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POURQUOI LE 1er NOVEMBRE 1954 ?
jeudi 30 octobre 2014
Thème de la table ronde organisée à Paris par l’IREMMO [1]
le Mardi 22 mai 2012 :
“Pourquoi le 1er novembre 1954 ”
Pour accéder à l’enregistrement de cette conférence animée par Gilbert Meynier, Sadek Hadjerès et Sylvie Thenault,
cliquer ci-dessous
enregistrement accessible sur YouTube avec le lien suivant
http://www.youtube.com/watch?v=E3IYRjUb190#t=12
intervention de Sadek Hadjerès : 24 : 54 à 54 :33
“Pourquoi le 1er novembre 1954 ”
table ronde- conférence à 3 voix
organisée à Paris par l’IREMMO
le mardi 22 mai 2012 :
Transcription de l’intervention de Sadek Hadjerès
de 24 :54 à 54 :33
Je vais essayer de respecter moi aussi le planning
Je crois que Gilbert a bien situé le cadre historique et politique de l’insurrection de 54
En ce qui me concerne, je vais plutôt aborder la facette sous l’angle subjectif : Qu’est-ce qui a amené à cette idée de lutte armée ? Qui a donné à l’idée de lutte armée un tel poids ?
Pourquoi les Algériens ont-ils rapidement fait masse autour d’une voie, qui au départ, en novembre 54, avait les apparences de la fragilité
Comme Gilbert l’a dit, on peut dire, pour paraphraser Jaurès… le ciel de l’Algérie était lourdement charge des nuées du colonialisme, et que l’orage de l’insurrection était inévitable ; ça c’est une explication juste mais générale,
En fait des questionnements surgissent, quels sont les spécificités historiques et psycho-culturelles qui ont rendu ce, le soulèvement de 54 concevable, et puis qui l’ont marqué de cette particularité ?
Par exemple, Pourquoi le 1er novembre 54 n’a pas été, comme ces orages méditerranéens, très violents mais de courte durée, et suivis d’éclaircies ?
Pourquoi à la différence des insurrections du siècle précédent, ces premiers coups de feu de 54, bien sûr ont été suivis d’une accalmie très passagère, mais, ils ont débouché sur une guerre qui a duré 7 ans, et qui a balayé finalement l’édifice colonial, qui était présenté comme éternel en 1930, à l’occasion du centenaire de …
Il y a une autre spécificité dans cette entrée dans une guerre asymétrique :
Pourquoi le peuple algérien a dû consentir tellement de sacrifices prolongés, alors que dans l’espace maghrébin et africain, beaucoup de pays étaient parvenus, presque sans coup férir, à la reconnaissance de leur droit à l’autodétermination, bien sûr il y avait l’influence du contexte du soulèvement algérien… ?
Donc, ce 1er novembre, ça a été un pari, celui d’une avant-garde nationaliste restreinte, avec une part d’improvisation, parce que, entre autres, pour sortir d’une crise de politique interne au PPA MTLD, mais pourquoi, a-t-il fini par déboucher sur une rupture entre deux époques historiques, pour l’Algérie et pour une grande partie du monde colonisé.
Cet événement, qu’on peut dire emblématique, est devenu une référence plus tard, pour les générations suivantes, il avait même suscité des répliques, des imitations, qui s’étaient avérées fondées pour un certain nombre de mouvements de libération, mais elles ont été aussi moins judicieuses et elles ont avorté dans d’autres pays, quand on en est resté à la théorie à la guerre des focos implantée de l’extérieur, comme cela a été le cas en Bolivie, pour créer plusieurs Vietnams, dont on connaît le résultat.
Encore aujourd’hui, ou même plus tard, souvent quand il y avait une tension de crise, une volonté de changements, on entendait des voix dire « vivement qu’il y ait un nouveau premier novembre ».
Et, pour l’anecdote, je crois que vous savez que même Bouteflika, récemment, a dit que les élections algériennes, législatives, allaient être aussi importantes que le 1er Novembre …
Tout cela repose la question de fond : si l’option de la résistance armée était devenue presque inévitable en 1954, pourquoi les conditions qui l’ont rendue possible et productive par l’Algérie du milieu du 20ème siècle, pourquoi elles ne peuvent pas être reproduites n’importe où, et n’importe quand ?
Là je mets évidemment les facteurs subjectifs au centre de l’explication, mais ce n’est pas du tout à l’encontre du socle objectif des facteurs géopolitiques, mais simplement pour dire que les conditions objectives – je crois que le cadre historique qu’a tracé Gilbert le montre bien- mais ces conditions objectives ont été relayées par des motivations d’ordre psychologiques et culturelles. C’était une greffe compatible, une adéquation entre l’objectif et le subjectif et cela était vraiment la condition du succès.
Quelles étaient ces motivations ?
L’insurrection du 1er novembre, comme je l’ai dit avait été un pari audacieux sur la suite des événements, mais en aucune façon cela n’a été un miracle. A propos de miracle, Gilbert sait aussi, que dans le monde arabe, on a souvent parlé de « الجزائر بلاد العجائب » « Algérie pays des miracles », on a beaucoup aimé les interprétations magiques.
Mais en fait le succès final n’a pas relevé du seul volontarisme, parce que, à lui seul, il n’aurait accouché que d’une tentative glorieuse, mais avortée.
La vérité c’est que, dans le cadre d’un rapport de forces objectif, national et international, qui était de plus en plus favorable, ce potentiel subjectif interne s’y prêtait.
Le 1er novembre, de ce point de vue, est le résultat d’une longue maturation dans les opinions algériennes. Et il y a deux facteurs complémentaires qui se sont forgés l’un et l’autre dans le cours du processus historique.
D’un côté il y avait les imaginaires, le psycho-culturel avec des représentations dominantes dans nos sociétés opprimées, et d’autre part il y a eu les prises de conscience politiques, qui ont été le résultat d’efforts difficiles, pas toujours à la hauteur, mais elles ont été suffisantes, pour féconder, pour soutenir la continuité d’une initiative audacieuse et risquée à la fois.
Comment s’est donc faite cette jonction ? Ceux qui avaient initié l’insurrection, ou bien les courants politiques qui ensuite l’ont ralliée, comprenaient bien cette maturation, et je crois qu’ils s’étaient reconnus dans la tonalité de l’Appel du 1er Novembre.
Mais toute autre était la vision d’un certain nombre d’esprits français, naïfs, ou bien embrumés, comme les a priori de la domination coloniale.
Voila : quelques semaines avant l’insurrection, le quotidien français le Monde qui est une référence… pontifiait avec un gros titre, y affirmant que « l’Algérie restait une oasis de paix dans un Maghreb en flammes » , il faisait allusion au Maroc et surtout à la Tunisie, avec les actions croissantes des fellaghas.
À cette allégation, notre camarade Bachir Hadj-Ali, avait répliqué en substance sur deux pages de l’hebdomadaire communiste algérien « Liberté » : « Non, l’Algérie, corps central du grand oiseau qu’est le Maghreb, ne peut échapper à l’incendie qui a enflammé ses deux ailes ».
Sur quoi reposait la certitude de notre camarade ? Et bien le rédacteur du Monde aurait été mieux inspiré, de méditer un avertissement qui avait été lancé en 1913, avant la première guerre mondiale, par le député français radical, Abel Ferry, le neveu de son oncle Jules Ferry, fondateur de l’école laïque, et lui aussi imprégné du virus colonialiste, il rappelait au nom des intérêts – à ce qu’il disait- « intérêts et grandeur de la France » que deux éléments constituaient un mélange hautement explosif quand ils se conjuguaient : la misère et l’humiliation sociale d’un côté, les sensibilités identitaires et religieuses de l’autre.
Ces données, géopolitiques de base, échappaient aux spécialistes de la communication et hautes sphères dirigeantes coloniales, qui pour diverses raison se complaisaient à prendre leurs désirs pour des réalités. Elles ignoraient que la passivité apparente des indigènes n’était qu’une posture qui les aidait à survivre. Or, n’importe quel algérien peut attester qu’à cette époque, le rêve de la délivrance massive par les armes, pour peu que l’occasion s’en présente, c’était une obsession qui habitait la majorité de mes compatriotes, de leur enfance jusqu’à l’âge le plus avancé… Encore gamin, je voyais couler les larmes sur le visage de ma grand-mère maternelle dès qu’elle évoquait comment après l’insurrection de 1871, toutes les terres de sa famille avaient été volées, occupées par les Alsaciens-Lorrains, qui fuyaient l’Allemagne de Bismarck. Peut-être c’était une anticipation du phénomène international qui a provoqué la Naqba plus tard en Palestine : c’est-à-dire que des Palestiniens ont payé ce qui s’était passé en Europe.
À l’évocation de ces désastres, ma mère renchérissait, comme pour apaiser sa colère, elle nous racontait dans une espèce de revanche verbale, les exploits « djihadistes », de Sidna Ali, un des compagnons du prophète, un épisode que nous rappelait aussi les contes en prose rimée des meddahs – c’étaient un peu les troubadours populaires sur les places des villages - , qui chaque mercredi -jour de marché à Berraghouia- exaltaient les exploits qui étaient représentés sur des estampes naïves déposées sur le sol, et ma mère ajoutait avec amertume : mais nous, les musulmans, nous ne savons pas comploter, elle le disait en kabyle « our nessi nara an-nafeq- » nous ne savons pas comploter.
Et c’était là le hic, parce que le seul obstacle au passage à l’acte, à la révolte – dans l’imaginaire évidemment – c’était le manque de confiance dans la concertation collective.
Encore enfant, nous exprimions entre nous cette préoccupation d’une façon simpliste et arithmétique : nous les musulmans nous sommes dix fois plus nombreux qu’eux. Si chacun de nous ne s’occupait que d’un seul français – nous disions kaffer ou gaouri – le problème serait facilement réglé. Je signale en passant que cette même recette géniale habitait les phantasmes de nombreux pieds-noirs et adeptes de l’OAS : « Y a qu’à les tuer tous », une recette qui a connu plusieurs débuts d’application.
Mais nous devions nous contenter de ruminer nos incapacités à engager des actions concertées, et apprendre seulement à garder le secret de nos états d’âme contre les mouchards.
Qu’est-ce qui a fait progresser ensuite les mentalités dans toute la société, qu’est-ce qui leur a donné plus d’assurance et d’espoir, leur a appris à jauger avec plus de réalisme le contenu, les orientations de l’action violente ou non violente, la combinaison des divers moyens d’action possibles, l’adhésion à des formes d’organisation nouvelles, greffées sur les traditionnelles structurations patriarcales.
Et bien cette évolution s’est réalisée à travers l’émergence progressive de noyaux associatifs et politiques, d’abord minoritaires – tout à l’heure Gilbert les a évoqués - ; puis cela s’est fait à un rythme plus rapide, plus massif, à partir de la fin des années 30, sous l’influence des événements internationaux de grande importance qui avaient pénétré la scène algérienne, à travers de multiples canaux, jusqu’aux bourgades et les douars les plus reculés, c’est-à-dire les douars ou les bourgades d’où étaient originaires les habitants des villes, ou bien les travailleurs immigrés en France, porteurs d’une culture syndicale et politique minimum.
La courte période du Front populaire en France, malgré le refus du gouvernement socialiste de faire droit à des revendications démocratiques les plus élémentaires, a montré aux organisations, encore minoritaires, qu’il était possible d’accéder aux activités associatives, syndicales, politiques, en dépit des barrages répressifs, de sorte que la combattivité sociale et politique est montée d’un nouveau cran.
Mais c’est surtout le séisme de la deuxième guerre mondiale et des résistances à l’occupation nazie, qui nous a éveillés à la dynamique des luttes pacifiques et non pacifiques.
Après sa défaite de 1940, l’armée française n’était plus considérée par nous comme invincible.
Après le débarquement anglo-américain de 1942, en Afrique du Nord, en Algérie, cette armée faisait piètre figure à côté du spectacle des troupes motorisées américaines.
Les Algériens, au même moment, sont devenus aussi partie prenante, plus consciente, de l’usage des armes, dans les campagnes de libération d’Italie et de France.
Et ensuite, face au repli temporaire de la grosse colonisation, qui avait collaboré avec Vichy, la revendication nationale s’est déployée à travers le regroupement des Amis du Manifeste et de la Liberté, et surtout – en même temps- un très large réseau associatif, culturel, religieux, de jeunesse soute ou sportive, s’exprimer, activer de façon imbriquée, et en parallèle, sur deux registres qui n’étaient pas forcément contradictoires en ce qui concerne l’objectif commun. L’un était pacifique et légaliste, l’autre para-légal, tourné vers des horizons d’actions plus radicales, impliquant le recours aux armes
Ainsi les chants patriotiques en arabe classique ou populaire, et en berbère, évoquaient sans ambages l’idée du sacrifice de la vie pour la patrie, et ils appelaient à ne pas craindre les balles, « ma trafouch men dharb erssas »
Les causeries et les prêches des cercles culturels et religieux exaltaient les victoires militaires de l’islam à sa naissance, en dépit de l’inégalité des forces, comme lors de la fameuse bataille de Badri.
Dans le mouvement scout musulman, dans l’esprit d’ailleurs de son fondateur anglais Baden Powell, l’engagement envers l’idéal scout c’était de mettre un savoir faire technique et paramilitaire au service de la patrie et de ses concitoyens. Et quand un avion militaire allié s’était écrasé sur la montagne voisine, ou bien dans nos contacts avec les troupes des USA, cantonnées près du village, la recherche d’armes, c’était une de nos préoccupations.
L’attrait pour la perspective de la lutte armée allait de paire avec la politisation croissante du mouvement nationaliste, même si cette politisation ne s’accompagnait pas d’une réflexion qui articulait mieux, dans les esprits, les luttes militaires et les luttes pacifiques syndicales, électorales, associatives. Cette insuffisance va être ressentie plus tard dans les sphères dirigeantes nationalistes, par l’improvisation à l’époque du 8 mai 1945, avec des ordres et des contre-ordres d’insurrection, ou bien la façon dont les couches de la paysannerie pauvre, à cette même époque, dans le
Constantinois, avaient réagi d’une façon spontanée à cette répression, faute d’orientations assez claires.
C’est la même carence dans l’évaluation des stratégies des rapports de forces politico militaire qui s’est révélée après la défaite arabe de la première guerre israélo-arabe de Palestine, qui a été une douche glacée, à côté des rodomontades nationalistes qui étaient polarisées sur la puissance supposée d’une Ligue arabe qui était idéalisée à outrance.
Le 8 Mai 45 a eu deux sortes d’effets. La division et le pessimisme avaient été assez rapidement surmontés dans la majeure partie de l’opinion, en particulier grâce à la campagne pour l’amnistie qui avait été initiée par les communistes, et qui a bénéficié d’un rapport de forces favorable sur la scène politique française. En même temps le 8 mai a consolidé l’opinion algérienne dans l’opinion que le colonialisme ne nous laissait plus d’autre issue que la violence armée pour se libérer. C’est à partir de ce moment-là vraiment que c’était devenu une conviction politique assez forte.
Certains courants nationalistes moins convaincus, ou bien sensibles aux séductions des colonialistes des fractions libérales – que l’on appelait libérales à l’époque – concevaient les voies politiques comme opposées à l’option armée et non pas complémentaires.
Mais cette option armée va marquer des succès chez les plus résolus, avec la décision du Congrès du PPA – MTLD de 1947, de créer l’Organisation Spéciale OS
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Le démantèlement de l’OS en 1950 n’a pas interrompu l’élan et le débat entre les avantages et les inconvénients de chacune de ces options.
Il y a deux événements qui vont précipiter le projet de recours aux armes :
- D’abord c’est l’échec du FADRL – le Front Algérien pour la Défense et le Respect des Libertés Démocratiques –. Il s’était constitué en l’été 1951, par l’ensemble des partis politiques, qui ont eu, ensuite, chacun leur part de responsabilité quand il s’est effiloché les mois suivants.
L’échec de cet élan politique et populaire a renforcé le courant des partisans de l’activisme armé. Mais ce fut d’une façon assez perverse et dépolitisée, avec l’idée fausse, chez nombre de gens déçus, que c’était la lutte politique en elle-même, et non pas l’absence d’une saine politisation, qui était stérile et contre-productive.
- L’autre facteur, ça a été sur la scène régionale et internationale une série encourageante de changements tel que l’arrivée au pouvoir de Nasser en Egypte, en 1952, il a mis fin à l’aura trompeuse d’une Ligue arabe impuissante et complaisante envers les puissances coloniales, cette évolution ascendante va trouver plus tard son apogée avec le grand rassemblement intercontinental de Bandoeng ; et l’option militaire en même temps va s’inviter davantage avec l’entrée en lisse des fellagas tunisiens, et surtout la grande victoire de Dien Bien Phu.
Le 8 Mai 1954 a été ressenti chez nous comme une revanche éclatante sur la tragédie du 8 Mai 45. Les Algériens ce jour-là, je m’en souviens très bien, je me trouvais à Sidi bel Abbès, le berceau de la Légion étrangère, c’était le deuil dans la Légion, contrairement à l’habitude, ils ne sont plus sortis de leurs casernes, et les Algériens se répandaient en congratulations traditionnelles, et se souhaitaient un nouvel Aid, une grande fête de libération à venir.
À partir de ce moment l’évolution vers la préparation de l’insurrection ne pouvait pas surprendre même les observateurs les moins avertis.
Et, je voulais ajouter là une note particulière, comment croire dans ces conditions à des affabulations selon lesquelles les communistes ont été surpris, ou, même, auraient réagi de façon hostile à la survenue de l’insurrection. C’était bien mal connaître cette période, que de se fier à des allégations propagandistes, qui s’expliquaient par les enjeux politiciens du temps de guerre, avec les positions hégémonistes de certains cercles dirigeants du FLN, mais qui ont été reprises plus tard en boucle sans vérification, par des médias, ou même des historiens dont ce n’était pas le thème principal de recherche.
Fort heureusement, dans la dernière décennie, nombre d’historiens, anciens ou nouveaux, soucieux d’investigations ouvertes et responsables, se dégagent de plus en plus de ces raccourcis sommaires, et idéologisants vers où les poussait la désinformation ambiante.
Par exemple, lié au 1er novembre, déclenchement de l’insurrection, je signale un article très documenté d’un historien hongrois, Ladzslö Nagy, qui vient de me l’envoyer, qui détaille un épisode significatif et pourtant occulté : l’appel du 1er novembre fut presque aussitôt répercuté par une station radio, émettant en arabe dialectal depuis Budapest, … c’était une station qui émettait en direction du mouvement indépendantiste d’Afrique du Nord. Cette station était animée et dirigée par notre camarade William Sportisse, qui avait été envoyé pour cette mission, depuis le milieu de l’année 54, c’est-à-dire vers juin-juillet, par le Parti PCA et les autres partis communistes du Maghreb. Il avait diffusé le communiqué du 1er Novembre avant qu’il ne le lui soit envoyé par la délégation du FLN au Caire, qui en son temps, en la personne de Aït Ahmed, l’avait remercié et félicité pour cette initiative.
Pour mieux préciser les choses, la direction du PCA n’a pas été surprise par la survenue de l’insurrection qui était politiquement dans l’air et prévisible pour les mois ou l’année à venir.
Ce qui nous a surpris dans la semaine qui a précédé l’insurrection, et au cours de laquelle nous avons compris son imminence – là, je signale que une semaine avant je me trouvais avec Bachir Hadj-Ali et moi-même, avec la section locale du Parti communiste dans laquelle figurait Galland, Jean-Jacques Galland, qui l’a relaté dans un ouvrage, qui avait rencontré 6 mois auparavant Ouamrane, futur colonel de la wilaya IV , et ils en ont discuté toute une nuit, c’est-à-dire ce n’est pas quelque chose qui nous avait surpris – ce n’est pas le fait qu’il allait y avoir une insurrection, c’était l’accélération de son timing, alors que il y avait la crise du PPA MTLD qui s’aiguisait de plus en plus ; parce que nous avions prêté davantage de perspicacité politique aux initiateurs de l’insurrection, à qui Abane Ramdane avait reproché plus tard d’ailleurs en termes très durs la précipitation avec laquelle l’insurrection avait été déclenchée dans de telles conditions.
Par contre, là où j’estime que la direction du PCA aurait dû et aurait pu faire mieux, c’est que, après Diem Bien Phu, d’après ce qu’on m’a dit parce que je n’étais pas encore au bureau politique où il y avait eu des discussions sur l’éventualité d’une lutte armée, je pense, qu’à partir de ce moment-là il aurait fallu anticiper organiquement, préparer des structures parallèles du type de ce qui va être fait ensuite avec les Combattants de la Libération, avant que l’insurrection ne survienne, ce qui nous aurait facilité les dispositions organiques, et un certain nombre de développements politiques ultérieurs dans l’intérêt de tous.
Voila, alors le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’aller plus loin.
Nous le regretterons…
Je vais conclure seulement en soulignant que cette question du 1er novembre est d’une grande actualité.
Pourquoi elle est d’une grande actualité ?
Elle dépasse de loin la question du timing et de son accomplissement pratique et militaire.
L’essentiel réside dans la finalité et le contenu politique des soulèvements.
Il y a deux remarques qui me paraissent d’actualité, à propos de cette symbolique du 1er novembre
- Premièrement : un prétendu novembrisme passéiste, et qui se tient à l’apologie désincarnée de la lutte armée, a servi de couverture idéologique à des dérives anti démocratiques de la part de cercles nationalistes, officiels ou non. Ils se sont mis à invoquer pour eux seuls la légitimité révolutionnaire et le label de la famille révolutionnaire.
Ça s’est traduit par la crise de l’été 1962 qui a vu s’instaurer par la violence le socle militaro policier du nouveau système de pouvoir.
Et ensuite, les vertus qui ont été attribuées à la violence armée sans évaluation critique de son contenu, sont à l’origine de fautes politiques graves, désastreuses, tels que les affrontements armés en Kabylie en 1964, puis dans tout le pays pendant toute la décennie de 1990.
Ce constat a une nouvelle résonnance aujourd’hui en cette saison pas de printemps mais de tempêtes arabes et africaines. Quelques cercles s’étonnent, en le déplorant, de ce qu’ils appellent l’exception algérienne, ils caressent par mimétisme envers le 1er novembre 54 le calcul dangereux d’allumer un feu par internet, ou tout autre scénario planifié.
C’est ignorer que ce qui a donné du souffle à l’insurrection algérienne en 1954, ce fut avant tout une orientation politique qui était bien en phase avec les aspirations, avec le ressenti et la sagesse populaire, et non pas fondamentalement les instruments pratiques qui ont véhiculé ce contenu, depuis le bouche à oreille, le téléphone arabe ou radio trottoir ou café du quartier, jusqu’au poste radio transistor qui venait récemment d’arriver. Donc c’est le contenu politique qui était déterminant.
- Deuxièmement, un deuxième enseignement est rendu éclairant par le, les malheurs dans lesquels ont été plongés le peuple de Libye, de Syrie, et du Mali, après les Irakiens.
C’est le suivant : militariser artificiellement les conflits internes, recouvre souvent des tentatives suspectes d’embrigadement émotionnel de l’opinion, d’anesthésie de la conscience politique et du sens critique, pour des buts non avoués dont profitent des cercles réactionnaires internationaux qui encouragent et/ou suscitent ces dérives.
Dans ces conflits internes encore plus que dans les luttes de libération nationale, la lutte armée ne devient légitime et porteuse d’avenir que si elle est engagée en dernier recours, quand les moyens et voies pacifiques ont réellement épuisé leurs effets.
Alors seulement le recours aux armes, avec un large appui populaire, peut ouvrir la voie à des solutions pacifiques et démocratiques.
Dénouer l’écheveau compliqué des situations où s’entremêlent les représentations identitaires et les enjeux économiques et stratégiques.
C’est dans ce sens que novembre 54 a ouvert la voie aux Accords d’Evian.
En sens inverse, l’épreuve des forces de l’été 62 a préparé les impasses et tragédies survenues un quart de siècle plus tard : massacre d’octobre 88, années noires de la décennie 90, la répression algéroise sanglante des jeunes marcheurs du 14 juin 2001, et le marasme et la fragilité nationale actuels.
À cinquante ans de distance il est à souhaiter que ces enseignements croisés préparent un vrai printemps démocratique et social tel que celui qui était souhaité par l’appel du 1er novembre 54.
C’est l’enjeu, encore en balance des luttes en cours.
Intervention de SH le 22 mai 2014
IREMMO
transcription socialgerie M&S R
1er NOVEMBRE 1954
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1er novembre 1954 - extraits du livre "En Algérie du temps de la France" ;
ed. Tiresias, 1999
http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/1954_11_01_2005_01_31_deSH.Galland_1er_Nov_54_B_Yenni.extt_-_921.pdf
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le 1er Novembre 1954 |
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FORUM DU QUOTIDIEN D’ALGÉRIE
socialgerie - article 76 - mis en ligne le 27 août 2009
http://www.socialgerie.net/spip.php?article76
[1] IREMMO SEMAINE SPÉCIALE ALGÉRIE
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