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LES ASSASSINS DE MAURICE AUDIN

dimanche 4 mai 2014

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Josette et Maurice Audin

par Messaoud Benyoucef
braniya
5 avril 2014

Un livre vient de paraître (janvier 2014) aux éditions Équateurs qui porte le titre « La vérité sur la mort de Maurice Audin ». En fait d’enquête, le livre est tout entier une interview éprouvante du général Aussaresses, officier du renseignement au 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP) au moment des faits, par l’auteur, Jean-Charles Deniau.

D’emblée, deux remarques.

Sur ce titre d’abord : l’usage de l’article défini « La » suggère qu’on va enfin connaître le fin mot de cette affaire. On n’aura, en fait, droit qu’à l’accréditation des confidences du colonel Godard (divulguées partiellement par Yves Courrière en 1969).

Sur la méthode d’exposition, ensuite : l’auteur a fait le choix de ménager le suspense, comme dans un roman policier, et voudrait que le lecteur reste suspendu à la question : Aussaresses parlera, parlera pas ? On appréciera diversement ce faux suspense et on se demandera s’il était de mise dans un sujet si tragique.

Maurice Audin, professeur de mathématiques à l’université d’Alger, militant du Parti communiste algérien (PCA), a été enlevé le 11 juin 1957, à son domicile, par les parachutistes de la 10 ° Division aéroportée (DP), commandée alors par le général Massu. Il ne devait plus jamais reparaître. La 10° DP s’était vue investie des pouvoirs de police judiciaire par le Ministre résidant Robert Lacoste, agissant au nom du chef du gouvernement socialiste Guy Mollet. La « bataille d’Alger » commençait. Il s’agissait d’ « extirper l’organisation rebelle » de la capitale.

Alger était devenue, en effet, un champ d’affrontement où les exactions contre les civils s’étaient multipliés à partir de l’attentat de la rue de Thèbes : un groupe de factieux européens dit « Groupe des quarante », gravitant dans les coulisses du Gouvernement général (GG) et comptant dans ses rangs l’agent provocateur Achiary (qui s’était illustré durant les massacres de mai 1945 à Guelma), fit sauter un pâté de maisons en pleine Casbah -la médina arabe-, murée par le couvre-feu. La complicité de l’armée et de la police était clairement établie. L’attentat fit 73 morts, hommes, femmes, vieillards, enfants tués dans leur sommeil.

Folle de douleur, la Casbah criait vengeance. L’organisation FLN allait réagir conformément à l’attente de la population arabe : œil pour œil, dent pour dent. La bataille des bombes déposées dans des lieux publics commençait. Le FLN avait un allié efficace dans la fabrication des bombes, leur transport et leurs caches, le PCA. Le parti disposait, en effet, d’une capacité logistique très importante en ce qu’il pouvait compter sur son réseau de militants et de sympathisants européens. Européens, donc insoupçonnables. Le PCA avait ainsi ses chimistes : Daniel Timsit et Giorgio Arbib fabriquaient les bombes. Jacqueline Netter-Guerroudj les transportait et les remettait aux « utilisateurs ». Le parti avait son imprimerie clandestine dans laquelle était tirée, notamment, « La voix du soldat », une feuille destinée aux conscrits et dénonçant la guerre injuste faite contre un peuple qui ne demandait rien d’autre que sa liberté. C’est André Moine qui en assurait la responsabilité.

Deniau -c’est toute sa thèse- pense que cette implication du PCA dans la bataille d’Alger confortait la véritable paranoïa anticommuniste des militaires français, encore sous le coup de leur cuisante défaite devant le Viet Minh. Dès lors, ils auront comme objectif de faire un exemple pour terroriser les Européens qui seraient tentés d’entrer en lutte aux côtés du PCA. Ainsi s’expliquerait l’assassinat de Maurice Audin.

Dans son livre, « La guerre d’Algérie », tome II, « Le temps des léopards », Yves Courrière révélait (grâce aux confidences du colonel Godard, chef d’état-major adjoint de la 10° DP) que l’ordre, émanant de Massu, était de liquider » Henri Alleg (qui avait été arrêté dans la souricière tendue dans le domicile de Maurice Audin). Pourquoi Alleg ? Parce que le directeur d’Alger Républicain (interdit de parution depuis 1955) était l’auteur anonyme des « Lettres d’Algérie » -publiées par « L’humanité »- et qui rendaient les militaires fous de rage. Ils avaient réussi à identifier leur auteur et ils le tenaient. Et il n’était pas question de le remettre à la Justice ! L’homme avait de l’entregent et un carnet d’adresses dissuasif -ne serait-ce que dans le milieu journalistique et intellectuel. Donc « corvée de bois » (= exécution sommaire déguisée en « tentative de fuite ») pour Alleg. Sauf que -dit Godard- les exécutants se sont trompés de prisonnier et ont emmené Audin à la place d’Alleg !

Deniau juge cette thèse invraisemblable : la photo d’Alleg était affichée dans toutes les salles de torture de l’immeuble d’El-Biar. De fait, il est difficile de croire Godard, quoique la chose ne soit pas strictement impossible, venant d’exécutants bornés, dont certains étaient illettrés. De plus, l’immeuble d’El-Biar était une véritable ruche, le va-et-vient des militaires et des prisonniers ne cessant jamais dès que la nuit tombait, l’erreur sur la personne devient plus plausible. Mais alors, on ne voit pas pourquoi, s’apercevant de leur bévue, les militaires n’auraient pas « remis ça », avec la bonne personne cette fois-ci, en l’occurrence Alleg.

Il y a peut-être une autre explication que Deniau ne pouvait pas percevoir -tant est écrasant le poids du « politiquement correct »- et qui nous est suggérée par Daniel Timsit. Dans son livre « Les récits de la longue patience », Timsit pose courageusement la question de sa non-condamnation à mort par le tribunal militaire (qui venait d’envoyer à la guillotine son camarade de parti, Fernand Yveton). Yveton avait posé une bombe dans l’usine à gaz d’Alger, bombe réglée à 19H30 afin de ne provoquer aucune victime parmi les ouvriers, le résultat escompté étant de provoquer une panne électrique géante. La bombe fut découverte et désamorcée à temps : il n’y eut donc ni explosion, ni dégâts, ni victimes. Yveton fut quand même condamné à mort et exécuté (11 février 1957). En mars de la même année, Timsit était jugé par le même tribunal et « s’en sortait » avec une condamnation à 20 ans de prison, alors que personne -pas même lui- n’aurait donné cher de sa peau : si Yveton a été condamné à la peine capitale pour avoir posé une bombe, que dire de celui qui fabriquait les engins explosifs ? (En l’occurrence, la bombe posée par Yveton avait été fabriquée par Taleb Abderrahmane, le chimiste du FLN qui sera lui aussi guillotiné.)

Si Timsit s’en est sorti, c’est, dit-il dans son livre cité ci-dessus, grâce à la mobilisation de la communauté israélite, son grand-père maternel étant grand rabbin. Cette mobilisation n’était évidemment pas de son fait à lui, Daniel Timsit militant communiste internationaliste, mais elle doit être vue comme réaction normale d’une communauté qui craint d’être stigmatisée par le comportement de l’un des siens. En se mobilisant et en faisant jouer ses relais dans l’appareil judiciaire, elle pouvait adoucir la sanction et par là-même atténuer l’opprobre qui toucherait la communauté. Fernand Yveton, ouvrier électricien, fils d’ouvrier électricien, vivant avec les Arabes du quartier du Clos-Salembier, n’avait aucune « surface » communautariste propre à lui éviter la mort.

Ajoutons pour faire bonne mesure qu’il n’est pas interdit de penser que la hiérarchie militaire, de son côté, ait également été soucieuse de ne pas ouvrir un nouveau front en paraissant s’attaquer à la communauté israélite. On peut compter sur la tête pensante de Massu -sa femme- pour avoir pris en compte cette donnée, elle qui fréquentait assidûment le tout-Alger mondain et avait une très forte influence sur son soudard de mari.

Récapitulons. En juin 1957, les paras détenaient, entre autres, trois militants du PCA dans leur centre d’El-Biar : Henri Alleg, Maurice Audin et George Hadjadj. C’est ce dernier, médecin de son état qui, pour épargner à sa propre femme la torture, a donné le nom d’Audin (dans le domicile duquel il avait soigné un fidaï du FLN, blessé, qui fut pris par la suite et qui donna le nom de Hadjadj). G. Hadjadj soignait les clandestins et hébergeait l’imprimerie du parti dans sa maison de campagne. M. Audin étant chargé de fournir des planques aux camarades recherchés, les paras s’acharnèrent sur lui, estimant qu’il savait où pouvaient se trouver les responsables de « La voix du soldat », André Moine et Paul Caballero. Ils n’obtinrent rien de lui.

Rien n’interdit, là non plus, d’appliquer la grille de lecture que nous suggère Daniel Timsit : Alleg et Hadjadj bénéficiant potentiellement de la protection de la communauté israélite à laquelle ils sont censés appartenir (alors qu’eux ne s’en réclament absolument pas, cela va sans dire), échappent à la corvée de bois. Maurice Audin, lui, est un jeune (25 ans) professeur de faculté, discret et rangé, sans appuis notoires autres que son appartenance au parti communiste -ce qui n’était pas à son avantage en ces temps de guerre. Audin se trouvait, de ce fait, logé à la même enseigne que Yveton. Quitte à faire un exemple -terroriser les intellos-, alors pourquoi pas lui ?

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Josette Audin

Au terme de son enquête-interview avec Aussaresses, Deniau n’obtiendra rien d’autre du vieillard que ce qu’avait déjà dit Godard, à savoir que le soudard qui a assassiné Audin (d’un coup de poignard porté au cœur) est le lieutenant Gérard Garcet, adjoint direct d’Aussaresses. Auprès de l’un des exécuteurs des basses œuvres de l’équipe de tueurs d’Aussaresses, le sergent Pierre Misiri, il apprendra que le corps de M. Audin aurait été enseveli dans une fosse commune non loin de Sidi-Moussa, à quelque vingt km au sud d’Alger.

La lecture du livre de J.Ch. Deniau laisse sur un complexe de sentiments. D’abord, la révolte intérieure face à ce vieillard qui continue de ruser, de mentir, de prendre les gens pour des débiles mentaux, incapables de lire dans son jeu. La sidération, ensuite, face à un individu si radicalement dénué de toute empathie qu’il en perd tout caractère humain : car quel humain ne serait pas sensible à l’attente et à la quête d’une épouse -Josette Audin, la veuve de Maurice- qui cherche la vérité depuis 57 ans ? Pas Aussaresses. Point n’était besoin de convoquer Hanna Arendt et ses inévitables propos sur la « banalité du mal » (dont on se demande bien ce que cela signifie au juste) ; Aristote avait déjà dit l’essentiel sur la question : celui qui n’a pas besoin des hommes pour vivre est theos, Dieu ; mais celui qui ne peut pas vivre avec les hommes est therion, Monstre. Ajoutons, pour notre part, que pour vivre avec les hommes, il faut vivre en homme, c’est-à-dire être capable d’empathie.

C’est pourtant à ce monstre, que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, rend presque hommage dans une interview à la radio Europe 1, le 02 mars 2003. Interrogé par le journaliste J.P. El Kabbach, avant le voyage en Algérie de Jacques Chirac, Bouteflika déclare : « Je n’aime pas la sanction qui a été prise contre le général Aussaresses (NDA : retrait de la Légion d’honneur). Je pense que, l’âge aidant, Aussaresses a eu besoin de se libérer de secrets qui pesaient très lourd. C’est à son honneur. Il a fait un sale boulot et il l’a dit. Ça ne porte en aucune manière ombrage ni à l’image d’un officier français ni à l’image de quelqu’un qui était sous les ordres d’un pouvoir politique. »

Au-delà de la honte que l’on éprouve à la lecture de cet incroyable et obséquieux hommage rendu à l’un de « ces assassins que craignent les panthères » (Aragon), on ne peut pas ne pas lire dans les propos de Bouteflika une absolution accordée aux généraux algériens qui ont mené une guerre sale, avec les mêmes méthodes que celles des Massu, Bigeard, Aussaresses, Trinquier et consorts.
La situation des généraux français en 1957, et contrairement à ce que dit Bouteflika, est la même que celle des généraux algériens en 1992 : il n’y a pas d’autorité politique au-dessus d’eux. Les social-traîtres (SFIO et radicaux-socialistes) avaient positivement et lâchement abandonné toutes les prérogatives à l’armée française en Algérie ; l’armée algérienne, quant à elle, est et demeure le seul pouvoir en Algérie.
Et voilà comment l’histoire vous revient dans les gencives, à la manière d’un boomerang : les dirigeants algériens sont désormais disqualifiés pour porter un jugement moral sur les affres de la guerre d’indépendance (affres dont ils étaient au demeurant bien prémunis, planqués qu’ils étaient derrière les frontières des pays voisins), car ils craindraient de se voir rétorquer : « Mais, vous avez fait la même chose ! ».

Pour finir, comment ne pas rappeler qu’au commencement de cette « bataille d’Alger », comme au commencement des massacres du 08 mai 1945, il y a le même sinistre personnage, spécialiste de la provocation, André Achiary ?

  • En 1945, le mouvement national faisait un grand pas vers l’unité d’action et la clarification des objectifs politiques grâce à l’action des “Amis du Manifeste et de la liberté” (AML), sorte de front uni entre les autonomistes de Ferhat ’Abbas (initiateur du “Manifeste pour les libertés”, le 10 février 1943), les ’Oulémas et le PPA (Parti du peuple algérien).
    Face à ce mouvement de masse, les ultras (Pierre-René Gazagne, haut fonctionnaire du GG, André Achiary, sous-préfet de Guelma, Lestrade-Carbonnel, maire de Constantine...) étaient décidés à réagir pour « crever l’abcès » (M. Harbi).
    De leur côté les AML étaient confrontés à la surenchère du PPA dont les activistes ne témoignaient pas d’un sens politique élevé, pour dire le moins. Tout cela finira dans le bain de sang du 08 mai 1945.
  • En 1956 , l’insurrection a gagné l’Algérie du nord tout entière ; le “Front républicain” (la Gauche) arrive au pouvoir en France ; il engage des pourparlers secrets avec le FLN et limoge Jacques Soustelle (le GG qui a officialisé la responsabilité collective et conseillé le viol systémique des femmes arabes).
    Les ultras prennent peur, la population européenne fait une conduite de Grenoble à Guy Mollet qui se couche et les comploteurs qui agissent à partir du GG (parmi lesquels André Achiary) vont entrer en action en réalisant deux attentats spectaculaires : la bombe de la rue de Thèbes et le tir au bazooka contre le général commandant en chef, Raoul Salan.
    La direction politico-militaire de l’Insurrection ne saura pas éviter le piège qui lui était tendu.
    Cela donnera la « bataille d’Alger », immense désastre politique pour l’Insurrection et immense désastre moral pour l’armée française.

Publié par Messaoud Benyoucef
braniya chiricahua blobspot
5 avril 2014


FORUM

1 Message :

LES ASSASSINS DE MAURICE AUDIN
4 mai 14:16, par Mohamed Rebah, auteur

La riposte au massacre de la rue de Thèbes (10 août 1956) a été réalisée grâce à Taleb Abderrahmane. Lire le livre “Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958” paru aux éditions APIC, à Alger en avril 2013. Auteur Mohamed Rebah, chercheur en histoire. Amicalement



Voir en ligne : http://braniya.blogspot.fr/2014/01/...

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