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LES FRÈRES MUSULMANS DANS LA RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE

par Samir Amin, le 15 février 2011

vendredi 18 février 2011


La révolution égyptienne en cours illustre la possibilité de la fin annoncée de ce système dit « néolibéral », remis en cause dans toutes ses dimensions politiques, économiques et sociales.

Ce mouvement gigantesque du peuple égyptien associe quatre composantes : les jeunes « re-politisés » par leur propre volonté et dans des formes « modernes » qu’ils ont inventées ; les forces de la gauche radicale ; celles rassemblées par les classes moyennes démocrates ; des segments des Frères Musulmans.

Les jeunes ont été le fer de lance du mouvement et ont initié ce mouvement, immédiatement rejoints par la gauche radicale et les classes moyennes démocrates.
Les Frères Musulmans qui avaient boycotté les manifestations pendant les quatre premiers jours (persuadés que celles-ci seraient mises en déroute par la répression) et qui restent minoritaires dans le mouvement, n’ont rejoint les cortèges que plus tard.
_ Les jeunes et la gauche radicale poursuivent trois objectifs communs :

  • la restauration de la démocratie (la fin du régime militaire), l
  • a mise en œuvre d’une nouvelle politique économique et sociale favorable aux classes populaires (la rupture avec la soumission aux exigences du libéralisme mondialisé),
  • et celle d’une politique internationale indépendante (la rupture avec la soumission aux exigences de l’hégémonie des Etats Unis et du déploiement de son contrôle militaire de la planète).

Ils font de cette révolution démocratique une révolution démocratique anti-impérialiste.
Les classes moyennes se rassemblent dans l’ensemble autour du seul objectif démocratique, sans sérieusement remettre en cause le « marché » (tel qu’il est) et l’alignement international de l’Egypte.

Les Frères Musulmans constituent la seule force politique dont le régime avait non seulement toléré l’existence, mais dont il avait soutenu activement l’épanouissement.
Les Frères Musulmans n’ont jamais été, et ne peuvent être « modérés », encore moins « démocratiques ». Leur « chef » – le « mourchid » (traduction arabe de « guide » – « führer ») est autoproclamé, et l’organisation repose sur le principe de la discipline et de l’exécution des ordres des chefs, sans discussions d’aucune sorte.
La direction est constituée exclusivement d’hommes immensément riches (grâce entre autre au soutien financier de l’Arabie Saoudite, c’est-à-dire de Washington), l’encadrement par des hommes issus des fractions obscurantistes des classes moyennes, la base de gens du peuple recrutés par les services sociaux de charité offerts par la confrérie (et financés toujours par l’Arabie Saoudite), tandis que la force de frappe constituée par les milices sont recrutés (et payés) dans le lumpen.

Les Frères Musulmans sont « modérés » dans le double sens qu’ils ont toujours refusé de formuler un programme économique et social quelconque et que de ce fait ils ne remettent pas en cause les politiques néolibérales, réactionnaires et qu’ils acceptent de facto la soumission aux exigences du déploiement du contrôle des États-Unis dans le monde et dans la région.
Ils sont donc des alliés utiles pour Washington (y a-t-il un meilleur allié des États-Unis que l’Arabie Saoudite, patron des Frères ?) qui leur a décerné pour légitimer cette alliance le titre honorable de « démocrates » !

Mais les États-Unis ne peuvent avouer que leur stratégie vise à mettre en place des régimes « islamiques » dans la région.
Ils ont besoin de faire comme si « cela leur faisait peur ». Parce que par ce moyen ils légitiment leur « guerre permanente au terrorisme », qui poursuit en réalité d’autres objectifs : le contrôle militaire de la planète destiné à réserver aux États-Unis – Europe – Japon, l’accès exclusif aux ressources.
Avantage supplémentaire de cette duplicité : elle permet de mobiliser « l’islamophobie » des opinions publiques.
L’Europe, comme on le sait, n’a pas de stratégie particulière à l’égard de la région et se contente de s’aligner au jour le jour sur les décisions de Washington.

Il est nécessaire plus que jamais de faire apparaître clairement cette véritable duplicité de la stratégie des États-Unis, dont les opinions publiques – manipulées avec efficacité – sont dupes.
Les États-Unis (et derrière eux l’Europe) craignent plus que tout une Égypte réellement démocratique, qui certainement remettrait en cause son alignement sur le libéralisme économique et la stratégie agressive des États-Unis et de l’OTAN.
Ils feront tout pour que l’Egypte ne soit pas démocratique et, à cette fin, soutiendront par tous les moyens, mais avec hypocrisie, la fausse alternative Frères Musulmans qui ont montré n’être qu’en minorité dans le mouvement du peuple égyptien pour un changement réel.

Samir AMIN
15/02/2011

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