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DOSSIER GRECE

YANIS VAROUFAKIS : "NOUS AVONS TRAHI LA GRANDE MAJORITÉ DU PEUPLE GREC !"

mardi 25 août 2015

Propos recueillis par Pavlos Kapantais.
L’OBS, le 20 août 2015

Nous avons rencontré l’ex-ministre des Finances grec un jour avant qu’Alexis Tsipras annonce la tenue d’élections anticipées. Il sera l’invité d’honneur ce dimanche de la Fête de la rose organisée par Arnaud Montebourg. Il revient sur sa démission et ses rapports avec le Premier ministre grec.

Yánis Varoufákis, ancien ministre grec des Finances (Maxime Gyselinck pour l’Obs)

C’est un homme souriant, en apparence apaisé, qui nous accueille dans sa résidence secondaire sur l’île d’Egine. Sa femme, Danaé, et un ami proche sont assis sur la terrasse qui donne sur la mer. Propos recueillis par Pavlos Kapantais .

Vous vous êtes opposé à la décision d’Alexis Tsipras, le 13 juillet, d’accéder aux demandes des créanciers. Pourrions-nous vous voir sur les listes électorales d’un autre parti lors des prochaines élections ?
Yanis Varoufakis : Si les élections anticipées débouchent sur un gouvernement et un parti qui auront reçu un mandat populaire pour appliquer l’accord du 13 juillet, je ne pourrai évidemment pas en faire partie. Alexis Tsipras est rentré du sommet européen du 12 juillet, où nous avons assisté de fait à la capitulation du pays, en expliquant son positionnement. Celui-ci reposait, selon lui, sur un grave dilemme : soit on acceptait ce programme non viable, soit le plan Schäuble [le ministre allemand des Finances, NDLR] de "défenestration" de la Grèce de la zone euro était mis en action. C’est là que commence ma principale objection : je ne crois pas que le dilemme soit là. Je crois que le "plan Schäuble" est en train de se réaliser. C’est en votant "non" au référendum que je reste fidèle au programme de Syriza. Si je suis d’accord avec Alexis Tsipras pour dire que le Grexit doit être évité, selon moi, le maintien de la Grèce dans la zone euro passait justement par le rejet de ce nouveau et troisième mémorandum. C’est là que nos opinions divergent. Alexis [Tsipras] considère que cet accord est l’alternative au "Grexit" de Schäuble, moi je considère que ce mémorandum fait partie du plan de Schäuble [de sortie de la Grèce de la zone euro].

Pendant les négociations, vous avez souvent dit que pour que les négociations puissent aboutir, il aurait fallu que le FMI, la Commission et la Banque centrale européenne soient moins divisées. Quelle était la nature de ces divisions ?
Yanis Varoufakis : Il est évident que cela aurait été plus simple… Le FMI a reconnu dès le départ que la dette était beaucoup trop importante pour que le pays puisse espérer s’en sortir. Mais la même institution était intraitable sur les réformes du droit du travail. En revanche, lorsqu’on allait parler aux Européens, ils nous disaient exactement le contraire ! Ils étaient d’accord avec nous sur le droit du travail, mais, pour eux, le fait d’envisager un effacement même partiel de la dette était un sujet tabou. Leurs divergences sont impossible à gérer, il faut qu’ils se mettent d’accord. Quand vous vous retrouvez pris en étau entre des discours contradictoires, la négociation devient quasiment impossible : vous êtes cerné par les lignes rouges des uns et des autres et, par conséquent, la discussion ne peut pas avancer.

Quel a été le rôle de la France au sein de l’Eurogroupe, et comment jugez-vous ce rôle ?
Yanis Varoufakis : Le gouvernement français avait une perception très proche de la nôtre. Mais excepté quelques phrases de soutien lancées par Michel Sapin, cela ne s’est pas traduit par un réel soutien. Ses interventions ont été immédiatement rejettées par les autres, et plus particulièrement par Schäuble. Il est vrai que, lorsque j’ai fait remarquer la grande différence entre ce qui se disait à huis clos et ce qui se disait publiquement, un personnage haut-placé m’a dit que "la France n’était plus ce qu’elle était". A l’intérieur de l’Eurogroupe, nous avons pu travailler avec Michel Sapin, notamment pour trouver un compromis entre la continuité des engagements pris par l’Etat grec et le principe de démocratie. Car le peuple grec s’est très nettement exprimé contre l’austérité lors des élections législatives de janvier. Michel Sapin l’a rappelé à plusieurs reprises au sein de l’Eurogroupe. Cependant, la réponse de Schäuble fut catégorique : les élections ne changeaient rien au problème car si les règles devaient évoluer à chaque fois qu’un nouveau gouvernement était élu, l’Eurogroupe n’aurait plus de raison d’être et la zone euro s’effondrerait.

(Maxime Gyselinck pour l’Obs)

Comment s’est passée exactement votre démission le soir du référendum ? Que vous a dit Alexis Tsipras ? Avez-vous pris cette décision ensemble, ou est-ce un gage qu’il a dû respecter sous le chantage, une reddition ?
Yanis Varoufakis : La semaine qui a précédé la fermeture des banques, je considérais – et je considère toujours – que nous aurions dû nous opposer à cette décision scandaleuse de l’Eurogroupe. Mais comme nous étions dans la ligne droite qui menait au référendum, il était de notre devoir de rester unis et de travailler pour la victoire du "Non". Et le "Non" l’a emporté. Α ce moment-là, j’ai ressenti une immense responsabilité face à ces gens qui ont su s’opposer à toutes les attaques médiatiques contre les partisans du "Non", au moment même où les banques avaient été fermées pour leur faire peur. J’ai considéré alors que notre rôle était d’honorer ce courage. Je suis rentré à Maximou [résidence officielle du premier ministre grec, NDLR] imprégné et motivé par l’énergie de notre très courageuse population et je me suis trouvé confronté à la volonté de capitulation de la part des autres membres de notre groupe politique responsables des négociations [1]. Ma position ayant toujours été de dire : "Je préfère que l’on me coupe la main plutôt que de signer un nouveau mémorandum", mon départ à ce moment s’est imposé à tout le monde comme une évidence.

Alexis Tsipras aurait-il dû démissionner ?
Yanis Varoufakis : Personnellement, je crois toujours ce que l’on me dit. Lors de notre arrivée au pouvoir, nous nous étions dit deux choses Alexis Tsipras et moi : premièrement, que notre gouvernement essaierait de créer la surprise en faisant réellement ce que nous avions promis de faire. Deuxièmement, que si jamais nous n’y arrivions pas, nous démissionnerions plutôt que de trahir nos promesses électorales. C’est pourquoi, d’ailleurs, à quelques jours du référendum, j’avais déclaré que si le "Oui" l’emportait, je démissionnerais immédiatement. Je n’ai pas la capacité de faire des choses en lesquelles je ne crois pas. Je pensais que c’était notre ligne commune. Finalement, à travers les décisions gouvernementales, c’est le "Oui" qui l’a emporté et pas le "Non"...

Vous sentez-vous trahi par Alexis Tsipras ?
Yanis Varoufakis : Je crois que nous avons trahi la grande majorité (62%) du peuple grec. En même temps, il est évident que ce résultat n’était pas un mandat de sortie de la zone euro. Comme Alexis Tsipras, j’ai toujours été opposé à ce scénario, même si je critique avec virulence l’architecture de l’eurozone. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle j’ai été nommé ministre des Finances. Mais à travers ce référendum, le peuple nous a clairement dit : "Battez-vous pour un meilleur accord, et si l’on vous menace de Grexit ou de tout autre catastrophe, n’ayez pas peur."

Étiez-vous matériellement prêt à sortir de l’euro ?
Yanis Varoufakis : C’est une question intéressante pour la zone euro dans son ensemble. Le problème, c’est qu’on ne peut pas envisager sérieusement une éventuelle sortie d’un pays de la zone euro. Car dès que la discussion commence, le mécanisme est enclenché et aussitôt les banques du pays concerné s’écroulent. Par conséquent, il est tout simplement impossible d’avoir un plan B opérationnel. Il ne peut être que théorique. Nos études sur la question, comme celles de la BCE d’ailleurs, n’était confiées qu’à 5-6 personnes pour rester discrètes. Pour qu’un tel plan soit opérationnel, il faudrait que près d’un millier d’experts se coordonnent. Cela ne pourrait plus rester secret, et provoquerait donc une panique bancaire, avec une sortie de l’euro à la clé…

Alexis Tsipras n’a donc jamais sérieusement envisagé ce scénario ?
Yanis Varoufakis : Je crois que cela n’a jamais été envisagé, ni par Tsipras, ni par moi. Ce que j’ai essayé de mettre en place, après que Dijsselbloem [le président de l’Eurogroupe], dès le 30 janvier, a menacé de fermer nos banques si nous n’appliquions pas le mémorandum, çela a été une série de solutions d’urgence pour créer de la liquidité si ce scénario devait se produire. Le but était de survivre quelques semaines à l’intérieur de la zone euro malgré les banques fermées, jusqu’à ce que l’on arrive à un accord. Malheureusement, le gouvernement n’a pas voulu appliquer ce programme : on a juste attendu que le référendum ait lieu pour capituler juste après.

À quoi aura servi le référendum finalement ?
Yanis Varoufakis : Pour la Grèce, il n’aura servi à rien. Il n’a pas aidé le gouvernement. Il n’a pas non plus aidé le peuple qui a voté "Non". Le peuple a été abandonné et trahi. Et pourtant, à cette occasion, les peuples européens ont vu qu’il pouvait y avoir des citoyens fiers qui refusaient les chantages et ne se faisaient pas manipuler par leurs médias. Les Grecs ont montré l’exemple aux autres peuples européens. Mais le leadership politique grec, moi y compris, n’a pas su capter cette résistance populaire et la transformer en une force pour mettre fin à l’autoritarisme et l’absurdité du système.

(Maxime Gyselinck pour l’Obs)

Croyez-vous que le FMI participera au programme grec ?
Yanis Varoufakis : Je ne peux pas imaginer comment le FMI pourrait participer à ce nouveau programme sans que cela ne lui crée d’immenses problèmes internes. Ces derniers jours cependant, des voix au sein de l’Europe commencent à discuter d’un rallongement des maturités concernant la dette grecque.

Ne croyez pas que cela sera suffisant pour convaincre le FMI de participer ?
Yanis Varoufakis : Cela dépendra des paramètres mis en place. Si l’Eurogroupe décide que les 312 milliards de dette pourront être remboursés à partir de l’année 2785 et que d’ici là il n’y aura aucun versement à réaliser, cela pourrait fonctionner car il s’agirait de fait d’un effacement de la dette. Pour le moment il y a un problème tant avec la valeur nominale de la dette qu’avec le calendrier des paiements. Pour être concret, regardez ce qui est prévu pour 2022. C’est comique ! Les paiements annuels prévus passent d’un coup de 10 milliards annuels à 30 milliards ! C’est comme si l’on déclarait à la terre entière qu’à l’horizon 2022-2023, la Grèce allait faire faillite ! Qui dans ces conditions viendra investir à long terme, quand on sait qu’en 2018 le pays doit afficher un excèdent budgétaire de 3,5%, ce qui signifie évidemment d’importantes hausses d’impôts, qui conduiront le pays dans le mur…

Quelle est votre solution ?
Yanis Varoufakis : Laissez-moi plutôt poser une autre question, que j’ai soumise aux membres de l’Eurogroupe en poussant leur raisonnement jusqu’au bout : "Ne serait-il pas mieux d’abolir les élections pour les pays se trouvant dans un programme d’aide ? Cela aurait le mérite d’être clair. Nous pourrions déclarer par la suite que nous avons créé une union monétaire en Europe qui abolit la démocratie pour les pays ayant une dette qu’ils ne peuvent pas rembourser". Comme vous l’aurez compris, la discussion s’est arrêtée là... Par ailleurs, mes opposants les plus farouches, au-delà de Schäuble, ont été les pays ayant imposé à leurs populations des cures d’austérité très dures. Quand on sait, par exemple, qu’en Lettonie la moitié de la population a dû s’expatrier à cause de la cure d’austérité imposée au pays, il est prévisible que les dirigeants lettons ne veuillent pas s’exposer à la vindicte populaire en laissant le gouvernement grec démontrer qu’une autre voie existe.

Que pensez d’Euclide Tsakalotos, le nouveau ministre des finances ? Quels conseils lui avez-vous donnés ?
Yanis Varoufakis : Euclide est un ami très cher et un excellent collègue. Nous sommes très proches. Il est comme un frère pour moi. Et j’ai de la peine pour lui : au moment où j’ai pris en charge le ministère, nous vivions des moments de joie, des moments historiques et héroïques. Euclide a été nommé, et il en est tout à fait conscient, pour mettre en place la capitulation.

Comment voyez-vous aujourd’hui l’avenir de Syriza et celui de la Grèce ?
Yanis Varoufakis : Il faut toujours rester optimiste quand on parle d’un pays comme la Grèce qui a derrière lui une histoire longue de plusieurs millénaires. Je considère que plus la crise s’intensifie, plus nous sommes proches du moment où, enfin, on accèdera à la lumière. L’heure la plus sombre vient toujours avant l’aube. Quant à Syriza, si le parti ne parvient pas à rester uni malgré les différences d’opinion qui le traversent concernant l’accord, il n’a aucun avenir. S’il réussit, il jouera un rôle hégémonique en Grèce pendant de très nombreuses années.

Mais comment Syriza pourrait-il rester uni, étant données ses profondes divisions actuelles ?
Yanis Varoufakis : Les bons camarades peuvent rester unis malgré leurs divergences. Si nous parvenons à garder cet esprit, il a un espoir d’unité. Mais cet espoir disparaitra tôt ou tard si l’on continue à appliquer le mémorandum en prétendant qu’il est viable.

Pensez-vous que l’administration et l’Etat grec sont capables de se réformer ?
Yanis Varoufakis : Evidemment ! Il ne faut pas être négatif. Depuis une vingtaine d’années, il y a eu de nombreux progrès. Mais malheureusement la Troïka ne s’intéresse pas réellement à cela. Ce qu’elle veut avant tout c’est de garder sa mainmise sur l’économie de notre pays.

Pensez-vous publier un jour les enregistrements que vous avez des réunions de l’Eurogroupe ?
Yanis Varoufakis : Si je ne l’ai pas fait jusqu’ici, et malgré tous les mensonges que l’on a racontés sur moi , c’est pour démontrer que je respecte les règles du jeu. Mais malgré leur importance, il n’y a pas de compte rendu officiel de ses réunions ! Un jour, je rendrai donc ces enregistrements publics.

Comment voyez-vous votre avenir ?
Yanis Varoufakis : (rires) Question intéressante ! Je resterai actif politiquement quoi qu’il arrive, avec cependant une nouvelle certitude : toutes ces questions, l’austérité, la dette… doivent être pensées au niveau européen. Et en concertation avec les peuples qui souffrent et leurs représentants et non un Eurogroupe qui, lui, n’a aucune existence institutionnelle et donc n’a de comptes à rendre à aucune institution. S’il n’y a pas un mouvement européen pour démocratiser la zone euro, aucun peuple européen ne verra de jours meilleurs : ni les Français, ni les Italiens, ni les Irlandais, personne. C’est un combat fondamental qui nous reste à mener.

Propos recueillis par Pavlos Kapantais

(Maxime Gyselinck pour l’Obs)

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Voir en ligne : http://tempsreel.nouvelobs.com/la-c...


[1(groupe de six membres du gouvernement responsable des négociations comprenant à l’époque Alexis Tsipras, Yannis Dragasakis le vice-président du gouvernement grec, Yanis Varoufakis, George Stathakis le ministre de l’économie, Euclide Tsakalotos à l’époque vice-ministre des finances, et Nikos Pappas ministre auprès du premier ministre et bras droit d’Alexis Tsipras.