« L’ÉTAT DE JUSTICE » DES MUSULMANS ANTICAPITALISTES DE TURQUIE

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AYŞE AKYÜREK [[Doctorante en religion et systèmes de pensées à l’école pratique des hautes études (EPHE). Thèse sur la réinvention de la Mevleviye au XXIe siècle. Actuellement rattachée à l’institut français d’études anatoliennes.]]

le 26 OCTOBRE 2015

ORIENT XXI – MAGAZINE

Populaires depuis les repas de rupture du jeûne de ramadan (iftar) organisés dans la rue pendant les événements de Gezi à Istanbul au printemps 2013, les musulmans anticapitalistes remettent en question non seulement le système économique, mais également la gouvernance politique de la Turquie et du Proche-Orient. Convaincus que ni la théocratie, ni la laïcité ne sont des systèmes adaptés à cette région du monde, ils proposent une troisième voie qu’ils nomment « l’État de justice ».

arton1064-resp560.jpgİhsan Eliaçık (assis, deuxième en partant de la g. de l’image) lors d’un forum de la KESK à Ankara.OnurT, 19 juillet 2013.

L’idéologue des musulmans anticapitalistes est İhsan Eliaçık[Pour plus de précisions, voir Ayşe Akyürek, [«Yeryüzü sofrası », symbole de l’anticapitalisme musulman, Dipnot IFEA, 8 juillet 2015.]]. Militant dans le mouvement Akıncı gençler (Jeunes cavaliers)[[Créé en 1980, Akıncı gençler est issu du mouvement politique islamiste Milli Görüş (Vision nationale). Ses principaux slogans étaient: «Pour un État islamique sans frontières et sans classes» et «La charia ou la mort». Abdullah Manaz, Türkiye’de siyasal islamcılık, İq kültür sanat yayıncılık, 2008; p. 252-285.]] pendant sa jeunesse, Eliaçık se sépare en 2003 de ses anciens compagnons de route — qui sont au pouvoir aujourd’hui — pour mener sa propre réflexion sur l’islam et le sort de la Turquie. Il propose alors le concept d’islam social, révolutionnaire, démocratique et libéral qu’il oppose à l’islam purement métaphysique. Cet islam spirituel, qui n’a pas d’effet direct sur la vie sociale et quotidienne des hommes, serait en effet un vecteur de superstitions et de traditions erronées. Dans le but de corriger ce qu’il considère comme des idées reçues et de mettre à jour le message divin, Eliaçık publie en 2003 sa propre traduction du Coran qu’il nomme « le Coran vivant » (« Yaşayan Kur’an »). Il déclare souhaiter par là mettre l’accent sur le caractère atemporel et universel du livre saint de l’islam et en faire un livre de référence pour la vie quotidienne.

Pour Eliaçık, marxisme et islam ne sont pas incompatibles. Il établit une corrélation entre les notions de propriété, d’enrichissement, de don, d’aumône et d’intérêt qui sont fréquemment citées dans le Coran avec les notions de matériel, de propriété, de capital, d’argent et de travail qui figurent dans Le Capital de Karl Marx. Si le socialisme et le communisme lui semblent conciliables avec l’islam, il estime que ce n’est pas le cas du capitalisme. C’est pour cela que les musulmans anticapitalistes scandent à chaque manifestation le leitmotiv «Abdestli kapitalizm» («capitalisme purifié»): cette expression dénonce la nouvelle bourgeoisie musulmane qui camouflerait le capitalisme sous les habits de la religion. Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, conservateur démocrate, est actuellement la cible de ces accusations. Ces nouveaux bourgeois musulmans, autrefois compagnons de route d’Eliaçık et qui partageaient l’idéal d’un « islam sans frontières et sans classes », s’en seraient selon lui séparés pour créer une nouvelle classe dont l’« idéologie » se résumerait au carriérisme et au conformisme.

RÉSOLUTION PACIFIQUE DES CONFLITS

La dénomination « musulmans anticapitalistes » pour désigner l’homme et ses partisans peut se révéler cependant trompeuse ou du moins incomplète. En effet, ce n’est pas seulement la gouvernance économique qui est remise en question mais également la gouvernance politique, et cela dans un contexte de conflit interne. Eliaçık utilise la question des minorités ethniques et en particulier la question kurde pour exposer sa conception de l’État. Pour remédier à ce qu’il appelle un «problème de justice et d’égalité» et pour éviter à la Turquie d’être «une proie pour l’impérialisme», Eliaçık propose de faire de l’Anatolie un «État de justice» («adalet devleti»), similaire au «système juste» («adil düzen») formulé par Necmettin Erbakan dans les années 1990: un système islamique qui repose sur la paix, la justice et la liberté des personnes de toutes confessions, de toutes origines ethniques et de tous niveaux sociaux. Pour cela il fait référence à l’histoire du placement de la Pierre noire dans le mur de la Kaaba à La Mecque. Le conflit entre les tribus qui se considéraient toutes comme les plus légitimes pour le faire avait été résolu grâce à l’arbitrage du prophète Mohammed. Cet événement serait un symbole de loyauté et représenterait un modèle pour la résolution des conflits qui ont lieu au Moyen-Orient et principalement en Turquie[İhsan Eliaçık, [«Kürd sorunu, Kanlı çanak ve Hacer’ul-Esved», Adil medya, 4 septembre 2011.]].

Mais l’égalité des religions semble pour le moment compromise, dans la mesure où Eliaçık ne conçoit pas d’exclure les valeurs socio-politiques de l’islam de ce supposé nouvel État[[İhsan Eliaçık, Adalet devleti, ortak iyinin iktidarı, Bakış yayınları, 2003 ; p. 483-567.]]. En ce sens il ne peut s’agir concrètement d’un État neutre. Il suggère d’élaborer une analyse poussée des quatre événements cruciaux:

  • le «pacte des vertueux» (hilf al-fudul), conclu entre plusieurs clans koraïchites quelques années avant la mission du Prophète, suite à un conflit né d’une transaction inéquitable;
  • le pacte de Médine ou Constitution de Médine : conclu en 622 du calendrier de l’hégire, le pacte de Médine est un texte signé entre Koraïchites et Médinois. Il fixe des lois sur les libertés individuelles, la sécurité, la défense et la justice entre tribus;
  • le dernier sermon du Prophète (khutba al-wada), prononcé lors du dernier pèlerinage à la Mecque et dont le thème principal est la question des droits de l’homme, tels que la liberté de culte, l’égalité et la sécurité;
  • la révélation coranique pour comprendre l’idéal politico-social du prophète Mohammed.

VERS LE CONFÉDÉRALISME DÉMOCRATIQUE

Cité-État constituée autour de la notion de « oumma » — non comprise au sens courant de « communauté musulmane » mais de « citoyens » —, le pacte de Médine représenterait une union socio-politique et non une union religieuse, et se présenterait donc comme un modèle d’islam démocratique et l’oumma incarnerait ce que l’on appelle aujourd’hui le confédéralisme démocratique[İhsan Eliaçık, [«Demokratik toplum, Konfederalizm ve Medine sözleşmesi» , Adil medya, 25 février 2014.]].

Notion introduite en Turquie par Abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le confédéralisme démocratique représente une administration politique non étatique. Né de l’ambition d’octroyer la liberté et l’autonomie au peuple kurde sans pour autant remettre en question les frontières politiques de la Turquie actuelle, le confédéralisme démocratique est, selon Öcalan, le paradigme de la « modernité démocratique » contre la « modernité capitaliste ». Il considère le nationalisme et l’État-nation comme source des problèmes du Moyen-Orient et s’oppose de ce fait à la création d’un État-nation kurde. La résolution du problème kurde en Turquie sans recourir à l’État-nation et au système capitaliste serait par ailleurs un facteur-clé pour la résolution des problèmes du Moyen-Orient[Abdullah Öcalan, [Confédéralisme démocratique,, 2011.]].

Le pacte de Médine a gagné de l’importance en Turquie, surtout depuis le Congrès démocratique des peuples (Halkların demokratik kongresi) qui s’est tenu à Diyarbakir en mai 2014 à l’initiative d’Ökcalan et avec la participation et le soutien du Parti démocratique des peuples (HDP)[ «[Diyarbakır’da Demokratik İslam Kongresi», BBC, 10 mai 2014.]]. En 2011, Eliaçık avait déjà appelé le Parti de la paix et de la démocratie (BDP) et le PKK à prendre en considération la religion dans le processus de résolution du conflit et à participer à la propagation de l’islam révolutionnaire. Il invitait les dirigeants et militants du mouvement kurde à accepter l’islam en tant que réalité sociale, même dans le cas où certains d’entre eux ne seraient pas musulmans.

SOUTIEN AU HDP

Déclarant ne pas avoir l’intention de s’engager activement dans la politique, Eliaçık affiche tout de même ouvertement son soutien au HDP qu’il considère comme le parti le plus proche de ses idéaux en terme d’égalité religieuse, ethnique, confessionnelle, mais aussi d’égalité des sexes et d’égalité économique. Par ailleurs, il adopte un discours sans précédent quant à la position d’Abdullah Öcalan dans la résolution du problème kurde. Pour Eliaçık en effet, le mouvement kurde devrait élargir sa vision, mais cela semblerait irréalisable dans la mesure où son leader est détenu. La solution serait donc la libération d’Öcalan pour concrétiser le projet de confédéralisme démocratique et construire une société pluraliste basée sur le consentement de chacun. Conscient d’exaspérer ses coreligionnaires et ses compatriotes, il justifie ses propos en se référant à la sourate Ar-Rum du Coran :

| Parmi ses signes: la création des cieux et de la terre ; la diversité de vos idiomes et de vos couleurs. Il y a vraiment là des Signes, pour ceux qui le savent.
Coran 30 : 22. |

Les musulmans anticapitalistes semblent pour le moment loin d’être pris au sérieux. Ils sont critiqués d’une part pour un manque de profondeur intellectuelle, et d’autre part pour un engagement considéré comme utopique. Leur présence dans le paysage politico-religieux va tout de même dans le sens de la diversification du discours islamique.

AYŞE AKYÜREK

Sources

MENSONGES, PROPAGANDE ET LA VRAIE HISTOIRE DES ETATS-UNIS ET DU MONDE MUSULMAN

pdf-3.jpg NOUS SOMMES EN GUERRE CONTRE UN ISLAM IMAGINAIRE

par Raymond William Baker [[Extrait de son ouvrage: «Un islam, de nombreux mondes musulmans, spiritualité, identité et résistance à travers les terres d’Islam» Oxford University Press, 2015. Partielle traduction sur la base du texte publié sur le site internet «Salon.com (inter-titres du traducteur) ]]

Traduit Par Mourad Benachenhou

Le Quotidien d’Oran – L’actualité Autrement Vue

octobre 2015

La propagande américaine, au service de notre empire, exagère le pouvoir et la dépravation morale de l’ennemi islamique.

UN ISLAM FABRIQUÉ, SANS RELATION AVEC LE CORAN

Les Etats-Unis sont en guerre contre un islam de leur propre fabrication, très différent et mythique, n’ayant rien à voir avec l’islam du Coran. Pour comprendre cette menace conjurée, les études académiques de l’islam et des mouvements islamiques ne sont d’aucun secours. Même l’examen de l’histoire du monde réel et de la pratique de l’empire a une valeur limitée, à moins que la dimension islamique perçue soit prise en compte. Le projet impérial américain ne peut être clarifié sans une évaluation de la rationalité distincte que l’imaginaire islamiste offre.

La tâche n’est pas aisée. L’imaginaire islamiste n’a pas une existence simple et unifiée. C’est plutôt un amalgame complexe qui met sous une forme composite et évolutive à la fois les élucubrations de l’empire et une menace illusoire contre le pouvoir impérial.

UN ISLAMISME QUI N’EXISTE PAS EN DEHORS DES INTEÉRÊTS IMPEÉRIAUX

C’est un « tout difficile, » dans le langage de la théorie utile de la complexité. L’imaginaire islamiste, à la différence de l’islam même, et des mouvements politiques s’inspirant de l’islam, n’existe pas en dehors des intérêts impériaux qui le forment. Cet islamisme n’a pas de réalité indépendante, culturelle ou historique, en dehors de son rôle de menace prédatrice contre les intérêts occidentaux globaux.

Pour mettre en œuvre et rationaliser son projet expansionniste qui doit rester non reconnu et non exprimé, l’empire américain demande un ennemi, qui prend la forme de l’islam de son imagination. Les deux éléments de l’imaginaire et de l’empire évoluent en conjonction.

LA RONDE MACABRE DU PRÉDATEUR ET DE SA PROIE

Les besoins d’un empire menacé et victime vulnérable changent avec le temps. L’imaginaire islamiste se transforme pour satisfaire ces besoins. L’imaginaire et l’empire entrent dans une ronde du prédateur et de sa proie. Leurs rôles sont interchangeables, signe clair qu’ils ne sont pas entièrement réels. Le prédateur est la proie, la proie est le prédateur. Ils se développent en tandem dans un processus complexe d’adaptation mutuelle. Les frontières entre le réel et l’imaginaire disparaissent et, finalement, c’est l’imaginé qui hante nos imaginations et conduit nos politiques.

DES PLANS D’INVASION ARRÊTÉS DEPUIS LONGTEMPS

Le crime contre l’humanité commis le 11 septembre 2001 a eu la conséquence non intentionnelle de servir les plans expansionnistes grandioses des néo-conservateurs qui ont dominé l’administration du président Bush. Il manquait seulement un ennemi pour rendre possible la mise en œuvre de cette politique.

Du magasin de l’imagination historique occidentale furent sorties les vieilles images d’un islam hostile. Les terroristes islamistes constituaient, sous une forme crédible dans l’esprit d’une Amérique effrayée, la «menace à la civilisation» dont a besoin tout empire pour justifier ses actes violents de domination.

Ainsi naquit l’imaginaire islamiste au service de la version néo-conservatrice de l’empire. L’administration a utilisé toutes les ressources de contrôle des médias à sa disposition pour s’assurer qu’aucun lien ne soit établi entre le crime du 11 septembre et ses politiques moyen-orientales injustes, comme les instruments sanglants que les Etats-Unis ont forgés pour les mettre en œuvre. Les plans américains pour renverser les Talibans et occuper l’Irak, et israéliens pour «résoudre» par la violence le problème palestinien, étaient tous en place avant le 11 septembre.

LA DIMENSION ISRAELIENNE

La version la plus exhaustive des plans des néo-conservateurs pour faire avancer les intérêts américains et israéliens a trouvé son expression dans un document politique écrit en 1996, pour le compte de Benjamin Netanyahu, du Likoud, qui venait d’être élu Premier ministre d’Israël. Ce document est intitulé: «Rupture claire, une nouvelle stratégie pour renforcer le royaume.»

Ce document appelle à «une rupture totale avec le processus de paix, à l’annexion des territoires occupés et de Gaza, et à l’élimination du régime de Saddam en Irak, comme prélude à des changements de régime en Syrie, au Liban, en Arabie saoudite et en Iran. Tous les auteurs de ce document sont devenus des acteurs influents lors du second mandat de Bush.

Une Amérique innocente et blessée a redéfini son rôle au Moyen-Orient comme le champion de la démocratie et le rempart contre les sources islamiques de l’irrationalité qui de manière ostensible nourrissait le terrorisme global. Le scénario était en place pour l’évocation de l’imaginaire islamiste.

LA MANIPULATION DE L’ISLAM, UNE LONGUE HISTOIRE

Il y avait déjà une pratique américaine établie de manipuler l’islam, y compris dans ses versions les plus rétrogrades et les plus violentes, pour faire avancer les objectifs impériaux.

Cependant, cette fois-ci, les planificateurs stratégiques rompirent avec le format établi en instaurant une innovation de taille. À chaque moment stratégique critique, l’Amérique a fait usage d’une forme existante d’islam qui pouvait être ajustée pour répondre à ses besoins.

Dans chacun de ces cas, la dimension islamique dérivait d’un islam «trouvé,» qui trouvait son origine dans la satisfaction des besoins des acteurs locaux. Cet islam avait ses propres racines indépendantes dans le sol du monde islamique et servait, en priorité, des objectifs identifiables propres aux régimes ou mouvements existants. L’administration Bush chercha à innover une variante distinctive sur la base de ce schéma général, d’une façon qui clarifierait les nouvelles dimensions culturelles et intellectuelles de l’exercice de la puissance à l’échelle du globe. L’Irak devint le cas de référence.

Selon l’administration Bush, les colonisés sont les propres artisans de leurs malheurs, et leurs propres échecs invitent, si ce n’est exigent la colonisation. Il n’y a pas de meilleur moyen d’innocenter l’Occident de son histoire documentée d’occupation violente et d’exploitation du monde musulman.
On élimine ainsi l’attention qui pourrait être portée sur une évaluation sérieuse de la domination américaine au Moyen-Orient, et de ses politiques destructives en Palestine, en Afghanistan et, de manière plus dramatique, en Irak.

L’ISLAMISME IMAGINAIRE, L’ISLAM PRÉFÉRÉ DE L’ADMINISTRATION AMÉRICAINE

La vision préférée de l’administration de Bush est décrite de manière plus claire et plus argumentée dans une étude de la Rand Corporation. Le livre (écrit par Cheryl Bernard en 2003) porte le titre engageant de «L’islam démocratique : partenaires, ressources et stratégies» ; Bernard pose la réalité d’une menace islamique comme prémisse de son argumentation.

Selon sa formulation, le monde entier, et pas seulement les USA, est la victime innocente et le témoin vulnérable des désordres internes tumultueux dans le monde islamique. Elle se demande: «Quel rôle le reste du monde menacé et affecté comme il l’est par cette lutte, peut-il jouer pour amener à une situation plus pacifique et plus positive?» Bernard affirme clairement que ces dangereux drames du monde musulman sont auto-infligés. Elle écrit que «la crise actuelle de l’Islam a deux composantes : l’incapacité de prospérer et la perte de la connexion avec le courant global. Le monde musulman a été caractérisé par une longue période d’arriération et d’impuissance relative» .

Elle note gravement que «le monde musulman est en disharmonie avec la culture globale contemporaine, situation inconfortable pour les deux côtés. »

UTILISER L’ISLAM CONTRE LES MUSULMANS

L’évaluation de Bernard élimine toute référence à la colonisation occidentale du monde islamique et aux dommages physiques et psychologiques que ces violents assauts ont causés. Il n’y a aucune allusion à la présence impériale américaine dans le monde musulman, à travers un réseau impressionnant de bases en expansion constante. Il n’y a aucune référence aux voies par lesquelles cette présence freine le développement autonome. Il n’y a également aucunes références aux actes maladroits de constantes interventions économiques et politiques américaines, visant à mettre en échec l’autonomie économique et politique.

Israël, fortement armé avec toutes sortes d’armes de destruction massive, occupant cruel, et superpuissance régionale, disparaît totalement de l’analyse de Bernard. Ces réalités brutales sont estompées par l’imaginaire islamiste.

C’est seulement en cachant ces réalités que Bernard peut prendre comme certains les fondements irrationnels de la menace islamiste. Son analyse jette la lumière sur les voies par lesquelles les menaces habituelles contre la sécurité nationale, et présentées par des Etats organisés, dont l’exemple est l’Union Soviétique pendant l’ère de la Guerre froide, sont remplacées par le défi d’acteurs non étatiques, opérant au-dessous de l’horizon de l’Etat-nation.

Pour confronter cette menace, elle défend la nécessité pour les planificateurs stratégiques américains de faire de l’islam une ressource.

En bref, comme ses prédécesseurs, Bernard est dans la profession de la manipulation stratégique de l’islam, pour servir les fins économiques et politiques américaines. Elle évoque un islam malléable qui peut être transformé en un instrument de confrontation des islams de la résistance, tout en servant avec docilité les finalités américaines.

GRAND ENTRETIEN DE L’HUMANITÉ AVEC FETHI BENSLAMA: «LE MOT ISLAM PEUT SIGNIFIER AUSSI BIEN LA PAIX QUE LE SALUT»

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS DUTENT

LE 17 AVRIL, 2015

L’HUMANITÉ

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Photo : Pierre Pytkowicz

Le psychanalyste et essayiste Fethi Benslama analyse les phénomènes complexes qui, dans un contexte donné, peuvent conduire à la radicalisation et aux comportements violents. Ses travaux mettent également au jour les courants contradictoires qui s’affrontent à l’intérieur de l’islam, tiraillé entre partisans et pourfendeurs des Lumières. Il interroge de même la place du sujet dans cette culture.

La question de l’islam revient avec force dans le débat public. Le contexte particulier de ce retour a-t-il des incidences sur le plan théorique ?

FETHI BENSLAMA Le retour de la question de l’islam n’est pas une nouveauté. Lorsqu’il y a des catastrophes comme celle que nous avons vécue, qui est un massacre inédit commis contre des journalistes qui ont réalisé des caricatures, on trouve toujours des gens pour recevoir les choses à la lettre. Cela soulève le problème des formes radicales de l’islamisme qui ne sont pas étrangères à l’islam en ce qu’elles viennent de là. Tout cela se fait au nom d’une lecture unilatéraliste de textes qui sont anciens et dont certains n’ont aujourd’hui plus d’actualité. Ce qui est demandé, c’est à la fois de déclarer ces textes obsolètes, affirmer qu’ils n’ont plus lieu d’être, et d’introduire de nouvelles méthodes d’interprétation des textes de l’islam. Ce travail a été valable pour toutes les religions dans l’espace moderne européen : le judaïsme, le christianisme se sont tous acheminés dans cette direction. Extrémistes comme radicaux ont été marginalisés, c’est le fait d’une très petite minorité. C’est ce travail-là qui est demandé au sein de l’islam : de rouvrir la pluralité des approches de l’islam, de cesser de prétendre qu’il y a un islam un, uni, c’est un fantasme. Au même titre que perdure le fantasme d’une l’Europe unifiée ! Il y a une pluralité de l’islam et une pluralité de musulmans. Des gens croient savoir ce qu’est l’islam, sur le mode : ceci est l’islam. Non ! Il faut qu’il y ait des gens pour se lever et pour dire : nous ne savons pas, je propose une interprétation, il y en a d’autres. C’est un travail de relativisation et d’historicisation des textes coraniques. Le Coran n’est pas un texte tombé du ciel. Il est venu dans des conditions historiques très précises. Certains aspects qui sont liés à des formes de déni d’égalité – l’égalité hommes-femmes ne figure pas dans le texte coranique, c’est même le contraire – nécessitent que des autorités intelligentes, et il y en a, puissent dire : il y a des choses qui concernent l’organisation passée de la cité islamique qui ne sont plus valables. Les autorités religieuses doivent rappeler que nous sommes dans une société démocratique et ouverte. L’islam n’a absolument pas le monopole de l’archaïsme mais il lui faut lutter contre les tentatives régressives. On peut s’opposer par la force lorsqu’il s’agit de gens qui essaient d’utiliser la force, mais on peut aussi s’opposer par la parole et l’intelligence. Dans ce mouvement les lectures hétérodoxes doivent avoir droit de cité.

Comment analysez-vous les conduites violentes qui naissent à la marge?

FETHI BENSLAMA L’explication est multiple. La première est sociale et réside dans le fait que dans ce monde qui a connu une explosion démographique extraordinaire, des masses de gens sont dans des situations d’extrême pauvreté et voient paradoxalement des richesses exposées devant eux, notamment par les moyens des médias. Face à la présence de ces richesses et l’impossibilité pour ces masses d’y accéder comme de se faire entendre, ce mouvement qu’on appelle islamisme s’est présenté comme celui qui pourrait être leur porte-parole. Des gens ont investi ce qui semblait pouvoir leur apporter une source d’espoir. C’est du côté de la religion sans doute qu’ils ont pu la trouver. La religion a toujours constitué, face à l’exploitation et l’oppression, le soupir de la créature opprimée, nous disait Marx. Les régimes autoritaires ont liquidé toute forme d’opposition et ont pu ainsi, par l’effet de la répression, le mieux résister. La deuxième explication est géopolitique. Les monarchies pétrolières ont voulu protéger leur existence en finançant des mouvements radicaux, notamment le wahhabisme et les Frères musulmans. L’Arabie saoudite aurait ainsi dépensé 70 milliards depuis une quinzaine d’années pour financer ces mouvements. Ces pays sont les alliés des grandes puissances européennes et américaines, lesquelles ont laissé faire. Tous les grands stratèges nous disent que ce qu’on appelle « État islamique » a été une création de l’Arabie saoudite sous le regard et avec l’approbation des Américains. Même si ensuite ça leur a échappé. Il y a, troisièmement, une explication civilisationnelle qui réside dans le fait que la modernité a ébranlé toutes les religions. Elle les a amenés à se décomposer, les religions ont perdu leur autorité et l’islamisme est un effet de décomposition de l’institution religieuse de l’islam. N’importe qui peut faire des fatwas, déclarer la guerre sainte (djihad), ce qui n’était pas possible avant. L’institution religieuse, avec les mosquées-universités, tout cela s’est effondré ou s’est rallié aux formes dégradées de l’institution religieuse traditionnelle. La modernité est un type de civilisation qui émerge à un certain moment, portée par un projet, celui des Lumières. Il y a une décomposition de la religion et non un retour du religieux.

Le facteur psychologique a-t-il joué un rôle dans la fabrication de ces processus?

FETHI BENSLAMA Un facteur psychologique est en effet à l’œuvre dans le fait que des jeunes puissent devenir des radicaux. Ces jeunes n’ont plus l’idéalité de la religion, mais ils n’ont pas non plus les moyens de l’idéalité moderne. Il y a un état de déidéalisation absolument catastrophique chez la jeunesse. À un certain niveau, elle créait des détresses très grandes et entraîne certains à chercher d’autres formes d’idéalisation. Les jeunes qui s’enrôlent dans des groupuscules extrémistes en font partie. S’ils se sentent menacés à titre personnel, il faut aussi y lire un phénomène général : n’oublions pas de regarder le nombre de jeunes qui se suicident ou se brûlent par le feu. C’est quand même cela qui a été l’acte déclencheur des révolutions dans le monde arabe. Ce sont des mouvements de désespoir et parfois la sortie de cet état peut se faire par la radicalisation. Nous retrouvons ces formes de désespoir dans les banlieues des pays riches européens, et pas seulement chez des Européens musulmans. Parmi ceux qui ont recours à l’islamisme, beaucoup sont des jeunes convertis.

Votre déclaration d’insoumission vise-t-elle à sortir l’islam des ténèbres de l’ignorance, qui laisse proliférer les confiscations autoritaires du dogme?

FETHI BENSLAMA Les mouvements qu’on appelle radicaux ou islamistes ont fondé leur doctrine sur l’idée que l’islam veut dire soumission. Ce mot est pourtant polysémique, il veut dire beaucoup de choses et peut signifier aussi bien la paix que le salut. Ce qui a été choisi n’est donc qu’une des significations possibles, dont ils ont fait l’exigence de se soumettre à un ordre littéral supposé. Notons que partout il y a chez les hommes des formes de soumission, notamment à la loi. La vie du névrosé normal est conditionnée elle-même par un certain ordre. Le mode de soumission qui est demandé au nom de Dieu est ici un mode de soumission total, littéraliste. C’est contre cela que j’ai proposé l’idée d’une insoumission, non pas pour tout rejeter, mais pour substituer à la religion de la soumission une religion réflexive qui interroge sa propre foi et ses croyances. Il y a aussi dans cette déclaration d’insoumission une dimension politique. Ce texte a été écrit en 2004 et visait à prôner l’insoumission vis-à-vis des régimes politiques de l’époque. Ce mouvement insurrectionnel a été relancé en 2010. Il y avait quelque chose dans l’air, la réclamation de nouveaux droits et de libertés. Partout ces aspirations ont été détruites par les islamistes et leurs amis des pays du Golfe, pour l’essentiel le Qatar et l’Arabie saoudite.

Cette inculture est manifeste s’agissant de la représentation du Prophète qui n’admet aucune fixité. Plusieurs spécialistes ont retrouvé des reflets de Mahomet aussi bien dans l’iconographie persane que dans des livres récents d’éducation religieuse.

FETHI BENSLAMA Pour moi, l’attaque contre Charlie Hebdo est un prétexte. L’histoire des caricatures existe depuis une dizaine d’années. Comment se fait-il que ce soit maintenant que s’opère la vengeance ? On peut très bien considérer que le drame qui s’est passé à Charlie Hebdo est une réponse à certaines interventions de la France dans d’autres lieux. Car la France est bien en situation de guerre. Il ne faut pas jouer à l’idiot qui regarde le doigt lorsqu’on lui montre la lune. Cela ne vaut évidemment pas justification mais explication à l’heure où tout le monde se focalise sur le blasphème. Quant à la représentation du Prophète, je m’étonne qu’on fasse passer un dessin pour Mahomet en personne. Quand j’entends « c’est Mahomet sur la couverture », on croirait que Mahomet est sorti du dessin. C’est incroyable ! Le massacre nous fait perdre notre capacité à réfléchir.

Vous publiez la Guerre des subjectivités en islam (Éditions Lignes). À quelles formes de clivages et de tiraillements le sujet en islam est-il selon vous confronté?

FETHI BENSLAMA On parle souvent de l’islam comme d’un bloc homogène. Cette entreprise veut effacer les individualités et l’inconscient. Or ce sont des sociétés extrêmement hétérogènes, notamment dans la manière dont s’y expriment les sujets humain et éthique. Si on ne prend pas en compte la subjectivité et les particularités de l’islam, si on se borne à l’étude des conflits généraux, il y a beaucoup de choses qu’on ne comprend pas. Qu’entendons-nous par musulman ? Une guerre s’organise autour de cette définition même. Certains se pensent musulmans eu égard à la culture, sans se sentir sujet de la théologie, d’autres peuvent être tolérants vis-à-vis de cette idée, d’autres encore refusent totalement le fait que des musulmans ne fassent pas de la loi religieuse une référence. À l’intérieur des croyances elles-mêmes s’expriment de profonds désaccords. C’est une vieille histoire. La proclamation « je suis musulman » n’a plus rien d’évident, elle est le terrain d’un affrontement. Les partisans des Lumières sont des réformateurs qui prônent la fin du despotisme, le fondement constitutionnel des pouvoirs, la séparation de la religion, de la politique et de l’éducation et la promulgation de lois civiles, autrement dit la sortie de la juridiction de la charia. Les anti-Lumières apparaissent en prenant appui sur les contre-Lumières tel Hassan Al Banna, fondateur des Frères musulmans, qui part des thèses de Rachid Rida pour développer une prédication de plus en plus radicale. Ils ont construit progressivement le projet d’une contre-réforme dans laquelle il n’y a pas à distinguer entre les aspects positifs et négatifs de la civilisation occidentale. Ils procèdent par clivages systématiques : il y a d’un côté la demeure de l’islam où doit régner l’« État islamique » par la charia, et tout le reste n’est que domaine de la guerre, dont le monde dans lequel les Européens ont fait régner l’homme à la place de Dieu. Il faut souligner que les anti-Lumières sont coupés de l’héritage rationaliste de la philosophie arable et refusent l’exégèse théologique. Il y a à l’intérieur de l’islam un dédoublement de la question du sujet, qu’on peut dire clivé. Une même personne peut être assujettie au littéralisme légalitaire de la charia, tout en disposant, à travers le soufisme, d’une forme de liberté qui recherche le perfectionnement spirituel. Toute une filière de la subjectivité en islam est liée à l’hypothèse occidentale du « subjectum ». Ce différend sur les sources de l’assujettissement nous ramène à la question : à quoi le sujet est-il soumis ? D’un côté il l’est aux dieux de la révélation, de l’autre il l’est à la raison d’Aristote et de la tradition grecque. Cela va subsister longtemps, jusqu’au déclin de l’averroïsme. L’Averroès politique a triomphé dans le monde occidental et n’aura pas de suites dans le monde musulman. Ces sources sont réveillées aujourd’hui d’une manière flagrante. S’il faut intégrer le jeu des puissances, les influences géopolitiques et les intérêts économiques… nous les retrouvons dans la réalité subjective de ce monde.

Un intellectuel de terrain.

Fethi Benslama est psychanalyste et professeur de psychopathologie à l’université de Paris Diderot-Paris VII, dont il dirige l’UFR «Sciences humaines cliniques».

Intellectuel présent à son époque, il s’implique dans diverses causes, revues et associations, et prend part à la création du Parlement international des écrivains et du Collège international de philosophie.

Fort de son expérience de psychologue clinicien pour l’aide sociale à l’enfance, il a porté une attention particulière aux souffrances psychiques des enfants, migrants et étudiants étrangers.
L’originalité de sa démarche tient dans le croisement de la psychanalyse, du langage et du fait religieux.


ISLAM, MODERNITÉ, LUTTE DES CLASSES EN ALGÉRIE


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à la demande de plusieurs visiteurs du site, socialgerie remet en ligne l’article intitulé: « ISLAM, MODERNITÉ, LUTTE DES CLASSES EN ALGÉRIE » publié précédemment le 12 octobre 2009, et initialement destiné à être une réponse à un document envoyé par le MDS d’Oran.

Ce texte, qui date de 6 ans, est toujours pleinement d’actualité pour les questions que se posent les forces de gauche les plus saines, outre qu’il est un prolongement et une illustration des rencontres de novembre 2015 à Alger et à Oran avec d’ anciens militants du mouvement social et du PAGS en particulier.


GAUCHES ALGÉRIENNES EN QUÊTE IDENTITÉ

ISLAM, MODERNITÉ, LUTTE DES CLASSES en ALGÉRIE

ÉCHANGES AUTOUR DE LA CRISE du PAGS,

par Sadek Hadjerès, le 12 octobre 2009, article 81

Le 24 septembre dernier (2009), Sadek Hadjerès a adressé à la « Fédération d’Oran du MDS » le document ci-dessous.

Il fait écho (en posant deux questions) à un communiqué de la même Fédération, qui lui avait été adressé le 2 août précédent, pour le quatrième anniversaire de la disparition de son leader Hachemi Cherif.

L’avis de Sadek Hadjerès aborde des questions de fond qui préoccupent les milieux progressistes soucieux d’œuvrer à une relance sérieuse des processus démocratiques et sociaux dans une Algérie sinistrée par les méfaits conjugués des hégémonismes locaux et du néolibéralisme international.

Au centre des échanges, un thème majeur selon l’auteur: la culture du débat sérieux et démocratique, sera-t-elle réhabilitée pour tirer des enseignements essentiels à l’échelle nationale et mondiale ?

Et un fil conducteur: l’unité d’action autour des problèmes concrets posés par le vécu social, politique et culturel de l’Algérie profonde, par-delà la diversité des horizons idéologiques progressistes.


Aux amis de la Fédération MDS d’Oran, pour les documents que vous m’avez adressés cet été. […]

1. Je vous remercie tout d’abord d’avoir annoncé le site www.socialgerie.net…

2. Concernant les conférences débats pour lesquelles vous sollicitez des participations…je crois surtout que de petits comptes-rendus des exposés et débats … pourraient inciter davantage aux participations, à partir des points nodaux qui auraient émergé des débats précédents…

3. […] Votre document du 2 août dernier – 4ème anniversaire de la disparition d’El Hachemi Chérif – m’a inspiré deux sortes de réflexions et, par voie de conséquence, deux questions que je vous adresse, en souhaitant des éclaircissements.

Auparavant, je voudrais que vous compreniez la signification et le ton direct de mon intervention auprès de vous…

Croyez bien que mon intention n’est pas d’attiser de stériles joutes polémiques. Il s’agit pour moi, en espérant que vous partagez ce souci, de contribuer à ouvrir un peu plus l’effort de construction des alternatives par tous ceux dont l’engagement politique ou intellectuel est sincère.

J’ai en vue des évaluations de fond à deux niveaux complémentaires.

L’un est celui des partisans d’une «utopie» socialiste qui ne soit pas un rêve creux mais l’horizon mobilisateur des luttes concrètes immédiates.

L’autre concerne tous ceux qui sans viser forcément un tel horizon, cherchent de tout cœur à assurer dans des délais plus proches à notre pays une sortie du cauchemar, une convalescence plus favorables à des solutions de transition acceptables pour la majorité de la nation.


Donner la prééminence aux problèmes de fond


La première de mes réactions à la lecture de votre document a été une surprise, plutôt agréable, un sentiment de satisfaction pour l’esprit démocratique et d’engagement militant qui m’a semblé s’en dégager. Pourquoi ? Le texte m’a paru se démarquer d’autres documents émanant en avalanche de différents groupes revendiquant chacun pour lui-même et de façon très polémique (le mot est trop faible) le monopole de la représentativité au sein du MDS et l’héritage de son leader.

Habituellement, le premier coup d’œil ne m’incite pas à aller plus loin dans la lecture. Les premières phrases m’amènent au même constat. La plupart de ces textes n’arrivent pas à se dégager d’un piège originel. Ils s’y enfoncent et tournent en rond dans les préoccupations étroites de pouvoir. Étroites à mes yeux, c’est à dire centrées sur quelle personne ou quelle équipe devrait être l’héritier le plus légitime de ce qui reste des groupes revendiquant une étiquette «moderniste», issus des morcellements et fractures successives survenues ou provoquées dans le grand corps du PAGS à partir du début des années 90.

Non pas que les enjeux de pouvoir ne seraient pas une partie constituante et naturelle de la vie politique et de ses luttes. Pour les forces progressistes, ces enjeux sont à prendre en considération à leur juste poids, dans la mesure où ils sont bien articulés aux problèmes de fond. C’est-à-dire, s’ils sont subordonnés et au service des intérêts nationaux et de classe légitimes, sous-jacents aux contradictions de la scène politique.

Le désastre (pour les courants progressistes) survient lorsque, sur la scène politique comme au sein des partis, ces problèmes de fond sont enfermés, stérilisés et dévoyés par les querelles opaques de prééminences. Les conflits de prérogatives personnelles ou de groupes d’intérêt l’emportent alors. Tout se passe comme si ce qui était en jeu était la «carrière» politique d’un homme ou d’une équipe et non pas le sort, les aspirations concrètes et le vécu de la société. Comme si le besoin fondamental de la nation était encore celui des temps révolus (déjà abusifs en leur époque) des Zaïms, des chefs de guerre ou têtes de file de factions tribales, régionales, identitaires et même partisanes. À quoi s’ajoute évidemment, pour compliquer et aggraver les choses, le fait que ces affrontements sont instrumentés par des forces et des intérêts extérieurs aux courants qui s’affrontent dans ces querelles.

Ces pratiques, et l’état d’esprit qui les sous-tend, expliquent dans une grande mesure les déceptions, la grande désaffection envers la sphère politique, devenue massivement politicienne. Cette désaffection a atteint y compris les mouvements et formations à vocation démocratique proclamée.

Je ne vous apprends rien en soulignant que notre peuple en est excédé, il n’en éprouve aucun besoin malgré les tentatives faites pour l’y embarquer. Dans plusieurs de ses composantes, il aspire de plus en plus à être non pas l’objet de projets conçus «pour son bien» et par-dessus sa tête, mais à faire entendre sa voix, se reconnaître dans les acteurs politiques, être le sujet de sa propre Histoire.

Il a besoin de projets socialement et politiquement libérateurs, intériorisés et crédibilisés par son expérience acquise. Des projets qu’il ressent comme les siens, au service desquels s’engagent en actes et indépendamment des jeux politiciens, des centaines de cadres connus à ce jour et surtout encore inconnus, en lesquels se retrouvent, dans le feu de l’action et sur la durée, les travailleurs, les jeunes, les intellectuels, les hommes et femmes venus d’horizons culturels divers, arabo-islamique, amazigh et universaliste.

Seul un processus de ce genre peut fonder une vraie politique de cadres, et non les combinaisons et compétitions d’états-majors pour se partager, «ici et maintenant», ce qui fut lui-même l’accumulation d’un long processus historique. Un parti, s’il est représentatif de courants et aspirations sociales authentiques, ne naît pas déjà avec les moustaches en bataille comme les bébés éprouvettes des laboratoires et officines bien connues. L’émergence de militants et de cadres est l’émanation de longues et profondes maturations sur les terrains social et culturel et non le résultat de décisions et d’agencements par le haut qui ignoreraient ce processus.

L’histoire du PCA et du PAGS l’a bien confirmé, dans leurs avancées comme dans leurs reculs.

Partant des intérêts de l’ensemble des forces de progrès, je me suis réjoui évidemment que votre texte du 2 août dernier, dans le cadre limité des polémiques internes au MDS, m’ait paru exprimer le besoin de distanciation envers ces pratiques étroites, avec le souci de mettre davantage l’accent sur les problèmes de fond. Je ne suis pas surpris que ce souci ait suscité des réactions qui l’ont vilipendé et assimilé à de vulgaires manœuvres d’appareils, ce qui en dit long sur l’enracinement de ce genre d’optique.

Cela dit, quand on donne la prééminence aux questions de fond, celles de la société algérienne et de la scène mondiale, les exigences deviennent plus grandes dans l’approche des problèmes d’orientation. Pour être fécondes, ces approches ont à se prémunir des aprioris, des approximations et des préjugés. D’où le besoin requis d’un effort plus grand à s’en tenir aux faits avérés , à ne pas leur substituer les abstractions, les généralités, les rumeurs, les procès d’intention et les jugements de valeur. Sans quoi, les efforts vers des approches de fond sont facilement entachés et biaisés, même involontairement, par les effets pervers des appartenances partisanes ou des divergences autour des problèmes de conjoncture politique.


Clarification sur deux questions:

Cette préoccupation, que j’espère partagée, explique ma deuxième réaction, de surprise aussi, mais moins positive, quant à certains contenus de votre document. Elle nécessite au moins clarifications dans la sérénité. Je l’exprime en deux interrogations, deux questions que je vous pose sur ces contenus.

Il va sans dire, mais c’est mieux de le préciser, que mes points de vue sur le fond, comme citoyen et militant, m’interdisent tout esprit d’ingérence. Depuis le 1er novembre 90, avant le Congrès du PAGS, ma décision irrévocable de sauvegarder mon autonomie de pensée, au service d’un idéal toujours vivace, n’a besoin d’aucune implication organique partisane. J’ajoute aussi que ma démarche fait effort pour s’interdire les réactions de caractère subjectif, y compris lorsque ma démarche se fait critique envers certaines positions défendues à l’époque par feu Hachemi Cherif. Nos relations personnelles sont restées correctes y compris après 1990 et lors de sa maladie. J’aurais à ce propos souhaité que vous me précisiez si mon message lors de son décès, où j’exprimais mes sentiments envers le camarade « Mustapha » de nos années clandestines, a été diffusé. Je n’en ai pas eu d’écho. Je tiens à souligner que nos divergences politiques ne sont pas des «querelles de chefs» mais des problèmes qui dépassent de loin nos personnes, leur solution ne dépend pas de l’état des relations entre individus.


Ma première question est la suivante. Vous écrivez que des pressions de «camarades haut placés» (ndlr : dans ce contexte, la phrase ne pouvait concerner que le premier Secrétaire) s’étaient exercées pour convaincre que « »le PAGS pouvait enseigner l’économie au FIS qui, lui, lui apprendrait la religion »…

Quand, où, dans quelles circonstances, cette phrase ou cette orientation, ont-elles été écrites ou prononcées, alors que vous les mettez entre guillemets comme gage d’authenticité ? Je regrette qu’en cette occurrence, vous n’ayez été plus prudents quant à la véracité des énormités ainsi colportées.

Je sais que bien des montages grossiers ont été utilisés à une époque où, pour des cercles parfaitement identifiés, il s’agissait – et là je n’invente pas les expressions – de «brûler» le premier Secrétaire (na’hargouh), de le «détruire» (n’kassrouh), pour faire passer leur plan précis. Il leur fallait empêcher le premier Secrétaire (et par là aussi tous ceux qui partageaient ses points de vue ou étaient prêts à les écouter dans de larges débats) de faire connaître et mettre en discussion sa stratégie de mobilisation autonome du PAGS et des courants progressistes. Ces analyses visaient à mettre en échec quand il en était encore temps, la subversion antidémocratique et violente des ailes intégristes et paramilitaires de la direction et des cadres du FIS. La subversion s’était nourrie à des sources et des causes profondes, algériennes et étrangères, il fallait les analyser soigneusement en faisant participer largement à cet effort, sans pressions ni subterfuges, tous les niveaux et forces militantes de terrain.

À défaut de faire connaître et discuter par les cadres et la base militante mon point de vue et les documents qui l’exprimaient, on a bloqué systématiquement et de diverses façons, par les canaux d’appareils ou de façon informelle, la diffusion de ces opinions. On a freiné et brisé pour cela la mise en place du fonctionnement démocratique des instances du PAGS qui faisait ses premiers pas dans la légalité. On leur a substitué, dans un climat de passion volontairement exacerbé, des rumeurs malveillantes multiples, diversifiées et absolument sans fondement.

Celle que vous citez, par rapport aux autres, vaut son «pesant d’or», pour reprendre une formule affectionnée par l’acteur principal du stratagème. Non seulement le ragot contredit ou déforme grossièrement toutes mes déclarations publiques ou privées en matière de religion, mais il brille en soi par sa débilité, que je qualifierai, en pesant l’expression, de double ânerie. Dans tous les cas, deux criantes invraisemblances :

  • Première invraisemblance: quel communiste aurait l’ingénuité de penser que des fondamentalistes anticommunistes, dont nombre d’entre eux sont des analphabètes en matière d’exégèse et de théologie, pourraient donner des leçons de religion à nos remarquables connaisseurs communistes de l’islam, tels que ceux qui ont animé les journées d’étude de février 1990 pour la tenue desquelles j’avais beaucoup insisté ? Ou encore ceux qui ont largement inspiré l’approche marxiste de la religion que j’ai opposée avec un réel impact aux contradicteurs islamistes lors de ma prestation télévisée du 6 mars 1990 ?

    Par ailleurs, quelle serait l’insondable ingénuité de communistes qui croiraient à l’efficacité de «leçons d’économie» données à des dirigeants ou activistes islamistes dont le credo hautement déclaré sous couvert religieux était et reste celui du libéralisme dans ses formes les plus débridées comme dans ses formes plus camouflées ?
  • Deuxième invraisemblance: le chef d’œuvre d’ineptie attribuée aux autres, telle qu’exprimée dans la phrase entre guillemets, ne pouvait surgir que d’esprits formatés au mode de pensée bureaucratique, manœuvrier et manipulateur en matière de travail idéologique. Une mentalité qui voudrait tout faire passer «par le haut», par-dessus la tête des sociétés, une mentalité d’appareils, étrangère à la conception marxiste que je partage, quant à la façon dont se forment les opinions et les courants de pensée, fruits d’interactions multiples sur la durée, en fonction des luttes et des expériences qui jalonnent le travail des sociétés sur elles-mêmes.

    Quel triste communiste j’aurais été si, après 50 ans d’une expérience sociale et idéologique substantielle aux Scouts Musulmans et aux medersas libres, au PPA, à l’AEMAN, au PCA et au PAGS, j’avais réduit ce processus complexe d’évolutions sociopolitiques qui m’était devenu familier, à de vulgaires calculs, tractations et négociations, du genre donnant-donnant, entre notre parti et des formations islamistes ouvertement hostiles, hors du tourbillon vivant des luttes et des bouillonnements sociaux et culturels à la base, générateurs des prises de conscience chez les travailleurs, les intellectuels et les couches exploitées! Mon opinion avait de sérieux répondants à la base et parmi les intellectuels du parti, mais on a tout simplement fait avorter un débat qui s’annonçait prometteur, y compris à travers les contradictions. Je garde un souvenir ému de tous ceux aujourd’hui disparus (je ne cite pas ceux qui sont toujours parmi nous) qui partageaient ce point de vue basique quant à la formation et l’évolution des représentations dans les sociétés islamiques, comme M’hammed Djellid et Abdelkader Alloula, le regretté Rabah Guenzet avec qui j’avais de longues discussions hebdomadaires, ou encore Sadek Aïssat qui a exprimé à plusieurs reprises par écrit son point de vue.

Pour tout dire, j’aurais été plongé dans le plus grand étonnement en constatant l’impact d’une ineptie ainsi colportée sans aucun esprit critique, s’il n’y avait à cela une explication à son origine : les manipulations familières aux auteurs de coups tordus, à l’échelle géopolitique planétaire ou à des échelles socio-politiques plus réduites.

Que de couleuvres, je dirai des boas, on a fait avaler pas seulement à des peuples entiers mal informés et vulnérables aux thèses simplistes, mais aussi à des esprits sérieux, n’ayant pas eux mêmes à priori de raisons de s’associer à des entreprises d’intox.

Des dizaines de milliers de patriotes sincères ont cru des années entières à la fable sinistre de «Abbane tombé au champ d’honneur», diffusée par El Moudjahid, organe officiel du FLN du temps de guerre. Aucun texte officiel n’a jusqu’à ce jour rétabli la vérité sur son assassinat. Dans le monde, des millions parmi les partisans sincères de la paix ont cru durant des décennies à la «trahison» des époux Rosenberg, envoyés à la chaise électrique par le système Mac Carthyste aux USA pour soi-disant espionnage atomique envers l’URSS, mensonge énorme qui a été reconnu seulement ces dernières années par ses auteurs. Des dizaines de millions dans le monde et même dans les pays arabes ont d’abord mordu à la thèse des armes de destruction massive aux mains de Saddam et de sa «quatrième armée du monde». Ce n’est pas pour rien aujourd’hui que même aux USA grandit la revendication d’une commission d’enquête sérieuse sur l’effondrement des «Tours jumelles» de New York et autres événements super-médiatisés du 11 septembre 2001, dont on connaît les suites jusqu’à nos jours.

L’Histoire du mouvement national et social de libération algérien, n’est-elle pas elle même en attente et en grand besoin d’une ou plusieurs commissions d’investigations historiques impartiales, travaillant sur le mode scientifique ?

Le procédé mis en œuvre au sein du PAGS en 1990 n’avait rien d’original. Il est conforme aux mécanismes bien décrits de la «stratégie du choc», stratégie par nature bassement provocatrice et policière, qualifiée pompeusement de complot «scientifique» par des sous-fifres vantards. Partout, ses inspirateurs occultes exploitent les moments de désarroi massif des populations ou de milieux plus restreints politisés. Ce sont des moments où les manipulateurs escomptent que plus les mystifications sont grossières, plus elles ont des chances de passer parce qu’elles comblent les vides, la paralysie temporaire des esprits et leurs difficultés à accéder à une compréhension rapide et profonde de ce qui se passe.

Sans cette anesthésie temporaire, touchant à la tétanisation d’esprits habituellement plus avisés, sans leur sentiment d’impuissance devant l’énormité et la brusquerie de l’événement (favorisée aussi par une insuffisance de préparation politique et idéologique), comment expliquer que des personnes douées de raison et en majorité désintéressées, aient pu dans la conjoncture du tournant national et international de 1990, propice aux déstabilisations, croire à une conception aussi caricaturale de la politique marxiste dans le domaine religieux ? Et l’attribuer par-dessus le marché à quelqu’un qui toute sa vie en a connu les écueils et la complexité ?

Le parti avait acquis durant des décennies une longue expérience des pressions idéologiques et physiques hostiles et acharnées de la part des colonialistes, des hégémonismes nationalistes et islamistes. Il avait accumulé et à sa disposition un arsenal vérifié d’orientations à la fois offensives et imprégnées du substrat culturel national. Dans la période la plus récente du retour à la légalité en 1989 et pendant la montée en flèche de la contestation islamiste favorisée par des calculs de certains milieux du pouvoir, ces orientations, qui restaient encore plus appropriées à la situation nouvelle, avaient l’approbation explicite de l’exécutif et particulièrement d’El Hachemi.

Il faut dire que cette période fut celle de riches échanges, une atmosphère de liberté et d’ouverture d’esprit qui était à l’unisson des espoirs algériens d’après Octobre 88. Cela n’a pas réjoui certains milieux dans le parti et hors du parti, que leur formation manigancière ou des intérêts inavoués portaient plutôt à forcer et dicter des prises de positions, plutôt qu’à encourager l’expression des opinions en vue de faire mûrir des décisions collectives.

Les falsifications systématiques de mes points de vue ont commencé à partir de ce fameux «gap» (écart) de juin 1990, lorsque d’aucuns, sous pression d’une stratégie concoctée hors du parti par une fraction du pouvoir d’Etat, ont brusquement exigé, en s’entourant d’une mise en scène suspecte (voir mon entretien avec Arezki Metref au Soir d’Algérie de 2007), que le PAGS revendique l’annulation immédiate des élections municipales auxquelles ces mêmes milieux avaient appelé jusque là avec une ferveur insolite.

Il m’était clair que les inspirateurs de la manœuvre voulaient faire du PAGS le cobaye, le ballon d’essai d’une épreuve qu’ils n’osaient pas engager eux-mêmes et qu’ils ont du reste abandonnée rapidement sous cette forme, non sans avoir provoqué les premiers remous qui ont fragilisé les rangs du PAGS. Dès ce moment, les promoteurs de la manœuvre n’ont pas pardonné au premier Secrétaire, pas seulement de l’avoir fait échouer en ne la cautionnant pas, mais surtout d’avoir appelé à sauvegarder l’unité d’action par le débat, par l’écoute des instances régionales et de base qui avaient vivement réagi. L’un d’entre eux a même théorisé l’idée que l’exacerbation des conflits internes (qu’ils faisaient tout pour envenimer) était au niveau du parti la meilleure façon de le renforcer et l’assainir et au niveau du pays le meilleur moyen de le sauver.

Leur première manœuvre ayant échoué, les futurs protagonistes du FAM sont passés presque aussitôt à la vitesse supérieure, pour excommunier en paroles et en actes toute action sociale, politique et idéologique autonomes, qualifiées avec hargne de «diversion» à la lutte anti-intégriste. À les croire, cette dernière devait se résumer exclusivement à l’appui sans réserve aux orientations administratives et sécuritaires des appareils dominants du pouvoir, dont on avait connu tout au long de notre histoire le caractère manœuvrier et sans scrupule !

Les promoteurs de cette reculade de fond aux allures faussement offensives et ceux qui de bonne foi s’y sont laissé prendre parmi les «modernistes» comme parmi les «archaïsants», étaient loin comme on le voit, de la «double rupture» prônée des années plus tard, quand les victimes de cette voie aventureuse et piégée sont devenus «jetables», isolés de toutes parts. Ils avaient en effet coupé le parti de sa large base sociale et laborieuse, réelle ou potentielle, la plus fiable. Elle avait été abandonnée en un moment crucial à la démagogie populiste des courants islamistes antidémocratiques. Dans le même temps, cette erreur stratégique était doublée d’une insigne maladresse envers les sentiments profonds de la société. Aux yeux du plus grand nombre, le PAGS en ces graves moments, a prêté le flanc à l’image décevante et imméritée de «supplétif» du pouvoir et d’ennemi de la foi islamique.

Résumons :

1. Des divergences sur l’appréciation de la conjoncture pouvaient à l’époque expliquer en partie et sans en aucune façon les excuser, des méthodes injustifiables visant à disqualifier un camarade, qu’il soit dirigeant ou pas, mais surtout à briser sans scrupule et par myopie hégémoniste, un instrument de luttes unitaires forgé au prix de décennies de sacrifices et d’héroïsmes individuels et collectifs.

2. Ces mêmes arguments et procédés sont-ils de mise encore aujourd’hui, quand on veut alimenter un vrai débat sur les rôles convergents et de mobilisation qui incombent aux forces de progrès dans la conjoncture actuelle ?


J’en arrive ainsi à ma deuxième question.

Elle touche aux bilans que les forces de progrès devraient établir ensemble ou séparément,

plutôt que de s’enliser dans les diatribes que vous déplorez et qui affectent en particulier les espaces internes du MDS.

Dans ce qui suit, je ne développerai pas ce thème autant que ce serait souhaitable. Je voudrais surtout signaler l’importance de quelques points nodaux, à propos de l’inventaire politico-idéologique que vous abordez de façon allusive, mais qui mérite de devenir plus concret.

Vous indiquez, en vous adressant symboliquement à feu Hachemi Cherif :

«….dans les « souterrains de la liberté » du Parti de l’Avant-garde Socialiste défenseur des opprimés dans le processus d’alors d’édification nationale et que tu as grandement contribué à en préserver l’essentiel après sa légalisation, en te battant pour en adapter la ligne aux réalités nouvelles (souligné par moi) résultant surtout de la chute du Mur de Berlin et de la déferlante intégriste que subissait (et ne s’en remet pas encore) notre pays; et ce, au prix d’un effort théorique inlassable pour comprendre la réalité concrète et d’une action …»

Il serait temps en effet de faire avancer la question normale et controversée que je vous pose:

quel est, de façon très concrète, cet ESSENTIEL qui aurait été préservé à travers le PAGS de 1991 (après-Congrès) puis le Tahaddi-MDS. Et quelles sont les adaptations de cet ESSENTIEL qui se sont avérées (ou non) justifiées par les réalités nouvelles ?

Nouvelles, ces réalités ?

Selon moi, si on veut être plus précis, qu’est ce qui a changé ? C’est le contexte événementiel et le rapport des forces qui avaient changé en 1990 pour un temps encore indéterminé, de façon surprenante, dramatique et spectaculaire. Ce qui n’avait pas changé, c’était la réalité du « Système-Monde » et la nature fondamentale de l’affrontement à l’échelle planétaire.

De ce point de vue, pas de changement quand on considère les événements DANS LEUR ESSENCE, quelles que soient les formes tragiques et les reculs qu’ont imprimés à ce grave tournant les forces impérialistes et réactionnaires. Il ne s’agit pas de sous-estimer l’importance de cette évolution pour les générations qui la vivent douloureusement depuis vingt ans. Mais il faut en apprécier la portée à l’échelle historique, celle des décennies en cours et du mouvement global qui continue de se dessiner, à la lumière crue du nouvel épisode de la crise capitaliste mondiale. La réalité de cette trame historique des temps longs ne peut être masquée ni par les défaillances et limites survenues dans les premières mises en œuvre d’alternatives socialistes, ni par les situations calamiteuses engendrées dans le «Tiers Monde» avec les échecs et dérives bien connues des mouvements nationalistes de libération.

Fondamentalement, le système capitaliste, impérialiste, (et ses sous-produits et alliés directs ou indirects) n’ont évolué que dans leur degré de virulence, leurs capacités de se survivre et mettre à jour leurs méthodes par la violence armée, la rapacité accrue de leurs leviers économico-financiers et les machinations de leurs services en vue de diviser et dévoyer les résistances. Fondamentalement, ils n’ont pas changé dans leur nature , ils l’ont confirmée pleinement. L’actualité fait redécouvrir à bien des milieux jadis fermés ou sceptiques, la pertinence se vérifiant encore aujourd’hui, des analyses de Marx, la nécessité non de les jeter aux oubliettes mais d’œuvrer dans l’action et la pensée à leur développement créatif.

Au plan fondamental, la question qui fut posée par la «chute du mur de Berlin» et la flambée des intégrismes est la suivante : ces évènements nous appellent-ils à de nouvelles formes de résistance et de rejet du système capitaliste, encore plus claires, plus fermes et cohérentes, ou bien nous appellent-ils à nous «couler» en ce système, aux deux sens du terme «couler» ?

Ceux qui chez nous ont cherché et continuent le plus ouvertement à s’y couler, sont des pôles politiques et de pouvoir qui se prétendent opposés dans la compétition pour le pouvoir d’État, tout en recherchant et réalisant des compromis entre eux. Les uns et les autres n’ont, comme horizon et feuille de route, que de faire plier les Algériens sous le joug de leurs variantes respectives de capitalisme. Pour nous rallier à leurs propres versions du capitalisme, les uns voudraient, idéologiquement parlant, que nous chaussions leurs bottes et les autres que nous nous coiffions de leurs turbans.

Cela voudrait-il dire que, tant que le système capitaliste continue à dominer à l’échelle mondiale, avec ses ramifications et ses sources de superprofits dans le monde arabe et en Algérie, nous pourrions rester indifférents au poids et aux agissements respectifs des courants hégémonistes, présents dans le pouvoir d’État ou qui aspirent à s’en emparer ?

Non bien sûr. Mais pour les travailleurs, les couches populaires, les syndicats, les forces qui aspirent aux libertés et à l’égalité, bien au-delà des seuls communistes ou socialistes, il y a une AUTRE VOIE que le choix de la sauce à laquelle ils continueront à être mangés, exploités, opprimés, selon que pèse davantage l’un ou l’autre des groupes dominants dans notre pays et dans le monde.

Il s’agit d’un choix et d’une voie AUTONOMES, portant à la fois sur l’avenir et le présent. Ainsi les communistes, dont la perspective reste l’instauration d’un vrai système socialiste, préconisent dans l’immédiat de défendre pied à pied et dans l’union la plus large les libertés et les droits sociaux contre la malfaisance exacerbée du capitalisme sous-développé et dépendant de notre pays. Dans le même temps, les luttes engagées dans ce court terme sont de nature à aiguiller et forger la conscience sociale et politique vers l’avènement d’un système socialiste fondamentalement plus équitable.

Cela demande évidemment de la part des courants les plus conscients de cette exigence double du présent et de l’avenir, une forte et lucide conviction en faveur de la voie autonome. Une conviction capable de déjouer autant les obstacles répressifs que les pièges de la séduction et des divisions. La voie autonome est moins aisée que celle du défaitisme et des compromissions, empruntée par nombre de représentants de la social-démocratie internationale ou des nationalismes dévalués et refroidis. Ces derniers, à la traîne des faux-prophètes à la Fukuyama, ont voulu faire voir dans la «chute du mur de Berlin» non pas des leçons à tirer, mais une preuve de la vanité de toute perspective socialiste radicale, selon eux devenue brusquement archaïque et dépassée. Quant aux besoins pressants et incontournables des populations dans l’actualité, ces représentants sombrent aussi dans la complicité active ou passive envers les exploiteurs dès qu’il s’agit de défendre les intérêts immédiats des couches lésées et sévèrement paupérisées. Ils restent plus empêtrés que jamais dans les combinaisons électoralistes et politiciennes, naviguant en permanence entre la carotte et le bâton.

Sur le fond, la position novatrice autonome, dans la nouvelle situation, ne réside-t-elle pas justement et plus encore qu’auparavant, dans l’approche de classe, comme option fondamentale renforcée, enrichie et toujours mieux adaptée aux formes et rapports de force en pleine évolution ?

Face au surcroît d’agressivité capitaliste et ultra-réactionnaire, cette option de classe ne reste-t-elle pas le guide le plus sûr pour les luttes de libération nationale, sociale, culturelle ? Ne permet-elle pas de voir plus clair au delà du rideau de fumée des mystifications médiatiques mondiales, des diabolisations et conflits identitaires et culturels régionaux et locaux ? L’approche de classe contribue à forger chez les travailleurs et les exploités leur «identité sociale» restée encore insuffisante à travers les luttes passées et présentes du mouvement social et politique algérien. Elle tend à faire des travailleurs des sujets de l’Histoire capables de contribuer à démystifier les représentations métaphysiques qui cherchent à leur faire croire qu’ils sont victimes d’autres groupes identitaires et non des logiques diversifiées d’exploitation et d’oppression du système capitaliste.

La conscience de cette «identité sociale» a été sabordée au lieu d’être réaffirmée au moment où militants et travailleurs étaient médusés par l’exacerbation brutale des «identités» ethno-linguistiques et religieuses et où beaucoup d’entre eux s’interrogeaient avec une certaine angoisse : «Ils ont tous leur identité, et nous, où est la nôtre ?» On les sommait de toutes parts et malheureusement aussi en leur propre sein, de mettre sous le boisseau la seule identité tangible qui, vrai dénominateur commun, était consciemment ou non, sous-jacente aux imaginaires et aux références linguistiques et religieuses qui parcouraient la nation. La communauté d’intérêts de classe était et reste le meilleur angle d’approche capable de rendre les nationaux moins vulnérables et plus forts contre les entreprises de division. Certes, cela ne coule pas de source et nécessite des efforts pour faire progresser cette vérité, tout comme il n’avait pas été facile de sauvegarder l’autonomie politique du parti pendant la guerre de libération.

Mais l’approche de classe est-elle en soi une panacée, une arme miraculeuse qu’il suffirait à ceux qui s’en réclament de la mettre en slogans et de lui appliquer un mode d’emploi préétabli pour toutes les situations ?

Je suis de ceux qui estiment, à la lumière des luttes et des expériences diversifiées, qu’elle n’est féconde que lorsqu’elle est assumée de façon créatrice, sans dogmatisme ni laxisme, dans les modalités propres à chaque pays et situation. Un énorme travail théorique et idéologique reste à faire chez nous comme dans l’ensemble du monde arabe, en symbiose avec les luttes. Il exige de faire reculer les simplismes et les clichés paresseux, la répétition mécanique de schémas passe-partout, ainsi que les prétendues novations qui croient faire oeuvre utile en niant ce qui a été confirmé par l’expérience universelle.

L’approche de classe exige entre autres, de mettre à jour et d’éclairer les caractéristiques et les sensibilités psycho-culturelles de chaque peuple, de chacune de ses couches sociales, pour mieux les aiguiller vers leurs meilleures potentialités, vers l’union et la mobilisation dans une voie féconde, au lieu de faire le jeu des exploiteurs. L’exemple récent de l’évolution bolivienne montre quelles avancées puissantes deviennent possibles lorsque se réalise la jonction d’une approche de classe et d’une revendication identitaire, toutes deux légitimes mais vouées séparément jusque là à l’échec.

Dans tous les cas, la correction d’erreurs commises dans l’approche de classe, qu’elles soient d’ordre tactique, stratégique ou de sensibilité culturelle, ne peut justifier l’abandon d’un instrument aussi fondamental. Dans tous les cas, cette approche requiert une jalouse et double attention, visant d’une part à dissiper les ambiguïtés qui tendent à la brouiller ou l’enterrer et, d’autre part, à préserver et non briser les unités d’action qu’exigent les intérêts de classe légitimes des larges courants objectivement anti-impérialistes.

Autrement dit, il est nécessaire de favoriser une large convergence des masses laborieuses, exploitées, opprimées et marginalisées, avec la partie des couches moyennes, des «cadres-et-compétents» et autres couches «managériales» moins défavorisées par le capitalisme mais soucieuses de l’intérêt et du mieux-vivre en commun national. Les pouvoirs redoublent d’efforts pour neutraliser ces dernières, les convaincre de la fatalité historique du capitalisme et de ses méthodes, pour les domestiquer, les couper des couches populaires ou les tourner contre ces couches. Lutter pour réaliser ces convergences n’est donc pas de tout repos, et surtout n’implique pas de renoncer à l’approche de classe. Il y a nécessité au contraire de l’aborder avec autant de responsabilité et créativité que de fermeté.

À ce propos, puisque vous évoquez une adaptation de ligne aux situations surgies de la «chute du mur de Berlin», je ne vous cache pas qu’une lourde ambiguïté, pour le moins, pèse toujours sur l’appréciation donnée publiquement à cette époque par Hachemi Cherif. Selon lui, le PAGS n’aurait rien eu à voir avec le mouvement communiste. Cela avait été accueilli comme une énormité, pas seulement chez les communistes «canal historique» (pour emprunter l’expression de Sid Ahmed Ghozali), mais dans toute l’opinion algérienne bien informée.

Ainsi le PAGS, si on s’en tient au dicton populaire (maâza wa law taret, c’est une chèvre même si on l’a vue voler), n’aurait pas été l’oiseau au cœur rouge qui du 19 juin 1965 à octobre 88 a réussi à voler dans la tempête, les vents contraires, les pressions et les persécutions, en revendiquant sans équivoque sa généalogie et ses parentés internationalistes. Il n’aurait été qu’une «maâza» incolore, chevrotant les versets d’un «socialisme» distant ou absent du mouvement communiste international. En fin d’itinéraire, la maâza finit par brouter dans les pâturages du libre marché, en niant toute parenté avec ses ex-congénaires frappés par l’adversité !

Faut-il être grand analyste pour comprendre la signification de cette nouvelle «chahada» (profession de foi), prononcée inopinément à l’été 91 ? Elle fut bien comprise, dans les milieux les plus larges, pour ce qu’elle était réellement : ses auteurs, sous couvert d’une «modernité» qui jugeait archaïques les expériences socialistes mondiales, décidaient de se mettre à la mode du jour. Il leur fallait se laver du péché d’appartenance au grand Satan, à l’heure du «Lâ yadjouz» lancé conjointement par Eltsine et Bush père, eux-mêmes relayés avec satisfaction en Algérie aussi bien par les services présidentiels heureux du ramollissement du PAGS, leur bête noire depuis 25 ans, que par les partisans du libéralisme débridé, présents dans les rangs républicains comme dans les djamaâtes et madjaliss ach-choura islamistes.

L’ambiguïté sera-t-elle levée

à l’heure où se dispute dans la confusion l’héritage symbolique de Hachemi Cherif ? Conviendra-t-on que la «Modernité», présentée comme la substance ou l’axe d’un projet politique, mérite mieux que le flou et les équivoques dont elle est entourée ? Elle est en effet perçue par certains comme un slogan élitiste se démarquant d’un «ghachi» populaire devenu victime de forces obscurantistes, ou encore par d’autres comme l’apologie des techniques et des moeurs d’un Occident «oppresseur-civilisateur».

Dans le meilleur des cas, la Modernité évoque la référence louable à la Raison, la Science et l’esprit des Lumières (dont les civilisations et cultures occidentales n’ont pas forcément le monopole). Pour autant, elle ne renseigne pas par elle-même sur le contenu économique, social, politique et idéologique des programmes qui s’en réclament. Et de ce fait, souvent la fonction de cette référence est de couvrir les équivoques sociales et politiques de programmes tiraillés entre les deux options fondamentales, socialisme ou capitalisme.

Concrètement et dans le contexte historique des deux décennies passées, la notion et le slogan de « Modernité » ont constitué la base idéologique et le programme d’action pour le ralliement, conscient ou inconscient, de courants et forces politiques de progrès à la stratégie ultralibérale, internationale et locale.

Nul ne peut cependant faire aux représentants d’une formation politique le procès d’avoir renoncé à une idéologie ou une vision du monde qui étaient ouvertement celles du PAGS. Le changement de conviction n’est pas forcément et en soi, une tare dans les évolutions qui touchent tel ou tel segment du large mouvement progressiste. L’éventail politique et idéologique d’un front national d’action pour les libertés et la justice sociale, n’est-il pas très large par définition, cette large diversité pouvant même constituer une des sources et des conditions de son efficacité ?

Mais pour qu’il en soit ainsi, le front et chacune de ses composantes gagnent à s’assumer dans la plus grande clarté, l’essentiel restant fondé sur le critère de l’apport aux actions d’intérêt commun autour d’objectifs concrets communs.

Quand nous nous réclamons de la démocratie et de la justice sociale, nous avons tous à clarifier nos engagements respectifs, les dégager des ambiguïtés nourries par les élitismes idéologiques abstraits aussi nocifs que les populismes. Nous avons à renforcer (ou renouer avec) le lien social, investir et s’investir davantage dans les batailles concrètes au long cours autour des revendications les plus légitimes et les plus rassembleuses, sans les subordonner aux enjeux immédiats de pouvoir et même si le bénéfice politique n’en parait pas immédiat.

Nous avons à jeter un regard plus serein sur le passé. Entre autres, relire avec le bénéfice du recul, si on en retrouve un exemplaire poussiéreux, le laborieux «patchwork» de la «Résolution politique et idéologique» de 1990, si peu lue, encore moins comprise et débattue par l’immense majorité des militants d’alors. A l’instar de la nouvelle Charte nationale du FLN passée à la sauvette dans le pays en 1986, elle fut annoncée par ses initiateurs dans le PAGS comme un passage obligé vers la démocratie et le mieux-être, et même une voie salvatrice. Il serait salvateur en effet de constater à quel point, sur l’essentiel, elle fut une Bible reprenant sous une phraséologie bivalente la plupart des dogmes ultra libéraux, ceux dont les vingt dernières années n’ont pas tardé à faire justice chez nous comme dans le reste du monde.

Pour ces diverses raisons, ne pensez-vous pas qu’il serait utile à tous les courants qui se revendiquent de la démocratie et de la justice sociale, de ne pas en rester aux panégyriques ou aux anathèmes ?

Pourquoi par exemple ne pas dresser à la lumière de l’expérience, un tableau comparatif et circonstancié des continuités du mouvement ouvrier et communiste qu’il fallait à tout prix assurer dans la nouvelle conjoncture internationale et nationale, et celui des abandons envisageables, les uns justifiés, d’autres injustifiables?

Dans une meilleure clarté grandiraient ainsi les solidarités de lutte.

En ce sens, je voudrais me répéter : mes deux questions posées ne sont pas destinées à attiser de stériles joutes polémiques. Elles s’inscrivent dans l’espoir de poursuivre l’effort des évaluations de fond constructives, venant de ceux notamment pour qui «l’utopie» socialiste est plus que jamais auparavant l’horizon mobilisateur des luttes concrètes immédiates.

Avec mes cordiales salutations, en souhaitant que vous ne vous mépreniez pas sur l’esprit amical de mon intervention.

Sadek HADJERES.


ISLAMISME, LES HÉRITIERS D’UN CORPUS DOGMATIQUE ET JURIDIQUE…

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blog de Michel Peyret

« avec Marx »

le 07 avril 2015

Pour Ridha Khaled, « les groupes islamistes fondamentalistes sont les héritiers d’un corpus dogmatique et juridique qui, au nom de Dieu, empêche toute remise en cause de l’ordre social. Leur opposition radicale, aux pouvoirs nés après les indépendances, porte plus sur le cadre de référence que sur les soubassements économiques et sociaux. Leur jargon « révolutionnaire » cache un projet social qui n’a que le Passé comme horizon. Le verbe révolutionnaire est la coque d’une idéologie fondamentalement réactionnaire.C’est dans ce cadre, que se révèle la portée de leur défense acharnée de la propriété privée et des inégalités sociales, tenues l’une et l’autre pour naturelles et conformes à la Volonté divine. Alors qu’elles ne sont que le produit de l’évolution sociale des sociétés humaines et qu’elles ne sont ni immuables ni sacrées.»

Pénétrons plus avant ce corpus…

Michel Peyret


ISLAMISME, PRINTEMPS ARABE ET RÉVOLUTION

nawaat.org/

Opinions

Ridha Khaled

le 5 Novembre 2013

Islamisme, Printemps arabe et Révolution

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Image : Ali Garboussi

La dimension sociale de l’Islam est manifeste aussi bien dans ses principes de base que dans ses mesures légales. H.Grimme considère l’Islam comme «une tentative de type socialiste, pour s’opposer à des imperfections terrestres excessives», alors que Bendeli Djawzi voit essentiellement dans le Prophète un réformateur social[[La vie de Mahomet .1892 in Histoire générale du Socialisme 42.]] Quant à Henri Laoust, il analyse ces principes d’éthique économique islamique, parlant de «solidarisme» et de «communautarisme» …C’est bien ainsi que pourrait se définir une philosophie économique d’inspiration musulmane.[[Louis Gardet. Les hommes de l’Islam 159.]]

Dans une étude précédente [Khaled Ridha. [Le Prophète de l’Islam et ses Califes ]], nous avons montré comment la révolution sociale engagée par l’Islam n’est pas arrivée à son terme. Les courants justicialistes et égalitaristes ont été éliminées, au profit d’une conception discriminatoire du pouvoir et de la société.

Le droit musulman, né sous les pouvoirs oligarchiques, a consacré cet état de fait avant que le dogme n’intègre lui aussi cette conception qui fixe, au nom de la Prédestination, le statut social de chaque individu.

Mais cette idéologie qui légitime oppression et exploitation a été, tout au long du Moyen Âge, contestée par les groupes sociaux opprimés : paysans, commerçants et jeunes marginaux. «Tout le Moyen Âge musulman est jalonné de soulèvements paysans qui présentent un caractère égalitaire très marqué. » [[Histoire générale du Socialisme 43.]] Ces mouvements protestataires sont épisodiques et sporadiques. Ils s’expriment en termes religieux, liés au fond religieux particulier. Les utopies de prospérité, d’égalité et d’abondance sont étroitement associées à des images rurales, à un mode de vie très proche d’une économie naturelle de subsistance. Elles expriment la nostalgie d’un état d’harmonie entre l’homme et la nature, entre la foi et le mode d’organisation sociale.[[Idem 48.]]

Elles entretiennent une ambiguïté entre le passé et l’avenir et se situent en dehors du temps avec une conception du monde à laquelle l’idée de progrès est presque toujours étrangère.[[Idem 49.]]

Les groupes islamistes fondamentalistes sont les héritiers d’un corpus dogmatique et juridique qui, au nom de Dieu, empêche toute remise en cause de l’ordre social.

Leur opposition radicale, aux pouvoirs nés après les indépendances, porte plus sur le cadre de référence que sur les soubassements économiques et sociaux. Leur jargon «révolutionnaire» cache un projet social qui n’a que le Passé comme horizon. Le verbe révolutionnaire est la coque d’une idéologie fondamentalement réactionnaire.

C’est dans ce cadre, que se révèle la portée de leur défense acharnée de la propriété privée et des inégalités sociales, tenues l’une et l’autre pour naturelles et conformes à la Volonté divine. Alors qu’elles ne sont que le produit de l’évolution sociale des sociétés humaines et qu’elles ne sont ni immuables ni sacrées.

Pour les islamistes fondamentalistes, la réalité se situe entre un passé mythique et un futur utopique (la ré-instauration du Califat). Dès lors, l’islamisme est tiraillé entre deux options : s’intégrer à l’ordre mondial capitaliste ou refuser de manière radicale la société contemporaine, se compromettre en renonçant à l’utopie de «l’Etat islamique» ou bien rompre avec ce monde et s’accrocher à une utopie réactionnaire.

Les tentatives timides de certains penseurs islamistes de mettre en exergue la justice sociale ou d’associer islam et socialisme, sont demeurées marginales dans la littérature islamiste.

De Sayyid Qutb, elle n’a retenu que sa conception globalisante, pour ne pas dire totalitaire, de l’Islam et son rejet radical de tout ce qui lui est étranger. «Le motif du «retour (aux origines)» ne vise pas à restaurer l’origine que le présent nie, mais à nier le présent.» [[Gabriel Martinez-Gros. Religion et politique, de Mahomet à Ben Laden, L’Histoire n° 281 nov 2003.]]

Cette coupure radicale donne à ses adeptes l’impression d’être les plus purs et les plus engagés dans la défense de l’Idéal islamique, qui culmine dans l’instauration d’un État qui appliquerait intégralement la loi religieuse.

Les misères, les inégalités de Classe et les disparités régionales sont sacrifiées au profit d’un rêve, sensé faire retrouver aux musulmans leur grandeur perdue. Outre son caractère fumeux, ce rêve ignore l’histoire réelle, les conflits meurtriers, les divergences doctrinales, les contradictions sociales… Bref les hommes tels qu’ils ont été, tels qu’ils sont et tels qu’ils le seront. Il se maintient et se propage parce qu’il allie nationalisme et foi religieuse.

Il se développe dans et par le cloisonnement. Il évoque par son hostilité au reste de l’humanité le réflexe tribal qui sépare les proches des étrangers.

Son pendant en Occident est le populisme raciste de l’extrême droite.

Les auteurs islamistes reprennent les thèses de l’idéologie religieuse dominante et ne mentionnent que rarement ou ignorent les thèses contestataires, classées par l’orthodoxie dominante comme étant des hérésies théologiques et sociales.

La poussée islamiste ne répond pas uniquement à un ressentiment à l’égard de l’Occident dominant, mais également à une quête d’un Idéal qui réconcilie les affirmations identitaires avec des attentes et des aspirations sociales, une recherche d’une adéquation entre les valeurs véhiculées par le substrat culturel et les normes du monde moderne.

C’est une forme de contestation de la domination culturelle, politique et économique de l’Occident. Elle est à la fois l’exigence d’un enracinement religieux et d’une rupture avec la situation de dépendance et de soumission à l’égard des dominants.

« L’islamisme fondamentaliste ne propose que peu d’innovations théologiques porteuses de changements. L’islam est réinterprété en fonction des autres idéologies. Avant d’être islamiste ou marxiste, on est d’abord nationaliste. C’est l’anti-impérialisme qui constitue une idéologie implicite de tous les courants contestataires, témoin de la persistance de la question nationale et sa non-résolution.» [Nicolas Dot Pouillard. Rapports entre mouvements islamistes, nationalistes et de gauche au Moyen Orient.]] Le flirt, entre la mouvance alter-mondialiste et les acteurs se référant à l’islam, tient plus de la lutte anti-impérialiste que de la lutte de Classes.[[[www.religion.info Husam Tammam, Patrick Haenni Les Frères musulmans égyptiens face à la question sociale.]]

La révolution iranienne a présenté un moment fort dans l’histoire de l’islamisme.

Révolution populaire contre la tyrannie et le faste du Chah, elle fut vite encadrée par et au profit du Clergé chiite. Récupérant les concepts de «déshérités» et d‘«arrogants», popularisés par Shariati et les Moudjahidine du Peuple, il a réussi à rallier les masses populaires, éliminant tour à tour l’opposition de Gauche et l’opposition libérale. Maître de l’État et de la société, il a instauré une économie dirigiste, un Capitalisme d’Etat profitant à ses membres et aux commerçants alliés du Bazar. En Iran, «les grandes fondations sont gérées comme des holdings sous l’autorité de personnalités nommées par l’autorité politique, mais sur un mode privé, non sans bénéficier des avantages fiscaux et autres. Elles coexistent avec un secteur public qui demeure puissant en dépit des privatisations. Elles prospèrent à l’interface de ce secteur public, du secteur privé, du secteur coopératif- et des Waqf au sens classique du terme. C’est ce que les Iraniens nomment le quatrième secteur»[[www.scienceshumaines.com Jean François Bayart « L’islam républicain, Ankara, Téhéran, Dakar »]]

Les « déshérités » sont devenus des assistés et la liberté et la justice ne sont plus que des termes enjolivant un discours populiste et nationaliste. Au rêve d’une société plus juste, tant défendu par Shariati, s’est substitué un rêve de puissance, d’une nation sous la menace.

L’utopie islamiste paraissait s’essouffler, suite aux campagnes répressives et au désenchantement des adeptes, lorsque survint le Printemps arabe. Durant les décennies qui le précédèrent, l’islamisme militant se transforma en islamisme affairiste. Gagné à la doctrine néo-libérale, alliant management et références religieuses, il s’imbiba de culture américaine.

Œuvre de la jeunesse révoltée, le Printemps arabe a mobilisé les masses populaires autour de mots d’ordre de liberté, de dignité et de justice sociale. Hésitants, les islamistes ne l’ont que tardivement rallié. Mais l’évolution ultérieure leur a permis d’engranger les bénéfices.

Les élections libres leur donnèrent la victoire, consacrant le divorce entre les idéaux de la «Révolution» et ceux qui sont sensés les réaliser.

La gestion brouillonne, des gouvernements dominés par les islamistes, ne fait que confirmer le Paradoxe d’une révolte réclamant plus de justice et de progrès avec des mouvements de nature réformiste, acquis au Credo néo-libéral!

Le désir d’une société plus juste, plus ouverte sur le Monde, plus libre et maîtresse de son devenir ne peut être satisfait par des mouvements dont l’idéologie se réclame d’une lecture du dogme et du droit religieux qui nient et la liberté et la justice. Il ne peut être satisfait par une vision du Monde qui lit l’avenir dans le Passé.

Si le Printemps arabe a réussi à chasser des tyrans du pouvoir, il ne deviendra véritablement une révolution que s’il change de manière radicale les structures sociales et politiques, qui ont permis à ces tyrans de sévir durant des décennies. Il ne pourra atteindre ses objectifs qu’en passant par une révolution culturelle, qui rompt avec un héritage dogmatique et juridique qui consacre la soumission, les inégalités et la discrimination.

C’est en renouant avec l’égalitarisme de ces hommes humbles qui ont permis le triomphe de l’Islam, en valorisant ceux qui se sont soulevés tout au long de l’histoire contre le despotisme et l’exploitation, qu’il s’enracinera dans l’histoire. C’est en popularisant les thèses des Haddad, Shariati, Khaled Mohamed Khaled ; en approfondissant la réflexion menée par les Moudjahidine du Peuple et les «islamistes progressistes» qu’il ouvrira des perspectives.

C’est en s’abreuvant à toutes les sources doctrinales de justice et de progrès, et en se ralliant aux faibles, aux exclus, aux victimes de l’injustice et de l’oppression, qu’il triomphera.

C’est à ce prix que le Printemps fleurira liberté, justice et dignité pour tous.

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L’ETRANGE FATWA D’AL-AZHAR

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par Ali El Hadj Tahar
_Le Soir d’Algérie

le 18 février 2015

Al-Azhar s’est de nouveau opposé à la représentation du Prophète Mohamed (QSSSL) dans le film iranien Mohamed Rassoul Allah, estimant qu’une telle démarche portait atteinte au caractère sacré des prophètes et des messagers.
Dans un communiqué rendu public récemment, Al-Azhar a exprimé son opposition à la représentation du Prophète dans le film iranien Mohammad Rassoul Allah dont la projection a commencé à Téhéran. Al-Azhar a rappelé sa position contre toute représentation des prophètes et des messagers dans des œuvres cinématographies ou artistiques. Ainsi donc, l’institution égyptienne, dont les musulmans attendaient un esprit d’ouverture et de modernité, se distingue par un esprit archaïque qui bannit l’image alors que le Coran n’interdit que les représentations susceptibles d’être adorées comme l’étaient les statues vénérées avant l’avènement de l’islam, dont Al-Lat, Al-Izza et Houbel.

Tout comme le christianisme, l’islam n’est pas iconoclaste (il ne détruit pas ni n’interdit l’image) mais aniconiste (il n’adore pas l’image), comme l’explique le savant Titus Burckhardt dans L’art de l’islam. En ces temps sombres de domination de l’esprit wahhabite qui nuit tant à l’islam, une institution telle qu’Al-Azhar devrait faire preuve de modernité et d’ouverture ; or, son édit s’inscrit dans la somme des discours, livres et fatwas qui font reculer dangereusement l’islam dans la stagnation, voire la régression dont le pendant est l’extrémisme excommunicateur de Daesh et autre Boko Haram. L’ignorance ― par la majorité des théologiens musulmans dont ceux d’Al-Azhar― des sciences et des technologies, comme leur mépris de l’art, de ses fonctions sociales, politiques, éducatives, culturelles, enfoncent les musulmans dans l’arriération, voire dans l’intolérance et les dérives terroristes. Or, ces imams et savants sont supposés disposer de savoirs encyclopédiques incluant toutes les disciplines de leur temps, afin de faire avancer l’islam et de faire entrer notre civilisation dans la contemporanéité — voire dans le millénaire, car elle a plus de 700 ans de retard dans tous les domaines de la connaissance.

Selon la logique d’Al-Azhar, il faudrait donc interdire Er-Rissala (Le Messager), le film du Syrien Mustapha El-Aqqad, un chef d’œuvre cinématographique qui a réussi à faire comprendre la religion musulmane et même à convertir à l’islam de très nombreuses personnes.

Depuis la mort de Mohamed Al-Bouti, assassiné en 2013 par les terroristes à Damas, l’islam sunnite s’avère incapable de porter notre religion de l’avant et de participer à l’épanouissement des musulmans, non pas parce qu’il n’a pas de savants, mais parce que les plus modernes d’entre eux n’ont pas de visibilité, faute de médiatisation. L’avis de l’institution cairote s’inscrit dans une logique d’arrière-garde alors qu’elle est supposée s’inscrire contre le fanatisme et l’esprit rétrograde du wahhabisme que ce même Al-Azhar se dit combattre.

«Les prophètes et les messagers ne doivent être représentés sous quelque forme que ce soit, et ce, quel que soit l’art concerné, afin de préserver leur caractère sacré», a précisé le communiqué d’Al-Azhar. Faut-il déduire que les chrétiens qui représentent le Christ et les saints ne préservent pas le caractère sacré de ceux-ci ? En voulant bien faire, Al-Azhar fait dans la précipitation et dans l’amalgame puisque cet avis vient après la publication d’une autre caricature insultante du Prophète par le journal Charlie Hebdo. Or, contrairement à ce journal raciste ― qui s’inscrit dans une stratégie de stigmatisation de l’islam afin de créer un «clash des civilisations» prôné par Huntington et les politiciens néoconservateurs―, le film iranien vise à faire connaître le message du Prophète, dans une entreprise culturelle et cultuelle qui participe donc du djihad tel que prescrit dans le Coran, djihad qui consiste à éclairer les consciences et participer de l’épanouissement de l’humanité tout entière, pas à museler la conscience et l’imaginaire des musulmans.

Le Prophète lui-même a protégé les images de Jésus et de Marie qui figuraient sur la Qaâba

Al-Azhar ignore-t-il à ce point l’histoire de l’art alors que le Prophète Mohamed et ses compagnons ont été représentés de nombreuses fois dans des miniatures qui figurent dans de nombreux livres anciens ? Illustrés de miniatures qui représentent des personnages historiques et des saints, dont le Prophète Mohamed, plusieurs de ces manuscrits musulmans sont conservés dans des bibliothèques et des musées de pays sunnites et chiites comme la Turquie et l’Iran.

Les professeurs d’Al-Azhar ignorent-ils que l’islam n’interdit pas l’image ou la représentation humaine alors que c’est ce même Al-Azhar qui a statué sur le sort de l’image profane disant, il y a des décennies de cela, qu’elle est tolérée en islam ? Rappelons qu’au sujet du feuilleton Omar (en 2012), Al-Azhar a également émis un édit religieux (fatwa) affirmant que les représentations figuratives des prophètes et de leurs compagnons étaient interdites. En dépit de la fatwa, Omar, cette superproduction historique qui raconte la vie d’Ibn Al-Khattab, a été diffusée dans de nombreux pays dont l’Egypte. Au lieu de bénir un film qui fait connaître l’islam et ses figures, Al-Azhar a voulu le saper. Cependant, cette plus grande production arabe (30 000 acteurs et techniciens de 10 pays) a eu un immense succès. Al-Azhar nous a donc habitués à des édits qui vont à contre-courant de la demande populaire, ce qui leur vaut d’être superbement ignorés, voire qui le discréditent aux yeux des citoyens qui veulent connaître l’histoire de leur religion à travers des médias de leur temps. Al-Azhar ignore-t-il que le cinéma est plus populaire que le livre ? En ces temps de sensibilité religieuse exacerbée et même de religiosité, il devrait même tolérer des bandes dessinées et des dessins animés sur la vie des prophètes et des saints. Ce n’est pas le fait de caricaturer un saint ou un prophète qui est scandaleux, en vérité ― car une caricature peut être saine et respectueuse de leur sainteté ―, mais le contenu des caricatures du Prophète par le journal danois et celle mise en couverture du numéro de l’après-attentat, un contenu éminemment haineux et pernicieux. De plus, comment combattre le wahhabisme si ce n’est avec des moyens de communication modernes ?

Rappelons que l’une des toutes premières peintures musulmanes représentant le Prophète remonte à 1307. Dans cette miniature ― et dans les autres ―, le dessin est naïf, presque caricatural si on ne les regarde sans replacer dans leur contexte d’histoire de l’art. Parmi les ouvrages contenant ce genre d’images, il y a Jami’ al-Tawarih, un livre d’histoire générale écrit par Rashid al-Din Fadl-Allah entre 1306 et 1314. Une copie d’un livre de l’historien Tabari contient aussi des images du Prophète. Un autre livre fut réalisé dans le palais de l’empereur turc Baysungur (donc sunnite) en 1436 : il est écrit en turc et comprend 57 miniatures dont certaines figurent le Prophète Mahomet. Un autre livre, Siyer-i Nebi, que l’auteur Dariri de Erzurum a écrit au XIVe siècle. Une copie de cet ouvrage a été faite par le sultan ottoman sultan Murad lui-même à la fin du XVIe siècle.

C’était l’époque où les sultans faisaient de la calligraphie et de la miniature, pas celui où l’on censure des livres et des films ! Cette période glorieuse de l’art du livre islamique était celle où les chrétiens allaient à Damas, Bagdad, Mossoul, Tabriz, Le Caire, Cordoue ou Grenade pour apprendre les sciences et acheter de précieux ouvrages de médecine, d’histoire, de philosophie ou de mathématiques illustrés de belles miniatures. Ces trésors culturels illustrés par les artistes musulmans sont une fierté pour notre culture et notre civilisation, alors à son apogée. Ils sont précieusement conservés dans les musées de Topkapi à Istanbul, Téhéran, Londres, Berlin, New York. Al-Azhar ignore-t-il leur existence, tout comme les ignorait le ministère algérien des Affaires religieuses lorsqu’il a voulu interdire le livre Soufisme, l’héritage commun, de Khaled Bentounès, cheikh de la zaouïa alawiya, en 2009 ? Que penserait Daesh de la fatwa d’Al-Azhar, lui qui a brûlé des milliers de livres à Mossoul, en Irak, l’été dernier ? L’art de l’islam comprend de nombreuses miniatures qui représentent non seulement le Prophète Mohamed mais certains de ses compagnons ainsi que d’autres prophètes, ainsi qu’Adam et Eve que nous retrouvons encore dans des miniatures vendues dans les souks et qui meublaient les murs de presque toutes les maisons algériennes dans les années 1960 et 1970. Si les musulmans n’ont jamais représenté Allah, leurs artistes ont librement représenté le Prophète Mohamed, dans quelques rares exceptions, à travers ses attributs humains, à l’exception des détails du visage : une célèbre miniature le montre, avec un halo de lumière à la place du visage, assis sur un tapis et entouré de Hassan et de Hussein. Une seconde peinture le représente dans le Mi’râj, le voyage dans les cieux.

Le hadith du Prophète sur l’image était destiné à empêcher l’adoration de l’image du Prophète ou de tout autre saint, mais en islam, comme dans le christianisme, l’icône ne fait jamais l’objet d’adoration. Il n’existe nulle représentation de Dieu, du Prophète Mohamed, des saints, etc., dans les mosquées, dont l’esthétique est purement abstraite, à base géométrique et florale.

Toutes les religions sont contre l’idolâtrie des images

L’islam n’a pas été la seule grande religion à avoir combattu l’idolâtrie et les idoles, de même que la crainte de la figuration n’est pas spécifique à cette religion. Le Décalogue dit : «Tu ne feras aucune image de Dieu.» Dans l’Ancien Testament, Exode, XX, 4, il est dit : «Tu ne feras point d’image taillée, ni aucune représentation des choses qui sont en haut dans le ciel, ici-bas dans la terre ou dans les eaux, au-dessous de la terre.»

Cependant, aucune des grandes religions n’a pu mettre fin à la figuration, à l’acte de peindre, de dessiner et de sculpter. Pourtant, Al-Azhar a compris, dès le XIXe siècle avec l’apparition de la peinture de chevalet et du cinéma en Égypte que représenter une figure de personne, d’un animal ou d’une plante ne sert pas l’adoration, puisque sans L’Ecorché de Léonard de Vinci, ni la biologie, ni la médecine ni la chirurgie n’auraient évolué.

Les différents interdits de théologiens chrétiens ou musulmans ne visaient pas à interdire l’avancée humaine dans les domaines scientifiques — car sans dessin il n’y a ni sciences, ni techniques ni technologies — mais à empêcher le retour à l’idolâtrie que risquait de provoquer la représentation des saints et de la personne humaine, à une époque où la spiritualité n’était pas encore fondée sur l’abstraction chez les gens du commun. Aujourd’hui, il ne viendra à l’idée de personne d’adorer une image, une statue, une sculpture, la lune ou le soleil.

En terre d’islam, la représentation artistique figurative s’est faite selon un processus en trois phases : la phase de l’art abstrait géométrique ou floral ; la phase des sujets vivants tels que lions, gazelles et autres animaux ; puis celle où la figure humaine apparaît pour la première fois sur les murs de Qsayr Amra et de Qsar al-Hayr alGharby, dans une fresque reproduisant des femmes nues sortant du bain. Le sociologue tunisien Mohamed Aziza dira alors qu’en un siècle (691 à 743), la conquête de la figuration est accomplie.

Désormais, l’artiste arabe peut transcrire une part des aspects de la vie quotidienne et sociale, et les restituer par l’image, reflet de l’imaginaire du groupe, dans les arts visuels, du cinéma aux beaux-arts. Cet acquis est fondamental pour la civilisation musulmane et nul n’a le droit de le remettre en question.

Il est donc dommage qu’un avis précipité d’Al-Azhar risque de créer des malentendus gravissimes à l’heure où Daesh détruit des livres, des œuvres d’art, des pièces archéologiques…

Qui ne se souvient de Sid-Ali, le compagnon du Prophète, sur son boraq dont les pattes baignaient du sang et avec son épée «dhou-alfiqar» à double lame ? Tout comme le film iranien, tout comme Ar-Rissala, comme le feuilleton Omar et les dizaines d’autres moussalsalate religieuses, ces œuvres à la gloire du Messager et de l’islam ne sont pas des représentations ou des icônes destinées à tromper les fidèles ou à les détourner de la foi. Les savants d’Al-Azhar ignorent-ils que le Prophète lui-même a protégé les images de Jésus et de Marie qui figuraient sur la Qaâba, à son retour triomphal de Médine vers sa ville natale ? Certains de ses Compagnons voulaient effacer toutes les peintures figurant sur la pierre noire, il s’interposa, mit sa main sur le mur et ordonna de n’effacer que ce qu’il y avait au-dessus, soit les icônes païennes, pas les représentations chrétiennes de Marie et de Jésus.

Le Prophète (QSSSL) a fait avancer la spiritualité en dehors du fanatisme. C’est avec cet esprit que les théologiens chiites et sunnites ont accueilli les anciens ouvrages musulmans figurant des images du Prophète et des saints sans les détruire. Ces ouvrages figurent encore dans des bibliothèques arabes ou occidentales. L’édit d’Al-Azhar l’éloigne de la pensée contemporaine, qui inclue tous les domaines du savoir, y compris l’esthétique, ce domaine de la philosophie et qui est une discipline fondamentalement occidentale puisque les Orientaux n’ont aucun esthéticien digne de ce nom. Voire, ce sont les études de Titus Burkhardt, Richard Ettinghausen, Oleg Grabar ou Marilyn Jenkins-Madina et d’autres auteurs occidentaux qui ont fait connaître les arts musulmans de la miniature, de l’enluminure, de la calligraphie.

Daesh utilise la vidéo pour sa propagande et Al-Azhar veut interdire le film religieux ?

Ce sont également des Occidentaux qui ont étudié l’architecture musulmane et montré ses richesses et sa beauté. Leurs études ont été plus déterminantes dans la compréhension de l’islam lui-même par le monde que les productions intellectuelles de certains théologiens d’Al-Azhar, ou les fatwas et livres excommunicateurs des wahhabites.

Il existe aujourd’hui des centaines de fatwas que l’on n’ose même pas lire en famille tellement elles sont scandaleuses, et qu’Al-Azhar n’a pas jugé utile de dénoncer ou de contrecarrer.

Or, il trouve le moyen de prendre position contre un film iranien sans même l’avoir vu. Alors que les chercheurs du Vatican s’investissent même dans l’astrophysique, la direction d’Al-Azhar se montre en décalage avec l’Histoire — notamment en ces heures graves ou le wahhabisme est en train de semer la haine dans nos nations —, et qu’il est incapable de défendre l’islam en ces temps de défis et de menaces liées à un néocolonialisme et un impérialisme pétaradants.

Alors qu’Al-Azhar a compris l’importance de l’image dès le siècle dernier, voici ce même autre Al-Azhar qui dit presque le contraire, et ce, sans même avoir vu le film qu’il veut censurer !

À l’heure où même Daesh sait que sa guerre inclut aussi les médias modernes — puisqu’il fait sa propagande avec les vidéos de ses massacres, Al-Azhar fait montre d’une étroitesse d’esprit digne du Moyen-âge. Il vient prouver que ses savants n’ont aucune connaissance des domaines actuels de la culture et de l’importance multisectorielle de cette dernière, y compris dans le domaine religieux, croyant que la propagation de l’islam ou sa défense se fait uniquement par les moyens traditionnels du livre bien qu’il reconnaisse que ses fatwas ne font pas le poids face au wahhabisme qui détient plus de cent chaînes satellitaires.

Al-Azhar ignore-t-il que c’est par la culture que l’islam a d’abord devancé le christianisme ? Les églises ne vont introduire la musique (clavecin, puis orgue) que lorsque le Vatican a pris conscience que les mosquées sont réalisées dans une esthétique joyeuse et colorée qui incite à y entrer, contrairement aux églises d’antan, sombres, ténébreuses et n’incitant pas à y accéder ? Aujourd’hui, les batailles occidentales s’inscrivant dans ce qu’on appelle le «clash des civilisations» se font aussi par la culture ; et l’affaire Charlie Hebdo entre dans cette perspective.
Al-Azhar a tenu à souligner que l’interdiction d’une œuvre artistique quelconque n’était pas de son ressort mais qu’il lui appartenait, en tant que principale référence religieuse du sunnisme, de se prononcer sur de telles œuvres sur la base de la charia.

Ainsi donc Al-Azhar avoue ne pas se prononcer sur la base de sa compréhension du Coran stricto sensu mais sur la base de la charia, une jurisprudence ancienne qui relève de la compréhension d’imams morts depuis longtemps. Il fait donc preuve de suivisme et non pas d’innovation et d’imagination, bien que l’un des professeurs de ce même Al-Azhar préconise une théologie qui oublie tous les interprètes qui ont précédé et de se baser sur une lecture moderne et actuelle du texte coranique. Ce savant égyptien n’a certainement pas été consulté dans la promulgation de l’avis contre le film iranien ni contre le feuilleton Omar.

Nonobstant, il y a encore des savants musulmans qui savent ce que doit être le fiqh aujourd’hui, pour répondre aux besoins spirituels de leurs contemporains et répondre à la propagande impérialiste qui veut donner une image négative des musulmans et de l’islam.

L’islam a besoin de points de vue pour son installation dans la modernité, et non pas d’édits qui vont encore taxer l’islam et les musulmans d’archaïsme et d’arriération, ou à stigmatiser le conflit entre sunnites et chiites, conflit créé par les wahhabites afin de servir justement les intérêts impérialistes et sionistes.

Puis, une mauvaise nouvelle ne tombant jamais seule, voilà que le 4 février dernier, Al-Azhar appelle à tuer et crucifier les terroristes de l’EI, à la suite de l’assassinat du pilote jordanien. Al-Azhar sait pourtant que la crucifixion n’est même pas appliquée en Arabie Saoudite, le pays du wahhabisme par excellence, et que le code pénal dans les autres pays n’inclue pas cette méthode létale qui fait dresser les cheveux sur la tête. Al-Azhar préconise d’imiter Daesh pour le combattre…

A. E. T.

13 DÉCEMBRE 2014: JOURNÉE INTERNATIONALE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE

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JOURNÉE INTERNATIONALE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE Paris, Amsterdam, Londres, Bruxelles… UNE BATAILLE POUR LES DROITS CIVIQUES!Exhibit B: les points sur les i – par PIR et BAN;


MOBILISATION EUROPÉENNE CONTRE L’ISLAMOPHOBIEpar Alain Gresh – Nouvelles d’Orient – blog.mondediplo – le 8 décembre 2014;


NUMÉRO SPÉCIAL SUR L’ISLAMOPHOBIE – REVUE POLITIS;
http://www.politis.fr/IMG/pdf/Politis-News-1331.pdf


ISLAMOPHOBIE, SE BATTRE CONTRE CETTE FORME VICIEUSE DE RACISME!Michel Peyret – 08 déc. 2014; BastamagA L’INDEPENDANT


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JOURNÉE INTERNATIONALE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE

Paris, Amsterdam, Londres, Bruxelles…

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UNE BATAILLE POUR LES DROITS CIVIQUES !

SAMEDI 13 DÉCEMBRE 2014

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UNIVERSITÉ PARIS-8 SAINT-DENIS amphi D001

Métro : Saint-Denis Université (Ligne 13)

À partir de 9h30

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PROGRAMME

9H30 – 12H30

TABLE RONDE – L’ISLAMOPHOBIE DANS TOUS SES ÉTATS

13H45 – 16H15

ATELIERS THÉMATIQUES – SIX ATELIERS AU CHOIX

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16H 30 – 17 H

RELEVÉ DE CONCLUSION DES ATELIERS

17H – 19H

TABLE RONDE:

VAINCRE LE RACISME

ET (RE)CONQUÉRIR NOS DROITS

19H – 20H

PERFORMANCE ARTISTIQUE

«MUSULMAN» ROMAN

Organisations et associations participantes

Participation et spiritualité musulmanes (PSM), Collectif Féministes pour l’égalité (CFPE), Mamans Toutes Égales (MTE), Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes musulmanes (ARDLFM), Collectif des musulmans de France (CMF), Commission Islam et laïcité, Union juive française pour la paix (UJFP), Mouvement du christianisme social, Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), Parti des indigènes de la République (PIR), Collectif enseignant pour l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 (CEAL), Collectif antifasciste Paris-Banlieue (CAPAB), Union des organisations islamiques de France (UOIF), Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (iReMMO), Cedetim/Ipam, ATTAC France, Front thématique antiracismes du Front de gauche, Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Ensemble, Sortir du colonialisme, Fondation Frantz Fanon, Collectif Stop le contrôle au faciès, Studio Praxis, Femmes plurielles, AFD International, International Jewish Antizionist Network (IJAN), Tayush (Belgique), Bruxelles Panthères. Médias Saphirnews, Oumma.com, BeurFm, Politis, Mediapart, Radio Orient, Basta !, Radio France-Maghreb…

Contact : islamophobie13dec2014@gmail.com

Twitter : @JICI2014

Facebook : Journée internationale contre l’islamophobie

[

Voir/télécharger l’affiche

Voir/télécharger le programme

->doc5331]

Sources: Exhibit B : les points sur les i – Par PIR et BAN

http://indigenes-republique.fr/journee-internationale-contre-lislamophobie-le-13-decembre-2014/

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MOBILISATION EUROPÉENNE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE

[

lundi 8 décembre 2014, par Alain Gresh

Nouvelles d’Orient

->http://blog.mondediplo.net/2014-12-08-Mobilisation-europeenne-contre-l-islamophobie]

L’agression raciste survenue à Créteil le 1er décembre a soulevé l’émoi général et la mobilisation des autorités françaises. Pourtant, comme le souligne l’Union juive française pour la paix (UJFP), dans un communiqué publié le 6 décembre, «Créteil, une agression raciste qui nous indigne mais ne nous étonne pas»:

«Si l’UJFP s’indigne de ces actes, elle ne s’en étonne guère. En effet le racisme propagé dans notre société depuis le sommet de l’Etat envers des groupes de personnes ciblées, parce qu’Arabes, Noirs, et ou musulmans, Roms, sans papiers, demandeurs d’asiles… repris sans état d’âme par des médias avides de scoops et de buzzs, des “intellectuels” et éditorialistes venimeux, a pour conséquence d’augmenter les passages à l’acte racistes.

Et des passages à l’acte il y en a tous les jours dans ce pays, contre des concitoyens arabes noirs et ou musulmans, des femmes agressées violentées parce que voilées, des Roms attaqués à l’acide, dont les camps sont brûlés, et cela dans un silence médiatique et politique assourdissant.

Encore une fois nous devons donc nous interroger sur le traitement politique et médiatique très particulier de cet événement.»

En effet, en arrière-plan de ce traitement, il y a une manœuvre détestable qui vise à se camoufler derrière la mobilisation justifiée contre des actes antisémites pour faire oublier le racisme d’Etat qui s’est installé dans le pays, défendu d’abord par le premier ministre Manuel Valls, lequel peut, impunément, désigner une communauté, les Roms, à la vindicte publique.

Racisme d’Etat qui se traduit de mille et une manières — du comportement agressif des policiers jusqu’aux enseignants et autres «bons citoyens» qui humilient, contrôlent les Noirs ou les musulmans de façon abusive. Pendant ce temps, on laisse se répandre l’idée que se manifesterait un antisémitisme spécifique lié au conflit israélo-arabe. Dans une excellente tribune publiée par Le Monde du 6 décembre, «Il faut parler d’antisémitisme avec rigueur», la sociologue Norma Meyer démonte les sondages récemment publiés afin d’accréditer cette idée.

Lire Raphaël Liogier, «Le mythe de l’invasion arabo-musulmane», Le Monde diplomatique, mai 2014.

La lutte contre le racisme est indivisible, mais il est nécessaire de rappeler qui sont aujourd’hui, en Europe, les premières victimes de ce racisme : les musulmans, les Roms et les Noirs. Alors que plus aucun grand parti ne défend officiellement l’antisémitisme, alors que les formations de la droite extrême ont remplacé celui-ci par l’islamophobie [Lire, en guise de contre-exemple, Corentin Léonard, [«Une extrême droite qui n’exècre pas l’islam», Le Monde diplomatique, avril 2014.]], alors que les grands partis de droite et de gauche laissent régulièrement percer leur haine de l’islam et défendent les mesures prises par l’Etat (au nom de la laïcité ou ou nom de la défense des femmes), ce racisme ne rencontre pas la riposte qu’il mérite.

C’est dire l’importance de la journée internationale contre l’islamophobie qui se tient le samedi 13 décembre à l’université de Saint-Denis et, en même temps, à Londres, Amsterdam et Bruxelles, sous le titre « Une bataille pour les droits civiques ! ». Il est symbolique que cette initiative ait lieu le même jour où se mobiliseront aux Etats-Unis tous ceux qu’indigne la brutalité de la police américaine contre les Noirs et les minorités, contre la justice à deux vitesses.

On trouvera ci-dessous l’appel à cette journée et son programme (pour une version détaillée, télécharger ce PDF).

Une bataille pour les droits civiques !

Le racisme gangrène nos sociétés : contrôles au faciès, destructions de camps roms, agressions de femmes voilées, discriminations à l’embauche et au logement de personnes portant des noms à « consonance étrangère », circulaire Chatel contre les mamans voilées…

Les attaques contre des populations décrites comme « dangereuses » se multiplient. Elles s’inscrivent dans un climat idéologique et médiatique qui, au nom de la « guerre contre le terrorisme » ou d’une conception particulièrement cynique de la devise « liberté-égalité-fraternité », entretient la haine contre ceux – et celles – qui sont décrits comme « étrangers ».

Depuis une trentaine d’années, et singulièrement depuis 2001, l’islamophobie est devenue le canal privilégié d’expression – et même de régénération – d’un racisme d’État. Instrumentalisant de « nobles principes » (la laïcité, la République, l’égalité des sexes…), un redoutable système d’exclusion se construit jour après jour, en France comme dans les autres pays européens.

Alors que le Vieux Continent traverse une grave crise économique et sociale, il est particulièrement dangereux de désigner des boucs émissaires à la vindicte populaire (musulmans, Noirs, Roms…). La désaffection des victimes à l’égard des forces de gauche qui ne les défendent pas, comme la progression fulgurante de l’extrême droite à l’échelle continentale, ces dernières années, en témoignent.

Le racisme ne disparaîtra pas tout seul. Aujourd’hui comme hier, il faut se battre pour faire reculer cette forme particulièrement vicieuse de racisme qu’est l’islamophobie. Comme les Noirs américains dans les années 1950-1960, comme les travailleurs immigrés des années 1970-1980, il faut continuer la bataille pour les droits civiques et pour l’égalité.

Après le succès de la première « Journée internationale contre l’islamophobie » qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes à Paris en décembre 2013, nous organisons une nouvelle journée de réflexion et d’action le samedi 13 décembre 2014, en associant plus de forces et d’organisations, et en travaillant en coordination avec les groupes qui, dans d’autres pays européens, se mobilisent contre l’islamophobie et organiseront au même moment des rassemblements similaires au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique…

Venez nombreux-ses !

Programme

  • 9h30 – 12h30 Table ronde – L’islamophobie dans tous ses états

  • 13h45 – 16h15 Ateliers thématiques – Six ateliers au choix

  • 16h30 – 17h – Relevé de conclusion des ateliers

  • 17h – 19h – Table ronde – Vaincre le racisme et (re)conquérir nos droits

  • 19h – 20h – Performance artistique – « Musulman » roman

Organisations et associations participantes

Participation et spiritualité musulmanes (PSM), Collectif Féministes pour l’égalité (CFPE), Mamans Toutes Égales (MTE), Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes musulmanes (ARDLFM), Collectif des musulmans de France (CMF), Commission Islam et laïcité, Union juive française pour la paix (UJFP), Mouvement du christianisme social, Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), Parti des indigènes de la République (PIR), Collectif enseignant pour l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 (CEAL), Collectif antifasciste Paris-Banlieue (CAPAB), Union des organisations islamiques de France (UOIF), Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (iReMMO), Cedetim/Ipam, ATTAC France, Front thématique antiracismes du Front de gauche, Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Ensemble, Sortir du colonialisme, Fondation Frantz Fanon, Collectif Stop le contrôle au faciès, Studio Praxis, Femmes plurielles, AFD International, International Jewish Antizionist Network (IJAN), Tayush (Belgique), Bruxelles Panthères.

Médias :

Saphirnews, Oumma.com, BeurFm, Politis, Mediapart, Radio Orient, Basta !, Radio France-Maghreb…

Lieu :

Université Paris-8 Saint-Denis – Amphi D001
Métro : Saint-Denis Université (Ligne 13)

Contact :

islamophobie13dec2014@gmail.com / Twitter : @JICI2014 #JICI2014 / Facebook : Journée internationale contre l’islamophobie

Partenaires européens :

Sources Nouvelles d' »Orient

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NUMÉRO SPÉCIAL SUR L’ISLAMOPHOBIE

REVUE POLITIS

http://www.politis.fr/IMG/pdf/Politis-News-1331.pdf

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ISLAMOPHOBIE, SE BATTRE CONTRE CETTE FORME VICIEUSE DE RACISME!

Michel Peyret

08 déc. 2014

« Le racisme ne disparaitra pas tout seul. Aujourd’hui comme hier, il faut se battre pour faire reculer cette forme particulièrement vicieuse de racisme qu’est l’islamophobie. Comme les Noirs américains dans les années 1950-1960, comme les travailleurs immigrés des années 1970-1980, il faut continuer la bataille pour les droits civiques et pour l’égalité. Après le succès de la première « Journée internationale contre l’islamophobie » qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes à Paris en décembre 2013, nous organisons une nouvelle journée de réflexion et d’action le samedi 13 décembre 2014, en associant plus de forces et d’organisations, et en travaillant en coordination avec les groupes qui, dans d’autres pays européens, se mobilisent contre l’islamophobie et organiseront au même moment des rassemblements similaires au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique…»

Voir ci-dessous la totalité de l’Appel des organisations et associations en faveur de la nouvelle « JOURNEE INTERNATIONALE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE ».
Michel Peyret

08 déc. 2014


JOURNEE INTERNATIONALE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE:

UNE BATAILLE POUR LES DROITS CIVIQUES

PAR COLLECTIF 27 NOVEMBRE 2014

Une journée internationale contre l’islamophobie se déroulera à Paris, Amsterdam, Londres et Bruxelles, le 13 décembre prochain. Elle rassemblera simultanément des collectifs et organisations qui se mobilisent contre l’islamophobie. A Paris, des ateliers, des tables-rondes et une performance artistique seront organisés, à l’Université Paris 8-Saint Denis. Un évènement dont Basta ! est partenaire.

Le racisme gangrène nos sociétés : contrôles au faciès, destructions de camps roms, agressions de femmes voilées, discriminations à l’embauche et au logement de personnes portant des noms à « consonance étrangère », circulaire Chatel contre les mamans voilées…

Les attaques contre des populations décrites comme « dangereuses » se multiplient. Elles s’inscrivent dans un climat idéologique et médiatique qui, au nom de la « guerre contre le terrorisme » ou d’une conception particulièrement cynique de la devise « liberté-égalité-fraternité », entretient la haine contre ceux – et celles – qui sont décrits comme «étrangers».

Depuis une trentaine d’années, et singulièrement depuis 2001, l’islamophobie est devenue le canal privilégié d’expression – et même de régénération – d’un racisme d’État. Instrumentalisant de « nobles principes » (la laïcité, la République, l’égalité des sexes…), un redoutable système d’exclusion se construit jour après jour, en France comme dans les autres pays européens.

Alors que le Vieux Continent traverse une grave crise économique et sociale, il est particulièrement dangereux de désigner des boucs émissaires à la vindicte populaire (musulmans, Noirs, Roms…). La désaffection des victimes à l’égard des forces de gauche qui ne les défendent pas, comme la progression fulgurante de l’extrême droite à l’échelle continentale, ces dernières années, en témoignent.

Le racisme ne disparaîtra pas tout seul. Aujourd’hui comme hier, il faut se battre pour faire reculer cette forme particulièrement vicieuse de racisme qu’est l’islamophobie. Comme les Noirs américains dans les années 1950-1960, comme les travailleurs immigrés des années 1970-1980, il faut continuer la bataille pour les droits civiques et pour l’égalité.
Après le succès de la première « Journée internationale contre l’islamophobie » qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes à Paris en décembre 2013, nous organisons une nouvelle journée de réflexion et d’action le samedi 13 décembre 2014, en associant plus de forces et d’organisations, et en travaillant en coordination avec les groupes qui, dans d’autres pays européens, se mobilisent contre l’islamophobie et organiseront au même moment des rassemblements similaires au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique…

Organisations et associations participantes :

Participation et spiritualité musulmanes (PSM), Collectif Féministes pour l’égalité (CFPE), Mamans Toutes Égales (MTE), Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes musulmanes (ARDLFM), Collectif des musulmans de France (CMF), Commission Islam et laïcité, Union juive française pour la paix (UJFP), Mouvement du christianisme social, Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), Parti des indigènes de la République (PIR), Collectif enseignant pour l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 (CEAL), Collectif antifasciste Paris-Banlieue (CAPAB), Union des organisations islamiques de France (UOIF), Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (iReMMO), Cedetim/Ipam, ATTAC France, Front thématique antiracismes du Front de gauche, Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Ensemble, Sortir du colonialisme, Fondation Frantz Fanon, Collectif Stop le contrôle au faciès, Studio Praxis, Femmes plurielles, AFD International, International Jewish Antizionist Network (IJAN), Tayush (Belgique), Bruxelles Panthères.

Le programme en PDF

#JICI2014 Twitter: @JICI2014

Facebook : Journée internationale contre l’islamophobie

Contact : islamophobie13dec2014@gmail.com

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Voir aussi l’article:

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PEUT-ON ETRE ISLAMOPHOBE TOUT EN SE CROYANT ANTIRACISTE?

PAR IVAN DU ROY

18 DÉCEMBRE 2013

->http://www.bastamag.net/Peut-on-etre-islamophobe-tout-en]

Augmentation des agressions et des discriminations, amalgames toujours plus fréquents entre islam, intégrismes et terrorismes, loi interdisant certaines pratiques religieuses… L’islamophobie est bien une réalité en France. Pire : « Pour beaucoup de gens, l’islamophobie est justifiée comme un combat nécessaire », y compris à gauche, expliquent les sociologues Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat. Ils analysent la montée et les ressorts de cette islamophobie à la française, alors qu’ailleurs en Europe les mouvements antiracistes se mobilisent pour la combattre.

Basta ! : Quelles sont les manifestations de l’islamophobie en France, aujourd’hui ?

Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat [[Auteurs d’Islamophobie, comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman »(La Découverte). Marwan Mohammed est chargé de recherche au CNRS (Centre Maurice Halbwachs). Abdellali Hajjat est sociologue et politiste, maître de conférences à l’université Paris-Ouest Nanterre.]]: Il existe une multitude de formes d’expression du rejet d’une population. Dans l’espace public, ce sont des discours, des sites Internet, des articles de presse ou des productions cinématographiques qui contribuent à la construction d’un « Islam imaginaire»[[Titre de l’ouvrage de Thomas Deltombe, L’islam imaginaire, La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, Ed. La Découverte.]] et à l’évidence d’un problème musulman : l’image négative et inquiétante d’une présence musulmane décrite comme arriérée, sournoise, donc dangereuse. Ensuite, ce sont les pratiques discriminatoires auxquelles sont confrontés des individus – musulmans réels ou présumés –- dans leur vie sociale. Ces discriminations touchent essentiellement les femmes qui portent un signe religieux visible, le voile. Parmi ces discriminations, certaines sont illégales : les discriminations à l’emploi, à l’accès aux loisirs ou aux services. Une enquête par testing, réalisée par l’Université Paris 1 sur le marché de l’emploi, montre ainsi qu’une jeune femme musulmane a 2,5 fois moins de chances d’être convoquée à un entretien d’embauche, qu’une jeune fille qui a le même CV et la même couleur de peau mais qui diffère par des marqueurs religieux, comme le prénom. D’autres discriminations sont légales : des formes d’exclusion qui reposent sur la loi, comme la loi sur le voile à l’école, sur le port du niqab dans l’espace public ou la décision de la Cour d’appel de Paris qui justifie le licenciement d’une salariée voilée de la crèche Baby Loup, une structure privée.

S’exprime-t-elle aussi par la violence ?

Les violences physiques et verbales sont en nette augmentation depuis au moins 2009, comme le montrent les données du ministère de l’Intérieur[[Selon la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, en 2012 « les actes antimusulmans progressent de 30% confirmant la tendance à la hausse enregistrée en 2011 (+34%) ».]]. Celles du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) suivent la même courbe. Les enquêtes d’opinion sur le rapport à l’Islam et à la présence musulmane montrent une hostilité très forte concernant le port du foulard, ainsi qu’une hostilité croissante envers des actes cultuels qui ne posaient pas de problèmes avant : prier ou jeûner pendant le Ramadan. Nous avons encore du mal à mesurer l’ensemble des manifestations de ce rejet global. Ne pas saisir la justice ou les institutions reste très courant pour les populations musulmanes. D’autres s’autocensurent : des personnes qui ont intégré le fait qu’elles n’avaient pas leur place, et ne font même plus la démarche de trouver une formation ou un emploi.

Dans ce que vous nommez «l’islamophobie d’en haut», quel exemple vous a le plus marqué?

Il y a malheureusement profusion d’exemples. Mais un seul nous paraît essentiel pour comprendre en profondeur le processus de construction d’un problème musulman : les grèves ouvrières à l’usine Citroën d’Aulnay et de Talbot à Poissy, en 1984. Des ouvriers, essentiellement maghrébins, se mobilisent alors contre des plans de licenciements. Avec notamment la CGT, ils défendent leurs droits, leurs emplois et l’amélioration de leurs conditions de travail. Des revendications classiques, si ce n’est qu’apparaît en bas de la liste la demande de disposer d’un lieu de prière pendant les pauses. D’où vient cette demande? D’une première expérience menée en 1976 à l’usine Renault Billancourt, où une salle de prière a été ouverte avec le soutien des syndicats et du patronat de l’époque, qui acceptait que les travailleurs immigrés de passage puissent exercer leur culte dans de bonnes conditions. C’est de cela que s’inspirent les grévistes de 1984. Ceux-ci sont des ouvriers marocains d’origine rurale dont beaucoup ne parlent qu’arabe. Pour mobiliser, les leaders syndicaux marocains parlent donc arabe et utilisent des concepts à teneur religieuse, comme « Inch Allah ». Rappelons également le moment géopolitique particulier : 1979, la révolution iranienne, 1983-1984, les attentats contre les militaires français au Liban.

C’est dans ce contexte que le patronat et le gouvernement construisent un problème musulman. La grève n’est plus syndicale, mais devient, dans la bouche du ministre de l’Intérieur Gaston Defferre, une grève sainte, une grève intégriste, une grève chiite – les Marocains sont sunnites, mais peu importe. L’objectif est de disqualifier une mobilisation sociale en la transformant en problème musulman. Des caricatures de la presse montrent alors des voitures produites à la chaîne et couvertes d’une burqa. Cette construction d’un problème musulman n’est pas venue des salariés ou des syndicats, mais d’en haut : des élites patronales, des cabinets ministériels, de la hiérarchie policière et d’une partie des élites médiatiques.

Pourquoi construire un « problème musulman » à partir d’une grève ouvrière?

Cela intervient au moment du tournant de la rigueur du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. Les licenciements prévus par Citroën et Talbot doivent être entérinés par l’État. C’est le gouvernement socialiste qui lâche les travailleurs immigrés. Parler d’un conflit religieux plutôt que d’un conflit de classes contribue aussi à renforcer les divisions au sein de la classe ouvrière. Quand l’usine occupée est évacuée par les CRS, des ouvriers viennent crier « les Arabes au four ». Toutes les représentations sur lesquelles s’appuie l’islamophobie contemporaine sont présentes, avant même que n’apparaisse l’affaire du voile à Creil, en 1989.

L’islamophobie serait d’abord institutionnelle ?

Prenez la récente affaire de la crèche Baby Loup. Au départ, il s’agit d’un conflit salarial entre deux agents, la directrice et son adjointe. Le foulard ne pose pas de problème. Cela devient un enjeu politique à partir du moment où certains acteurs – avocat, intellectuels et politiques – en font un problème national. Des parents se sont-ils mobilisés contre le port du voile ? Aucun. En 2003, les principales fédérations de parents d’élèves et d’enseignants réclament-ils une loi interdisant le port du foulard à l’école publique? Non. Aujourd’hui, les étudiants demandent-ils l’interdiction du foulard islamique à l’université ? Non plus.

L’héritage colonial joue-t-il un rôle dans l’islamophobie actuelle?

Il existe une idée commune aux deux périodes : l’islam constitue une culture ou une religion inférieures. Les individus concernés disposent donc d’une citoyenneté sous condition. Pour eux, l’égalité est toute relative. Les récents textes de loi qui interdisent le port du voile visent un seul groupe social. C’est une vision plutôt discriminatoire de la laïcité. L’historien des religions Jean Baubérot rappelle que l’administration coloniale refusait, à l’époque, que les minorités indigènes bénéficient du principe de laïcité. Surtout, la période coloniale est marquée par une radicalisation de la perception de l’Autre musulman : la différence serait religieuse et théologique mais aussi raciale et psychologique. Cette idée se retrouve dans la construction contemporaine de l’islamophobie.

Il n’y a cependant rien de linéaire entre les représentations de l’islam depuis son émergence, pendant le Moyen Âge puis lors de la période coloniale. A chaque fois, nous devons analyser la construction d’un ennemi, d’un islam ou d’un musulman imaginaire en référence au contexte. Dans l’histoire, la sexualité du musulman a, par exemple, d’abord été construite comme une sexualité débridée, avec l’image du harem. Depuis la fin de la période coloniale, elle est construite comme une sexualité bridée, frustrée et réactionnaire. L’image du harem laisse place à celle de l’intégriste père puritain. Au Moyen Âge, pour critiquer le clergé, la modernité des musulmans est parfois opposée à l’intolérance des chrétiens. Mais une idée domine : celle de construire un islam barbare et conquérant. Et la réduction de l’Autre, musulman ou présumé tel, à son appartenance religieuse.

Un racisme biologique se doublerait d’un racisme culturel?

Le racisme biologique n’a pas disparu. Il est juste en sourdine. La comparaison de la ministre de la Justice noire à un singe nous rappelle que cette forme de racisme est toujours bien présente, même si elle est complètement disqualifiée. La difficulté avec l’islamophobie, c’est l’articulation entre la question raciale et religieuse. L’un ne recouvre pas l’autre, les deux s’articulent, et alimentent beaucoup de confusion. Distinguer ce qui relève de l’origine et de la religion est donc difficile. Les personnes racistes n’aiment pas les Arabes et, généralement, n’aiment pas leur religion. Ils rejettent donc les deux. Mais les enquêtes d’opinion montrent bien qu’une partie des sondés peuvent se dire antiracistes tout en étant islamophobes, notamment à gauche.

On peut donc se penser antiraciste et être islamophobe?

L’origine, la couleur de peau, le sexe… Toutes les formes de rejet liés au physique et aux signes d’une identité héritée sont disqualifiées en France. L’islam, ou la religiosité, est considéré différemment. C’est un critère qui n’est pas considéré comme hérité, qui est réversible. Vous ne pouvez pas changer votre origine, vous pouvez changer de religion. Et la religion musulmane est interprétée comme une forme d’hostilité à la société majoritaire, une forme de subversion de l’ordre démocratique. Pour beaucoup de personnes, l’islamophobie est donc justifiée comme un combat nécessaire. Analyser cette confusion est décisive pour comprendre pourquoi certains rechignent à reconnaître l’islamophobie et à lutter contre. Nous vivons aussi dans une société à la tradition laïque très puissante. La laïcité s’est construite pour limiter le pouvoir de catholicisme, le pouvoir de la religion et des religieux. Cette mémoire de la lutte anti-religieuse demeure très prégnante. Et rend également difficile la reconnaissance de l’islamophobie.

Quel rôle joue le contexte géopolitique ?

Il sert à justifier les discours islamophobes par l’amalgame entre l’islam pratiqué en France, au coin de la rue, et l’islam utilisé par des mouvements politiques, parfois violents, aux quatre coins du monde. Il s’inscrit dans une rhétorique de la menace. Ces amalgames savamment entretenus nous empêchent de penser la présence musulmane comme une présence française. Dans les médias, islam et terrorisme sont régulièrement liés. Pourtant, qui sait que dans l’ensemble des attentats préparés, fomentés, réussis ou ratés, la part des attentats dits islamistes ne dépasse jamais 2%, selon Europol. Alors que 85% des attentats sont liés aux mouvements séparatistes. Encore un décalage entre la construction d’un problème public et la réalité !

L’Église catholique ou des communautés évangéliques sont régulièrement critiquées pour leurs positions conservatrices, voire réactionnaires. Comment critiquer certains conservatismes de l’Islam sans tomber dans l’islamophobie?

La critique argumentée des dogmes ou des conservatismes est libre et largement répandue en France. Pour autant, la critique peut également servir de paravent au rejet et au mépris. Même si des critiques sont émises à l’égard des religions, elles ne donnent pas lieu au même traitement public. Le traditionalisme catholique ou le prosélytisme évangélique, très présent dans les quartiers populaires, ne sont pas construits en problème public, alors qu’ils constituent des enjeux équivalents à certaines formes de présence musulmane.

Des entraves à la laïcité, si on la prend à la lettre, il y en a beaucoup : le concordat, des processions dans l’espace public, les sources catholiques de notre calendrier… C’est une longue tradition d’accommodement qui dessine la France laïque depuis des siècles. Pourtant, les nombreuses processions traditionalistes ou les cérémonies religieuses qui bloquent des bouts de ville, font bien moins de bruit que les prières de rue isolées, liées au manque de place ou aux deux fêtes de l’Aïd[[En commémoration au sacrifice d’Abraham, puis célébrant la fin du Ramadan.]] transformées en problème public mobilisant une grande partie de la classe politique ou des médias. Par ailleurs, après les manifestations contre le mariage pour tous, il n’est venu à personne l’idée d’opposer la présence catholique dans l’espace public aux valeurs nationales. Or, à chaque problème impliquant des musulmans, c’est une opposition récurrente, les valeurs nationales seraient menacées.

Qu’en est-il dans les autres pays européens?

L’islamophobie au niveau européen inquiète les organisations antiracistes, sauf en France. La question de l’islamophobie, de sa légitimité comme phénomène, ne pose plus problème ailleurs en Europe. Des débats ont porté sur sa définition et sa réalité, ce qui est sain dans un pays démocratique. Mais en France, le déni est la règle depuis que l’essayiste Caroline Fourest a écrit en 2003 que le terme islamophobie avait été inventé par les mollahs iraniens. Ce qui est un mensonge. En Europe, les principales organisations antiracistes s’intéressent à l’islamophobie, lancent des campagnes. En Scandinavie ou au Royaume-Uni, des femmes non voilées portent le voile par solidarité avec des femmes agressées. En France, l’antiracisme mainstream– Sos Racisme, la Licra – ne s’en occupe presque pas, alors que le phénomène est croissant et massif. Nous constatons cependant une regain d’intérêt récent quoique timide de la part de la Ligue des droits de l’Homme et du Mrap. Mais faire admettre que l’islamophobie est une réalité n’est pas encore gagné ! Pourtant, l’enjeu fondamental de l’islamophobie, c’est la remise en question de la légitimité de la présence des musulmans, des immigrés post-coloniaux, sur le territoire français.

Recueillis par Ivan du Roy
Photo : CC Peter Dahlgren

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À lire : Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat, Islamophobie, comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman » (La Découverte). Pour commander ce livre dans la librairie la plus proche de chez vous, rendez-vous sur le site Lalibrairie.com.

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«RENOUER AVEC L’ISLAM DE CORDOUE»

Mohamed Aïssa. Ministre des Affaires religieuses et des Wakfs | © Souhil. B.

Mohamed Aïssa. Ministre des Affaires religieuses et des Wakfs   | © Souhil. B.

Hacen Ouali

“El Watan”

le 17 septembre 2014

  • Vous arrivez à la tête du ministère des Affaires religieuses avec un discours de rupture…

Ce n’est pas un nouveau discours ou une rupture, mais simplement une démarche qui vise à dépoussiérer notre islam ancestral. Retrouver une pratique modérée de l’islam qui prend ses sources dans le texte de la Révélation, dans le texte du Saint Coran et de la sunna, mais aussi qui prend en considération les paramètres du temps et de l’espace. C’est ce qui a fait l’histoire de cette religion. Et chaque fois qu’il y a eu égarement, cela a donné lieu à l’extrémisme.

Or l’Algérie s’est égarée, a perdu ses repères, ses référents en la matière. Et dans un contexte de «révolution» au nom d’un islamisme radical, nous avons perdu nos repères et nos référents authentiques. Nous avons oublié que nous appartenons à une civilisation qui a jailli de Cordoue et nous nous sommes retrouvés dans une pratique bédouine de la religion. Cela n’amoindrit en rien la vie bédouine, mais seulement, l’Algérie appartient à la Méditerranée, très proche de l’Europe, elle a été fortement influencée par l’Andalousie. L’Algérie avait accueilli ceux qui ont été harcelés par l’Inquisition en Espagne et qui sont venus avec leurs arts leur savoir-faire, leur réflexion et leur philosophie. C’est ça l’Algérie qui a été contrainte à oublier ses jalons et ses repères. Comment faire en sorte de renouer avec l’islam de Cordoue?

Ce que je fais, aujourd’hui, entre d’abord dans l’esprit de la lettre de mission qui j’ai reçue et dans une démarche gouvernementale qui poursuit l’objectif de développer et de promouvoir le référent religieux national. C’est une préoccupation qui concerne directement mon département qui doit dépoussiérer et déblayer ces référents. Pour que la nation dans laquelle est inscrit «l’islam religion de l’Etat», comprenne que cet islam a de tout temps accepté l’autre, est modéré et a toujours uni les Algériens ; comme étant le catalyseur qui a pu réunir les Arabes et les non-Arabes, les gens de différentes couleurs et qui a uni le Sud et le Nord.

C’est cet islam que nous devons recouvrer. Nous devons retrouver ce que nous appelons dans notre jargon au ministère «l’Islam référent national». Il ne s’agit pas du malékisme, je le dis et le redis. La malékité de la société est une réalité, mais c’est celle qui permettait d’accepter l’ibadité, le hanafisme durant la période ottomane et permet aujourd’hui de puiser dans l’effort de jurisprudence hanbalite, ce qui est bénéfique pour la société algérienne. Mon discours s’axe sur tout cela pour promouvoir ce référent religieux national, il faut bien sûr parfois attirer l’attention sur des mouvements qui veulent le détruire. Au final, nous voulons réconcilier les Algériens avec l’islam authentique.

  • Pensez-vous que les ingrédients qui ont conduit à un terrorisme massif durant la décennie noire sont encore là? L’Etat a-t-il tiré la leçon de cette période tragique?

Selon l’analyse, fournie par notre ministère depuis des années, est que l’interprétation de la religion est liée au temps et à l’espace. Ce qui est propre au Pakistan ne l’est pas en Algérie, et vice versa. Ce qui s’est passé avant la décennie noire, c’est-à-dire le background et la philosophie qui a présidé à la décennie noire, est que nous avons importé une façon de pratiquer l’islam qui est propre à un autre pays. Je vous donne des exemples concrets, parce que nous avons oublié ce qui s’est passé, nous sommes amnésiques. Allez voir le Nigeria, c’est un pays musulman de rite malékite, il a importé le wahhabisme de l’Arabie Saoudite et cela a donné Boko Haram. L’Irak qui a toujours été hanafite et qui a importé une façon de pratiquer la religion propre aux pays du Golfe, cela a donné Daech. C’est exactement ce qui s’est passé en Algérie. En tout cas, les Algériens, les institutions et les imams se sont ressaisis et la mosquée, qui était le pupitre à partir duquel jaillissait la discorde, a été récupérée pour en faire un outil de réconciliation nationale, qui veut dire réconciliation des Algériens avec leur pratique ancestrale de la religion.

  • Cette pratique importée est due justement à l’envoi des imams et des enseignants des instituts islamiques se former en Arabie Saoudite qui, au retour, diffusent le wahhabisme. Vous continuez encore à envoyer des imams en Arabie pour formation?

Je ne me souviens pas que l’Algérie ait envoyé de jeunes Algériens pour se former en imama en Arabie Saoudite ou dans n’importe quel autre pays. L’Algérie a toujours formé ses imams, ils sont le fruits de l’Enseignement supérieur qui a en son sein des doctorants, qui sont formés dans des pays orientaux. Il se n’agit pas du wahhabisme qui est unificateur pour son pays d’origine, seulement lorsqu’on le greffe à un autre pays, il devient un danger. Nous avons des doctorants qui se sont ressourcés ailleurs que dans le wahhabisme, dans des contrées chiites et chez les confréries des Frères musulmans. Cela existe à l’université et forme actuellement des étudiants qui détiennent des licences en sciences islamiques et qui veulent devenir imams.

Le ministre des Affaires religieuses, vous le dit d’emblée, s’immunise contre ces courants en imposant un concours pour recruter des imams, mais également pour la formation. Tout détenteur d’un diplôme supérieur en sciences islamiques ne peut prêcher dans nos mosquées qu’après avoir suivi une formation qui dure un semestre suivi d’un examen. Nous avons exclu tous ceux qui veulent renouer avec la faute que nous avons commise avant 1990. Ce dispositif existe, conjugué avec les autres partenaires, les services de sécurité et le ministère de l’Enseignement supérieur avec lequel il a été convenu, à l’occasion de la prochaine rentrée universitaire, de créer un institut à double tutelle qui formera des imams.

Ces départements seront démultipliés avec le temps dans d’autres wilayas et nous pourrons parvenir ainsi à avoir un diplômé propre à l’Algérie, engagé patriotiquement et authentique dans sa réflexion et dans sa démarche. L’Algérie n’a pas envoyé des imams pour des formations à l’étranger et ne le fera pas ; elle ne veut surtout pas renouer avec l’aventure.

  • Il subsiste encore des mosquées et des lieux de culte qui sont sous le contrôle des imams radicaux, voire takfiriste. Votre département arrive-t-il à neutraliser ces fiefs?

Aucune mosquée n’échappe au contrôle du ministère des Affaires religieuses et de l’Etat algérien. Elles exercent sous l’égide du ministère, les imams sont installés sous autorité, ce sont des fonctionnaires de l’Etat qui perçoivent un salaire et ils sont assistés et accompagnés par des inspecteurs du ministère sur le terrain, ils sont sanctionnés positivement ou négativement. Certains établissements sont sous l’égide d’autres départements qui disposent de salles de prière. Et je vous assure que mon ministère ne cautionne pas le discours développé dans ces lieux.

C’est pourquoi nous avons avancé une alternative dans le cadre du décret présidentiel régissant les associations à caractère religieux pour convertir toutes les salles de prière civiles en des mosquées de quartier et de demander aux autres départements ministériels et à des établissements, publics ou privés, qui disposent de salles de prière une aide et une assistance pour gérer ces lieux de culte. J’ai adressé récemment une correspondance au ministère de l’Enseignement supérieur pour ouvrir un champ de concertation concernant l’invitation de certains «savants» – des prêcheurs – qui viennent de l’étranger pour une visite parfois touristique et que subitement se transforment en prêcheurs dans les salles de prière des universités et ailleurs. J’ai déjà l’engagement de mon collègue de l’Enseignement supérieur et nous allons arriver à contrôler l’ensemble des lieux de culte en Algérie, non pas dans un but de restriction, mais d’assistance et d’accompagnement et surtout d’immunisation contre les dérives qui ont déjà mené l’Algérie vers la décennie noire.

  • Votre ministère dispose-t-il d’un encadrement suffisamment qualifié pour pouvoir porter votre réforme?

Nous avons quelque 23 000 cadres pour 17 000 mosquées, seulement la formation n’est pas la même pour tous. J’ai des imams, des muezzins et des gardiens de mosquée, mais l’élite manque. C’est pour cela que je prône la concertation avec d’autres départements ministériels. Nous interpellons les universitaires, les hommes de culture, les journalistes à s’impliquer non pas pour combattre les autres idéologies, mais pour mettre en relief une appartenance ancestrale, historique qui a fait l’honneur du bassin méditerranéen à l’époque de Cordoue et que nous voulons partager avec tous les Algériens.

Ce n’est pas seulement un travail de prêche, mais de sensibilisation permanente et d’interpellation dans lequel doit s’impliquer tout homme de culture sinon tout intellectuel. Et ce n’est pas en nombre qu’il faut parler, mais en efficacité et compétence. Si Malek Bennabi était unique dans sa génération, il a marqué son époque parce qu’il était cartésien dans son analyse et je peux citer d’autres savants. L’Algérie a besoin que son élite intellectuelle savante s’implique dans la société avec une volonté de sauvegarde et d’immunisation et surtout de patriotisme, sans laquelle aucun département ou institution ne peut nous sauver. Et c’est pourquoi je multiplie les appels et reviens à la charge à chaque fois pour mieux expliquer ma démarche.

  • Vous vous revendiquez cartésien…

Je suis un matheux. Descartes est venu bien après l’islam. Le concept de raison qu’il a développé recoupe celui développé par l’islam. La raison est le quintessence de ce que Le Tout-Puissant a créé en nous. Et c’est pour cela qu’il n’incombe aucune responsabilité à la personne qui perd sa raison. La raison doit primer.

  • Nous assistons à une montée de la violence et de l’intolérance due essentiellement à un discours religieux haineux diffusé dans certaines mosquées?

Je partage complètement avec vous ce point de vue. Nous avons perdu nos jalons que j’ai énumérés plus haut. Le discours religieux actuel s’axe sur l’attaque. Nous avons perdu ce prêche qui vous serre le cœur, qui pousse à aller demander pardon à une personne que nous avons blessée, à nos mamans insultées. Nous avons perdu cette con science qui responsabilise et vous incite à revenir au droit chemin.
L’imam, actuellement, succombe, j’allais dire subi, à une pression sociétale un peu marginale et une pression qui est de plus en plus amorale mais surtout violente.

Au lieu de guider la société, l’imam est plutôt guidé par cette société, j’en sais des choses, j’ai été inspecteur général dans ce ministère. Je découvre à chaque fois que l’imam qui fuse radicalement, lorsque il s’attaque à un commerce, aux mères, à son voisin, et à l’autorité publique, généralement cela vient d’un petit lobbying autour de lui qui le pousse à le faire. Je m’engage, dès aujourd’hui, à lancer une campagne de civisme et de combat contre la violence dans les mosquées, les zaouïas et les centres culturels islamiques, dans les médias pour combattre ce fléau avec l’objectif de parvenir à une société de tolérance religieuse, civique et sociétale. Ce sont des mots que nos mosquées ont perdus, nous interpellons nos imams à y revenir.

La propreté pour ne parler que de ça nous l’avons perdue, alors qu’il est dit dans le texte sacré que «La propreté tient de la foi». Le prophète de l’islam instruit tout un chacun à balayer devant chez soi. La période du terrorisme est révolue, maintenant nous devons mener à bon port notre société vers le civisme et donner l’exemple à autrui. Cette bataille, on l’engagera et se fera en collaboration étroite avec les départements en charge de l’école, de la communication, de la jeunesse et tous les acteurs qui ont un impact direct sur la société.

  • En parlant justement de l’école, faut-il revoir le contenu des programmes de l’éducation islamique?

Il y énormément de choses à revoir et je suis conforté dans cette démarche par ma collègue de l’Education nationale, Mme Nouria Benghebrit. Nous avons été instruits par le Premier ministre de revoir ensemble le contenu des programmes. Jusque-là, enseigner l’éducation islamique formait un pseudo mufti et non un musulman civil, bon modéré, patriote. Les éducateurs renflouaient les élèves de connaissances avec des références discutables, car ne venant pas du référent national en raison de la période durant laquelle ces programmes ont été établis. Nous conjuguons nos efforts dans l’école publique, privée, coranique et privée pour parvenir à une culture civique et contre la manifestation de l’intolérance.

  • Existent-ils des enseignants s’érigeant en apprentis muftis?

C’est une réalité, mais je laisse le soin à la ministre de l’Education nationale de vérifier cela. Dans mon secteur en tout cas, je le constate. Dans les écoles coraniques, nous avons des enseignants s’érigeant en muftis autoproclamés, parce que cela a été rendu possible en l’absence d’un vrai mufti. Mon souci majeur est de dépoussiérer la proposition déjà avancée au niveau de la Présidence, qui consiste à ériger une institution de fatwas. Je la conçois comme une académie et à ce moment-là ces muftis autoproclamés découvriront qu’ils sont dépourvus de connaissances et de savoir et qu’ils sont uniquement des charlatans qui utilisent la religion à des fins mercantiles et politiciennes. Ils sont facteurs de blocage contre toutes les solutions que développe l’Algérie en matière de prise en charge de la société. Ils décrètent telle ou telle loi illicite (Ansej, prêt sans intérêts à partir de la Zakat…).

Paradoxalement, ils justifient les fausses déclarations aux impôts, ils trouvent licites des pots-de-vin pour faire passer des valises. Nous observons que ces gens-là sont les plus proches des barons de l’informel en Algérie. Je dois souligner que dans cette académie siègeront toutes les compétences nationales dans divers domaines et tous les rites confondus. Elle sera un espace de concertation et de débat ouvert et c’est le meilleur moyen pour neutraliser ces apprentis muftis.

  • Nous avons observé depuis l’apparition des chaînes satellitaires et nombreux sont les Algériens qui sollicitent l’avis des prédicateurs étrangers, dont les fatwas sont à la limite de la haine, voire des appels au meurtre. Pourquoi ces Algériens se tournent-ils vers ces prédicateurs?

J’ai constaté, quand j’étais directeur de l’orientation dans ce ministère, que ces charlatans venus d’ailleurs n’étaient pas reconnus comme muftis dans leur pays d’origine et qu’ils sont à la recherche de la notoriété et surtout le gain rapide et facile en prêchant sur des chaînes satellitaires privées à la recherche d’audience. Nous avons effectivement constaté leur influence dangereuse. Dès 2002, nous avons lancé sur la télévision nationale l’émission «fatwas en live», certes qui n’est pas parfaite, mais nous avons constaté que les Algériens reviennent de plus en plus vers nos imams.

La raison pour laquelle des Algériens se tournent vers ces «prédicateurs» est due à une gestion bureaucratique du culte chez nous, ce qui a poussé les Algériens à croire qu’il existe deux islams en Algérie. L’un officiel, celui du président de la République qu’il instrumentalise à des fins politiques et pour demeurer au pouvoir, et l’autre de la résistance défendue malheureusement par ces charlatans. La réforme que j’avais engagée, et que je concrétise maintenant que j’ai des prérogatives en tant que ministre, est de bannir cette distinction. Nous n’avons qu’un seul islam celui pratiquét par nos ancêtres.L’imam n’a pas à autoriser ou à interdire, sa mission est de donner des conseils, d’être un exemple de rectitude.

  • Dans ce chantier de réformes que vous avez engagé, le soufisme aura-t-il sa place?

Surtout le soufisme. Nous sommes un pays de révolution et de révolte nous sommes des Amazighs, c’est une réalité, nous refusons d’être matraqués comme nous refusons d’être contraints à des choix que nous refusons. Les Algériens ont épousé l’islam à l’époque de Omar Ben Abdelaziz, lorsque qu’il avait envoyé dix érudits savants qui représentaient l’islam authentique et modéré de Médine. Ce sont ceux-là qui ont marqué le Maghreb qui à une époque avait épousé le soufisme.

Les livres d’histoire nous apprennent que tous les exégètes et narrateurs pendant cinq siècles étaient des cheikhs soufis. Ils sont exégètes, jurisconsultes, narrateur de la tradition du prophète. Ce sont des choix non pas politiques mais ceux de la société elle-même. C’est pourquoi, lorsque est intervenu l’islam ottoman en Algérie, qui était nakchabandi dans un contexte soufi, il n’a laissé aucune trace en Algérie et c’est la même chose qui est intervenu dans le champ juridique avec son rite hanafite. Malgré la prédominance du rite malékite, les ibadites existent toujours. Le soufisme, la spiritualité qui est le ton dominant de notre référent religieux, le dogme d’El Achaâri qui utilisait la philosophie, sont les trois piliers de notre islam national qui sont soumis à la jurisprudence pour s’adapter au temps et à une diversité synonyme de richesse nationale.

  • Parlons justement de cette diversité. Comment retrouver cette cohabitation sereine entre les religions qui a de tout temps marqué l’Afrique du Nord?

Elle existe au niveau des institutions. Je reçois des correspondances, les chefs d’église et nous engageons une concertation concernant l’impact positif des religions monothéistes sur notre société. Les musulmans ne veulent pas convertir les autres qui ne le font pas non plus, ce qui a valu à monseigneur Duval d’avoir le surnom «Mohamed Duval», un homme qui avait soutenu la Révolution algérienne. Cela ne peut être oublié ou nié par la société algérienne, qui a la vision un peu parasitée. L’Algérien d’aujourd’hui n’accepte pas l’autre, son voisin, son coreligionnaire. Il faut insuffler le civisme dans la société, de sorte à renouer avec la civilisation moderne qui consiste en l’acceptation de l’autre. La mosquée doit bannir l’insulte contre les autres religions, il y a une évolution, mais des choses reste à faire.

  • Est-ce que, aujourd’hui, les autres religions ont une place en Algérie?

Tout à fait. Elles ont toutes leur place en Algérie, parce que d’abord ce sont des Algériens. Monseigneur Teissier a été consulté comme personnalité nationale pour la révision de la Constitution, le président de la République convie les chefs d’église aux fêtes nationales.

Le texte que nous avons soumis au gouvernement, qui j’espère va être validé en conseil du gouvernement, prend dans ses dispositions en charge l’organisation du culte autre que musulman à travers un mouvement associatif à caractère religieux. La République garantie la liberté de conscience interpelle les musulmans, les chrétiens et les juifs à s’organiser dans le cadre des lois de la République. C’est de cette façon que l’Etat défendra les églises, les synagogues s’il y lieu de les assister, de les sécuriser et d’insuffler dans la société le sentiment d’accepter l’autre et de pas avoir peur de cet autre.

  • Nous avons vu à Ghardaïa un conflit qui a pris une ampleur confessionnelle jusqu’à voir des individus profaner des tombes ibadites. Comment en sommes-nous arrivés là?

Le différend n’est pas religieux, il est d’ordre sociétal. C’est le refus de l’autre. Les problèmes du foncier, du travail, des arouchs et de l’appartenance se superposent avec une instrumentalisation malveillante dans une ambiance de haine. Quand on est figé dans une appartenance, on harcèle l’autre sur cette base. Sans citer les noms, il y a ceux qui se ressourcent au Yémen qui font une projection dans ce qui se passe à Ghardaïa, cela devient dangereux. Le malékite qui habite à Ghardaïa est un Algérien, qui doit éprouver ce sentiment d’appartenance au pays. Et c’est pareil pour le Mozabite, qui lui aussi, avec son propre rite est une communauté algérienne qui a réussi à vivre, à commercer dans toutes les régions du pays.

  • Le mouvement salafiste qui se fait de plus en plus conquérant, représente-t-il un danger pour la société?

Je dirais qu’il représente un égarement de la société. Cette dernière croit que l’islam rigoriste développé par le salafisme est l’islam réel, et que celui prêché par des imams rémunérés par l’Etat est faux. Et c’est pour cela que j’insiste sur la nécessité de revenir à notre islam ancestral au référent national avec une formation solide des imams. Je ne voudrais pas citer un pays spécifiquement, mais nous remarquons que des prédicateurs qui suivent la politique de leurs gouvernements, qui considèrent l’illicite d’hier comme étant licite aujourd’hui, parce que leur politique a changé, qui hier ont poussé vers Daech et qui aujourd’hui le condamnent…

  • L’Arabie Saoudite, via sa représentation diplomatique, diffuse gratuitement le Coran accompagné des «tafassir» (interprétations) qui n’ont rien à voir avec la pratique religieuse dans notre pays?

Je n’ai pas cette information, ni par mon inspection ni par les rapports de sécurité, mais si cela s’avère vrai, je vais officiellement interpeller, par le voie diplomatique, l’ambassade qui se prête à cet exercice. C’est strictement interdit. Il est interdit aux Algériens de se faire accompagner par des manuels de pratique religieuse de certains pays. L’Etat sait se défendre et défendra la société. L’Algérie imprime son Coran, diffuse gratuitement des manuels qui nous sont propres. J’ai connaissance que certaines chancelleries d’obédiences autres que celle que vous citiez ont été interpellées et que certains diplomates ont été invités à quitter l’Algérie parce qu’ils ont usé de manuel de prosélytisme d’un rite banni dans notre pays.

Hacen Ouali

LE DAECH EN NOUS

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par K. Selim

le Quotidien d’Oran

éditorial du 20 août 2014

Le grand mufti d’Arabie Saoudite, Abdel Aziz Al-Cheikh, a fait une découverte, le Daech ou l’Etat islamique est un mouvement extrémiste, terroriste, criminel intolérant, diviseur…. Il a donc décidé de le condamner et de le pourfendre sur le mode «classique» que ce ne sont pas des vrais musulmans mais des kharijites… Littéralement ceux qui sont sortis de la communauté, les «premiers séditieux», ceux qui ne font plus partie de nous… Ils «n’ont rien avec l’Islam», a-t-il dit, ils sont «l’ennemi numéro1» des musulmans.

Le grand mufti s’est mis dans la «ligne». Depuis que le roi Abdallah d’Arabie Saoudite a critiqué le «silence et la paresse» des oulémas sur la menace du Daech, le mufti se rattrape. En reprenant le discours éculé du Daech ou Al-Qaïda qui seraient un «phénomène étranger (Gharib) à nos sociétés». Comme si les «idées» frustres et moyenâgeuses du Daech étaient tombées du ciel, comme si elles n’étaient pas le produit «fini» d’un travail, patient et fortement financé, des religieux saoudiens.

Sur les réseaux sociaux, on a également cette tendance à «externaliser» le Daech, à le mettre sous le compte d’un «complot américain». On a même inventé des propos, faux et totalement farfelus, à Mme Hillary Clinton, disant que les Américains «ont créé Daech». Les Etats-Unis ont de lourdes responsabilités dans ce qui arrive à l’Irak et dans toute la région. Ils ont détruit un Etat, très imparfait, dissous une armée qui aurait été bien utile et ont ouvert un grand boulevard aux djihadistes qui, c’est le cas de le dire, étaient bien «étrangers» à l’Irak. Mais les idées du Daech ne sont pas venues de «l’étranger», elles n’ont pas été concoctées par la CIA. Elles sont diffusées continuellement par les religieux saoudiens et apparentés dont les visions étriquées ont été amplifiées par l’argent et les satellites.

Ceux qui font le Daech n’avaient pas à inventer des «idées», elles sont servies depuis au moins trois décennies par l’Etat le plus riche du monde. Que cet Etat islamique s’installe entre l’Irak et la Syrie, n’est pas non plus étranger au soutien multiforme apporté aux djihadistes prenant le chemin de l’Irak et du Levant. Rien n’est étranger dans le Daech. Comme le souligne avec une noire et rageuse ironie, dans le journal électronique “raialyoum.com”, l’écrivain irakien Ali Al-Sarraf, Daech n’invente rien, il pratique à ciel ouvert ce que les régimes et les gouvernants font de manière discrète.

Car on fait effectivement du Daech quand on combat de manière routinière et brutale les libertés, quand on refuse la citoyenneté, quand on méprise le savoir, quand on entretient la détestation des femmes dès l’enfance, quand on diffuse, méthodiquement à travers les médias satellitaires, la haine des chiites et des autres. «Chacun est Daech et tout un chacun est responsable de la Daichia», assène l’écrivain. Massacrer, tuer des innocents, écraser les femmes, persécuter des minorités, tout cela n’a rien d’étranger à ce qui se passe chez nous, sous les gouvernances autoritaires et violentes. La seule différence est que Daech ne se cache pas en le faisant, il tient au contraire à le diffuser.

Il devient presque superflu de se questionner sur «l’utilité» de ce type de mouvement pour les ingérences étrangères, pour les jeux de l’Empire dans l’orchestration du chaos présumé créateur. C’est la vocation des Etats qui ont la puissance et la capacité de se projeter sur le long terme de profiter de toutes les situations et même de les créer sans se soucier du prix payé par les populations. «Celui dont la culture, le comportement et la barbarie sont les mêmes que ceux de Daech ferait preuve de la plus haute hypocrisie s’il lui jette la pierre», écrit Ali Al-Sarraf. Il serait en effet trop facile par une simple dénonciation du roi et du mufti d’absoudre l’Arabie Saoudite de son rôle hyper-négatif dans la fabrication de générations entières d’esprit borné et haineux.

Le «Califat» n’a pas d’avenir mais le Daech est en nous.

Il est semé et amplifié par les autoritarismes qui entravent l’évolution des sociétés.

Le Daech est notre problème à tous. Et l’establishment religieux et le pouvoir saoudien font partie du problème.

Sources: Le Quotidien d’Oran


ALGER 1er MARS: L’ISLAMISME EN ALGÉRIE AUJOURD’HUI

afaqichtirakiya perspectives socialistes

afaqichtirakiya  perspectives socialistes

Samedi 1er mars 2014

à 14 h

Le Rassemblement de gauche R(d)G

a le plaisir de vous inviter à la

rencontre-débat

qu’il organise le samedi 1er mars 2014

à 14 heures

sur le thème de

l’islamisme en Algérie aujourd’hui.

Mouvement Démocratique et Social - MDS

Cette rencontre sera animée par Fethi Gherras,

porte-parole du Mouvement démocratique et social (MDS)

La rencontre se déroulera au siège national de cette formation

qui a eu l’obligeance de nous ouvrir ses portes :

67, bd Krim Belkacem (ex-Telemly), à Alger


الإسلاموية ووهم التأصيل

تتكاثر التحاليل والمقاربات حول الإسلاموية التي تحاول اكتناه الظاهرة ,وتحديد علل نشأتها وتقلب أحوالها.لم تكن هذه الرؤى في أغلبها قادرة على تأويل الخطاب الإسلاموي ,وهنا التأويل يأتي بمعنى التقصي بقصد الإمساك بالمدلول الأصلي و المضمر بفعل الكثافة الإيديولوجية لخطاب الهوية .لذا نحاول من خلال هذه المداخلة كسر المتداول وكشف حقيقة الإسلاموية بعيدا عن عصاب الخطابات الجاهزة المؤيدةوالمعادية.سنكشف عن المسارات ونرصد المحطات الدالة ونسائل الراهن ونحاول إستشراف المستقبل .همنا الوحيد عتق التفكير بما فيه التفكيرفي السياسي من سؤدد الهوية ومطب الخصوصية للإنخراط وبشكل نهائي وعن وعي في التاريخ الكوني