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ALGÉRIE : L’INSURRECTION DU 20 AOÛT 1955

mardi 25 août 2015

AOÛT 55 À TRAVERS LES YEUX D’UN ENFANT DE 5 ANS - ÉVOCATIONS DE L’INSURRECTION DU 20 AOÛT 1955 - raina.dz - Contribution de Aziz Mouats - le 22 août 2015 ;


20 Août 1955 « Si nous venons à mourir défendez nos mémoires » - L’INSURRECTION PATRIOTIQUE ET POPULAIRE DU 20 AOÛT 1955 - MONOGRAPHIE - par SACI BELGAT - socialgerie - le 19 août 2011 ;


AOÛT 55 À TRAVERS LES YEUX D’UN ENFANT DE 5 ANS

ÉVOCATIONS DE L’INSURRECTION DU 20 AOÛT 1955

raina.dz
Contribution de Aziz Mouats
le 22 août 2015

Ce samedi 20 août 1955, j’avais 5 ans et demi et j’ai assisté au déferlement des insurgés à partir du marabout de Sidi-Ahmed qui surplombe la Prise d’Eau. Ce marabout est celui de la famille Mouats qui possède des lopins de terre sur le versant gauche de Béni Mélek.
C’est vers 11h que nous entendons s’élever pour la première fois l’appel au djihad, donnant ainsi le signal à quelque 4 000 fellahs encadrés par des responsables et autres combattants FLN de foncer sur Philippeville, une grande agglomération côtière de 70 000 habitants. Cet appel est de suite relayé par les youyous des femmes et des jeunes filles de la famille.
En face de notre mechta, la famille Messina, le père, la mère et les trois ou quatre enfants, voyant la foule déchaînée, quittent la ferme et remontent s’abriter sur le mamelon. Mais là, ils tombent nez à nez avec une deuxième colonne d’insurgés conduite par Mouats Lyazid, mon oncle maternel. C’est lui qui interdit à ses combattants de tuer les Messina, soulignant qu’ils n’étaient que des métayers. Ils lui doivent donc la vie sauve. Un geste qu’ils oublieront le lendemain, puisque c’est Messina lui-même qui allait dénoncer notre famille aux militaires.
Mon père et mes oncles Salah et Rabah – 14 et 16 ans –, lui revenant du maquis et ses jeunes frères de la ville où ils s’étaient planqués la veille de l’insurrection et s’étaient retrouvés pour la dernière fois, seront cueillis à l’instar des autres membres de la famille le mardi 23 août aux premières lueurs du jour.

En effet, à peine le jour était-il levé que les soldats investissent nos maisons, nous font sortir dehors pour assister à un spectacle macabre. Avec leurs machettes, ils égorgent nos poules et nos lapins qu’ils emportent dans leurs gibecières. Chèvres, vaches, mules et moutons sont également saisis et emportés.
Ensuite, les femmes et les enfants sont rassemblés sous des oliviers. Le soleil est déjà très haut dans le ciel lorsque les hommes qui avaient été rassemblés sont emmenés vers la crête où les attendent les GMC de l’armée.
C’est la dernière fois que je vois mon père et mes oncles vivants.
Puis les soldats se mettent à dynamiter avec des mortiers nos maisons, tout en y mettant le feu. Ils ont certainement dû utiliser des lance-flammes.
Le lendemain, nous avions fait le tour de la mechta et avons passé la première nuit de notre vie à la belle étoile. Un groupe sous un savonnier en plein cœur de la mechta et notre groupe sous un immense jujubier de Saïd Mouats, dont les maisons sont mitoyennes des nôtres. Le savonnier et le jujubier sont encore en vie.
À chaque fois que je retourne à Béni Mélek, je me fais un devoir de rendre visite à ces deux arbres miraculés.
Je me souviens que des décombres de nos maisons, nous avions réussi à retirer uniquement du couscous que toutes les familles indigènes préparent en prévision de l’hiver. Je garde toujours vivace ce goût de brûlé qui me fait penser au napalm. Un goût très particulier qui vous écorche la langue et la gorge et provoque des nausées insoutenables.

Des leaders à l’âge de 13 ans

Mais c’était ça ou rien. Les plus téméraires sont allés cueillir des figues en contrebas des ruines de nos si belles maisons en tuiles rouges de Marseille. Car pendant longtemps, lorsque nous étions autorisés par l’armée à revenir sur les lieux, nous retrouvions partout des éclats de ces tuiles plates, signe d’une urbanité et d’une relative opulence, comparativement aux habitations en « diss » des autres mechtas de la région.

C’est seulement le jeudi 25 que notre voisin, un colon humaniste et libéral, Roger Balestrieri, est venu nous consoler et nous apporter de l’eau et du pain. Je revois encore ses deux ouvriers, Boukhmis, un compagnon de guerre, et surtout Abdelkader Zine, un colosse noir originaire de Touggourt, l’un ployant sous le poids de deux gargoulettes et l’autre sous deux sacs de pain français. Roger, coiffé de son chapeau colonial, à peine la trentaine, peut-être moins, dégoulinant de sueur, parlait un arabe rudimentaire.
Affamés depuis la veille, nous nous jetons sur le pain et l’eau pendant que Roger parle en aparté avec les adolescents que les soldats dans leur furie avaient épargnés. Il s’agit de Hammoudi, Salah, Hafidh et Zouaoui, tous âgés entre 10 et 13 ans.
Ce sont eux qui en l’espace d’une nuit sont devenus de facto les nouveaux chefs de la communauté.
Par le feu et par le sang, la France coloniale, haineuse et sans scrupules, venait de faire passer le témoin entre les générations. Moi-même je devenais ipso facto le mâle le plus âgé de la famille. À moins de 6 ans !

Je vois encore ce bouc impressionnant, avec sa laine blanche et ses cornes acérées se laisser embarquer sans ménagement, comme un vulgaire agneau, par les soldats du 1er RCP. J’avais envie de crier que c’était mon bouc à moi, celui qu’on devait égorger à l’occasion de ma circoncision, soit juste après les festivités automnales et juste avant mon entrée à l’école. Mais ma mère m’a fusillé de son regard, m’intimant l’ordre de me taire et surtout de ne rien faire qui puisse exacerber cette troupe décidée à en découdre.

Se faire une raison

Déjà que j’étais très malheureux de voir mon coq se faire égorger par un soldat, mais les voir emporter mon bouc me rendait inconsolable. J’étais loin d’imaginer la suite.

Voir tous les hommes de ma famille alignés avec les mains sur la tête comme de vulgaires bandits m’indisposait au plus haut point.

Mais ce qui me fera le plus mal, c’est pourquoi j’en garde une blessure profonde, c’est de voir mes jeunes oncles avec qui je faisais déjà les quatre cents coups courber l’échine et partir en file indienne vers une destination inconnue, mais que déjà j’imaginais funeste. Encadrant leur grand frère, ils sont partis pour ne jamais revenir, mais ça je ne le savais pas. D’ailleurs, dans la famille, nul ne savait ce qu’il allait advenir de nos hommes.
Jusqu’au 5 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie, jour de joies immenses, jour de grande ferveur, jour de grosses chaleurs, mais aussi jour de la dernière et de la plus humiliante déception.
Celle de devoir se faire une raison que les 23 hommes embarqués le 23 août 1955 par l’armée française ne reviendront pas. Avoir attendu jusqu’à la fin de la guerre, c’est-à-dire pendant sept longues et interminables années, pour se faire une raison.
Car durant toute cette période, à chaque fois que nos mères posaient la question, la réponse s’est toujours voulue évasive. Tantôt on nous disait qu’ils étaient à Lambèse, tantôt à Berrouaghia, les deux endroits dont j’ai appris à connaître les noms dès l’enfance. Mais à l’époque, ces deux centres pénitentiaires représentaient pour moi une simple auberge où mes parents étaient retenus pour troubles à l’ordre public.

Introuvables charniers

Quelques jours après avoir dormi sur la paille dans cette vieille mansarde mise à notre disposition par Roger Balestrieri, je suis pour la première fois séparé de ma mère et de ma tribu que je venais à peine de connaître. Plus de 80 personnes entre femmes et enfants que les Balestrieri avaient recueillies dans cette ferme désaffectée.

C’est donc vers la fin du mois d’août que je fais connaissance avec mon grand-père maternel. Je ne l’avais jamais vu auparavant, car en ces temps-là, le beau-père ne rendait visite à son gendre et à sa belle famille qu’aux grandes occasions.
C’est pourquoi, jusqu’à ce funeste mois d’août, je n’avais aucune idée de l’existence d’un grand-père maternel. Ma vie se limitait à celle de notre petite famille, avec comme patriarche Si Moha, l’oncle de mon père et donc mon seul et unique grand-père que je vénérais par-dessus tout. Lui était le véritable leader de la famille Mouats.

Le jour de la destruction de notre mechta, il était en ville, probablement bien à l’abri chez une de ses nièces qui habitait le faubourg de l’Espérance. Ayant été informé de ce qui se passait à la mechta et voyant au loin les flammes s’élevant au ciel, Si Moha avait pris la route de Collo qui mène droit à la mechta de Béni Mélek. Il sera arrêté à hauteur de la ferme de Bernard Dimeglio.
Depuis sa ferme, Roger Balestrieri a observé toute la scène. Lui a vu le convoi militaire et aperçu de loin les flammes et surtout la fumée s’élevant du douar. Avec les membres de sa famille et ses ouvriers, ils ont pu se rendre compte que quelque chose de grave se tramait chez nous. Depuis leur ferme qui domine la route sinueuse, ils n’ont aucune peine à reconnaître le vieux Moha se dirigeant prestement malgré son âge vers sa famille qu’il savait en grand péril.
Lorsqu’il se retrouve face à face avec le convoi militaire, il a à peine le temps de reconnaître les siens qu’il est embarqué sans ménagement dans l’un des GMC.
Lui aussi finira avec le reste de la famille dans un charnier que jamais personne n’aura signalé à ce jour. Pas même les responsables du FLN qui ne peuvent pas se soustraire à leur devoir sous un fallacieux prétexte.

Pour une reconnaissance nationale

Car ce qui s’est particulièrement passé ici dépasse en horreur ce que la France coloniale avait érigé en mode de destruction massive.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le témoignage d’un fils de soldat français, d’autant que nous avions presque le même âge et j’aimerais lui dire combien j’ai apprécié sa contribution. Parce qu’elle donne un autre éclairage de ce que fut cette insurrection. Que d’aucuns cherchent encore de nos jours à instrumentaliser.
À cet égard, après l’excellent livre de Claire Mauss-Copeaux, faisant voler en éclats la thèse de la préméditation – attribuée mécaniquement (machiavéliquement ?) à Zighoud Youcef –, le travail qu’est en train de réaliser Michel Mathiot constitue une contribution majeure à une meilleure connaissance des évènements et des hommes.

Enfin, comment ne pas souligner que dans son édition du lundi 22 août 1955, le New York Times parlait déjà de 12 000 victimes tuées par la répression, surtout que les ratonnades et autres crimes de guerre ont été couverts par les responsables militaires jusqu’au 29 août 1955.

Ce qui ne veut pas dire qu’après cette date, tout serait rentré dans l’ordre républicain, tant s’en faut, puisque l’état de siège a été décrété et les appelés ont été mobilisés en force. A l’évidence, l’insurrection a coûté très cher en destructions et surtout en vies humaines.

Après 60 ans de souffrances, nous avons tous besoin d’un peu d’apaisement qui ne viendra que le jour où nos morts seront enfin reconnus.
Ceci pourrait se faire par l’érection d’un monument national sur lequel tous les martyrs de ces glorieuses journées seront gravés dans du marbre de Filfila.
Est-il injuste d’imaginer que ce monument national pourrait trouver un petit espace en haut du mont Messiouène qui surplombe la vallée du Béni Mélek ?

Aziz Mouats
Université de Mostaganem

Sources : raina dz

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L’INSURRECTION PATRIOTIQUE ET POPULAIRE DU 20 AOÛT 1955

UNE MONOGRAPHIE ÉMOUVANTE ET REMARQUABLE

par SACI BELGAT
socialgerie
le 19 août 2011

Ce témoignage brûle du souffle patriotique qui animait les insurgés depuis novembre 1954. Il a aussi la rigueur scientifique sans concession que mérite le grand tournant survenu au cours de la première année de la guerre libératrice et lui a donné son sens populaire profond. Les uns oublient ou déforment un épisode emblématique, qu’ils trahissent en ramenant sa célébration à un rituel vidé de contenu social et démocratique. Les anciens demeurés fidèles à leur idéal et surtout les nouvelles générations engagées dans les enjeux cruciaux de l’Algérie contemporaine en comprennent de plus en plus le sens profond. Défendre la mémoire des milliers de martyrs du 20 août 1955, c’est aujourd’hui prolonger leur lutte sur le terrain des aspirations et besoins populaires.

Un des moudjahid montant au maquis consolait sa fillette : je te rapporterai une poupée qui s’appelle "HOURRIYA". Il n’est pas revenu mais le combat de ses enfants, aujourd’hui pacifique, dur et acharné, continue pour conquérir cette Liberté chargée du contenu humain auquel tout un peuple ne cesse de rêver.

L’enjeu aujourd’hui, c’est découvrir et surmonter les obstacles, objectifs et subjectifs, internationaux et nationaux, qui ont contiribué à arrêtre à mi chemin les processus révolutionnaires du changement, ou pire encore à les pervertir par les moyens de la corruption, de l’arbitraire et de la confusion politico-idélogoque
SH socialgerie - août 2011


(Transmis par Fateh AGRANE)

Mon camarade SACI BELGAT me fait l’honneur de m’envoyer son écrit sur la journée du 20 aout 55 a Skikda ou feu son père est tombé héroïquement les armes a la main avec un groupe de ses compagnons pour que vive l’Algérie libre et indépendante.

Sur le chemin de nos chouhada SACI a continué de marcher sans jamais se départir de son idéal et celui de son père, toujours en lutte contre la domination et l’arbitraire pour la justice et le progrès.

Avant de mourir son père voulait que SACI soit pilote d’avion ! ... il ne l’est pas, notre enseignant universitaire, mais il vole très haut, sur les miasmes des traîtres et des renégats, il continue son combat pour la dignité humaine , je suis fier de pouvoir l’accompagner, pour honorer les miens aussi tombés au champ d’honneur le 6 juin 1958 et tous les chouhada et militants sincères notre cause anti-colonialiste nationale.
FATEH AGRANE


20 Août 1955

« Si nous venons à mourir défendez nos mémoires »

Ils disparurent en héros dans le fracas des balles, de la grenade et du mortier de la horde coloniale et leurs mémoires furent trahies et mêlées au comble de l’ignominie à celles des planqués qui se construisirent des itinéraires révolutionnaires rocambolesques, et plus grave encore à celles des collaborateurs et supplétifs de l’armée française.

Je veux parler des quinze martyrs de la rue de Paris (Skikda ex Philippeville), selon les documents de l’époque et dix neuf selon Madame Daiboune Sahal Zakia, un témoin de premier plan.

Madame Daiboune Sahal Zakia avait seize ans (16) en Aout 1955. Elle habitait avec ses parents l’une des deux maisons mitoyennes où se sont repliés les moudjahidines qui venaient d’attaquer la garnison de gendarmerie et tenter de libérer les prisonniers en forçant les portes de la sinistre prison de Philippeville.

Elle se souvient et relate les événements comme si, c’était hier. Il est vrai que cette bataille est marquante à plus d’un titre. Les impacts de balles de mitrailleuses, les trous des tirs de bazooka et de mortiers colmatés fraîchement, sont encore là pour témoigner de la violence du combat (voir photos accompagnant le texte). Témoins d’une des plus, âpre et prestigieuse épopée du 20 aout 1955, que les gardiens du temple du ministère des moudjahidines ignorent superbement. Mais est-ce véritablement leur histoire !

Tout, vous prend à la gorge. L’ambiance est d’une telle gravité émotionnelle et je comprends que cette dame altière – droite et fière dans ses soixante quatorze printemps ait gardé une mémoire fertile, pour raconter à ceux et à celles qui pour eux, Novembre et sa suite aient encore un sens.

Elle se souvient, me regarde, me toise et me dit dans une confidence que seule les humbles, ceux qui ont porté à bout de bras la révolution savent le faire. « Mais tu ressembles étrangement au moudjahid que j’ai soigné ici dans la buanderie. Il a tes yeux, ton front, tes sourcils quelle ressemblance mon fils. » Oui c’est mon père et je viens justement à sa rencontre. « Il avait une blessure profonde au front, je lui ai mis du café pour coaguler le sang, il a continué à résister, jusqu’au bout, ils l’ont achevé à la grenade avec ses trois compagnons. J’ai gardé une carte d’identité jusqu’en 1958 et puis par peur des perquisitions je l’ai détruite. Elle était neuve datant de quelques jours. Elle était du nom de « Mokhtar », je ne me souviens pas du nom de famille. Lieu de naissance Saint Antoine. Cette carte je l’ai gardée longtemps. Je la mettais sous mon oreiller. La nuit je me réveillais en sursaut. Ce chahid me soulève et m’embrasse. Que dieu fasse, ils sont au paradis.

Tout ce que nous avons demandé c’est que l’ État algérien fasse de ces deux maisons un musée pour que nos jeunes n’oublient pas l’histoire de ces hommes. »

À ces quinze ou dix neuf résistants, l’armada coloniale a du mobiliser des centaines de parachutistes et de garde mobiles. La bataille a durée cinq heures de 13h 20 à 18h 20. Nous citons en plus de ce témoignage vivant ceux des autres historiens, militaires de l’époque ou colons.

Benjamin Stora, historien de renom spécialiste du Maghreb, dans historical références 2010, rapporte : « Dans la rue de Paris, aussi, il faudra cinq heures aux parachutistes de l’armée française pour anéantir un commando d’une quinzaine d’hommes qui, réfugiés dans une maison, tirent sur tout ce qui bouge et refusent de se rendre ».

A son tour l’historienne Claire Mauss-Copeaux, rapporte dans son livre “Algérie, 20 août 1955, insurrection, répression, massacres,” en page 104, cet édifiant témoignage parlant des résistants de la rue de Paris « Le colonel Vismes relève leur « mordant » l’hommage qui leur rend est bref et net : non seulement ils sont très décidé à résister sur place jusqu’à la destruction », mais ils le font. Un autre document militaire précise que des armes lourdes (lance roquettes anti-char et automitrailleuses) ont été utilisées pour les réduire. Mais ils ont tenu et leur dernier combat ne s’est pas conclu avant 18 heures 20. ».

Un autre témoignage sur la toile : intitulé “déchaînement à Philippeville” :

« La fureur exacerbée, une quinzaine d’hommes se sont enfermés dans une maison de la rue de Paris d’où ils tirent sur tous les européens. Les parachutistes donnent l’assaut il dure cinq heures. A la grenade, au gaz lacrymogènes, à la mitraillette, au mortier. »

Pour se suffire à ces témoignages tous concordants, Gilbert Attard, un témoin, dans “une page d’histoire le 20 aout 1955 à Philippeville,” donne sa version : « 13h30 : une bande de 80 rebelles s’infiltre entre l’hospice et la gendarmerie. Quatorze rebelles se retranchent, rue de Paris, dans une maison occupée par des musulmans. Les youyous des femmes stimulent l’ardeur des hors la loi. Les militaires et les gardiens de la paix en font le siège pendant plus de 4 heures, faisant usage de gaz lacrymogènes et de grenades, un militaire est blessé, l’adjudant chef Maurice Giraud de l’état major de la 41e DPB. Tous les rebelles sont abattus. »

D’après Daiboun Sahal Zakia : les corps étaient méconnaissables déchiquetés par les éclats de grenades et les tirs de bazooka.
« Nous avons été évacués, alignés pour être fusillés. Notre salut nous le devons au commissaire de police « Gati » qui a intercédé en notre faveur et heureusement que mon père était dans son commerce. C’est ce qui nous a sauvés ; sinon, on aurait été fusillés. La maison fut réquisitionnée et fermée plusieurs mois. Nous n’avons pu réoccuper notre maison que longtemps après, et puis nous on a rien demandé sauf que l’Etat fasse de cette maison un musée pour la mémoire. »

C’est ce même commissaire de police grande connaissance de mon oncle (Tahar Ben Achour), Garde champêtre de Stora, « Tahar, j’ai reconnu ton frère Messaoud, il était de ceux morts à la rue de Paris, ne me dit pas qu’il a disparu en ce 20 Août ».

La sécurité de la famille a prévalu et il fallait garder au secret sa vraie place dans le soulèvement du 20 août 1955, moyennant quelques largesses et royalties versées à gauche et à droite pour garder le secret et éviter le pire, d’autant que la famille pouvait se le permettre, ferme agricole florissante à Ain- Zouit et en d’autres endroits, commerce et primeuriste en pointe à Philippeville, place enviable dans l’administration française.

Ce que j’en tire aussi, mon père comme beaucoup d’autres révolutionnaires, ne se sont pas soulevés contre l’ordre colonial par nécessité alimentaire, comme semble le suggérer certains. Les positions qu’ils occupaient dans la hiérarchie sociale de l’époque ne les mettaient pas en situation de simples desperados de la faim et des maladies récurrentes. Ils avaient un idéal pour leur pays et le prix en importait peu.

Quand Claire Mauss –Copeaux, rapporte en page 102 de son livre (“Algérie, 20 août 1955…”), « En Algérie, aujourd’hui, les mémorialistes affirment que « le secret était total ». Seul Zighout Youssef et ses très proches collaborateurs étaient « au courant de la date, de l’heure et des lieux […]. Les militaires et les services de renseignements français de l’époque ignoraient eux aussi ce qui se préparait ». Mais cette présentation des faits, qui confirme à leurs yeux la force des conjurés et l’unanimité du commandement FLN, est inexacte. Effectivement, la date de l’insurrection avait bien été révélée l’avant-veille à Brahim, l’un des chefs de groupe, mais ce dernier observe également que la préparation de la « Révolution » avait commencé un mois auparavant, au lendemain de la réunion de Zamane. Parmi ceux qui participaient, tous n’ont pas forcément respecté le secret. »

En effet, l’avant-veille du jour fatidique, mon père avertit son frère « Tahar garde champêtre de la commune de Stora de ne pas se rendre à Philippeville, le jour du samedi 20 août, il lui dit qu’il va se passer des événements violents ». Pris de colère son frère lui intima l’ordre de se retirer. De l’avis de la famille qui écouta cette violente altercation entre le benjamin et son frère, jamais, on ne les a vu rentrer dans une telle colère, d’autant qu’il vouait (Messaoud, mon père) un respect mémoriel à son grand frère. Il lui résista et s’en alla sans lui faire les adieux.

Au fond, et même s’il ne lui pardonna jamais cette résistance, moi son fils, je comprends maintenant et à posteriori, le deuil mal assuré de mon oncle. À l’évidence, il se faisait violence, comme si son frère a été happé par une femme plus audacieuse et plus belle que l’amour qui les liait.

En effet, la Révolution était plus forte que les situations acquises. N’est ce pas que cette posture révolutionnaire est en rupture radicale avec le comportement actuel des roturiers de la république dévoyée.

Oui, non seulement que leurs compagnons les ont trahis, mais ils s’inventent des histoires, rapportent pour ceux qui étaient considérés comme des chefs des témoignages tronqués ou nécessairement ils doivent briller par rapport aux chouhadas, aux vrais baroudeurs.

Claire Mauss-Copeaux déjà citée, écrit à ce propos « Mais la légende des chefs luttant au milieu des insurgés n’est pas corroborée par Ali Kafi, qui se présente comme l’adjoint de Zighoud. Dans sa brève relation du 20 août, il observe un silence prudent à propos de son rôle et de celui du responsable du Constantinois. »

Tous les 20 août que Dieu fait (érigée en journée du Moudjahid), des témoins sortis de nul part « des zigotos » s’inventent des histoires qui font douter la jeunesse des vraies batailles pour l’indépendance acquise au forceps par ceux et celles qui n’avaient d’ idéal que celui du recouvrement de la souveraineté et de la liberté pour une nation et un peuple meurtri et exsangue, par l’une des colonisations les plus meurtrières du XX siècle.

Ces mots que me rapporta ma défunte mère sonne encore dans ma tête « au mois de juin, c’est le début de la fenaison- on rentrait le foin, sa belle soeur « parlant de mon père » l’interpella, pourquoi fais-tu tout ça Messaoud, un avion à réaction passait en ce moment, il leva sa tête au ciel, pour que Dib (moi, son fils ainé - du surnom qu’il me donna) puisse piloter un jour cet avion ».

Même, si je ne fus pas pilote d’avion et je m’en excuse d’avoir failli à cela, j’ai tenu à pousser mes études au plus loin, rien que pour honorer sa mémoire et lui être fidèle.

La figure tutélaire du père fut de tout temps omniprésente et protectrice. Malgré que j’ai été assez dorloté et baisoté par ma mère, quand je suis en difficulté, je ferme mes yeux et je t’imagine grand gaillard de tes longs et puissants bras me protégeant. C’est dans tes bras que je cherche refuge et non ceux de ma mère.

C’est dire aussi, que le deuil ne se fera, au grand damne, jamais. Nous apprenons à vivre avec et continuons de faire de l’absent le premier compagnon de notre vie.

C’est peut-être ce deuil impossible et l’absence en héritage du père, qui me conduisirent en ce premier été de l’an un « 1 » de l’indépendance en compagnie de mon jeune cousin Madjid à la recherche des moindres recoins où séjournèrent les moudjahidines.

Que de chemins escarpés, que de ronces, de forêts denses, de ruisseaux, d’oueds et de gueltas traversés. Je ne savais pas pourquoi je le faisais, c’était je m’en souviens une aimantation plus puissante que les coups de gueule de ma pauvre mère.

En un mot ce n’était ni des illuminés, encore moins des assassins comme un certain documentaire de J.P. Liedo les présenta. Ils étaient des hommes aux rêves qui surpassaient ceux qui ont eu la charge de conduire les affaires de la nation à sa libération.

Au moment où ces révolutionnaires de la vingt cinquième heure se racontent les belles histoires justifiant les rentes et les prébendes servi allégrement par les magnats de la république, nous la petite fratrie, les yeux rivés sur la rue de Paris, on ne se parle pas et au retentissement de la sirène, annonçant midi (12H), au premier coup de feu, chacun de nous fait comme il peut pour étouffer ses sanglots.

Saviez vous qu’on n’a même pas un lieu digne où nous pouvons célébrer et honorer la mémoire de notre père. Un lieu où l’on peut se recueillir pour notre tranquillité.

Quelques petites explications à propos du déroulement des événements du 20 août 1955 :

Pourquoi le repli en la maison de la rue de Paris : cette maison, je le tiens de ma défunte mère servait de réunion. Les occupants ne sont que les parents de Ramdane, compagnon de mon père qui mourut en héros en sa compagnie.

Monsieur Kafi dans son livre (“du militant politique au dirigeant militaire”), prétend en p. 66, que le PC était établi dans la rue de France. Mais chez qui ? Il faut bien une adresse, un nom pour que le témoignage ait un sens historique, si non ce ne sont que des approximations, comme pour bien d’autres narrations.

Non le P.C se trouvait dans la rue de Paris chez les parents maternels de Si Ramdane, et c’est là même où toute la direction opérationnelle laissa sa vie.

La preuve nous vous la donnons.

Pourquoi la deuxième réunion après celle de Zamane, à laquelle mon père participa, fut tenue au douar Lamdjadjda ?

Qui s’est occupé de la logistique, et qui connaissait ce douar ?

Ce douar se situe en plein massif forestier entre Collo et Skikda, et n’est desservi par aucune route. Il est tellement enclavé qu’il faut de la détermination pour y aboutir.

Il est à un jet de pierre de notre ferme à Ain Zouit. Le seul qui avait une parfaite connaissance du douar était mon père. Nous avons des terres en indivision en ce douar jusqu’à aujourd’hui et les parents maternels de mon père sont de ce douar, et c’est mon père qui reçut de Zighoud l’instruction de préparer cette réunion.

Monsieur Kafi cite en, page 58 de son livre, des noms ayant assistés à cette réunion, puis il conclu furtivement…, et d’autres, mais qui sont ces autres. Ce n’est pas trop d’honneur pour quelqu’un qui prétendument aurait conduit les événements.

Est-il blasphématoire de dire que chaque chahid ait droit à vos yeux à l’éternelle reconnaissance de la patrie qu’il inonda de son sang.

Des noms qu’il cite *…+, aucun n’est de ce douar, ni d’ailleurs de la région pour maîtriser la configuration du terrain ; alors qu’en stratégie révolutionnaire c’est la première condition à réunir. Oubli ou manipulations des faits.

Il omet de parler de la réunion à la veille du 20 août qui s’est tenu dans notre maison à Ain Zouit exactement au lieu dit « Aghzib m’gharat », là où est construite notre ferme. Mr Kafi y était présent à la réunion, nous en avons le témoignage d’un survivant du 20 août, Si El Meki, présent à cette réunion. Encore un oubli ou autre chose.

Pourquoi ne parlera-t-il pas de celui qui entraînait les moudjahidines au maniement des armes, au lieu dit « Oued el Maleh », sur nos terres. N’est ce pas que c’est Messaoud Ben Achour mon père ou Belgat selon la convenance.

Qui est ce jeune lettré qui tapait les rapports à la dactylo « stamba » comme on dit dans le langage des ruraux « djebailia » sous la dictée de mon père ?

D’après un témoin. Mon père a procédé à l’enterrement du matériel avant le 20 août 1955 et je me ferais un devoir de vérité de les déterrer rien que pour abreuver l’histoire et éclairer la vision d’une jeunesse avide de connaître ses héros, ceux et celles qui ne lui ont jamais menti.

Quant aux sabotages des fermes de colons des Beni-Malek, qui, si ce n’était son groupe, n’est ce pas qu’il en paya le prix avec d’autres pour avoir été arrêtés et écroués quelques jours à Philippeville.

Parlez-nous encore de ce traitre infiltré dans les rangs de l’ALN naissante qui a failli décimer ses rangs. Que d’oublis, de hiatus, pour une histoire sélective et manipulée à souhait.

Pourquoi dans son livre ne parle-t-il pas du signe sacralisant l’engagement du moudjahed, que les résistants les vrais avaient à l’avant bras.

Claire Mauss-Copeaux le rapporte dans son ouvrage p. 88, parlant de Zighout Youcef : « Afin d’engager définitivement les combattants de la ville, il instaure un rituel qui sacralise leur cause et lie les conjurés. Dans le style qui lui est particulier, Ahmed Boudjeriou, le jeune frère de Messaoud, décrit la scène : « Il demande à cheikh Belkacem Kerris de réciter certains versets du coran. Zighoud et si Messaoud [Boudjeriou, le responsable du secteur de Constantine] appellent un à un les combattants pour leur faire prêter serment. »

Ce rituel ne s’est pas limité à la seule région de Constantine. Il s’est tenu partout - là où il y avait des combats et des combattants à engager.

Comment je le sais et d’où je tiens cette information. Ma mère dans ses colères combien légitimes, ravalant ses larmes, étouffant mal ses sanglots, elle me dit « quand je l’ai imploré de rester auprès de vous, vous étiez très jeunes, ta soeur ainée « Titam » née en 1947, n’avait que 7 ans, toi, né en 1951- 3 ans presque 4, et Kaddour, né en mai 1954, ton jeune frère à peine s’il venait de boucler sa première année. Parlant de mon père : « Il me fixa des yeux, remonta sa chemise et me montra un signe sur son avant bras, j’ai prêté serment et je ne peux reculer ». Ce serment gravé en son corps, il ne le montra qu’à sa femme. « Mon fils un vrai « thouar », révolutionnaire, il doit avoir ça, si non c’est un faux ou quelqu’un qui est arrivé bien après les premiers révolutionnaires ».

Mu, et porté par cette conviction nationale et religieuse, il teint avec son groupe de résistants, avant d’aborder la ville de Philippeville par le faubourg, une prière. Il demanda aux uns et aux autres de se pardonner.

Encore, avec toute la ferveur imposée par le djihad, là où il passait à la tête de sa section, il demandait le pardon aux populations riveraines ; en témoignent tous les habitants encore en vie des Beni-Malek.
« c’est Messaoud Ben Achour qui à la tête des combattants qui sont rentrés par Beni-Malek, nous demandait de le pardonner. »

Avant de conclure ce chapitre, nous comprenons pourquoi ni du côté de la France officielle, et encore moins du côté des locataires de la république algérienne dévoyée n’a intérêt à ouvrir les archives et laisser place à la recherche et à l’investigation historique, au lieu des légendes auxquelles presque personne ne croit.

Prébende et mépris :

Vous, vous avez édifié des palais pour vous et vos concubines, nous nous eûmes droit à votre mépris.

Que fut la réponse à ma défunte mère d’un de vos gardiens des fausses mémoires, que vous nommiez dans votre jargon « responsable des anciens moudjahidines ». Elle s’inquiétait pour son dossier d’attribution d’un logement décent en 1984 qui n’aboutissait pas. En lui faisant remarquer qu’elle est la veuve du Chahid Messaoud. La réponse de ce templier fut « nous on a intérêt dans les vivants, les morts ils sont partis ».

Ignoble, c’est malheureusement cette race qui a terni l’une des plus prestigieuses révolutions populaires de ce XX siècle.

La descente aux enfers n’est pas pour autant finie, on continue dans ce cercle bien fermé à se congratuler et à racler les fonds de caisse de l’Etat.

Le saviez vous que sa demande de logement a traîné sans aboutir de 1966 à sa mort c’est-à-dire en 1993.

Le saviez vous qu’aucun de nous trois (03) n’a bénéficié de la république bien plus clémente pour les supplétifs de la coloniale, que pour ceux et celles qui au forceps ont émergé cette nation et son État du néant.

Saviez-vous que le corps de ma mère à sa mort a reposé au domicile de sa fille, avant d’être porté en terre.

Saviez vous pourquoi ? Chez elle, la pièce que nous louons chez un privé et qui nous servait de logement est trop exiguë pour contenir le monde venu lui rendre un dernier hommage.

Dieu merci, de nous trois (03), ses enfants, aucun n’a prétendu à votre rente, nous vivons de notre labeur et nous en sommes fiers de porter le nom de celui qui a fait avec les autres l’histoire du 20 août 1955 et de la révolution algérienne.

Ni vous, ni aucun de ceux qui prétendument ont fait le baroud dans les djebels ne peut nous priver de cet insigne honneur.

La seule fausse note c’est quand j’entends des jeunes et des moins jeunes dire chacun son histoire : que les enfants de chouhada ont tout pris. Peut-être, et c’est certainement vrai pour la cour de valets où se mêlent malheureusement d’authentiques enfants de martyrs et d’autres, mais certainement pas pour nous et nous en apportons la preuve chaque jour que dieu fait.

Méprisés par les colons, torturé par les supplétifs de la R.A.D.P :

Que dire, quand à l’âge de six ans (06) « Raz », un sanguinaire de la SAS, me rabroua sèchement à l’occasion de la remise des cadeaux de noël. « Toi, fils de fellaga tu n’auras pas droit au
cadeau »
. Tenez vous bien en arabe du terroir, car ce « sanglier » a grandi parmi nous. Depuis j’ai une sainte horreur des festivités et de tous ce qui peut y ressembler.

Que dire encore quand ma soeur durant sa scolarité était systématiquement agressée par le préposé à la SAS, toujours ce sinistre Raz : « fille du chef des fellagas, et tu oses encore venir étudier ».

Il est vrai aussi que pendant la guerre de libération, l’ALN était à nos petits soins. J’ai en mémoire ce responsable politique de l’A.L.N, de 1960 à l’indépendance, quand j’accompagnai ma mère au Djebel, pour recevoir sa solde de femme de chahid. Il était aussi précautionneux et attentif à ma scolarité que ma mère. Nous fûmes adulés à l’indépendance et méprisés dès que la république a changé de locataire.

Lui et les autres, ils ont été au bout de leur serment qu’ils ont honoré devant dieu et les hommes. Mais vous, vous avez fait de nous, leur progéniture des parias de la république, non contents, certains d’entre nous ont subi le supplice des torturés pour avoir osé contester votre histoire. Oui, dans les sous sols de cette république, dont les allées sont squattés par des indus occupants.

Que dire encore de ce tortionnaire grassement rémunéré par la république que nos parents ont fait saillir de 130 ans d’ombre- Non satisfait de torturer son fils , il a attenté à sa mémoire dans un langage de chiffonniers . (Voir témoignage de saci Belgat ; les cahiers noirs d’Octobre 1988).

Une autre vérité sur le commissaire principal de Police à Mostaganem (1988). Après des séances de tortures musclées, un voyage forcé à Alger- au siège même de la DGSN, dans une dernière tentative de me culpabiliser dans son bureau, il me tint ce discours très moralisateur : « vous voyez dans quel état vous avez mis la ville, vous en porter la responsabilité des morts et des dégâts ». Je lui répondis, aussi calmement que la gravité du moment l’imposait. « Non, je ne suis pour rien dans ce déferlement de violence, moi je n’ai fait que défendre un idéal ».

Ce commissaire plus tard a fini par être confondu et inculpé dans des trafics de stupéfiants, d’ailleurs comme le responsable des R.G de l’époque et non moins patron en chef de l’équipe de tortionnaires qui s’est acharnée sur ma personne.

Si nous ne connaissons la probité et le désintéressement de nombreux commis de l’Etat, l’on est en droit de se poser la question si cette république n’est habitée que par des malfrats et des dealers.

Cette descente aux enfers justifie ce raccourci populaire « tous pourris », qui ne présage rien de bons et d’horizons sereins pour la suite des événements.

Cerise sur le gâteau, ces gens poussent l’outrecuidance, l’impudence et le zèle jusqu’à se poser comme la dernière digue de protection de la révolution. Si ce n’était la gravité du moment, on aurait ri de leur posture ubuesque. Mais c’est de vous que le pays doit se protéger, et se prémunir des jours sombres qui s’annoncent.

Supplétifs de l’armée coloniale et planqués aux allures de héros :

Venons-en aux supplétifs et planqués que la république mêle au sang des lions des monts de Skikda, de Collo, du Djurdjura et des Aures.

A se demander si ce n’est pas une stratégie pour vider novembre l’insolent le téméraire de sa substance révolutionnaire.

En tous les cas même si, ça ne relève pas d’une stratégie bien huilée, les résultats dépassent en matière de dégâts les attentes des cercles de la coloniale.

Des faits, que des faits du peu que je sais, ou j’apprends de mes contacts. Car quoique l’on ait fait, à la seule évocation du nom de mon père les gens sont d’une grande attention pour nous. Comment ne pas s’étrangler d’émotion et de fierté quand on vous dit textuellement « sauvegarder la mémoire de votre père, il est la fierté de la région ».

Le cousin à mon père « Smaïn » qui était du groupe de résistants armés du 20 août 1955, se sépara de mon père avant l’hospice. Nous comprenons que mon père et le commando qui l’accompagna à la rue de Paris avait pour mission de forcer les portes de la prison. Là n’est pas le propos. Cet oncle, revenu indemne du 20 août 1955, a organisé seul l’attaque en Janvier 1956 de la caserne militaire de « Zarzour » à 5 km d’Ain Zouit.

Après les massacres du 20 août et le traumatisme causé à la population, il fallait rallumer la flamme révolutionnaire. Lors de ce coup de maître, il tua d’ailleurs la sentinelle.

En 1959, suite à l’une des plus grande bataille de la région au lieu dit « rmila », à 2 km du village d’Ain zouit. Un bataillon de l’ALN, a tendu une embuscade à un convoi militaire rentrant de Philippeville. Trente (30) harkis et plusieurs militaires français ont été neutralisés. Toute la logistique du bataillon de l’ALN fut préparée par cet oncle. Quelques jours après et suite à une dénonciation venant d’un certain « sendjak » de son surnom, mon oncle fut arrêté. Il subit les pires supplices, de caserne en caserne de centre de torture en centre de torture durant 2 ans. Il ne dut sa libération que grâce à de multiples interventions de ses cousins, bien installés dans le commerce à Philippeville. Au bout des courses cet oncle n’a jamais demandé ou prétendu à une carte d’ancien moudjahid et pourtant ses faits d’armes feront rougir n’importe quel obscur « zozo » ou supposé tel de l’ALN. « Sendjak » au fil du temps, s’est octroyé le titre et la carte d’ancien moudjahid et que vogue la trahison.

Une autre histoire encore plus truculente, car elle montre jusqu’où peut aller la trahison, quand la république est abandonnée aux scories et assimilés du colonialisme.

Au jour du 14 juillet 1960, en parade sur un cheval, un vigile et supplétif de la SAS d’Ain Zouit a chuté de son cheval, on fit venir l’hélicoptère pour le transporter à l’hôpital militaire de Philippeville.

Si la coloniale fit venir un hélico pour l’évacuer à l’hôpital c’est que certainement, il comptait parmi ses supplétifs.

Résultat des courses aujourd’hui, il a une incapacité d’ancien moudjahid de 100% et finit des jours heureux dans une des belles villas de Skikda.

Nous pouvons en raconter d’autres. Tous ceux qui ont été exécutés sur ordre du FLN/ALN dans notre village pour haute trahison sont portés au chapitre de chahid. Vogue la galère de la traitrise, et vous voulez que les jeunes croient un brun à vos histoires.

Face à la traitrise et aux légendes sur-construites, qui ne font plus rêver, des itinéraires de vrais combattants sont passés à la trappe.

En cette année 1959 où la bataille faisait rage dans notre région, deux (2) jeunes arrivés à l’âge du choix : se faire incorporer dans le camp des goums ou rejoindre l’ALN. Ils choisirent le chemin des nobles.

Othmane Beldjoudi, jeune qui travaillait sur nos terres et un autre à qui on donna plus tard le sobriquet du « combattant », je me souviens comme si c’était hier, ils dévalèrent la pente et rejoignirent le groupe des moudjahidines.

Année 1959, année de tous les dangers, l’armée française a miné tous les sentiers par où passaient les moudjahidines. Pour l’anecdote un paysan pauvre pleurait son âne qui venait de sauter sur une mine anti-personnelle au lieu dit « El-Hamoura » ; il parlait à son âne déchiqueté par une mine anti-personnelle. « J’ai voulu faire de toi un moudjahid et tu n’as pas voulu, j’ai voulu en faire de toi un goumier et tu n’as pas voulu et voilà que tu viens de mourir sur une mine ». C’est dire toute la détresse de ceux qui étaient cantonnés dans les centres de regroupement étroitement surveillés et filtrés par la SAS.

En septembre 1959, au retour d’un séjour en compagnie de ma mère, à Philippeville chez mon oncle maternel qui venait de sortir de prison. Pris dans un ratissage en 1956 à Oued Bibi sur ses terres, il passa trois ans(03) de prison et de tortures sans pour autant qu’il ait demandé à bénéficier de la carte d’ancien moudjahid.

Au détour d’un virage le camion qui nous transportait stoppa net, un homme que je connaissais « Ali Ben Khaled cousin maternel de ma mère, responsable politique de l’ALN de la zone, de qui ma mère recevait de 1956 à fin 1959 sa solde de femme de chahid », sauta dans le camion, il sermonna quelques récalcitrants, me caressa les cheveux, murmura quelques paroles à ma mère ».

Un djoundi que je reconnu, c’était Othmane, en m’apercevant, il ne put résister pour venir m’embrasser et me serrer fort dans ses bras. Le responsable politique n’était pas content à l’entrave faite, mais que faire dans ce monde de combat et de cruauté, le cœur des djounouds parlait aussi.

Le téméraire et non moins responsable politique de l’ALN, Ali Ben Khaled, tomba au champ d’honneur en début 1960, et fut remplacé par un autre plus lettré. Son corps fut traîné derrière une jeep dans le village de Stora et exposé sur la place publique.

Quant à Othmane, c’est la dernière fois que je le vois, en 1961 il sauta sur une mine anti-personnelle à El Alia, en compagnie du « combattant » qui lui, laissa ses deux jambes.

À l’indépendance les parents du chahid si Othmane vécurent de la pension qu’on daigna bien leur verser, quant au « combattant », je le voyais, dans l’Algérie souveraine, s’échiner sur son pousse-pousse poussiéreux qui pétarade dans la montée de Ain-Zouit. C’est tout ce que la généreuse république lui offrit pour le consoler de son handicap.

En un mot le destin des uns et des autres ne fut pas identique, quand les combattants de la vingt cinquième heure rotaient des bien –faits de la république, ceux et celles qui ont libéré le pays se sont retirés pour cautériser leurs plaies.

Voilà aussi pourquoi, les instruments de la manipulation de l’histoire, les faussaires et fossoyeurs de la patrie de Novembre, ont mené une guerre à ce courageux, patriote et honnête citoyen – Ben Youcef Mellouk, qui le premier a éventré ce dossier brulant.

Le serment fait aux dix neuf martyrs de la rue de Paris :

  • Belgat Messaoud,
  • Daiboun Saïd,
  • Laïfa,
  • Ramdane,
  • Chebli cherif,
  • Baboun,

Et vous, leurs compagnons dont vos noms resteront pour combien de temps inconnus. Anonymes, vous êtes la lumière qui éclairera nos pas et ceux de votre patrie.

Voilà une histoire toute singulière qui renforce encore, et encore d’avantage mes convictions.

Ceux-là même qui comptaient parmi vos compagnons n’ont pas défendu vos mémoires. Il revient à nous de vous rétablir dans la hiérarchie du sacrifice suprême pour la nation et d’achever votre oeuvre.

Je fais le serment à mon père et aux dix neuf qui l’accompagnèrent dans son combat sur les lieux mêmes où ils ont livré l’une des plus marquantes bataille de la ville de Skikda « la rue de Paris », qu’Août et Novembre refleuriront des belles fleurs des myrtes des monts de Skikda et de Collo et que les chouhadas reviendront fêter l’indépendance de leur Algérie.

Novembre et Août continueront malgré toutes les trahisons à dérouler leur histoire féconde, qui un jour fera bloc avec la jeunesse pour libérer ce pays meurtri par tant de traitrises.

J’ai fait le serment sur les lieux de son sacrifice de ne plus me cacher derrière des pseudonymes et je ne sais quelle veulerie de circonstance. J’ai juré de mettre toute mon énergie au seul service de la patrie pour qu’enfin, le rêve qu’il en fit avec ses compagnons se réalise et pour qu’il n’y ait plus de jeunes qui meurent par désespoir d’un pays mis au seul service de ceux qui ont en fait un cimetière.

Pour paraphraser l’écrivain Congolais, Tchicaya U Tam’Si à propos de son Congo « l’Algérie c’est la quête de mon père c’est aussi la mienne ».

Ton héritage même s’il est trop encombrant je l’assume et je le porterai aussi loin que la vie me le permettra.

Nous irons jusqu’au bout de nos convictions et quelque sera le prix à payer.

BELGAT SACI chercheur universitaire,


Références :

Ali Kafi : “Du militant politique au dirigeant militaire” Casbah édition 2009 ;

Claire Mauss Copeaux : “Algérie, 20 août 1955” éditions Payot 2011-08-13 ;

Benjamin Stora : “Le massacre du 20 août 1955 : Récit historique, bilan historiographique” Historical Reflections Volume 36, Issue 2, Summer 2010 © Berghahn Journals

“Déchaînement à Philippeville” www.histoire-en-questions.fr/.../terreur-massacres-philippev...

Gilbert Attard : “Une page d’histoire. Le 20 août 1955 à Philippeville” l’Algérianiste, n° 127, septembre 2009


Photos témoins de la bataille de la rue de Paris 20 Août 1955 [1]

SACI- BELGAT

Mme Daiboun Cherfa :
témoin clé de la bataille de la rue de Paris


La rue de PARIS : Philippeville


Villa de la rue de France ou se déroula la bataille


Impact de balle de mitrailleuse visible



Impact de balle gros calibre



Impact de tirs au bazooka récemment colmaté


Impact d’un tir à l’arme lourde récemment colmaté



Impacts de balles



Buanderie où mon père et ses trois compagnons
tombèrent en martyrs, achevés à la grenade



Barreau sectionné par un tir de gros calibre



Impact de balle de petit calibre



Porte par la quelle communiquaient
les deux maisons mitoyennes



Vue sur les deux maisons mitoyennes de la rue de Paris



Impact de balle



Porte par laquelle les résistants sont rentrés
dans les deux maisons mitoyennes


sources
socialgerie article 551, août 2011

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[1Il s’agit ici des photos accessibles sur le document joint