divorce entre l’Education nationale et la recherche historique. Il y a une exclusion des historiens dans la participation à l’élaboration du manuel scolaire national.


INDÉPENDANCE : LES RENDEZ VOUS MANQUÉS DU DÉVELOPPEMENT

Une étude fiable et documentée, présentée au colloque récent d’El Watan par Smail Goumeziane, un des acteurs de l’effort de réformes économiques dirigées contre le système rentier durant l’ épisode du gouvernement Hamrouche ( fin 1989-juin 91).

La conclusion implicite des constats fortement étayés par l’expérience et de plus en plius largement partagés, est résumée dans les dix points qui terminent l’article, autant d’objectifs concrets à débattre et réaliser.

Reste à expliciter et mettre en oeuvre le COMMENT qui ponctue chacun des dix points énoncés. Le type de mobilisation à réaliser dans cette voie constitue le levier essentiel d’un déblocage que le régime dominé par les intérêts rentiers ne peut assumer de lui même.

C’est dire à quel point est capital l’effort convergent de l’ensemble des forces acquises à un changement démocratique et social pour déterminer les voies et moyens concrets de cette mobilisation générale. Condition sine qua non pour faire reculer les deux fléaux nationaux jumeaux de la corruption et de l’autoritarisme, adossés à la dépendance envers les lobbies du capitalisme néolibéral international.


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« Notre histoire a été et demeurera très mouvementée.
Nos richesses attirent et nos divisions amplifient le mouvement. »

L’Emir Abdelkader

Smaïl GOUMEZIANE

Colloque El Watan

Alger 5, 6,7 juillet 2012

publié dans El Watan des

10 et 11 juillet 2012

De la Déclaration du 1er Novembre 1954 au Congrès de Tripoli de juin 1962, en passant par le Congrès de la Soummam d’août 1956, la volonté de développer le pays pour rompre avec le système colonial et le féodalisme pour moderniser la société fut clairement affichée. On y affirmait une orientation « socialiste, la nécessité de transformer les structures rurales, de développer une industrie lourde étatique, mais aussi une industrie privée, avec le recours aux capitaux étrangers »  afin de répondre aux immenses besoins de la population dans tous les domaines. L’indépendance venue, cet objectif ne fut jamais réalisé.

Dès l’été meurtrier 1962, sur fonds de coup de force et de pouvoir personnel, le romantisme économique (biens vacants, coopératives agricoles…) ne résista pas et il fallut la Charte d’Alger de 1964 pour recadrer le processus et réaffirmer la volonté de l’Etat de s’appuyer sur un important secteur public qui serait le « moteur du développement », coordonné et mis en œuvre par la planification.

Sur cette base, suite au coup d’Etat du 19 juin 1965, et sous couvert de « redressement révolutionnaire » ne laissant aucun espace à quelque opposition politique que ce soit, une première stratégie de développement fut tentée, dès la fin des années 1960, par ce qu’on peut appeler, par simplification, le tandem Boumediene-Abdeslam. Ce fut le premier rendez-vous manqué du développement.

Puis, une seconde tentative de développement, sous la forme de réformes globales et démocratiques, fut initiée, après moult hésitations, un contrechoc pétrolier et de longs atermoiements s’achevant par les dramatiques évènements d’Octobre 1988, par le tandem Chadli-Hamrouche. Ce fut le second rendez-vous manqué du développement.

Pour mieux comprendre ces échecs, retour sur un demi-siècle d’économie politique algérienne.

Boumediene-Abdeslam : industrialisation publique et révolution agraire

Dès le milieu des années 1960, la volonté de récupérer les richesses nationales s’affirme [[Pour plus de détails sur ce chapitre, voir Smaïl Goumeziane, le mal algérien , éd. Fayard, Paris 1994]] 1. Celle-ci s’opère en deux temps. En 1968, l’Etat, lui-même en chantier, confie le monopole de la distribution des hydrocarbures à la Sonatrach, entreprise publique créée dès 1963. Puis, le 24 février 1971, Houari Boumediene décide la nationalisation des intérêts étrangers dans ce secteur. Pour valoriser au mieux les ressources financières tirées de ces richesses, deux axes essentiels sont définis : l’appropriation maximale de la rente pétrolière ; son investissement dans l’industrialisation, dans la conservation et le développement de la rente pétrolière elle-même. S’inscrivant dans la lutte pour l’émancipation du Tiers monde, cette démarche est brillamment exposée par le président Boumediene en 1974 à la tribune de l’ONU. Elle tient en une phrase : la rente pétrolière doit revenir aux pays producteurs afin d’assurer leur développement. L’appropriation de la rente pétrolière a donc pour objectif, vertueux et explicite, la constitution d’une base productive nationale la plus diversifiée possible. Pour cela, il s’agit de promouvoir, une industrialisation en profondeur et une intégration entre les branches de l’économie nationale. Priorité est donnée à l’investissement sur la consommation, à l’industrie sur l’agriculture, à l’industrie lourde sur l’industrie légère, au secteur public sur le secteur privé.

Tout ce processus, qui prend le nom de « stratégie des industries industrialisantes », est piloté principalement par Belaïd Abdeslam, le volontariste ministre de l’Industrie et de l’Energie. Financé par les exportations d’hydrocarbures, le développement de l’ensemble des secteurs doit résulter de «l’effet d’entrainement» assigné à l’industrie lourde. De la sorte, selon le Secrétariat d’Etat au Plan (SEP), grâce à des investissements colossaux (plus de 50% du PIB), «en 1980, l’industrie doit satisfaire au moindre coût les besoins de la population et, plus encore, les industries du cuir, les industries textiles, par ailleurs, les industries agricoles doivent être largement exportatrices». Dans tous les plans qui se succèdent, la nécessité de développer l’économie productive est réaffirmée. Les entreprises publiques monopolistes en sont les «fers de lance» et la rente pétrolière le carburant. Ainsi, à l’horizon 1980, l’hypothèse est que la production agricole aura doublé pour les céréales et les viandes, quintuplé pour les fruits et légumes, par rapport à 1967. De même, en matière industrielle, on attend une production multipliée par quatre ou cinq. Avec un important effet de création d’emplois pour faire face au chômage, estimé à 30% de la population active au lendemain de l’indépendance.

Pourtant, au moment de la disparition prématurée, et encore mystérieuse, du président Boumediene le 27 décembre 1978, la stratégie de développement menée, malgré quelques améliorations, notamment en termes de densification du tissu industriel, de revenus, d’emplois et de consommation, n’aboutit pas au développement tant espéré.

Côté industrialisation, malgré la priorité accordée à l’industrie (plus de 50% des investissements, dont 40% pour les seules industries de base), et souvent outrepassée [[Ce que d’aucuns ont appelé, de façon abusive et caricaturale, «l’impérialisme industriel». ]]2, et la place exorbitante du secteur pétrolier (plus de la moitié des investissements industriels), les
performances ne sont pas au rendez-vous. Face à un appareil bureaucratique et procédurier des plus rigides, gaspillages, surcoûts et surfacturations, plus ou moins opaques, sont monnaie courante. Les entreprises industrielles connaissent des déficits chroniques de plus en plus lourds, les rendant incapables d’assurer leur propre viabilité, leurs besoins de trésorerie et le remboursement de leur endettement, d’où un recours systématique au découvert bancaire [[Entre 1973 et 1979, les découverts bancaires sont multipliés par trois en moyenne, générant des frais financiers en cascade que les entreprises sont incapables de payer si ce n’est en recourant… de nouveau au découvert bancaire. 
]]3. Les nouvelles capacités de production installées, entachées de malfaçons et mal maitrisées, sont largement sous-utilisées, ce qui entraîne une rigidité de l’offre de produits industriels. Tout cela provoque une chute régulière du taux d’efficacité du capital, et l’incapacité pour les secteurs industriels de répondre à la demande nationale.

Côté agriculture, la priorité accordée à l’investissement industriel et l’insuffisante modernisation des exploitations agricoles (mécanisation, engrais et autres intrants), soumises, malgré la révolution agraire des années 1970, au carcan bureaucratique et aux réseaux opaques des maquignons et autres mandataires, ont raison du secteur et de sa paysannerie. Les coûts de production sont particulièrement élevés et les rendements parmi les plus faibles du Bassin méditerranéen. Résultat, comme dans l’industrie, les exploitations s’installent dans des déficits chroniques et un endettement permanent. La production, malgré les objectifs assignés, reste très en deçà des besoins de la population. Le recours aux importations alimentaires, financées par l’endettement international, se fait plus intense et systématique. Ainsi, alors que la production agricole nationale couvrait l’essentiel des besoins jusqu’à 1967, les résultats médiocres constatés à partir des années 1970, sur fonds de démographie galopante, conduisent à une aggravation sans précédent de la dépendance alimentaire. Pour ces raisons, la balance commerciale agricole, qui était positive jusque là, devient structurellement négative dès l’année 1973, et le déficit se creuse chaque année un peu plus. La production nationale qui couvrait 93% des besoins en 1969, n’en assure plus que 30% au début des années 1980. A cette date, l’Algérie a le douzième déficit alimentaire mondial!

Au bout du compte, en cette fin des années 1970, bien huilé en théorie, le modèle subit ainsi, sur fonds «d’indiscipline intersectorielle», de nombreux grains de sable qui enraient la machine. Non seulement la rente pétrolière n’a pas permis l’émergence d’une économie nationale productive, diversifiée, efficace et intégrée, dégageant un surplus et une épargne intérieure, mais il a fallu recourir en permanence à l’endettement international pour financer des investissements non productifs et l’explosion de la consommation intérieure [[L’ardoise ainsi laissée sera remboursée au prix fort, soit 120 milliards de dollars, entre  1985 et 2005! ]]4. Avec, comme résultat global un quadruple déséquilibre de la balance des paiements, du Trésor public, des entreprises publiques et des exploitations agricoles.

Pour autant, la rente pétrolière n’est pas coupable de cet échec. En réalité, au cours de la période, on assiste à l’émergence d’une véritable « économie de pénurie », avec ses files d’attentes, ses dérogations, ses passe-droits et sa corruption. Le marché intérieur y présente une double facette: celle du marché administré et celle du marché parallèle, ce dernier se nourrissant du premier. Ainsi, au côté d’un marché de pénurie, dont les produits, en quantité et qualité insuffisantes, sont offerts, sous certaines conditions et procédures, à des prix fixés par l’administration (à des niveaux généralement inférieurs aux coûts de production ou d’importation), se développe un marché parallèle régulé par des décisions privées, le plus souvent occultes, à des prix de monopole, incluant des marges phénoménales, sans facturation et hors de portée de l’appareil fiscal. Ce faisant, le marché parallèle affecte autant les entreprises que les particuliers, laissant la voie ouverte à toutes les pratiques délictueuses. Ces pratiques couvrent l’ensemble du secteur commercial, depuis les contrats d’importations jusqu’au consommateur final. Pis, un tel « double marché » s’étend également à la monnaie nationale, le dinar, dont le taux de change administré est largement concurrencé par le taux de change parallèle. Ce faisant, le dinar ne fonctionne véritablement que sur le marché parallèle qui en fixe, en dernier ressort, le cours réel, et le volume nécessaire à l’équilibre des transactions. Dès lors, la Banque centrale est réduite au rôle d’imprimeur de billets et d’émetteur de monnaie pour l’économie informelle. Par ce processus, alimenté en permanence par l’appel systématique aux importations, cette économie spéculative s’approprie, progressivement et indirectement, sous la forme d’une multitude de revenus rentiers, les recettes pétrolières et les devises prêtées à l’Algérie par le système financier international.

Ainsi, en voulant développer de façon autoritaire et volontariste une économie productive, avec ses entrepreneurs, ses cadres gestionnaires, ses travailleurs industriels et ses coopérateurs agricoles, on aboutit à l’émergence et à l’expansion d’un système rentier, fondé sur une logique spéculative et clientéliste, qui domine de plus en plus l’économie officielle et sa monnaie. La répartition primaire des revenus des entreprises et des ménages par l’administration se soumet de fait au diktat de la redistribution seconde imposée, de façon plus ou moins visible, par le couple marché administré-marché parallèle. Les revenus salaires et profits sont tributaires non seulement de la rente pétrolière, prélevée et redistribuée par l’Etat, mais surtout d’une multitude de rentes foncières, financières, commerciales et fiscales générées dans l’opacité par un système rentier qui va bien au-delà de la simple économie rentière et de son pendant institutionnel, l’Etat rentier. Pis, un tel système entre en convergence, voire en alliance, avec les convoitises rentières externes, à travers l’accès au pétrole et au gaz, le financement du développement et celui des importations sur fonds de corruption de plus en plus étendue.

A l’évidence, la confiscation de l’indépendance par un régime autoritaire, fut-il nationaliste et adepte d’un Etat planificateur et de l’économie productive, favorisa davantage l’émergence de ce système rentier, qui étend progressivement la toile d’araignée de ses réseaux occultes à toute la société, y compris le cœur du régime lui-même. D’où, à partir des années 1980, une fragilité extrême de l’économie algérienne.

Chadli-Hamrouche : réformes globales et démocratie

Avec le Printemps berbère de 1980, la critique de la politique culturelle et non démocratique du régime, jusque là plus ou moins discrète ou étouffée, descend dans la rue.

Sous l’autorité de Chadli Bendjedid, le nouveau président, divers «replâtrages» organisationnels sont engagés dans l’espoir d’un retour à l’économie productive. Mais il s’agit d’une véritable illusion: ni la restructuration organique des entreprises publiques «géantes», en entreprises plus petites et plus «facilement» gérables, ni leur assainissement financier partiel par le Trésor [[Cet assainissement devient permanent. En 25 ans, les sommes englouties, en pure perte, s’élèvent à plus de 60 milliards de dollars. ]]5, ni la redéfinition de leur organigramme par l’administration désormais dotée d’un super Ministère de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MPAT), n’ont d’effet significatif. Certes, l’endettement s’est ponctuellement réduit, mais les pénuries perdurent malgré la mise en place de vastes «programmes anti-pénuries (PAP)». Le chômage est structurel, particulièrement au niveau de la jeunesse. La crise de l’habitat est de plus en plus aigue. La misère et la pauvreté gagnent de larges couches de la population. L’embellie artificielle ne peut cacher plus longtemps la crise du système politique, économique et social algérien. La brutale chute des prix pétroliers en 1986 en révèle la gravité et la profondeur.

Pourtant, malgré cette crise systémique, la diminution des recettes pétrolières, l’explosion de la dette externe et la fermeture des marchés financiers, d’aucuns restent convaincus que le sauvetage du modèle est possible. En 1987, au moment où le secrétariat général de la Présidence de la République engage, avec la participations de cadres gestionnaires, de syndicalistes et d’universitaires, des travaux sur les réformes à entreprendre, le discours de l’Exécutif sur « la relance économique à tout prix » prend le pas sur celui de la réforme: des objectifs ambitieux sont affichés dans la presse nationale et internationale pour stimuler les investissements et les importations avec, à la clef, une liste de projets prioritaires fixée par l’administration. Cependant, pour faire taire la grogne montante des cadres gestionnaires des entreprises publiques et de la population, des promesses sont faites : aux premiers, plus d’autonomie dans leur gestion ; aux seconds de nouveaux programmes d’importations.

Mais, en période de chute des recettes d’exportations et de raréfaction du crédit externe, comment faire? S’agissant des importations stratégiques, notamment alimentaires, l’administration impose de manière intensive l’utilisation du crédit à court terme, particulièrement onéreux, et ouvre la possibilité aux entreprises de réaliser leurs «importations sans paiement», c’est-à-dire par un financement direct en devises négociées … au niveau du marché parallèle. Ainsi, officiellement, l’administration se soumet à la loi de l’économie informelle et de ses réseaux occultes. Résultat, la balance commerciale creuse son déficit et l’endettement externe explose: entre 1986 et 1989, le service de la dette double et atteint 75% des exportations annuelles! Au bonheur des lobbys de l’économie informelle dont les rentes doublent entre 1985 et 1988 passant de 50 milliards de dinars (contre 90 milliards de dinars de salaires et 32 milliards de profits) à 116 milliards de dinars. Les rentes équivalent à elles seules les salaires et les profits! A cet instant, selon certaines estimations, les placements réalisés à l’étranger par le change parallèle et les transferts invisibles de capitaux sont de l’ordre de 100 milliards de francs (environ 20 milliards de dollars), soit le niveau de la dette externe algérienne.

Dès lors, est-il encore temps d’éviter le naufrage du navire Algérie en changeant le système de pilotage? Les travaux sur les réformes, qui s’achèvent, ouvrent-ils de nouvelles perspectives? Le système rentier permettra-t-il leur mise en œuvre au risque de voir disparaitre ses rentes spéculatives?

L’année 1988 est une année charnière. La lutte entre les partisans du sauvetage du système rentier et ceux de sa réforme radicale pour l’émergence d’un système productif et démocratique s’intensifie. Le 5 octobre, la confrontation entre les deux tendances, jusque là feutrée, se fait directe, violente et sanglante, par FLN (le bras politique du régime) et rue interposés. Elle fit près de 500 morts. Malgré les pressions du lobby rentier, Chadli Bendjedid, opte dès le 10 octobre pour la mise en œuvre des réformes démocratiques qu’il confie d’abord à Kasdi Merbah, puis à Mouloud Hamrouche.

C’est là, la seconde tentative de développement d’une économie nationale productive, diversifiée, efficace et intégrée avec, cependant, une différence de taille: pour atteindre cet objectif, il ne faut plus « uniquement » rompre avec ces systèmes archaïques que sont le colonialisme et le féodalisme, mais aussi avec ce système rentier qui gangrène désormais le pays, ce qui implique, simultanément, la réforme du système économique et celle du régime politique. C’est-à-dire la démocratisation de la société, car la liberté économique va de pair avec la liberté politique [[Pour plus de détails sur ce chapitre voir Smaïl Goumeziane, le mal algérien , éd. Fayard, Paris 1994 ]]6. Comme le montre Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998, la liberté constitue à la fois la condition, le moyen et l’objectif du développement.

Dès la fin des «évènements d’octobre», la mise en œuvre des réformes globales s’accélère: lois sur l’autonomie des entreprises, loi portant assouplissement du système de planification, loi sur la libéralisation du système des prix, loi sur la monnaie et le crédit, loi sur les associations, liberté de la presse et nouvelle Constitution en février 1989 se succèdent pour consacrer toutes ces évolutions vers plus de libertés dans tous les domaines.

Grâce à ce nouvel arsenal juridique, en 1989 et 1990, on voit l’émergence de nouveaux modes de management dans les entreprises, désormais libérées de leurs sempiternelles tutelles administratives, l’affirmation d’une Banque centrale enfin libre de sa gestion monétaire, l’éclosion d’une multitude d’associations à caractère politique et la floraison de nombreux organes de presse indépendants. A n’en pas douter, un vent de liberté souffle alors sur l’Algérie.

Dans l’objectif de sortir du système rentier, Mouloud Hamrouche, le nouveau chef du gouvernement, présente et fait adopter son programme de réformes par l’Assemblée nationale. Pour autant, ce programme s’inscrit dans un environnement particulièrement contraignant et hostile.

D’une part, le niveau exorbitant de la dette extérieure et le faible niveau des recettes pétrolières limitent fortement les ressources budgétaires disponibles et les moyens d’action pour des résultats rapidement perceptibles au quotidien. D’autre part, «la mise en place de (nouvelles) normes juridiques libérales, la fin des monopoles d’Etat sur le commerce interne et externe, la fermeture des robinets financiers par la séparation des patrimoines de l’Etat et ceux des nouvelles entreprises publiques économiques (EPE), la fin de la subordination de la Banque centrale au ministre des Finances et au Trésor, …, tous ces éléments étaient de nature à susciter une vaste coalition d’intérêts contre les réformes» [[Georges Corm, Revue Maghreb-Machrek, janvier-mars 1993 ]]7.

Dès lors, blocages, et résistances se multiplient contre les réformes, allant jusqu’à des alliances contre nature entre certaines associations politiques fraichement agréées et la partie conservatrice du régime. Dans l’incapacité de s’opposer frontalement aux réformes économiques, dont les premiers résultats sont jugés positifs par la population, les lobbys du système rentier développent une opposition politique violente, des pressions multiples, internes et externes, contre les réformes tout en agitant l’épouvantail du rééchelonnement de la dette, de l’effondrement économique et de la disette. Profitant, à l’occasion, de relais désormais disponibles au niveau de certains médias privés générés par la réforme. Ces pressions, s’appuyant sur l’instrumentalisation du Front Islamique du Salut, la force montante du mouvement islamiste, cherchent à imposer des échéances électorales précipitées (législatives et présidentielles) [[Le chef du Gouvernement avait obtenu la promesse que les élections ne se dérouleraient qu’après trois ans, le temps d’enraciner les réformes économiques et d’en récolter les premiers fruits pour la population. Sous les pressions, la promesse n’aura pas été tenue. ]]8, dont certains nourrissent l’espoir qu’elles peuvent être, les unes et les autres, manipulées au point d’assurer la victoire du système rentier, et la fin de toute velléité de construction d’une économie nationale, productive, diversifiée, efficace et intégrée, dans un cadre démocratique.

La résurrection du système rentier

Le résultat, on le connait. Cette stratégie, pour le moins opaque, de mise en échec des réformes et de résurrection du système rentier s’opère en deux étapes décisives.

Les élections législatives de juin 1991, qui devaient favoriser l’émergence, dans la transparence, d’une assemblée plurielle et démocratique, majoritairement FLN/FFS et incluant les islamistes, sont annulées suite à une grève générale déclenchée par le FIS, à l’occupation permanente des espaces publics, aux premiers affrontements entre manifestants et forces de sécurité, à la démission conséquente du gouvernement «réformateur», et à l’instauration de l’Etat de siège le 4 juin.

De nouvelles élections, promises « libres, transparentes, propres et honnêtes»   par le nouveau chef du gouvernement, sont programmées pour décembre 1991, avec l’objectif affirmé de faire gagner «les candidats de la troisième force (ni FLN/FFS, ni FIS)» soutenus par l’administration! La victoire écrasante des islamistes, qui frôlent la majorité absolue dès le premier tour, met à nu la dangerosité de la stratégie menée, conduit à la démission de Chadli Bendjedid, à l’annulation du second tour du scrutin, à la dissolution du FIS et à la poursuite de l’Etat de siège.

Le mouvement islamiste, dans sa composante la plus radicale, sombre alors dans une opposition violente et armée. Cette violence terroriste, menée par une nébuleuse de groupes islamistes, combattue pendant près d’une décennie par l’ANP (l’armée nationale populaire), fait selon certaines estimations, plus de 150 000 morts (dont celle du Président Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992), des milliers de disparus et de blessés. Sans compter les multiples destructions ou incendies d’édifices publics (écoles, unités de production, lignes de transport, hôpitaux…) évalués en milliards de dollars, et le formidable exode des compétences (plus de 400 000 cadres, professionnels libéraux, enseignants, entrepreneurs…) vers l’Europe ou le continent américain.

Une douloureuse tragédie et un véritable traumatisme pour la société algérienne auxquels le nouveau président Liamine Zeroual s’efforce de mettre un terme par le dialogue en obtenant, à partir du 1er octobre 1997, l’arrêt unilatéral des combats de l’AIS, la branche armée de l’ex FIS [[Le 11 septembre 1998, suite aux pressions et aux provocations du lobby rentier, le président Zeroual jette l’éponge. Il annonce sa démission et la tenue d’une élection présidentielle anticipée avant février 1999. Elle se déroule en avril 1999. Abdelaziz Bouteflika, candidat unique, du FLN, en est le vainqueur. ]]9. Un arrêt confirmé et scellé par la loi sur la Concorde Civile qui fixe au 13 janvier 2OOO la date butoir de «repentance» et de «pardon» pour les maquisards islamistes. Pour autant, la violence terroriste des autres groupes armés, bien que réduite, ne dit pas son dernier mot.

La tragédie sécuritaire vécue au cours des années 1990 par l’Algérie n’a cependant pas pu masquer les luttes sourdes qui se poursuivaient en arrière plan pour le contrôle rentier des richesses pétrolières, foncières, commerciales et financières du pays. Pour beaucoup d’observateurs et de spécialistes, ces deux « luttes » s’alimentaient en permanence. Ainsi, le système rentier, qui s’était greffé de manière rampante au lendemain de l’indépendance, après avoir mis en échec la tentative de développement national et productif des années 1970, puis celle des réformes démocratiques de la fin des années 1980, semble alors sortir victorieux de son combat contre le  «paradis mercantiliste» promis et défendu de façon violente par les islamistes radicaux.

Cependant, en termes économiques, sur fonds de rééchelonnement de la dette (1994), d’ajustement structurel, d’ouverture débridée de l’économie nationale (foncier, immobilier, commerce et banques) et d’embellie durable du marché pétrolier international, on assiste plutôt à une sorte de compromis de fait entre les lobbys rentiers publics et islamistes.  Pour schématiser, aux réseaux islamistes les activités commerciales, de plus en plus informelles, fondées sur l’initiative privée, et aux réseaux «traditionnels» l’économie rentière attachée aux grands contrats de l’Etat et de ses partenaires. Encore que la frontière entre les uns et les autres, à l’intérieur du système rentier, soit difficile à cerner.

Dans ces conditions, on assiste à l’effondrement des activités productives publiques et privées, hors hydrocarbures, malgré les sommes faramineuses injectées par le Trésor pour leur assainissement et leur réorganisation. L’agriculture et l’industrie, hors hydrocarbures, créent moins de 20% de la richesse nationale. Le secteur pétrolier et gazier demeure, plus que jamais, le grand pourvoyeur de devises et de dinars du pays (98% des exportations, 70% des recettes budgétaires et 38% du PIB). Les investissements publics, principalement infrastructurels, se multiplient au rythme des recettes pétrolières [[Le programme d’investissements publics 2010-2014 s’élève à 286 milliards de dollars. ]]10, sans grand effet sur les entreprises nationales (publiques et privées), et sur celles de la diaspora, marginalisées par les procédures de passation des marchés au profit des firmes internationales. Les importations en font de même. Elles augmentent de 125% entre 2005 et 2011, soit deux fois et demi plus vite que les exportations. Le marché intérieur est inondé de produits «made in ailleurs», faisant le bonheur des fournisseurs étrangers, L’économie informelle, et ses pratiques délictueuses, gagne toute l’économie nationale (y compris le secteur public) dont elle représente, selon diverses estimations, plus de 40% du PIB (produit intérieur brut). Ses masses monétaires, non bancarisées (près de 50% de la monnaie en circulation), et non fiscalisées, font la fortune d’une minorité de nouveaux riches, et la misère d’une majorité de nouveaux pauvres.

Ce faisant, on assiste bien au formidable essor des activités commerciales [[Ces dernières années, sur les 200 000 petites entreprises privées créées, seules 10% se consacrent à une activité de production. ]] 11, au retour des grands investissements publics, à des niveaux de croissance jugés satisfaisants, grâce à plusieurs «programmes de relance économique», adossés aux partenariats avec l’étranger, et à l’amélioration conséquente des «indicateurs financiers et globaux du pays». Ce qui aiguise à nouveau les appétits car l’Algérie connait, grâce à la hausse des prix pétroliers [[Cette aisance pourrait bien n’être qu’un souvenir si les prix chutaient durablement en raison, par exemple, d’un ralentissement de la croissance européenne, voire de sa récession.]]12, une embellie financière symbolisée par l’augmentation exceptionnelle des réserves de change du pays (plus de 180 milliards de dollars à fin 2011). Mais, en raison d’une croissance sans véritable développement, toujours tirée par la dépense publique, cette boulimie financière et commerciale s’accompagne d’une explosion de la spéculation foncière et immobilière (difficultés d’accès au foncier, répartition opaque des logements, flambée des prix de l’immobilier), et de pénuries récurrentes en produits essentiels (notamment les médicaments, les matériaux de construction ou certains produits alimentaires).

C’est dire que le système rentier devient de plus en plus difficile à contrôler. Mondialisation oblige, les luttes intestines entre réseaux désormais concurrentiels se multiplient au sujet du partage des rentes. De plus en plus instable, le système est secoué par de nombreuses crises [[Pour plus de détails, voir Smaïl Goumeziane, Algérie, l’histoire en héritage , éd. EDIF2000, Alger 2011, et éd. Non Lieu, Paris 2011. ]]13. Des scandales politico-financiers retentissants, se succèdent et touchent tous les secteurs clé de l’économie.

Le premier d’entre eux concerne, dès 2003, le groupe financier et industriel Khalifa. Cet empire privé, monté en quelques années, s’effondre comme un fétu de paille dès la faillite spectaculaire de sa banque, le cœur du groupe. Des milliers de petits épargnants, de grandes institutions publiques, et même certains dignitaires du régime, se sont fait piéger par les promesses d’une rémunération exceptionnelle pour leurs dépôts, assise en fait sur une immense «opération de cavalerie», les nouveaux dépôts permettant de rémunérer les précédents. Ce faisant, la banque Khalifa «aspira» quelques sept milliards d’euros dépensés et prêtés «sans discernement», sans respect des règles prudentielles, et sans contrôle des organismes de tutelle (dont la Banque centrale), à divers promoteurs fonciers et industriels plus ou moins transparents. Khalifa Airways, la compagnie aérienne du groupe sombre également. Le licenciement des quelques 65 000 employés du groupe prend alors l’effet d’une catastrophe nationale. Epargnants et licenciés n’ont plus alors que les yeux pour pleurer. Le procès qui suit cette affaire dure quatre ans, aboutit à de lourdes condamnations, dont celle, par contumace du patron du groupe, arrêté en 2007 en Grande Bretagne, mais toujours en attente d’extradition.

Le second scandale concerne le secteur clé du système rentier, symbolisé par son entreprise phare, la Sonatrach. Le scandale, qui éclate en 2006, révèle l’âpre lutte qui se déroule dans le pays et au niveau international pour le contrôle de la manne pétrolière et gazière. Depuis 2002, cette lutte se focalise autour du projet de loi sur la privatisation de l’entreprise, défendu par Chakib Khelil, le ministre de l’Energie, avec l’assistance technique… de la Banque mondiale, et contesté par Ali Benflis, alors premier ministre. Adoptée en 2005, cette loi provoque une levée de boucliers dans le pays et à l’extérieur, y compris au sein de l’OPEP. On crie alors au «bradage de l’économie nationale» dans un «pays croupion à la solde des Etats-Unis». Face à cette grogne, en juillet 2006, tous les articles de la loi restaurant le régime des concessions, en vigueur avant les grandes nationalisations pétrolières des années 1970, sont supprimés du texte de loi. Mais, ce n’est là qu’un aspect de la lutte. La même année, en juillet, l’IGF (inspection générale des finances), chargée d’une enquête sur la gestion de Sonatrach, finalise son rapport. Celui-ci met au jour un nouveau scandale, mêlant recours abusif au gré à gré dans la passation des marchés, multiples surfacturations dans les contrats, relations privilégiées entre l’entreprise et BRC (Brown-Root & Condor) une société mixte algéro-américaine, filiale de Halliburton, le grand groupe pétrolier et de défense américain. Puis, un nouveau scandale éclate en janvier 2010, mêlant affaires de corruption et malversations présumées. Il conduit à la mise en examen de plusieurs hauts dirigeants de l’entreprise. Chakib Khelil ne peut résister davantage à la tempête médiatique et judiciaire. Il est limogé le 29 mai 2010. Pour autant, les luttes autour de ce «fleuron de l’économie nationale» et son rôle dans le développement du pays sont loin d’avoir cessé.

Le troisième scandale éclate dans le domaine de la téléphonie. En 2007, s’appuyant sur une autorisation de gestion d’une licence de téléphonie mobile en Algérie, obtenue en 1999, le groupe égyptien Orascom réalise deux opérations jugées douteuses: l’achat de deux cimenteries publiques qu’il revend aussitôt au groupe français Lafarge… avec une plus-value de deux milliards de dollars; l’association, sans aucune expérience ni moyens financiers, avec … Sonatrach pour la réalisation et l’exploitation d’un complexe pétrochimique, en recourant à l’expertise d’un groupe allemand et aux capitaux du réseau bancaire algérien. Face à l’ampleur du scandale, Orascom décide de vendre Djezzy, sa marque de téléphonie et la licence qui s’y rapporte. En 2011, l’Etat algérien décide de faire jouer son droit de préemption et, après évaluation, de se porter acquéreur.

Le quatrième scandale concerne le secteur des travaux publics. Les enquêtes menées à propos des conditions de passation des marchés relatifs à la réalisation de l’autoroute Est-Ouest (un projet de quelques onze milliards de dollars) révèlent des irrégularités et conduisent à des soupçons de corruption. Au cœur de ce nouveau scandale, des intermédiaires (algériens et étrangers) et un consortium d’entreprises chinoises. De multiples inculpations ont eu lieu et le procès est toujours en cours.

Ainsi, sur fonds d’insécurité encore palpable dans le pays, mêlant terrorisme « résiduel » et banditisme (rackets, enlèvements), tout au long des années 2000, l’économie algérienne continue de subir la domination du système rentier et son instabilité chronique. Toujours, et plus que jamais dépendante du secteur des hydrocarbures et de ses échanges extérieurs, celle-ci connait une double fracture de plus en plus large : fracture entre un secteur énergétique et commercial regorgeant de ressources rentières et spéculatives, et un secteur productif (industriel et agricole) exsangue et agressé simultanément par la bureaucratie étatique et par l’économie informelle; fracture entre une minorité de nouveaux riches, étalant leurs fortunes de manière ostentatoire et provocante, et une large majorité de nouveaux pauvres bien souvent à la limite de la survie.

Au point que la mal vie, le désespoir et la colère, qui s’emparent de la population, notamment des jeunes, s’expriment sous la forme de trois processus d’une extrême gravité: les micro-émeutes récurrentes dans toutes les régions du pays (plus de 10 000 en 2010), les immolations par le feu (plusieurs dizaines) et le phénomène massif des harragas (plus de 2 000 «brûleurs de frontières» interceptés en trois ans). Résultant du sentiment d’abandon dans lequel l’Etat l’a laissée, la population affirme ainsi de façon pragmatique, et souvent cruelle, l’ampleur des besoins structurels non satisfaits (alimentation, santé, logement, éducation, emploi…) et des promesses non tenues.

De ce point de vue, ces processus de défiance de l’autorité constituent un véritable «système émeutier» agissant comme un dramatique révélateur d’une société bloquée, orpheline de toute stratégie de développement, ayant abandonné toute forme de dialogue politique et social, offrant comme seul interlocuteur, face à la population, les forces de l’ordre, détournées ainsi de leur véritable mission: la défense du territoire (dans son unité et sa diversité) et la sécurité (physique, mais aussi économique et politique) des personnes et des biens qui s’y trouvent. Pour ces raisons, ce système émeutier constitue un indicateur, -beaucoup plus pertinent que celui des «grands équilibres financiers»-, de la prégnance du système informel sur le système institutionnel officiel, qu’il piège, dévoie et enferme dans un immobilisme suicidaire.

Une seule alternative : le système rentier ou le système démocratique

Pour ces raisons, cinquante ans après l’indépendance, sous les pressions multiples du système rentier qui en est l’antithèse, le rendez-vous avec le développement semble toujours reporté aux calendes grecques.

Pourtant, si un tel système a gangréné toute la société algérienne, et si les rentiers sont infiltrés dans tous les rouages de la société, les démocrates sont également largement présents dans toutes les couches de la population et dans toutes les institutions du pays. Même si le système rentier les a atomisés, ignorés, voire montés les uns contre les autres, quand il n’a pas réussi à en recruter une partie à son service par la cooptation ou le clientélisme archaïque (tribalisme, clanisme, communautarisme..). C’est dire l’importance qu’il y a à rompre avec ce «clientélisme hétéroclite» et à rassembler toutes les élites démocratiques, où qu’elles se trouvent, dans la perspective d’une mobilisation la plus large possible d’une société aujourd’hui coupée de ses dirigeants politiques et en perte de repères, notamment historiques, et de confiance en ses institutions. Car, comme l’affirmait déjà, Albert Einstein, «ce n’est pas avec ceux qui ont créé des difficultés qu’il faut espérer les résoudre.»

Ainsi comprise, une telle mobilisation pacifique doit se faire autour d’un objectif essentiel: la rupture progressive d’avec le système rentier et son remplacement par un système démocratique. Pour cela, ces élites doivent être capables de s’organiser en forces pacifiques de propositions. Think tanks, cercles de réflexion, associations scientifiques et culturelles, réunissant cadres, chercheurs, entrepreneurs, syndicalistes, militants politiques et autres représentants de la société civile, doivent pouvoir se retrouver librement afin d’identifier ensemble les mesures et les actions concrètes à court et moyen terme, à même de combler les déficits exprimés par la population dans tous les domaines.

Dans cette perspective, pour engager un processus durable de développement, il faut notamment répondre aux 10 questions essentielles suivantes:

  1. Pour développer le territoire, dans son unité et sa diversité, il faut le sécuriser et lui assurer la paix interne et externe. Comment réaliser cet objectif stratégique dans un cadre démocratique?
  2. Comment déconstruire l’Etat rentier dans tous ses démembrements, et édifier l’Etat de droit, républicain et démocratique de demain? Comment faire de cet Etat, un Etat régulateur aux côtés du marché et de la société civile?
  3. Comment favoriser l’expression et l’expansion des libertés, individuelles et collectives, dans les domaines politique, économique, social, culturel et cultuel?
  4. Comment édifier un système législatif qui organise, par le droit et dans la transparence, le fonctionnement de la société démocratique?
  5. Comment organiser le système judiciaire afin qu’il garantisse à la fois la sécurisation des biens et des personnes, la promotion et la protection des comportements productifs des agents économiques et la sanction des comportements rentiers, spéculateurs et corrupteurs?
  6. Comment mettre en place un Exécutif responsable devant la société de la mise en œuvre et des résultats de la politique de développement?
  7. Comment lutter contre l’économie rentière et permettre la réhabilitation et la consolidation d’une économie nationale (publique et privée) productive, intégrée, efficace et respectueuse de l’environnement?
  8. Comment définir, en relation avec les contraintes internationales liées à l’ouverture, et à la situation régionale, les avantages comparatifs et compétitifs de l’économie et construire les filières technologiques correspondantes?
  9. Comment édifier un système d’éducation, de formation et de recherche capable d’assurer la cohérence entre une jeunesse algérienne créatrice, productive et performante, et les besoins de la société et de ses organisations?
  10. Comment enraciner durablement, et à tous les niveaux de la société, la culture démocratique en symbiose avec les valeurs historiques de la société algérienne?

Dès lors, pour tous ceux, nombreux, qui continuent de croire en la possibilité d’un développement national productif, l’heure n’est plus aux tergiversations, aux faux débats, aux mauvais calculs et aux faux clivages. Après toutes ces désillusions, il est temps de cultiver durablement l’espoir.

L’heure est à l’urgence démocratique, et au rassemblement pacifique pour réaliser, enfin, les promesses issues du mouvement national et de la déclaration du 1er Novembre 1954.

En ayant toujours à l’esprit ces trois vérités fondamentales.

  • Primo, aujourd’hui comme hier, aucun homme providentiel ne détient la baguette magique qui résoudrait la crise systémique.
  • Secundo, personne ne s’en sortira seul.
  • Tertio, la tâche sera longue, ardue et semée d’embûches.

Mais, à l’évidence, comme en Novembre 1954, le «jeu» en vaut la chandelle.

Après avoir libéré collectivement le pays, l’heure est à la libération collective et pacifique des Algériens.

Smaïl GOUMEZIANE

Colloque El Watan

Alger 5, 6,7 juillet 2012


É

ORAN – LE 5 JUILLET 1962

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braniya.blogspot

samedi 21 juillet 2012

publié par Messaoud Benyoucef

http://braniya.blogspot.fr/2012/07/oran-5-juillet-1962.html

Le 05 juillet 1962, la ville d’Oran s’apprêtait à célébrer la proclamation officielle de l’indépendance. Je sortis de chez moi vers onze heures, place Saint-André, dans le haut du quartier de Saint-Antoine, attenant à la Ville-Nouvelle et, pour cela, déserté par ses habitants européens. Je m’apprêtais à «descendre» en ville -comme on disait, fort justement d’ailleurs car la ville européenne s’étend au pied du plateau sur lequel se niche Oran.

Jusqu’à ces derniers mois, nous vivions ma tante, mon cousin et moi dans un immeuble du Derb -le quartier juif- dans lequel ma tante était concierge. Un matin, de bonne heure, mon cousin, docker de son état, fut attaqué à l’arme blanche par quatre individus qui s’avérèrent être des riverains de notre rue. C’est ainsi que nous avions appris qu’il existait une OAS juive. Mon solide cousin survivra aux coups de couteau mais, le soir même, nous déménagions à Saint-Antoine dans un autre immeuble du même propriétaire. Nous étions la seule famille arabe de cette rue. L’immeuble jouxtait un cinéma qui ne passait que des films égyptiens; les habitués de cette salle étant tous des Arabes, de jeunes riverains européens tentèrent d’y mettre le feu après avoir enfermé les spectateurs dans le cinéma, en fermant les issues. Le jeune employé arabe du cinéma ouvrit les portes et donna l’alerte. Il fut abattu sur place, d’une balle dans la tête par les jeunes ultras du quartier. Nous partîmes le jour même en catastrophe pour le haut du quartier, à la place Saint-André où ma tante trouva une pièce à louer.

Le 05 juillet. Avant d’emprunter le boulevard Mascara, je jetai un regard sur le commissariat de police du 4ème arrondissement, sis place Saint-André. J’eus une pensée pour son chef, le commissaire Jurandon, récemment assassiné par l’OAS. Nous, je veux dire la population arabe de la Ville-Nouvelle et de Saint-Antoine-le-haut, l’avions protégé comme nous l’avons pu. La nuit, nous organisions la surveillance du commissariat depuis les terrasses qui entouraient la place. À la moindre alerte, nous nous tenions prêts à bombarder de pierres et de bouteilles les voitures des commandos OAS qui tentaient, presque chaque nuit, d’investir le commissariat et de tuer Jurandon. Nous les avons ainsi mis en déroute plusieurs fois. Le jour, il n’y avait rien à craindre pour le commissaire qui était chez lui en Ville-Nouvelle; tout le monde connaissait l’homme européen qui ne sortait jamais sans sa pipe, signe de reconnaissance : un frère qu’il fallait protéger. Jurandon ne commit qu’une faute de vigilance et elle lui fut fatale: il se rendit dans le quartier européen mitoyen de Saint-Antoine, Boulanger-Magnan, pour y retirer un courrier au bureau de poste. C’est le receveur qui l’avait appelé au téléphone. Jurandon devait avoir une confiance totale en cet homme puisqu’il ne soupçonna pas le traquenard: les tueurs de l’OAS l’attendaient là. Ce fut un jour noir pour nous, un jour de deuil.

Les deux dernières années de la guerre avaient été particulièrement terribles pour la Ville-Nouvelle que les Européens appelaient le Village-Nègre. Il ne s’agissait nullement d’habitations de torchis ou d’un bidonville, moins encore d’une médina traditionnelle mais bien de maisons en ciment et en moellons, avec des rues spacieuses et des places bien tenues, des commerces et des cafés en nombre, bref un ensemble urbain qui ne détonnait aucunement avec son environnement architectural immédiat. Mais les Européens ne voulaient rien savoir: c’était un quartier pour les Arabes, donc un village nègre. C’est le général Clauzel qui avait ordonné la construction de cette «ville» afin qu’elle serve de refuge aux tribus arabes qui refusaient de suivre l’émir Abdelkader dans son combat contre l’envahisseur français. La Ville-Nouvelle fut érigée hors les murs d’Oran, juste sous les remparts des casernes militaires qui la ceinturaient. J’eus une pensée en forme de sourire ironique. Le général Clauzel avait droit à une rue portant son nom en Ville-Nouvelle. C’était bien le moins. Sauf que les Arabes l’appelaient la «vilaine rue», non pas à cause de l’officier dont la plupart des gens ignoraient tout mais à cause des lupanars qui avaient élu domicile dans cette artère. Sic transit gloria Clauzeli.

Avec l’extension d’Oran, la Ville-Nouvelle se trouva prise dans le tissu urbain, entourée de casernes et de quartiers européens, coupée des quartiers arabes, tous relégués en périphérie. Le professeur Claude Liauzu a pu écrire que la ville d’Oran était un exemple de ségrégation raciale de l’espace urbain: la mixité des populations n’y existait pratiquement pas [[Cf Claude Liauzu – Histoire des migrations en Méditerranée occidentale. Éditions Complexe.]]

De fait, Oran était une ville européenne, architecturalement et démographiquement: les Européens, en majorité d’origine espagnole, y étaient plus nombreux que les Arabes. À ces spécificités, Oran en ajoutera une autre: l’engagement d’une partie des habitants juifs dans l’OAS; ils en formeront un détachement connu sous le nom de Hagana. (C. Liauzu la nomme Hagana Mongen) [[ Idem]]. La Hagana aura à son actif, entre autres hauts faits de gloire, l’attaque de la prison civile (35 détenus tués) et celle des hôpitaux [[Cf Rémi Kauffer – OAS, histoire d’une guerre franco-française. Seuil éditions (2002)]] durant laquelle des malades arabes étaient achevés d’une balle dans la tête sur leur lit.

Dès l’automne 61, la Ville-Nouvelle, quotidiennement mitraillée par les snipers de l’OAS du quartier voisin dit Le plateau Saint-Michel, pilonnée au mortier, vécut l’enfer. Complètement encerclée, la Ville-Nouvelle allait supporter un véritable siège. Souvent, le tabac manquait; l’approvisionnement en produits alimentaires courants était aléatoire. Le summum de la cruauté et de l’horreur fut atteint un après-midi du mois de ramadan (28 février 1962). Ce fut une première dans cette guerre: deux voitures piégées avec des obus de 105 mm explosèrent en pleine esplanade centrale (Tahtaha) où il y avait toujours foule. Un carnage. Corps déchiquetés à un point tel qu’il était impossible de tous les dénombrer. Les cadavres que l’on put reconstituer étaient au nombre de 75. La technique étant celle employée par les groupes terroristes sionistes qui agissaient en Palestine, à l’époque du mandat britannique, on l’attribua à la Hagana. La population criait vengeance; les gens du FLN et l’armée française eurent beaucoup de mal à empêcher la foule de se lancer à l’assaut du Plateau Saint-Michel d’où les tueurs de l’OAS nous canardaient quotidiennement.

Si j’étais passé dix minutes plus tôt par l’esplanade -qui se trouvait sur mon itinéraire habituel-, la vie du petit instituteur remplaçant que j’étais se serait arrêtée là, à dix-huit ans. Je venais, en effet, d’achever mes études secondaires et il me fallait travailler. Une image habite depuis lors ma mémoire: les lambeaux de chair humaine accrochés aux fils électriques tels de gros oiseaux perchés là.

Le 05 juillet. Je dévalai le boulevard de Mascara et pris le boulevard Joffre en pensant à la belle journée que j’avais passée le 3 juillet. Cet après-midi-là, avec mon ami Mimoun -un fou de cinéma-, nous sommes «descendus» dans la ville européenne. Nous avons «fait» toute la rue d’Arzew -les Champs élysées d’Oran- et nous nous sommes arrêtés au cinéma «Lynx» -le plus grand écran de la ville, disait la réclame- qui passait un film avec Elvis Presley (je crois que c’était Girls ! Girls ! Girls!). Les deux jeunes ouvreuses semblaient perplexes, sinon inquiètes: deux Arabes en ville européenne! Nous leur avons souri, elles nous ont souri et souhaité bon spectacle. Je crois que nous n’étions pas plus de cinq spectateurs.

Le soir, la Ville-Nouvelle avait organisé un concert de musique sur la place Sidi-Blal. Ce fut un moment de très grande émotion quand l’enfant chéri du quartier, le musicien-chanteur Blaoui Houari, entonna une chanson inédite à la mémoire de cet autre fils de la Ville-Nouvelle, Ahmed Zabana, premier guillotiné de cette guerre, dont l’exécution, le 19 juin 56, sous le proconsulat de Robert Lacoste, le M(S)inistre Résidant (et néanmoins militant SFIO guillotineur) sera aux origines de la bataille d’Alger.

Le 05 juillet. À la bifurcation du cinéma Le Paris, je pris le boulevard du 2ème Régiment de Zouaves -le 2ème Zouaves- au lieu de continuer à descendre le boulevard Joffre en direction de la Place d’Armes où se tenait un meeting. De jeunes scouts remontaient le boulevard Joffre en chantant. Je traversai le rond-point Karguentah, longeai la Maison du Colon et arrivai à la place Jeanne d’Arc où un meeting devait selon toute vraisemblance se tenir. En effet, la place grouillait de femmes voilées de blanc et d’enfants revêtus d’habits de fête. Les petits scouts arrivaient.

La place Jeanne d’Arc est un square adossé à la basilique du Sacré-Coeur, une cathédrale de style romano-byzantin, érigée au début du XX° siècle. La basilique ouvre, par de larges escaliers, sur un parvis où trône la statue équestre dorée d’une Jeanne d’Arc prête à en découdre, sans doute. La place est bordée, au nord, par le boulevard du 2ème Zouaves; à l’ouest, par la rue Jeanne d’Arc qui borde les bâtiments et les jardins de l’évêché; à l’est, par la rue des Lois, parallèle à la première, où stationnent les autocars Amoros, son seul titre de gloire. L’évêché et son jardin sont écrasés par l’imposante Maison du Colon qui surplombe la place Jeanne d’Arc. C’est un bâtiment présomptueux, tournant le dos au square, avec des frises imitant les mosaïques romaines et dévolues à la gloire des colons romains et européens, saisis dans une continuité qui voulait tout dire.

Je décidai d’observer une halte. Je me tenais face à la basilique, au bord de la place, donnant le dos au 2ème Zouaves et baignant dans une sorte d’état séraphique, accueillant au monde et à la vie : j’avais vécu tout le siège de la Ville-Nouvelle; j’avais échappé cent fois à la mort; je me disais à cet instant précis que j’étais un miraculé; ce qui, chez nous, se dit autrement: j’avais eu la baraka.

Il était à peu près midi. Les premières détonations, je les situai du côté du boulevard Joffre. La place devint subitement silencieuse. Tout le monde dressa l’oreille. Alors, se produisit la deuxième vague de détonations, terriblement proches, au point qu’elles semblaient éclater dans mes oreilles. La panique foudroyante transforma le square en tohu-bohu: nombreux étaient ceux qui s’étaient jetés à terre, la majorité fuyait, remontant les deux rues parallèles; cris, hurlements de femmes et d’enfants; souliers et voiles abandonnés. À la première rafale, je m’étais élancé en avant; une femme voilée tomba, me percuta, me fit perdre l’équilibre. Avait-elle été touchée? J’essuyai mon visage car quelque chose de chaud l’avait éclaboussé. Peut-être est-ce cela qui me sauva? Le fait est que je repris immédiatement mes esprits et me réfugiai derrière un arbre où s’était déjà planqué un ATO (policier auxiliaire) qui tirait avec son pistolet en direction de la Maison du Colon. Le policier hurlait: «Ne reste pas près de moi!» J’ai regardé autour de moi: les fenêtres des appartements du 2ème Zouaves et celles de la rue des Lois étaient fermées. Les tirs ne pouvaient provenir que de la Maison du Colon, me dis-je. Alors, je pris mon élan et traversai d’un bond la rue Jeanne d’Arc; là, protégé par le mur de l’évêché, je me mis à courir comme un dératé: rue Jeanne d’Arc, square Garbé, rue Beauprêtre, boulevard et place Sébastopol, enfin. J’étais arrivé à la porte d’entrée de la Ville-Nouvelle; je ralentis l’allure pour reprendre mon souffle. Je vis un groupe de quatre jeunes gens arriver derrière moi en courant, fuyant la place Jeanne d’Arc, et un homme âgé, un Européen bedonnant, qui descendait le boulevard Sébastopol. Il ne semblait ni inquiet ni pressé de se mettre à l’abri alors que la fusillade continuait en contrebas. Le groupe lui asséna quelques coups de poing qui le mirent à terre et poursuivit sa course. Au moment où l’homme se relevait péniblement, une voiture qui descendait le boulevard Fulton à tombeau ouvert, visiblement prise de panique, le percuta de plein fouet. La voiture ne s’arrêta pas.

Sur l’esplanade centrale de la Ville-Nouvelle –Tahtaha-, je vis un attroupement: un jeune couple d’Européens au milieu d’un cercle formé de jeunes excités, menaçants, l’insulte à la bouche. Un homme que je connaissais bien, un ancien de la CGT et du parti communiste expulsé de mon village natal et interdit de séjour depuis, faisait face, seul, au groupe vociférant. Calmement: «Soyez raisonnables! Ces gens étaient parmi nous; ils ne peuvent pas avoir fait de mal.» Tout autour, des vieux approuvaient silencieusement. Mais personne n’osait prendre la parole. Le couple fut amené par les jeunes, on ne sait où.

Au début de l’après-midi, un détachement de l’ALN -dont les unités étaient cantonnées à Pont-Albin, à quelques cinq km à l’ouest de la ville-, descendait la rue de Tlemcen, qui borde Saint-Antoine. Les djounouds rasaient les murs, marchant à distance les uns des autres. À hauteur du cinéma Rex, il y eut des coups de feu qui semblaient provenir du côté du Derb, le quartier juif. Les détonations continuèrent un moment, se déplacèrent vers le centre-ville puis cessèrent. Il était à peu près quatorze heures. Le calme était revenu sur la ville.

Vers seize heures, j’allai aux nouvelles au café de mon autre cousin, place Sidi-Blal. Là, avaient l’habitude de se retrouver de vieux militants politiques, gens d’expérience, instruits et pondérés. Selon eux, les tirs de la place Jeanne d’Arc provenaient de la Maison du Colon ainsi que de la cathédrale et étaient le fait de commandos OAS irrédentistes. Si les tirs provenant de la Maison du Colon étaient une certitude pour moi, j’avoue que je trouvai extravagant de penser que la cathédrale ait pu cacher des tireurs. J’attribuai ces exagérations au fait que l’évêque d’Oran, Mgr Lacaste, -autre spécificité de la ville-, témoignait d’un tropisme pro-OAS notoire, à rebours de la hiérarchie de l’Église d’Algérie qui eut une position nettement plus honorable.

Des nouvelles parvenaient de l’hôpital, très proche de là; on parlait, à la fin de la journée, de dizaines de morts arabes. (Il faudra attendre le lendemain et les jours qui suivirent pour avoir des détails sur les victimes. L’Écho d’Oran et l’Écho du soir, les deux quotidiens de Pierre Laffont, publieront les listes des morts et des blessés: 75 Arabes tués, dont 19 femmes et 10 enfants, et 25 Européens. Il s’agissait des victimes recensées à la morgue de l’hôpital.) En réalité, les victimes européennes furent plus nombreuses.

Vers dix-sept heures, parvint la nouvelle qui nous laissa pantois: il y aurait eu un véritable massacre d’Européens au quartier du Petit-Lac. Situé à l’extrême sud-est de la ville, près de la route qui mène à l’aéroport, face au bidonville de Sanchidrian, le Petit-Lac jouxtait une décharge municipale. Là, ainsi que sur toute l’enfilade de quartiers arabes (Lamur-Victor-Hugo-Petit-Lac), régnaient les «marsiens» du groupe de ‘Attou. J’enseignais durant cette année dans une école située à la limite du quartier arabe de Lamur et à celle du quartier européen de Saint-Hubert. Je peux témoigner de la réalité de la peur qu’inspiraient à la population de ces quartiers, ces jeunes chefaillons qui défouraillaient pour un oui ou pour un non, et dont certains d’entre eux étaient mus à l’évidence par des ressorts autres que patriotiques. La rumeur attribuait à la bande à ‘Attou les massacres qui se seraient produits au Petit-Lac. On disait qu’ils sillonnaient la ville, enlevaient des Européens et les menaient au Petit-Lac pour les y massacrer. On dit également qu’ils dressèrent des barrages sur la route du port et y capturèrent des Européens qu’ils exécutèrent.

Que les hommes de ‘Attou aient opéré des raids dans le centre-ville, est hautement probable. Mais pourquoi auraient-ils emmené leurs victimes jusqu’au Petit-Lac, très loin de là, pour les y exécuter? Cela n’a pas de sens. Qu’est-ce qui les aurait empêchés de les tuer sur place? À moins de supposer que les hommes de ‘Attou fussent en possession de listes nominatives d’activistes de l’OAS et qu’ils aient procédé à leur arrestation puis les aient emmenés au Petit-Lac, leur quartier général. Je sais, par exemple, que dans mon école, un collègue européen fournissait des noms d’activistes OAS à l’une de nos collègues arabes -nous étions quatre Arabes sur un effectif de 24 enseignants- qui était en cheville avec le réseau de ‘Attou, car elle habitait Victor-Hugo.

S’agissant maintenant des barrages sur la route de l’aéroport, il faut rappeler que quelque temps auparavant, des commandos OAS déguisés en militaires du contingent, avaient investi le bidonville de Sanchidrian (très proche du Petit-Lac). Les habitants accueillirent les «soldats» sans méfiance car l’armée française était devenue une alliée objective dans la lutte contre l’OAS. Les commandos séparèrent les hommes du reste des habitants et les fusillèrent devant leurs femmes et leurs enfants. Des dizaines de morts. Que des habitants de Sanchidrian et du Petit-Lac aient dressé des barrages sur la route de l’aéroport, enlevé des Européens et les aient tués ou emmenés au QG de ‘Attou est tout-à-fait plausible.

À combien se dénombrent les victimes européennes ? Des chiffres hyperboliques ont été avancés: plusieurs milliers, dit-on. D’un point de vue simplement matériel, c’est strictement impossible: les djounouds du capitaine Bakhti Nemiche ont investi le Petit-Lac vers dix-sept heures. Dans le même moment, les militaires français se déployaient dans la ville sur ordre du général Katz, en accord avec le capitaine Bakhti Nemiche. En cinq heures de temps (de midi à dix-sept heures), une bande de quelques dizaines de personnes aurait donc pu exterminer cinq mille personnes (comme cela a été avancé)? Soyons sérieux. La tragédie de cette journée de fête qui s’est muée en tuerie est assez éprouvante dans son horreur pour qu’il soit nécessaire d’en rajouter et d’attiser encore et toujours les haines, en faisant fi de la simple vérité des faits. Aujourd’hui, cinquante ans après ces tragiques événements, et après que de nombreuses bouches se sont ouvertes, il est raisonnable de situer le chiffre des Européens tués et ensevelis au Petit-Lac autour de 150.

Dans tous les reportages et récits que j’aurai l’occasion de lire sur ce drame, personne ne revient sur le chiffre des victimes arabes mais tout le monde est obnubilé par le seul chiffre des victimes européennes. Pourtant c’est le très influent Écho d’Oran, l’un des plus puissants porte-voix de la colonisation, le plus fort tirage d’Algérie comme disait sa réclame, qui l’a établi: 75 morts arabes. Des femmes, des enfants, des hommes, sortis la joie au cœur pour fêter la fin du calvaire de la ville, tués. Qui donc les a assassinés? À cette question, particulièrement gênante, la réponse est systématiquement celle-ci: les Arabes ont été victimes de règlements de comptes, de l’anarchie régnant entre groupes armés incontrôlés. Mais les femmes? Les enfants endimanchés? Qui sont tous morts dans la ville européenne qui plus est? Pourquoi ces groupes armés seraient-ils descendus régler des comptes en pleine ville européenne? Il y a une égale mesure de cynisme, de malhonnêteté intellectuelle et de racisme dans ce type de réponse. En vérité, il n’y avait ni anarchie ni règlement de comptes entre des fidaïs. La ZAO -zone autonome d’Oran- était, quoi qu’on en ait dit ici ou là dans des raccourcis et des clichés suspects, relativement bien tenue et ses deux chefs, Abdelbaki Bachir-Bouyadjra et Abdelhamid Benguesmia-Chadli, jouissaient du respect général, quoique la vérité de cet état de fait soit à rechercher dans l’extraordinaire sens de la discipline et des responsabilités dont fit preuve le bon peuple. (Un jour, le lieutenant de l’escorte de gendarmes mobiles qui accompagnait les enseignants européens de notre école et avec lequel j’avais sympathisé, m’a dit que si les Français d’ici n’avaient pas réussi à s’entendre avec des gens comme nous, tant pis pour eux. Ce fut un très bel hommage rendu au peuple d’Oran.)

D’autre part, une curieuse assertion est constamment martelée par cette même littérature : « les commandos de l’OAS avaient quitté la ville avant le 1er juillet ». Cette affirmation fonctionne comme une vérité d’évidence qui n’aurait plus à fournir ses titres de créance. Ce faisant, elle empêche -c’est sa fonction cachée- de se poser une simple question de bon sens: qui aurait pu vérifier que les tueurs de l’OAS avaient quitté la ville? Encore aurait-il fallu les connaître, les dénombrer et avoir présidé à leur départ. Voici un témoignage personnel qui suffit à mettre à mal cette «vérité d’évidence».

En août 1963, j’entrepris un périple touristique en France, en Espagne et au Maroc. À Alicante, nous fîmes, mon compagnon de voyage et moi, une virée dans une boîte de nuit dont l’enseigne nous avait attirés car c’était la même que celle d’une homologue célèbre d’Oran (située sous le Café-Riche), le «Whisky à gogo». Nous nous apprêtions à prendre l’escalier de la cave en devisant quand un homme, jeune, qui se tenait près du guichet, nous apostropha. «Vous êtes Français? -Algériens. -D’où vous êtes? – d’Oran. – Originaires d’Oran même? – Moi, je suis originaire de Rio-Salado et lui (mon copain) d’Aïn-Témouchent. -Tape cinq! Moi je suis de ‘Aïn-El-Arba (un village à 60 km d’Oran et à 24 km du mien, dans la riche plaine de la Mlata).» La conversation se poursuivit et on en vint à parler du… 05 juillet 1962. «J’ai été arrêté par les gens du FLN et amené au Petit-Lac. Je crois qu’ils étaient bien renseignés sur moi, j’étais dans les commandos de l’OAS. Puis sont arrivés les gens de l’ALN. Un des soldats qui me fixait avec insistance est venu vers moi: « Tu me reconnais pas ? » C’était un ancien ouvrier de notre ferme. Il m’a fait libérer immédiatement. Sinon, j’allais passer à la casserole. Bon… C’est l’heure où les copains de l’OAS vont venir; on est tous condamnés et recherchés, on peut pas rentrer en France… Ils vont boire et ils vont devenir dangereux pour les Arabes… Avant-hier soir, ils ont tué deux Marocains qui passaient par là… Finissez vos verres et dépêchez-vous de partir.»

C’est lui qui a payé à boire et il nous a remboursé l’entrée. La baraka était encore avec moi ce soir-là et elle avait pris les traits d’un ex-ouvrier agricole qui a sauvé la vie au fils de son ex-patron. Ce dernier a remboursé sa dette en sauvant deux jeunes Arabes. Sinon, j’aurais fini ma courte existence -20 ans- dans une boîte de nuit d’Alicante.

Trente ans plus tard, je lus l’ouvrage du général Katz, commandant la place d’Oran à l’époque des faits. Je fus stupéfait d’y lire que les tirs sur la place Jeanne d’Arc provenaient de la Maison du Colon et de la cathédrale. Ce qui corroborait les paroles des vieux du café de la place Sidi-Blal prononcées le soir de ce Cinq juillet de sinistre mémoire et que je ne voulais pas croire. Le général y accuse d’ailleurs l’évêque d’Oran d’avoir à plusieurs reprises caché des commandos de l’OAS traqués par les gendarmes mobiles. [[Cf Joseph Katz – L’honneur d’un général. Éditions de L’harmattan]]

Le 05 juillet à la nuit tombée, je suis sûr que tout les Oranais -ou peu s’en fallait- partageaient mon sentiment mitigé: la honte pour les massacres commis sur des Européens; la colère contre ceux qui avaient réussi à transformer un jour de fête en jour de deuil et qui ne pouvaient être que ceux que révulsait le spectacle qu’offrait Oran du 1er au 5 juillet: des Arabes se promenant paisiblement en ville européenne; des Européens se promenant en Ville-Nouvelle et y faisant leur marché. 

C’était cela l’enjeu réel de cette journée : empêcher la cohabitation des Arabes et des Européens car si cela devait se produire, à quoi auraient servi ces mois de folie sanguinaire? Le lendemain, je quittai la ville pour aller offrir mes services aux élèves d’un douar reculé.

Dixi et salvavi animam meam

M.B.