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ISLAMISME, LES HÉRITIERS D’UN CORPUS DOGMATIQUE ET JURIDIQUE...

mercredi 8 avril 2015

blog de Michel Peyret
"avec Marx"
le 07 avril 2015

Pour Ridha Khaled, « les groupes islamistes fondamentalistes sont les héritiers d’un corpus dogmatique et juridique qui, au nom de Dieu, empêche toute remise en cause de l’ordre social. Leur opposition radicale, aux pouvoirs nés après les indépendances, porte plus sur le cadre de référence que sur les soubassements économiques et sociaux. Leur jargon « révolutionnaire » cache un projet social qui n’a que le Passé comme horizon. Le verbe révolutionnaire est la coque d’une idéologie fondamentalement réactionnaire.C’est dans ce cadre, que se révèle la portée de leur défense acharnée de la propriété privée et des inégalités sociales, tenues l’une et l’autre pour naturelles et conformes à la Volonté divine. Alors qu’elles ne sont que le produit de l’évolution sociale des sociétés humaines et qu’elles ne sont ni immuables ni sacrées. »

Pénétrons plus avant ce corpus...

Michel Peyret


ISLAMISME, PRINTEMPS ARABE ET RÉVOLUTION

nawaat.org/
Opinions
Ridha Khaled
le 5 Novembre 2013

http://nawaat.org/portail/2013/11/05/islamisme-printemps-arabe-et-revolution/


Image : Ali Garboussi

La dimension sociale de l’Islam est manifeste aussi bien dans ses principes de base que dans ses mesures légales. H.Grimme considère l’Islam comme « une tentative de type socialiste, pour s’opposer à des imperfections terrestres excessives », alors que Bendeli Djawzi voit essentiellement dans le Prophète un réformateur social [1] Quant à Henri Laoust, il analyse ces principes d’éthique économique islamique, parlant de « solidarisme » et de « communautarisme » …C’est bien ainsi que pourrait se définir une philosophie économique d’inspiration musulmane. [2]

Dans une étude précédente [3], nous avons montré comment la révolution sociale engagée par l’Islam n’est pas arrivée à son terme. Les courants justicialistes et égalitaristes ont été éliminées, au profit d’une conception discriminatoire du pouvoir et de la société.

Le droit musulman, né sous les pouvoirs oligarchiques, a consacré cet état de fait avant que le dogme n’intègre lui aussi cette conception qui fixe, au nom de la Prédestination, le statut social de chaque individu.

Mais cette idéologie qui légitime oppression et exploitation a été, tout au long du Moyen Âge, contestée par les groupes sociaux opprimés : paysans, commerçants et jeunes marginaux. « Tout le Moyen Âge musulman est jalonné de soulèvements paysans qui présentent un caractère égalitaire très marqué. » [4] Ces mouvements protestataires sont épisodiques et sporadiques. Ils s’expriment en termes religieux, liés au fond religieux particulier. Les utopies de prospérité, d’égalité et d’abondance sont étroitement associées à des images rurales, à un mode de vie très proche d’une économie naturelle de subsistance. Elles expriment la nostalgie d’un état d’harmonie entre l’homme et la nature, entre la foi et le mode d’organisation sociale. [5]

Elles entretiennent une ambiguïté entre le passé et l’avenir et se situent en dehors du temps avec une conception du monde à laquelle l’idée de progrès est presque toujours étrangère. [6]

Les groupes islamistes fondamentalistes sont les héritiers d’un corpus dogmatique et juridique qui, au nom de Dieu, empêche toute remise en cause de l’ordre social.

Leur opposition radicale, aux pouvoirs nés après les indépendances, porte plus sur le cadre de référence que sur les soubassements économiques et sociaux. Leur jargon « révolutionnaire » cache un projet social qui n’a que le Passé comme horizon. Le verbe révolutionnaire est la coque d’une idéologie fondamentalement réactionnaire.

C’est dans ce cadre, que se révèle la portée de leur défense acharnée de la propriété privée et des inégalités sociales, tenues l’une et l’autre pour naturelles et conformes à la Volonté divine. Alors qu’elles ne sont que le produit de l’évolution sociale des sociétés humaines et qu’elles ne sont ni immuables ni sacrées.

Pour les islamistes fondamentalistes, la réalité se situe entre un passé mythique et un futur utopique (la ré-instauration du Califat). Dès lors, l’islamisme est tiraillé entre deux options : s’intégrer à l’ordre mondial capitaliste ou refuser de manière radicale la société contemporaine, se compromettre en renonçant à l’utopie de « l’Etat islamique » ou bien rompre avec ce monde et s’accrocher à une utopie réactionnaire.

Les tentatives timides de certains penseurs islamistes de mettre en exergue la justice sociale ou d’associer islam et socialisme, sont demeurées marginales dans la littérature islamiste.

De Sayyid Qutb, elle n’a retenu que sa conception globalisante, pour ne pas dire totalitaire, de l’Islam et son rejet radical de tout ce qui lui est étranger. « Le motif du « retour (aux origines) » ne vise pas à restaurer l’origine que le présent nie, mais à nier le présent. » [7]

Cette coupure radicale donne à ses adeptes l’impression d’être les plus purs et les plus engagés dans la défense de l’Idéal islamique, qui culmine dans l’instauration d’un État qui appliquerait intégralement la loi religieuse.

Les misères, les inégalités de Classe et les disparités régionales sont sacrifiées au profit d’un rêve, sensé faire retrouver aux musulmans leur grandeur perdue. Outre son caractère fumeux, ce rêve ignore l’histoire réelle, les conflits meurtriers, les divergences doctrinales, les contradictions sociales… Bref les hommes tels qu’ils ont été, tels qu’ils sont et tels qu’ils le seront. Il se maintient et se propage parce qu’il allie nationalisme et foi religieuse.

Il se développe dans et par le cloisonnement. Il évoque par son hostilité au reste de l’humanité le réflexe tribal qui sépare les proches des étrangers.

Son pendant en Occident est le populisme raciste de l’extrême droite.

Les auteurs islamistes reprennent les thèses de l’idéologie religieuse dominante et ne mentionnent que rarement ou ignorent les thèses contestataires, classées par l’orthodoxie dominante comme étant des hérésies théologiques et sociales.

La poussée islamiste ne répond pas uniquement à un ressentiment à l’égard de l’Occident dominant, mais également à une quête d’un Idéal qui réconcilie les affirmations identitaires avec des attentes et des aspirations sociales, une recherche d’une adéquation entre les valeurs véhiculées par le substrat culturel et les normes du monde moderne.

C’est une forme de contestation de la domination culturelle, politique et économique de l’Occident. Elle est à la fois l’exigence d’un enracinement religieux et d’une rupture avec la situation de dépendance et de soumission à l’égard des dominants.

« L’islamisme fondamentaliste ne propose que peu d’innovations théologiques porteuses de changements. L’islam est réinterprété en fonction des autres idéologies. Avant d’être islamiste ou marxiste, on est d’abord nationaliste. C’est l’anti-impérialisme qui constitue une idéologie implicite de tous les courants contestataires, témoin de la persistance de la question nationale et sa non-résolution. » [8] Le flirt, entre la mouvance alter-mondialiste et les acteurs se référant à l’islam, tient plus de la lutte anti-impérialiste que de la lutte de Classes. [9]

La révolution iranienne a présenté un moment fort dans l’histoire de l’islamisme.

Révolution populaire contre la tyrannie et le faste du Chah, elle fut vite encadrée par et au profit du Clergé chiite. Récupérant les concepts de « déshérités » et d‘« arrogants », popularisés par Shariati et les Moudjahidine du Peuple, il a réussi à rallier les masses populaires, éliminant tour à tour l’opposition de Gauche et l’opposition libérale. Maître de l’État et de la société, il a instauré une économie dirigiste, un Capitalisme d’Etat profitant à ses membres et aux commerçants alliés du Bazar. En Iran, « les grandes fondations sont gérées comme des holdings sous l’autorité de personnalités nommées par l’autorité politique, mais sur un mode privé, non sans bénéficier des avantages fiscaux et autres. Elles coexistent avec un secteur public qui demeure puissant en dépit des privatisations. Elles prospèrent à l’interface de ce secteur public, du secteur privé, du secteur coopératif- et des Waqf au sens classique du terme. C’est ce que les Iraniens nomment le quatrième secteur » [10]

Les « déshérités » sont devenus des assistés et la liberté et la justice ne sont plus que des termes enjolivant un discours populiste et nationaliste. Au rêve d’une société plus juste, tant défendu par Shariati, s’est substitué un rêve de puissance, d’une nation sous la menace.

L’utopie islamiste paraissait s’essouffler, suite aux campagnes répressives et au désenchantement des adeptes, lorsque survint le Printemps arabe. Durant les décennies qui le précédèrent, l’islamisme militant se transforma en islamisme affairiste. Gagné à la doctrine néo-libérale, alliant management et références religieuses, il s’imbiba de culture américaine.

Œuvre de la jeunesse révoltée, le Printemps arabe a mobilisé les masses populaires autour de mots d’ordre de liberté, de dignité et de justice sociale. Hésitants, les islamistes ne l’ont que tardivement rallié. Mais l’évolution ultérieure leur a permis d’engranger les bénéfices.

Les élections libres leur donnèrent la victoire, consacrant le divorce entre les idéaux de la « Révolution » et ceux qui sont sensés les réaliser.

La gestion brouillonne, des gouvernements dominés par les islamistes, ne fait que confirmer le Paradoxe d’une révolte réclamant plus de justice et de progrès avec des mouvements de nature réformiste, acquis au Credo néo-libéral !

Le désir d’une société plus juste, plus ouverte sur le Monde, plus libre et maîtresse de son devenir ne peut être satisfait par des mouvements dont l’idéologie se réclame d’une lecture du dogme et du droit religieux qui nient et la liberté et la justice. Il ne peut être satisfait par une vision du Monde qui lit l’avenir dans le Passé.

Si le Printemps arabe a réussi à chasser des tyrans du pouvoir, il ne deviendra véritablement une révolution que s’il change de manière radicale les structures sociales et politiques, qui ont permis à ces tyrans de sévir durant des décennies. Il ne pourra atteindre ses objectifs qu’en passant par une révolution culturelle, qui rompt avec un héritage dogmatique et juridique qui consacre la soumission, les inégalités et la discrimination.

C’est en renouant avec l’égalitarisme de ces hommes humbles qui ont permis le triomphe de l’Islam, en valorisant ceux qui se sont soulevés tout au long de l’histoire contre le despotisme et l’exploitation, qu’il s’enracinera dans l’histoire. C’est en popularisant les thèses des Haddad, Shariati, Khaled Mohamed Khaled ; en approfondissant la réflexion menée par les Moudjahidine du Peuple et les « islamistes progressistes » qu’il ouvrira des perspectives.

C’est en s’abreuvant à toutes les sources doctrinales de justice et de progrès, et en se ralliant aux faibles, aux exclus, aux victimes de l’injustice et de l’oppression, qu’il triomphera.

C’est à ce prix que le Printemps fleurira liberté, justice et dignité pour tous.

Posté par Michel Peyret à 04:31 - religions - Commentaires [0] - Permalien [#]



Voir en ligne : http://michelpeyret.canalblog.com/a...


[1La vie de Mahomet .1892 in Histoire générale du Socialisme 42.

[2Louis Gardet. Les hommes de l’Islam 159.

[4Histoire générale du Socialisme 43.

[5Idem 48.

[6Idem 49.

[7Gabriel Martinez-Gros. Religion et politique, de Mahomet à Ben Laden, L’Histoire n° 281 nov 2003.

[8Nicolas Dot Pouillard. Rapports entre mouvements islamistes, nationalistes et de gauche au Moyen Orient.

[9www.religion.info Husam Tammam, Patrick Haenni Les Frères musulmans égyptiens face à la question sociale.

[10www.scienceshumaines.com Jean François Bayart « L’islam républicain, Ankara, Téhéran, Dakar »

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