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MESSAGE de Sadek Hadjerès, adressé à l’association “AFRICA”

Avril 2000, HOMMAGE à NOUREDDINE ZENINE

La Courneuve, le 21 Avril 2000.

dimanche 20 juin 2010

Ce message, publié ultérieurement dans la presse algérienne, avait été adressé par Sadek Hadjerès à l’association Africa de la Courneuve (France), qui avec d’autres associations, partis et personnalités, avait rendu un hommage émouvant à Noureddine Zenine, avant celui que lui ont rendu ses compatriotes jeunes et âgés de Annaba, sa ville natale où il fut enterré.

Plus tard, Socialgerie publiera des documents internes et des publications de Noureddine, dans lesquelles il explicite les positions qu’il défendait, que ce soit au sein du PAGS, notamment lorsqu’a émergé la manoeuvre visant son autodissolution, ou plus tard lorsqu’il réaffirmera et précisera de façon autonome son attachement à des positions communistes fermes et mobilisatrices, à l’écoute des aspirations démocratiques des militants et de la population et de leurs initiatives créatrices

MESSAGE

Mes chers amis,

Il m’est dur de parler au passé d’un camarade, un ami, un compagnon de lutte des moments les plus difficiles depuis quarante ans, alors que ses dernières paroles avec moi une semaine seulement auparavant étaient tournées vers l’avenir et la promesse de se retrouver bientôt dans cette même salle pour un débat.

Il était plein de ses projets, pour l’émigration et le pays. Il était fier des jeunes de la cité où il vivait et des cités environnantes, ainsi que de ses autres compatriotes dans l’exil qui prenaient de plus en plus courage et confiance en eux-mêmes. Les habitants de ces cités étaient devenus sa
famille, il était honoré d’en faire partie. Ils étaient pour lui une partie de sa plus grande famille, celle de sa patrie épuisée chaque jour par les pillages et les malversations, les contradictions, les haines réciproques, les espoirs déçus et les problèmes restés pour le moment insolubles.

Il m’avait invité à participer lors de mon prochain retour à un débat du genre de celui qu’il avait organisé ke 5 Juillet de l’année dernière avec l’association Africa et Cadia pour l’anniversaire de l’indépendance. Mais j’étais fortement inquiet pour sa santé et j’ai voulu une fois de plus être
insistant avec lui : va voir sans tarder un médecin, nous n’avons pas envie de te perdre, demain ou après demain il sera trop tard. J’ai dit même à son ami Salah, je vais le menacer de ne plus lui adresser la parole s’il ne commence pas par consulter. Je ne savais pas que le premier texte que
j’allais taper après le rétablissement progressif de ma vision, serait celui de l’adieu à mon camarade.

Ce qui lui manquait dans la dureté de son exil, après les attitudes gratuitement hostiles de tant de ses anciens compagnons, ce n’était pas les pressions ou menaces même amicales, c’était davantage encore d’affection et de compréhension, indépendamment de toute divergence tout à
fait normale d’opinions. Cela l’aurait peut-être aidé à surmonter un défaut qui est vieux chez nous : l’impatience à vouloir tout faire d’un seul coup. Il était lancé, comme nous l’avons été ou le restons encore, dans une course quotidienne et épuisante contre la montre, comme si sans cela le monde et la révolution allaient s’arrêter. Pourtant, si l’attentisme et l’inaction restent pour nous inacceptables, lui-même comprenait bien, mais théoriquement seulement, que le peuple algérien, comme d’autres, se trouve devant des tâches et des problèmes de longue haleine que l’activisme seul ou le volontarisme ne suffisent pas à affronter.

La vie et les combats difficiles dans des circonstances variées, lui ont permis d’accumuler une riche expérience du terrain social et politique. Son expérience ne demandait qu’à fructifier encore par la réflexion et les échanges ouverts entre tous les algériens et démocrates de bonne volonté.
La vie, en s’échappant prématurément de son corps, l’a pris en traître, et avec lui, nous tous, ses amis et ses compatriotes, comme cela est arrivé avec la perte cruelle de tant de valeureux militants. Il nous reste un espoir. Ce que l’adversité ( non pas le destin ou la fatalité, mais tous les
mécanismes d’exploitation, d’oppression et d’intolérance) ne lui ont pas permis de faire fructifier ou de réaliser, une partie de tout cela au moins ne sera peut-être pas perdu irrémédiablement. Il dépend beaucoup de nous, que ce qu’il a fait ou ce qu’il révait de meilleur continue à inspirer nos
échanges et nos actes.

Chers amis de Noureddine et du peuple algérien, je n’ai qu’un court délai pour vous transmettre ce message, il faut aussi laisser le temps aux organisations et aux amis présents du disparu de lui rendre hommage, enfin l’émotion et le recueillement de cette soirée ne me permettent pas de
m’étendre longuement sur l’héritage de courage et d’enseignements que nous laisse la vie de Noureddine. Il y aura d’autres possibilités de le faire, si pour le quarantième jour ou en d’autres occasions, ses amis souhaitent organiser en sa mémoire une soirée d’évocation au cours de laquelle nous pourrons échanger sereinement nos appréciations sur une vie riche en événements importants pour nous et nos enfants.

Je dois pourtant dès aujourd’hui à sa mémoire, de résumer deux qualités qui m’ont paru traverser l’itinéraire et les évolutions de Noureddine. Toutes deux sont liées à la sincérité de ses convictions et à ses efforts pour conformer son action et ses positions politiques aux dimensions humaines et sociales qui ont été à la base de son engagement communiste.

D’une part, Noureddine était profondément sensible et attaché aux intérêts légitimes des travailleurs et de toutes les catégories sociales d’hommes, femmes, jeunes, en un mot tous ceux que l’exploitatiion capitaliste, dans ses anciennes et nouvelles formes, ne peut s’empêcher d’étouffer, d’écraser et d’humilier pour assurer sa prospérité financière illimitée.

D’autre part, à ce qu’on a appelé l’esprit de classe dans le meilleur sens du terme, Noureddine a ajouté et a renforcé en lui la conviction que pour défendre leurs intérêts présents et à long terme, les couches exploitées et opprimées doivent disposer de leurs instruments autonomes, les
préserver jalousement et de façon créatrice, y compris lorsqu’il s’agit de la tâche vitale de s’unir à toutes les autres couches et forces démocratiques soucieuses de l’intérêt général et de l’intérêt national.

Parce qu’il avait cette double conviction, acquise et renforcée à travers son application durant laguerre de libération par le PCA (auquel il avait adhéré en 1963) puis du PAGS dans leurs meilleurs moments, Zenine a fait le sacrifice d’un quart de siècle de sa jeunesse après le coup
d’Etat du 19 Juin 1965. C’est cette force qui lui a fait supporter l’insupportable, lorsqu’il fut avmoi à partir du milieu des années 70 et parmi d’autres qui ont aussi tant donné, l’un des membres
du noyau permanent de l’éxécutif restreint du parti qui eurent à subir la clandestinité la plus profonde dans ses contraintes quotidiennes mille fois répétées, c’est à dire la rupture complète avec tout statut ou couverture légale de vie familiale, sociale ou professionnelle.

Aujourd’hui, il nous arrive de nous demander comment nous sommes parvenus à surmonter cette épreuve. Après l’automne 1974, nous nous sommes retrouvés quatre dans cette situation exceptionnelle, à côté d’autres camarades qui, avec non moins de mérite et de charges d’activités,
connaissaient cependant, dans leur situation de semi-clandestins, le réconfort relatif d’une statut social ou familial plus ou moins normal.

Boumediène sous la pression nationale et internationale, venait en surmontant les courants les plus virulents au sein de son pouvoir, de
faire droit à notre revendication : le retour à la vie légale d’un certain nombre de nos militants etcadres, épuisés par neuf ans de vie clandestine. Mais Boumediène, en contrepartie du retour à lavie légale pour tous, y compris pour moi-même, mettait la condition que le principe du parti
unique ne soit pas remis en cause. Zenine et les trois autres, nous n’avons eu alors aucune hésitation. Nous avons accepté, en accord avec la majorité des cadres dirigeants, quinze nouvelles années de cette vie éprouvante, qui apparaissait pour beaucoup, jusqu’à 1989, sans fin et sans perspective.

Pourquoi ? Nous estimions que le droit à l’existence d’un parti des travailleurs manuels et intellectuels, le droit à la lutte autonome pour la justice sociale et le socialisme, n’étaient pas négociables. Je rappelle qu’à l’époque la revendication du multipartisme n’était pas si évidente.
Nombre de ceux qui s’en réclament aujourd’hui bruyamment nous reprochaient cette “utopie” et multipliaient pressions et sollicitations pour rejoindre le bercail de la “famille révolutionnaire”.
Et pourtant, Zenine comme d’autres, savait sa femme et son fils confrontés à des problèmes terribles qui hantaient ses nuits d’insomnie. A ceux qui seraient tentés de qualifier cette décision d’héroïque, j’aimerais souligner que le plus grand mérite ne nous en revient pas : les femmes, nos
épouses, nos mères, nos soeurs, nos proches et les amis qui volontairement ou non ont subi le poids de ces situations, ont été les plus sacrifiées. Ce sont elles et eux les héros de la résistance au principe et aux pratiques du parti unique.

Un autre des quatre membres du noyau le plus profondément clandestin, mon adjoint direct dans la coordination et durant mes périodes d’indisponibilité, ce fut le regretté Aziz Belgacem, cheville ouvrière de tout le travail énorme, fastidieux et compliqué d’organisation. Il fut le militant infatigable, d’une culture, d’une intégrité, d’une chaleur humaine et d’une modestie exceptionnelles, dont je tiens à cette occasion à saluer la mémoire. Il allait connaître une vie familiale bien après la légalisation du parti, au début des années 90, la cinquantaine passée. Il fut assassiné quelques jours après son mariage, au nom du nouvel ordre que croyait pouvoir instaurer le terrorisme sous couvert islamiste. Quant à Noureddine, authentique moudjahid de la guerre de libération, on ne s’étonnera pas de savoir qu’il n’avait ni attestation ni pension de combattant, si généreusement dispensées à tant de résistants fantômes ou d’après le 19 Mars 62, et qu’il est resté sans domicile fixe durant des années après la légalisation, avant comme après l’attentat auquel il a échappé.

On comprendra aussi que c’est en raison de sa conception du mouvement communiste que Noureddine valorisait et privilégiait le mouvement social, comme composante et base dynamique irremplaçable du mouvement démocratique et de toute résistance aux différentes formes d’oppression, d’arbitraire et de désagrégation du tissu national d’où qu’elles viennent, quand tant d’autres ignoraient, sous-estimaient ce facteur ou le considéraient tout simplement comme une diversion nuisible aux tâches nationales et démocratiques. C’est aussi l’expérience qui a incité
Noureddine, dans les tragiques années écoulées, à se démarquer des conceptions hégémonistes et illusoires de la lutte politique, lorsqu’elles s’enferment dans les enjeux immédiats de pouvoir liés aux rivalités de clans au sommet, ou lorsqu’elles ne considèrent les aspirations démocratiques, sociales et culturelles de la population, que comme des instruments utilisables en vue d’objectifs étroitement politiciens.

Alors que les approches sociales et démocratiques se renforçaient dans sa démarche et ses initiatives, Noureddine a été très affecté par la défaillance de l’esprit d’échanges et de libres débats au niveau des organisations partisanes existantes. Déçu par les conceptions et les pratiques sectaires du “parti pour le parti” (et non au service et à l’écoute de la société), il a commencé à évaluer sous une lumière nouvelle aussi bien l’actualité que les faits de son expérience de terrain accumulée dans le passé. Il s’est investi fortement dans les mouvements associatifs et le journalisme, les considérant comme une contribution provisoire et une base incontournable aux grandes recompositions politiques qu’appelle l’époque présente aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Il considérait la tragédie actuelle dont notre peuple n’est pas encore sorti, comme l’une des expressions d’une mondialisation capitaliste impitoyable, porteuse de menaces et de dangers que nous devons apprendre à combattre et maîtriser, si nous voulons simplement survivre dans notre dignité d’êtres humains.

De cet effort pour être digne d’un idéal auquel il est resté fidèle mais qu’il ne suffit pas de proclamer dans ses formes figées et dogmatiques, Noureddine nous a donné pour le 5 Juillet de l’année dernière, dans cette salle même, une miraculeuse expression d’esprit unitaire et d’ouverture. Le miracle en fait n’en était pas un, car Noureddine en avait été l’architecte patient.
Le “miracle” réside dans le fait que les idées dont notre peuple est assoiffé et a tellement besoin, n’ont pas été assénées par le haut. Elles ont été exprimées et intériorisées par les intéressés eux-mêmes,à la lumière des informations et des commentaires qu’ils sollicitaient de nous et qu’ils
soumettaient au crible de leurs interventions contradictoires.

Il avait suffi, mais ce n’était pas rien, que les conditions d’un débat libre et serein aient été préparées de longue date par la confiance établie autour de multiples activités d’intérêt commun.
Différentes générations ont été sollicitées à cette occasion pour dire comment chacun ressentait aujourd’hui le 5 Juillet : depuis des lycéennes aux vétérans du 17 Octobre 1961, anciens FLN ou messalistes, jeunes chômeurs et retraités, mères de famille habillées à la moderne ou dame
islamiste en hidjab, cadres ou travailleurs manuels, sportifs ou personnes âgées en djellaba arrivés en retard après avoir prié à la mosquée. Un jeune activiste d’une association brûlait d’intervenir mais, me confia-t-il, il ne l’a pas fait par pudeur traditionnelle parce que son père était présent. Les uns et les autres appartenaient à des mouvances politiques et des horizons idéologiques différents.

Leurs échanges m’ont appris plus de choses sur la façon et le pourquoi dont mes compatriotes se représentaient l’histoire de leur pays, que bien des séminaires universitaires. J’en suis sorti réconforté, après avoir connu le spectacle désolant de nombreux débats organisés pour des enjeux partisans et qui sombraient dans les polémiques de bas niveau. J’ai encore mieux compris ce jour là, que mon peuple était capable de se réconcilier avec lui même, capable de réfléchir et d’agir pour les solutions qui lui conviennent le mieux, à la gestation desquelles il a participé.

C’est aux politiques de savoir susciter et construire les conditions de la confiance des citoyens envers la politique et les politiques.

Je te suis reconnaissant, Noureddine, de l’image et des pensées encourageantes que tu as laissées en moi.

Allah irahmak ou yerhem djmi’ ach-chouhada l moukhlissine.
A fellak yâfou rabbi, wad yerhem imawlan ik
w add yessers lahna d alhorma âf t’mourt ennegh

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