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15 – 17 MARS 2012 : COLLOQUE DE PORTSMOUTH

L’HISTOIRE DE L’ ALGÉRIE AU MIROIR DES CHERCHEURS ÉTRANGERS

par Jean-Pierre Séréni - le jeudi 5 avril 2012 - MONDE DIPLOMATIQUE - CARNETS

vendredi 13 avril 2012

Le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie coïncide avec la montée en puissance d’une nouvelle génération d’historiens et d’historiennes, dont beaucoup sont anglo-saxons.
Leurs approches marquent un « désenclavement » du tête-à-tête algéro-français comme l’a confirmé le récent colloque organisé par le professeur Martin Thomas à l’Université de Portsmouth (Royaume-Uni) [1], du 15 au 17 mars 2012 sur le thème des « révolutions algériennes et arabes ».
La perspective se voulait explicitement « internationale et comparative » et les dix-huit exposés présentés par vingt-cinq chercheurs venus d’Algérie, d’Allemagne, d’Angleterre, de France, d’Inde et d’Irlande ont tenté des éclairages rapprochant la lutte nationale algérienne d’autres expériences similaires dans d’autres parties du monde.

Le professeur Allison Drew, de l’Université de York, a dressé un parallèle fascinant entre l’Algérie et l’Afrique du Sud de l’apartheid quant aux relations entre communistes et nationalistes, des années 1920 à l’indépendance [2].
Il n’y a pas eu une politique unique dictée par la IIIe Internationale, mais plutôt une adaptation contrastée aux considérations locales.
Pendant la seconde guerre mondiale, le Parti communiste participe à l’effort de guerre au sud du continent alors qu’il est réprimé au nord et que ses responsables y sont emprisonnés.
En Afrique du Sud, le Parti communiste a pu prendre sa place dans le mouvement national, l’African National Congress (ANC) ; tandis que, à Alger, le Front de libération nationale (FLN) défendait une conception organique de l’unité, n’admettant que des ralliements individuels, excluant de fait les communistes de tout poste de responsabilité et leur refusant toute autonomie politique.
Même différence sur les modes d’action : l’ANC a été influencée par Gandhi (qui a passé dix ans dans le pays) à mener des campagnes de non-violence dans la minorité indienne alors que le Parti communiste algérien (PCA) et le FLN ont privilégié l’action militaire [3].

Grand témoin du colloque, Sadek Haderes, 84 ans, ancien dirigeant du PCA puis du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), qui a passé 34 ans de sa vie dans la clandestinité, a raconté son passage du nationalisme au communisme et la déception d’une jeunesse exigeante déroutée, après la défaite arabe en Palestine en 1948, par les volte-face du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, le parti nationaliste le plus militant.
Celui-ci boycottait une année les élections « organisées » par les autorités coloniales et y participait activement l’année suivante avec le même argument : dans le premier cas, celui qui vote est un mécréant, dans le second, celui qui ne vote pas l’est également...

Parmi les autres thèmes abordés, il y a l’apparition du sport féminin dans la population musulmane et sa progressive politisation (Ryme Seferdjeli, de l’Université d’Ottawa), la comparaison de la contre-guérilla menée par l’armée française en Algérie avec les guerres coloniales menées par les Britanniques au Kenya (David Anderson de l’Université d’Oxford), les Portugais en Angola (Alex Keese, Université Humbolt de Berlin), l’impact économique et social de la seconde guerre mondiale sur l’Afrique du Nord (Martin Thomas, Université d’Exeter) et sur l’Inde (Yasmine Khan, Université de Londres) :
famines, épidémies et inflation qui ont ruiné définitivement l’assise coloniale et préparé la tragédie de Sétif en mai 1945 [4]
Natalya Vince (Université de Portsmouth) tord au passage le cou à une idée dominante, les « moudjahida » (les maquisardes) ne sont pas « rentrées à la maison » mais ont poursuivi une activité, surtout dans la santé et l’éducation. Sa « déconstruction » du discours officiel maghrébin sur la question féminine est aussi vigoureuse que prometteuse.

Les plus audacieux passent la « ligne » de 1962 et travaillent sur l’Algérie indépendante malgré les difficultés (archives absentes ou inaccessibles pour une durée imprévisible, disparition des acteurs et difficultés des témoignages, méfiance des autorités).
Lydia Aït Saadi (Université Paris 8) interroge l’enseignement de l’histoire à l’école et ses fluctuations au gré des changements politiques au sommet de l’Etat [5].
Patrick Crowley, du CNRS irlandais, explore l’imaginaire algérien d’aujourd’hui à partir du cinéma national.
Enfin, Malika Rahal (Institut du temps présent), auteure d’un livre remarqué paru en 2010 sur Ali Boumendjel [6], la plus ambitieuse, veut commencer à bâtir une histoire « indépendante » de l’Algérie indépendante, œuvre qui ne peut être que collective et qui n’existe pas actuellement, aucun département d’histoire dans les quarante-huit universités algériennes n’ayant osé s’y lancer.
La Loi d’orientation scolaire adoptée par le Parlement algérien le 28 février 2008, qui entend former un « citoyen doté de repères nationaux incontestables », n’y aide pas. Elle fait redouter aux historiens locaux que l’Etat ne veuille imposer, une fois de plus, sa vision de l’histoire.


Voir en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/ca...


[1“Algeria France’s undeclared war”, Londres, 2011, Oxford University Press, 457 pages. Site internet.

[2voir les textes donnés en documents joints en anglais et enfrançais

[3« Bolshevizing Communist Parties - the Algerian and South African Experiences », International Review of Social History, vol. 48, 2003, pp.167-202.

[4« Colonial Violence in Algeria and the Distorted Logic of State Retribution : The Sétif Uprising of 1945 », “The Journal of military history”, janvier 2011, pp. 525-556..

[5« Les harkis dans les manuels scolaires algériens », in “Les Temps modernes”, « Harkis 1962-2012 : Les mythes et les faits », Novembre - décembre 2011.

[6“Ali Boumendjel (1919-1957), une affaire française, une histoire algérienne”, Les Belles lettres, Paris, 2010.

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