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DOCUMENTS AUTOUR DE LA CRISE DU PAGS

samedi 6 février 2016



Juillet-août 90 : Crise du PAGS (Suite n°3) 1990 : la "RPI" du PAGS, BAUDRUCHE IDÉOLOGIQUE ET DIVERSION POLITIQUE - Quel contenu sous étiquette rénovatrice ? - Sadek Hadjerès – le 20 juillet 2010 – socialgerie article 258 ;


PAGS,1990 : le débat qui n’a pas eu lieu - UNE DÉMYSTIFICATION DU DISCOURS "MODERNISTE" ET PSEUDO-MARXISTE - Contribution (bloquée) de Abderrahmane Lagha. - le 19 juin 2009 – socialgerie article 29 ;


Juillet-aout 90 : Crise du PAGS (suite 4) -ASSEMBLÉE D’AOÛT 1990 : COMMENT ON ENTERRE UN DÉBAT AVANT DE L’OUVRIRSadek Hadjerès - socialgerie, article 259, le 26 juillet 2010.


Sur la pente glissante de la désintégration - PAGS, ASSEMBLÉE D’AOÛT 1990 : UN DES DOCUMENTS DIABOLISÉS - Ils avaient tenté en vain de s’exprimer ... - Sadek Hadjerès – le 20 juillet 2010 – socialgerie article 218 ;


RÉHABILITER LE POLITIQUE - HADJERES AU "SOIR D"ALGERIE", GRAND ENTRETIEN- avec Arezki METREF, Mai- Juin 2007 - – le 31 mai 2009 ;– socialgerie article 6 ;


GAUCHES ALGERIENNES EN QUETE D’IDENTITE - ISLAM, MODERNITE, LUTTE DES CLASSES en ALGERIE - ÉCHANGES AUTOUR DE LA CRISE du PAGS - par Sadek Hadjerès – socialgerie, article 81 – le 12 octobre 2009.


Juillet-août 90 : Crise du PAGS (Suite n°3)
1990 : la "RPI" du PAGS, BAUDRUCHE IDÉOLOGIQUE ET DIVERSION POLITIQUE
Quel contenu sous étiquette rénovatrice ?
- Sadek Hadjerès – le 20 juillet 2010 – socialgerie article 258 ;


L’ "Avant-projet" de la RPI se voulait une pièce maîtresse dans l’objectif global de ceux qui se présentaient comme "refondateurs" du PAGS.
Le texte se réclamait ostensiblement de son héritage d’un quart de siècle de parti national et de classe. Il reprenait formellement nombre de points forts de ce dernier, de ses espoirs et de sa volonté autocritique de progresser dans la voie de ses objectifs fondamentaux.
Mais comme le montrera le sort que ses promoteurs ont réservé sans état d’âme aux principes fondamentaux qu’ils continuaient d’exhiber, la résolution n’a été en définitive qu’un document manœuvrier.

En même temps, malgré son ambiguïté voulue, le document trahissait un penchant marqué sous prétexte de modernité, à épouser les thèses du capitalisme y compris néolibéral qui déferlaient à ce moment là sur le monde.

De sorte que son argumentaire alambiqué servira à ses inspirateurs, par des biais multiples, à justifier le moment venu leur volonté de liquider le parti et son projet socialiste et anti-impérialiste.

[Lire aussi à ce propos l’article 81 : "ISLAM, MODERNITE, LUTTE DES CLASSES en ALGÉRIE", mis en ligne le 24 septembre 2009 par Socialgerie, qui reprenait l’échange entre Sadek Hadjerès et des militants d’une fédération du MDS, à propos de la crise du PAG


LE PROJET DE « RPI » (RÉSOLUTION POLITICO-IDÉOLOGIQUE) DE 1990

BAUDRUCHE IDÉOLOGIQUE

ET DIVERSION POLITIQUE DES FAUX RÉNOVATEURS

Un document fantomatique

Pourquoi ai-je parlé précédemment de document éphémère et fantomatique ?
Parce que, une fois réalisés les démantèlements organiques souhaités, la fonction manipulatoire du document à double face était épuisée. Dès lors, il fut recouvert de la poussière du temps et de l’oubli, aux sens propre et figuré.
Habituellement, quand un document est jugé fondamental, il est l’objet d’études, de références, de séances de formation et de stages éducatifs.
Il n’y a rien eu de tout cela.
Libérés du souci de cacher leur jeu, les initiateurs du « grand monument idéologique » défendront ouvertement plus tard l’option libérale dans ses dimensions les moins acceptables pour les aspirations sociales et le destin même du pays.
C’est ce qu’on a pu lire dans un article du quotidien Le Matin, dans la première moitié des années 90, dont j’ai malheureusement perdu la référence et la copie. Si quelqu’un pouvait en retrouver la trace, cela en vaudrait la peine, ce fut un vrai monument érigé à l’ultralibéralisme capitaliste, du reaganisme ou thatchérisme pour « sous-développés ». Le texte avait été présenté pompeusement par le quotidien comme génial, et prolongé le lendemain par une suite des plus brouillonnes. Son auteur (H. B) inspirateur et rédacteur principal de l’APRPI, préconisait dans "Le Matin" que l’Algérie sacrifie délibérément plusieurs générations malgré les souffrances populaires sous le talon de fer du Capital afin d’accéder au rang de grande nation moderne.

À cette thèse devenue rapidement poussiéreuse, s’est ajoutée la poussière matérielle qui a recouvert littéralement la presque totalité du stock des brochures censées au départ porter au loin le message du monde à venir.
Après la distribution initiale de deux à trois cent exemplaires environ des textes de résolutions, jamais personne n’est venu demander une seule des milliers de brochures entreposées et recouvertes d’une couche de poussière grise dans un sous sol. Jusqu’à ce que le propriétaire de ce dernier, excédé par l’encombrement stérile de son local durant plusieurs années, se décide à les livrer à la décharge publique.

Manœuvres en vue de la déstabilisation du PAGS

Un autre trait me vient en mémoire quant à l’objectif essentiellement manœuvrier du noyau d’initiateurs de la RPI. Il leur fallait beaucoup plus réussir à court terme une déstabilisation et une prise en mains du PAGS, que chercher à convaincre les militants en présentant franchement et clairement leur volonté de prendre des distances ou renier les objectifs du combat mené jusque là.
Ils avaient besoin, pour apparaître comme sauveurs, porteurs d’une alternative salvatrice face à des évènements critiques, d’un texte dans lequel alternent les vrais acquis du PAGS et des affirmations floues, ambivalentes, difficilement accessibles à une réfutation directe.
L’énoncé de thèses abstraites, de postulats séduisants érigés en conclusions, c’était tout le contraire d’une démarche qui aurait permis des confrontations fructueuses à partir de données précises, accessibles à des évaluations concrètes et vérifiables pour les besoins des luttes en cours. Il était plus facile de qualifier ces besoins de populisme alors que la braise brûlait sous les pieds des couches appauvries de la population.
Le besoin de débats clarificateurs était qualifié d’archaïque face à la vérité Unique présentée sous label moderniste, avec comme pierre de touche une catégorie métaphysique, celle de l’opposition entre l’ancien et le nouveau.
Une suite de survols théoriques dans un langage ésotérique prétendait trancher par le haut en quelques semaines des problèmes complexes qui près de vingt ans plus tard font encore l’objet d’interrogations et de recherches en Algérie et dans le monde.

Il leur fallait en définitive miner les convictions enracinées par les luttes passées, mais sans choquer par des remises en cause brutales.
Dans le texte initial, beaucoup plus touffu et hermétique que celui qui a été livré ensuite (lui-même déjà lourd et laborieux), j’avais repéré trois ou quatre points essentiels. Quoique bien enveloppés, ils heurtaient radicalement des orientations fondamentales de la pensée marxiste, dont ils se réclamaient pourtant.
Je les ai alors soulignés au rédacteur principal du projet, croyant qu’il allait en débattre et justifier la remise en cause de ces principes.

J’ouvre à ce propos une parenthèse. Relever ces dérives signifiait pour moi constater et toucher du doigt des contradictions flagrantes entre les intentions affichées et le contenu des thèses avancées.
Il ne s’agissait pas de ma part d’un attachement dogmatique aux principes, j’estime que y compris ces derniers peuvent être discutés. Au sein ou en dehors du parti, ceux qui m’ont approché ou qui m’ont lu, savent à quel point je suis méfiant envers les dogmes et les a priori, que ce soit à travers les débats qui ont agité dans les années quarante le PPA dont j’étais militant actif, puis le PCA et le PAGS, et encore au milieu des années 80 à propos de la perestroïka soviétique. Je ne suis pas de ceux qui remplacent « les analyses concrètes des situations concrètes » par des citations de classiques aussi prestigieuses soient-elles.
Pas seulement par tempérament, mais par souci et par effort délibéré de tenter d’approcher les faits et les problèmes au plus près de leur mouvement dialectique.
Cela m’a valu à quelques reprises la prudence un peu méfiante de camarades sincères mais plus attachés à la défense des dogmes en tant que tels. J’en étais parfois gêné, irrité ou amusé, sachant que leurs craintes de laxisme « révisionniste » étaient infondées pour ce qui me concernait. Je comprenais leurs réactions de vigilance ou de repli face à tant d’attaques frontales ou sournoises que nous subissions, mais j’ai toujours été convaincu que la crispation n’est pas le meilleur moyen de les mettre en échec.
Je comprenais aussi qu’il n’est pas facile pour le sens commun d’admettre qu’en toute chose il y a un aspect et son contraire, unis et opposés à la fois et qu’on gagne toujours à examiner ces deux aspects avant de trancher.

Lorsque j’ai donc signalé au rédacteur principal les anomalies de son texte, susceptible d’interprétation contraires à l’approche marxiste dont il se réclamait, qu’a-t-il fait ?
Il s’est gardé d’argumenter sur les points précis que je lui signalais. Sentant le terrain incertain, il a tout simplement admis, comme une évidence : « Pas de problème ! » Et il accompagne cette dérobade d’une « grande concession », totalement « inattendue » : « je supprime plusieurs pages ou paragraphes avant et autant après chacun des passages incriminés ». De l’air de dire, ça te satisfait ?
Ainsi le débat de fond sur des points cruciaux était évacué, c’était une « transparence » glauque, celle dont le caméléon Eltsine pratiquait à la même époque les vertus avant de dévoiler « le faux jeton » qu’il était.

Refus absolu de la réflexion collective

Je ne vais pas aborder ici l’analyse de la résolution point par point. Elle serait des plus fastidieuses pour un document de soixante dix pages serrées, bardé de lourdes abstractions dont il était évident que rares ont été ceux qui en ont fait une lecture complète.
Je préfère renvoyer ceux qui voudraient en savoir plus, à un document d’époque de Abderrahmane Lagha (Moumouh pour ses amis) qui avait entrepris une analyse détaillée du noyau socio-économique de l’ARPI. La contribution de Abderrahmane Lagha a été mise en ligne par « Socialgérie », le 19 juin 2009, sous le titre : UNE DÉMYSTIFICATION DU DISCOURS ULTRALIBÉRAL "MODERNISTE" ET PSEUDO-MARXISTE, article n° 29.
Abderahmane Lagha espérait malgré tout et sans trop y croire, à cause du contenu, que sa contribution serait diffusée et versée au large débat que les auteurs et partisans de la RPI disaient souhaiter.
Il n’en fut rien, ni avant ni même après le Congrès.
Pourtant, face aux importantes réticences constatées, la commission « RPI et programme d’action » du Congrès avait demandé à la direction « la diffusion dans le parti de la synthèse des avis et contributions » afin « de permettre à l’ensemble des militants de tirer profit des acquis de la réflexion collective ».
La commission « Résolution organique et Statuts » avait constaté de son côté après une vive et longue discussion « autour de certaines questions de fond concernant la ligne stratégique du parti …( que ) le débat sur ces questions est resté ouvert, vu qu’il s’agit de questions théoriques et qui ne pouvaient être tranchées sur place.
On relève aussi d’après quelques interventions, que le projet n’est pas parvenu à temps aux camarades, surtout la version arabe.
De nombreux délégués membres de la commission ont relevé :

  1. La difficulté rencontrée par les militants pour assimiler le projet
  2. La faiblesse des débats et parfois même leur inexistence ».

Censure et refus des contributions des militants

Quels que soient les arguments développés dans les différentes contributions, à coup sûr l’ensemble des militants et le parti auraient gagné à être pris à témoin des thèses des uns et des autres.
Le fait que la contribution de Lagha ait été écartée comme celle de beaucoup d’autres en dit déjà long sur les visées assignées à la RPI. Il fallait en faire un Coran intouchable qui cautionnerait l’entreprise de démolition engagée.
On écartait tout ce qui pouvait contribuer à démystifier, dans son noyau central socio-économique, le procédé consistant à combiner la phraséologie marxiste ainsi que les références à l’expérience positive du PAGS, avec les remises en cause insidieuses des fondements historiques du mouvement socialiste et communiste.
Le projet de démolition ne se déclarait pas ouvertement, il était feutré et insidieux comme cela se faisait au même moment en URSS par les Eltsine et ses comparses, que ses admirateurs algériens fervents portaient aux nues comme un nouveau Lénine.

L’objectif réel : le démantèlement du PAGS

À la fin de l’année suivante 1991, les masques tomberont dans les deux pays, du moins aux yeux des moins naïfs, dans le même mouvement et quasiment au même rythme.
D’un côté Eltsine, jusque là grande gueule activiste et « radicale » camouflée dans l’aile droite de la perestroïka soviétique, se fera le valet déclaré du démantèlement de l’URSS en décembre 91.
De l’autre côté, presque aussitôt après, le quinteron (ou la quintette ?) des Cinq du FAM qui après avoir d’abord mis du plomb dans l’aile du PAGS, décrétait qu’il n’y avait nul besoin en Algérie ni d’un parti communiste ni d’autres partis (sinon leur « Front » mais celui-ci ne verra même pas le jour, faute d’adhérents en dépit des milliers de bulletins d’adhésion imprimés sur Alger républicain).

Peu auparavant, durant l’été 91, le futur leader du Tahaddi avait ouvert carrément le chemin idéologique et, d’une façon plus sinueuse le chemin organique d’un démantèlement tout aussi délibéré. Il avait déclaré à la stupéfaction générale des communistes et des non communistes ou même des « anti », que le PAGS n’avait jamais rien eu à voir avec le communisme.
Quant à un des leaders sinon le leader principal du futur PADS, qui héritera plus tard de quelques ruines du démantèlement, il se réveillera seulement à ce moment là et se déchaînera en protestations indignées mais impuissantes contre le projet désormais non caché de liquidation du PAGS. Malgré son passé de défense de l’idéal communiste, il ne comprenait pas dans ces circonstances trop complexes pour son approche linéaire, ce qui lui apparaissait brusquement comme un « retournement » de la part de ceux qui avaient manipulé à qui mieux mieux sa fausse vigilance antiréactionaire et ses visions simplistes et manichéennes tout en flattant ses espoirs de devenir leader maximo, "monter en grade" selon une de ses expressions favorites. Il n’y avait pas eu retournement des manipulateurs, il y avait bel et bien continuité d’un processus qu’il n’avait pas discerné quand il était temps, aveuglé par divers facteurs qu’il serait intéressant d’analyser. Il n’avait pas seulement durant près de deux ans, depuis janvier 90 (au lendemain des manifestations de femmes organisées par le FIS), non seulement cautionné moralement et politiquement l’opération anti-PAGS dans ses phases préparatoires et encore insidieuses. Bien plus, il s’en était fait ensuite un bélier zélé de la campagne de démolition de l’édifice du PAGS, initiateur de coups tordus et parfois hargneux quand les promoteurs de la déstabilisation jugeaient plus habile de mettre en avant un « PCA pure souche » pour s’occuper des besognes les moins propres.

Mauvais gardien du temple d’une orthodoxie dans ce qu’elle avait de plus discutable, il n’avait pas discerné ce que beaucoup d’autres jeunes camarades avaient bien saisi, l’anticommunisme derrière une phraséologie pseudo- marxiste. Ne voyant pas plus loin que ses calculs d’apparatchik, il ne comprenait pas que dans une actualité nationale et internationale aussi délicate, il ne s’agissait pas avec l’opération « RPI » d’efforts salutaires de rénovation et de réajustement autocritique des orientations stratégiques, nationales et de classe, du parti.
La nécessité d’engager ces efforts ne faisait de doute pour personne, à part quelques dogmatiques ou conservateurs indécrottables, dont faisait partie celui qui a apporté brusquement un soutien douteux à la prétendue rénovation. Mais un vraie mise à jour des orientations et des pratiques devait être l’affaire de plusieurs conférences nationales successives à préparer soigneusement, dans la plus grande écoute collective et le respect des opinions des militants engagés sur le terrain.
Or aucun bilan concret des orientations et des actions des vingt cinq années n’avait été encore fait, avec les témoignages vivants et directs de tous ceux qui auraient eu énormément à dire de vrai et constructif sur les vingt cinq ans écoulés, sans les écrans des cloisonnements organiques. Cela aurait permis des analyses critiques sérieuses et circonstanciées sur les orientations dogmatiques ou opportunistes qu’on aurait pu relever et sur le comportement des cadres et des collectifs aux divers niveaux de la clandestinité.

On n’a eu droit avec la RPI qu’à des appréciations générales, abstraites, au nom d’une modernité toute rhétorique dont, selon ces allégations, le PAGS (ainsi que le PCA auparavant) n’aurait pas tenu compte.
Et au nom de laquelle il serait nécessaire de remettre en question les valeurs et les intérêts essentiels des travailleurs et du socialisme comme doctrine et perspective .

Peut-on esquisser à propos de cette fameuse RPI des enseignements utiles aux nouvelles générations politiques ? Aujourd’hui, un constat objectif est fait, celui des dégâts, sans que soit encore établi le bilan approfondi des causes qui les ont produits ou favorisés. Les discussions, les échanges et les recherches restent ouvertes.

« Socialgerie » continuera d’y contribuer.

repris sur le blog algerieinfos-saoudi, le 4 février 2016 ; Étape décisive de la liquidation du PAGS : la RPI de 1990

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PAGS,1990 : le débat qui n’a pas eu lieu
UNE DÉMYSTIFICATION DU DISCOURS "MODERNISTE" ET PSEUDO-MARXISTE

Contribution (bloquée) de Abderrahmane Lagha. - le 19 juin 2009 – socialgerie article 29 ;

La contribution de Abderrahmane L. a été présentée à titre individuel par son auteur à l’automne 1990, en réplique au document avancé par la direction exécutive provisoire du PAGS sous le titre de "PRPI"("’projet de Résolution politico-idéologique"), en vue du Congrès du PAGS de décembre 1990.

Dans la confusion qui a accompagné en 1990 la remise en cause des régimes socialistes en Europe de l’Est et les interrogations sur la nécessité de réformes en Algérie suite aux bilans économiques des deux décennies contrastées "Boumediène" et "Chadli", la PRPI a été une tentative d’introduire en fraude et dans la précipitation des orientations néolibérales, alors qu’un problème aussi complexe et controversé dans le monde depuis vingt ans, aurait mérité de longs , sérieux et libres échanges.

Les vives réactions suscitées par ce projet, par ailleurs ambigu et hermétique, ont amené ses inspirateurs à recourir à son passage en force à la faveur d’un "état d’urgence" que constituait à leurs yeux l’émergence d’un islamisme politique aux tonalités et intentions agressives.

Comme la plupart des quelques 70 contributions reçues, la contribution de Abderrahmane L. n’avait pas été diffusée, sur l’opposition de quelques membres de la direction provisoire du PAGS (1)


QUELQUES REMARQUES PRÉLIMINAIRES

« Celui qui croit les gens sur parole est un imbécile fini dont on ne peut rien espérer »
Lénine, tome 32 p. 37 ed. Sociales 1977

L’avant-projet de résolution politico-idéologique présente une ligne politique nouvelle sans référence à ce qui aurait dû en constituer les fondements, à savoir :

  1. un bilan d’application de la ligne du parti depuis sa création
  2. un éclairage de cette même ligne à travers l’analyse du mouvement de masse et son impact sur les changements intervenus dans la société
  3. une analyse même sommaire des tendances d’évolution socio-économique et politique au plan mondial articulée autour de
  • la crise du système capitaliste international en liaison avec la révolution scientifique et technique et les changements en cours dans la division internationale du travail.
  • la crise des pays de l’Est et du « socialisme ».
  • l’impact de cette évolution sur le Tiers Monde en général et un essai de projection sur
  • la place de l’Algérie dans ce tableau d’ensemble.

L’absence de ces éléments d’analyse ne permet pas l’identification des causes principales des erreurs (ou supposées erreurs) qui ont conduit le parti à se « tromper » d’étape (République nationale démocratique à orientation socialiste) avec toutes les conséquences que cela implique.

Une erreur d’une telle nature, qui a persisté près d’un quart de siècle, aurait mérité des explications à sa mesure et il me semble que la tâche d’évaluation de la formation économique et sociale algérienne est plus que jamais à l’ordre du jour si on veut se doter des matériaux permettant précisément d’éviter ce genre « d’erreurs ». Ainsi l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) aurait gagné à être imprégné par une analyse en termes de lutte de classes, ce qui aurait permis de situer les enjeux politiques et économiques de classe, des intérêts en présence à la fois sur le plan national mais aussi à travers leurs prolongements au plan international.

A propos de la forme, l’ensemble des thèses est marqué par des affirmations péremptoires, sans démonstration, sans référence à la réalité. Et de surcroît, un ton polémique et arrogant est utilisé. On aurait pu en faire l’économie surtout quand « on s’est trompé » d’étape pendant un quart de siècle.

L’utilisation d’un certain nombre de termes répétés différemment augmente la confusion et ne permet pas d’aller à l’essentiel. Un lexique aurait été le bienvenu.

Ces remarques faites, on peut se poser la question suivante : l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) a-t-il atteint son objectif que je suppose résumé comme suit :

  • éclairer la base militante et la société sur l’analyse de la situation actuelle, les prévisions d’évolution future, des forces et intérêts en présence et tracer donc les fondements nécessaires à la définition de la stratégie de lutte des forces de progrès pour une alternative sinon pour une perspective …
  • aider à surmonter le désarroi profond suscité et alimenté par l’absence d’échanges, d’explications quant aux changements fondamentaux intervenus dans le pays et dans le monde, par le questionnement relatif à l’identité, au sens même de l’existence du parti,
  • aider à mobiliser ou remobiliser largement les forces du parti et de la société pour augmenter leur capacité d’action et d’influence sur le réel.

Ceci dit, je voudrais apporter ma contribution à la troisième et quatrième partie de l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) au sujet des réformes économiques et des fondements socio-économiques de la politique générale du PAGS autour de quatre points :

  1. Capitalisme moderne et capitalisme archaïque
  2. Les réformes et le secteur d’Etat
  3. La question des hydrocarbures
  4. La dette extérieure.

À PROPOS DES NOTIONS « MODERNE » ET « ARCHAÏQUE »

Nous connaissons au moins deux acceptions de la notion « moderne » en tant que qualificatif du capitalismes.

La première renvoie à l’identification de la modernité avec la Révolution Industrielle (18ème et 19ème siècle) qui marque le passage de la production artisanale à la grande production mécanisée. C’est le passage de l’artisanat à l’industrie qui emporte la modernité.

La seconde acception renvoie à la contemporanéité du capitalisme, à une étape de son développement marqué par des changements structurels avec l’apparition et le développement des monopoles se substituant à la « libre » concurrence. C’est précisément l’impérialisme. [1]

Rappelons que Lénine voulait initialement intituler son ouvrage sur l’impérialisme comme suit : « L’impérialisme, étape moderne du capitalisme ». Cet ouvrage fut imprimé mi-1917 une première fois sous le titre « L’impérialisme, étape la plus récente du capitalisme ». Il est beaucoup plus connu sous le titre : « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », titre plus actuel que jamais…

En effet, les conclusions de Lénine sont-elles toujours actuelles et quelles implications pour les pays du Tiers Monde ? Quelles adaptations stratégiques sont nécessaires ?

La direction du PAGS, par l’intermédiaire de l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) semble en avoir une vue claire puisqu’elle a décidé que l’impérialisme n’est plus l’ennemi principal, conséquence du déplacement de la contradiction principale qui n’oppose plus l’impérialisme aux peuples. Dorénavant, c’est le FIS qui est porteur de cette contradiction.
C’est un changement fondamental et aucune explication n’est donnée à ce sujet (cf. nos remarques préliminaires).

Cette parenthèse close pour un moment, revenons à la question du capitalisme moderne. En général, dans la littérature marxiste, le capitalisme moderne renvoie donc à l’impérialisme, au capitalisme monopoliste…

De ces deux acceptions, laquelle concerne l’Algérie ? Quel est ce capitalisme moderne dont parle l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) ? Le capitalisme « industriel » ou l’impérialisme ? Si l’on exclut de toute évidence l’impérialisme, il reste le capitalisme qui développe les forces productives dont l’industrie est le vecteur principal. Si tel est le cas, une autre question se pose : les réformes actuelles soutenues avec force dans l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) s’inscrivent-elles dans cette perspective de modernité, sont-elles de nature à favoriser un développement sur la base de la grande industrie moderne ?

Cette transition nous permet d’engager la critique de la partie (très faible quantitativement) réservée aux réformes mais avant de l’entamer, quelques mots sur la notion du capitalisme archaïque.

Il serait plus juste d’utiliser les termes de « formes archaïques » du capital au lieu de capitalisme archaïque. Marx parle d’ailleurs des « formes antédiluviennes » du capital dit « marchand » et « usuraire ». [2]

Ce sont des formes qui ont existé dès l’antiquité, avec un développement à partir du XV° siècle en Europe qui avaient préparé un développement en grand du capitalisme avec l’avènement du capital industriel et du capital bancaire.

Existe-t-il en Algérie des formes similaires à ces fractions du capital ? Quelle est leur réalité concrète et surtout existent-elles en tant que fractions autonomes et séparées du processus de production et de mise en valeur des autres fractions du capital ?

LA SPÉCULATION

Cette question renvoie au statut de la spéculation dans le procès des reproductions capitalistes.

La spéculation est un moment de la métamorphose du capital. Elle se manifeste au stade de la réalisation de la valeur dans la sphère de la circulation. Elle se traduit par un écart sensible par rapport à la valeur d’échange qui résulterait du jeu de la loi de la valeur, loi de l’offre et de la demande sur le marché, marché où seraient réunies certaines conditions dont le libre jeu de la concurrence.

Ce sont précisément ces conditions qui n’existent pas ou insuffisamment en raison de la logique même du procès d’accumulation capitaliste soumis à la loi de la centralisation et de la concentration du capital avec pour conséquence l’apparition de monopoles en contradiction avec la règle du « libre jeu de la concurrence ».

C’est donc la position sur le marché qui confère à celui qui le maîtrise et le domine une valeur supplémentaire appelée rente de monopole ou de situation. Cette rente renvoie donc à la notion de travail non productif. Elle est alimentée à partir de la demande et « aspire » la plus-value sociale (une partie du moins).

La tendance à la spéculation, (profit maximum) est donc inscrite dans la logique même du fonctionnement du système capitaliste.

Dans ces conditions, le capital spéculatif peut exister de façon autonome et se développer par adjonction d’une partie plus-value sociale et se manifeste sur d’autres marchés : immobilier, foncier, marché noir, devises et investissements à l’étranger. Ici, il n’est déjà plus spéculatif car le capital se transforme en biens et services… et se réinjecte dans le circuit productif national ou international. Par contre, en assurant et jouant le rôle de « banque » (avances à l’économie, achat sur pied), l’existence de cette masse monétaire « permet de garder plus longtemps séparés les actes de l’achat et de la vente et sert donc de base à la spéculation » (Marx, le Capital, livre 3, t2, p 102). La masse de ce capital « spéculatif » est estimée actuellement par dizaines de milliards de DA, soit près de la moitié du budget annuel du pays.

Comment à la fois :

  • agir pour récupérer cette masse en la « forçant »
  • à s’injecter dans le circuit productif et
  • agir pour stopper son développement en lui « coupant » ses sources d’alimentation.

Sa principale source est précisément la partie de la masse des salaires (55% ,ONS n°20 juin 1990) consacrée à l’alimentation des ménages. [3]

C’est donc la base économique qui donne naissance et permet le développement d’une couche sociale ou d’une fraction de la bourgeoisie dite parasitaire, spéculative et compradore. C’est cette jonction entre cette fraction du capital national et sa transformation partielle en capital devises qui permet de comprendre son caractère anti-national car elle ne développe pas les forces productives, elle aspire la plus-value sociale et favorise la fuite des capitaux par le biais du marché parallèle des devises.

Politiquement, cette fraction constitue un des ennemis principaux contre lequel il faut lutter. Il nous semble opportun de souligner que la fraction riche et aisée du FIS s’appuie sur cette base quand elle ne s’y identifie pas totalement. Mais d’autres forces au sein et en-dehors du pouvoir sont liées à la spéculation.

Du point de vue stratégique, qu’est-ce qui peut objectivement enrayer ou freiner la tendance au développement de la fraction spéculative du capital national (avec une volonté affichée de l’Etat et de se désengager de la vie économique) ?

Les réformes en cours apportent-elles une réponse à cette question ? Si oui, laquelle ? L’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) est muet sur cette question. Peut-être le projet va-t-il nous éclairer…

LES RÉFORMES ÉCONOMIQUES OU LA NOUVELLE POLITIQUE ÉCONOMIQUE

Le dernier paragraphe de la thèse 21 ne résiste pas au constat de la réalité. Qu’est-ce qui permet de dire que les réformes d’après 88 ne sont pas « devenues » le paravent à un démantèlement systématique et illégal du secteur public et des acquis sociaux et démocratiques (et les 200 entreprises du secteur public local qui ont été dissoutes et leur matériel bradé au secteur privé, et les coopératives agricoles qui ont été accaparées par les gros !). « Un moyen de freiner et de paralyser le développement industriel du pays » (le désinvestissement est général et touche en priorité, et ce depuis 85, le secteur industriel qui d’ailleurs à 40% d’utilisation des capacités est prêt d’être paralysé et asphyxié par la dette intérieure et extérieure…).

« Ils ont permis enfin de colmater les larges brèches qui par le biais de nouvelles règles d’importation, ont porté gravement atteinte au monopole du commerce extérieur » (mais il n’y a plus de monopole ! Sauf pour quelques produits), « la stabilité de la monnaie nationale » (et les dévaluations et l’inflation !) et fragilisé la « défense de notre économie nationale face au capital international » (75% des recettes d’exportation servent au remboursement de la dette extérieure).

Je propose la suppression pure et simple de ce paragraphe ainsi que le 4è paragraphe de la thèse 25 qui est une répétition inutile. La dernière phrase de la thèse 23 devait être placée en tête du chapitre des réformes en spécifiant le contexte national et international.

Ce qui manque à cette analyse des réformes, entre autres, c’est l’impact du facteur « externe » qui s’exerce sur l’économie nationale dans son interaction avec l’économie mondiale.

Il se dégage de l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI), l’impression générale qu’il y a plusieurs Réformes depuis 1980 et qu’elles sont différentes suivant les différentes équipes qui se sont succédées au pouvoir.

Ont-elles vraiment des contenus différents ? Si l’on s’en tient à l’aspect extérieur surtout à travers l’analyse des discours sans confrontation avec la réalité, alors on peut avoir cette impression. Mais on s’éloigne de l’analyse marxiste, de cette dialectique dont tout le monde parle mais qui est pourtant la grande absente dans le projet.

Si on veut saisir l’essence des réformes, leur contenu et signification véritable (sans préjuger de la position à prendre en liaison avec d’autres facteurs de décision), il faut chercher le fil conducteur, leur logique et leur trajectoire non sans avoir recherché leur filiation au plan théorique et pratique. Cette démarche permet de faire abstraction des discours, donc d’apprécier indépendamment du facteur subjectif (les pouvoirs) la nature objective de ces Réformes.

Il s’agit en réalité, d’une nouvelle politique économique qui a, depuis les années 1980, quitté le terrain du développement, et ce, avant la chute des prix du pétrole en 1986.
Désinvestissement et chômage n’ont cessé de s’amplifier. [4]

Il est souligné dans l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI), à juste titre d’ailleurs, l’absence du bilan financier du secteur d’Etat et donc des conditions d’émergence et de développement, de ce qui va au fil des années être l’épée de Damoclès ou les boulets de la dette attachés au secteur d’Etat que tout précipite dans la mer (souvent "déchaînée" ) du marché.

On ne doit pas confondre entre des avancées à des rythmes et intensités différents qui sont fonction comme il est dit en fin de thèse 23, du rapport de force politique réel donc du degré de lutte et de résistance multiforme des travailleurs, des cadres, des forces politiques, etc. d’avec le contenu fondamental qui demeure le même et imprègne les réformes à toutes les étapes qu’elles ont connues.

Le contenu vise à mettre en correspondance les rapports de production nouveaux à travers un nouveau mode de direction de l’économie d’avec le niveau de développement des forces productives telles qu’elles se présentent au terme de 25 années d’indépendance politique et d’édification.

L’ancien système des rapports sociaux de production, de direction de l’économie, de distribution des richesses s’avère caduc et doit laisser place sous la poussée politique des classes et groupes sociaux en formation à une économie de marché de type capitaliste.

Cette pression pour accélérer les changements économiques et politiques s’exerce également et de façon conjuguée de « l’extérieur » par le biais :

  • de la dépendance accrue de l’appareil de production et de toute l’économie vis-à-vis de l’extérieur,
  • du poids de la dette extérieure aggravée par la chute des prix du pétrole et des manipulations financières (taux d’intérêt, taux de change du dollar, etc.).

Cette double pression a objectivement obligé l’Algérie à recourir de plus en plus aux institutions multilatérales, Fond monétaire international (FMI) et Banque Mondiale, pour solliciter leur aide et appui, non seulement direct pour l’octroi de prêts mais aussi indirect puisque ces institutions sont sollicitées également pour rétablir la capacité d’endettement de l’Algérie sur les marchés financiers internationaux. Ainsi, on peut constater aujourd’hui que pas un seul domaine de l’économie n’a échappé aux investigations et études ou recommandations de ces institutions, surtout de la Banque Mondiale.

Citons pour mémoire, le secteur financier, l’agriculture, [5]
les transports, l’industrie, la fiscalité, les exportations, les taux de change, la gestion de la dette extérieure, l’enseignement supérieur, l’environnement, etc.

Les mesures que propose généralement la Banque Mondiale sont connues et ont fait l’objet de nombreuses études et publications et en premier lieu par la Banque elle-même.

Il est aisé d’opérer un recensement par secteur ou domaine d’activité des mesures que préconise la Banque Mondiale et de les comparer aux mesures de politique économique prises par l’Algérie et d’opérer aux déductions nécessaires quant à la filiation théorique du modèle économique mis en œuvre.

« De te fabula narratur » disait Marx ou « c’est ton histoire qu’on raconte », il suffit alors d’examiner les trajectoires et les résultats des pays qui nous ont précédé et suivi les conseils de la Banque Mondiale pour avoir une idée de ce que l’on pourrait devenir si les masses n’interviennent pas pour imprimer un sens à leur histoire
 [6]
et
 [7].

Pourquoi ce type d’approche n’a t’il pas été retenu ? Ce ne sont pourtant pas les compétences qui manquent dans le parti mais c’est le type de question « bizarre » que règle… le centralisme démocratique.

Devons-nous les rejeter pour la simple raison que ces réformes s’inspirent du modèle libéral préconisé et financé par la Banque Mondiale et le FMI ?

Nous devons, au contraire, nous efforcer de tirer les leçons de ce qui se passe dans ces pays pour éviter autant que faire se peut, les erreurs et le coût social et économique qui les accompagne.

Comment faire la jonction entre le noyau de vérité, de rationalité existant dans ces mesures et les besoins réels qu’implique le redressement de l’économie mondiale, étant donné les contraintes objectives pesant sur elle ?

Cette approche nous permet d’éviter le « technicisme » (étiquette chère à certains camarades dans leur critique de ce qu’ils ne comprennent pas), « le théoricisme vague » et d’examiner cette nouvelle politique économique à la lumière des intérêts bien compris nationaux et de classe, à court, moyen et long terme des classes et couches sociales censées être la base sociale de notre parti.

Il me semble que l’avant projet de la résolution politico-idéologique (AP/RPI) atteindrait son objectif s’il sert à éclairer les luttes des masses en leur fournissant les points de repères fondamentaux autour desquels elles doivent s’organiser.

Ces points de repère doivent baliser la transition entre l’état actuel de l’économie et son passage à l’économie de marché.

Il s’agit de réaffirmer clairement notre attachement et notre détermination à défendre le secteur d’Etat contre toute tentative de liquidation et/ou privatisation totale en tant qu’il est les résultat du travail et des sacrifices des masse depuis plus d’un quart de siècle prolongeant ainsi les sacrifices des martyrs de la Révolution de libération nationale.

Cette prise de position est indissociable de l’engagement tout aussi nécessaire pour sa rentabilisation et son développement en s’attachant à œuvrer et réunir toutes les conditions pour élever la productivité du travail social à un niveau tel qu’il puisse entrer en coopération et/ou en compétition avec l’économie mondiale.

Dégager des surplus économiques fondés sur la productivité du travail et du capital : telle est la tâche et en même temps la condition de succès du secteur d’Etat pour son passage à l’économie de marché et son insertion avantageuse dans l’économie mondiale.

Dans cet ordre d’idées, deux obstacles liés entre eux sont à lever : il s’agit d’agir sur les causes profondes qui ont amené le secteur d’Etat dans la situation qui est la sienne aujourd’hui et qui a généré :

  1. une situation financière déstructurée, la dette intérieure s’alimentant d’elle-même et masquant tout progrès éventuel. [8]
  2. une dépendance accrue à l’égard des inputs importés et nécessitant des financements extérieurs, ces derniers générant et aggravant le poids de la dette extérieure. Un troisième facteur et non des moindres, doit être avancé comme principe et en même temps comme objectif pour le Parti :
  3. la valeur créée par le secteur d’Etat doit revenir en premier lieu et en priorité aux couches et classes qui l’ont créée tout en réservant une partie pour la collectivité nationale et une autre pour son renouvellement. C’est une condition décisive pour le redressement et le développement du secteur d’Etat.
  4. Ce sont ces conditions de base devant servir à mettre le secteur d’Etat en mesure de négocier et de s’allier tant avec le capital privé national qu’avec le capital privé international et favoriser ainsi un passage graduel à l’économie de marché ouverte sur l’économie mondiale mais un passage qui préserve et renforce le développement des forces productives nationales capable de se reproduire de façon élargie et sur une base autonome. C’est de cette manière que l’économie nationale dépassera progressivement son état actuel de dépendance asymétrique pour passer à un état d’interdépendance réel qui dans les conditions du monde contemporain est la signification moderne de l’ « indépendance économique ». (S’agissant des mesures concrètes à court et moyen terme, cf. contribution de janvier 1990).
  5. On notera que les facteurs de blocage essentiels au développement de l’économie se présentent comme étant liés aux problèmes de la dette intérieure et de la dette extérieure. Mais, on notera également l’absence de liaison entre les réformes et ces problèmes d’endettement et valorisation des hydrocarbures dans la 4è partie et notamment à partir de la thèse 36.

À PROPOS DE LA DETTE EXTÉRIEURE

D’abord, il y a confusion entre "crédit international" et "dette extérieure", ce qui ne permet pas de faire la différence entre celui qui prête et celui qui emprunte d’où d’ailleurs une erreur monumentale quant à l’appréciation des USA « qui seraient de très loin le pays le plus endetté du monde ».

C’est cet argument polémique (mais sans consistance au plan économique) qui permet de qualifier « d’hypothétique » le Front Mondial des pays endettés alors que la même phrase développe des formes que pourraient prendre ce front…

L’erreur du ou des auteurs de l’avant-projet et de tous ceux qui l’ont approuvé consiste à traiter de la même manière et à mettre sur le même plan des pays comme les USA et d’autres comme l’Algérie ou le Togo par exemple.

Du point de vue conceptuel, la dette extérieure américaine (ce que le département du commerce appelle « position nette négative d’investissements internationaux ») équivaut à la différence entre la valeur des avoirs extérieurs détenus par les Américains et la valeur des avoirs américains détenus par les étrangers. Ces avoirs se composent des dépôts dans les banques commerciales, d’avoirs de changes, de titres, de biens immobiliers, d’installations productives et autres investissements directs.

La valeur de l’ensemble des avoirs extérieurs américains à fin 1986 a été estimée à environ 1100 milliards de dollars, les avoirs détenus par des étrangers aux Etats-Unis étant estimés à 1365 milliards de dollars. L’écart entre les deux correspond à la dette extérieure nette des Etats-Unis soit 265 milliards de dollars. [9]

Il faut savoir également que les avoirs extérieurs américains sont évalués, selon les règles et normes comptables en vigueur, à leur valeur comptable le plus souvent ce qui entraîne une sous-estimation évaluée à 100-200 milliards de dollars.

D’un autre côté, le flux de capitaux à destination des Etats-Unis ne sont probablement pas enregistrés dans leur intégralité. Troisièmement, il est admis que les avoirs américains à l’étranger produisent plus d’intérêts et de dividendes par dollar investi que les avoirs étrangers aux USA. Le produit de ces derniers a été estimé à 67 milliards de dollars en 1986 alors que le produit des avoirs américains à l’étranger pourtant inférieur a été de 88 milliards de dollars. [10]

Il faut tenir compte également de l’importance et de la taille relative de cette « dette » extérieure :

« Ainsi l’endettement total des Etats-Unis en 1986 représente 6% du PNB US contre plus de 40% du PNB au Brésil, plus de 50% au Mexique et plus de 60% au Venezuela. Le coût annuel du service de la dette extérieure des USA est inférieur à 1% des exportations de biens et de services non compris le revenu des facteurs ».

« Le trait le plus caractéristique de la dette extérieure des USA tient à sa dénomination étant donné que le dollar américain est la principale monnaie de réserve mondiale. En théorie au moins, cela implique que, à quelque moment que ce soit, les Etats-Unis pourraient s’acquitter de leurs obligations extérieures (en espèces ou par l’émission de nouveaux emprunts en dollars) sans avoir à accroître leurs exportations pour générer des devises ».
 [11]

Je n’irai pas plus loin dans la reprise de l’exposé d’Amuzegar mais j’ajouterai pour ma part, un élément dont il n’a pas traité mais qui est de taille : il s’agit des réserves internationales des USA qui s’élèvent en 1986 à près de 140 milliards de dollars soit près de 53% de leur dite "dette extérieure".
 [12]

Ces arguments et éléments d’information (et de formation) suffiront-ils aux décideurs pour supprimer cette ineptie du texte et éviter ses graves conséquences stratégiques au plan de la pratique révolutionnaire.

Avant de poursuivre sur la dette extérieure, quelques mots sur l’utilisation du terme "autarcie" (avant dernier paragraphe thèse 37). Est-ce vraiment possible de prôner et de réaliser une politique économique tournée vers "l’autarcie frileuse dans ses rapports économiques extérieurs et incapable d’utiliser les immenses possibilités du marché international".

L’Algérie dépend pour son existence économique de l’extérieur, que ce soit pour le problème capital de l’alimentation (60 à 70% de la ration alimentaire est importée donc la force de travail dépend pour son renouvellement de l’extérieur) ou pour toutes les matières premières ou produits, pièces, équipements, inputs nécessaires à la reproduction économique. Que l’on cite un seul produit qui soit entièrement national sans trace directe ou indirecte des importations !

Si tel est le cas, pourquoi parler "d’autarcie" ? C’est-à-dire ce qui n’existe pas et qui n’existera pas… On voit bien que la science n’a pas déserté que les Universités. C’est un phénomène général auquel même notre Parti n’échappe pas…

Revenons à la dette extérieure. Les thèses 38 et 39 exposent, selon leurs auteurs "la logique du mouvement du capital financier et des règles de fonctionnement d’une économie moderne" qui n’autorise au plan purement économique que cette solution : "la dette est reconduite partiellement, intégralement mais comme un crédit nouveau et avec de nouvelles conditions".

Qu’est-ce que cette économie moderne où s’appliquerait de façon pure cette solution ? Où existe-t-elle ? Quels sont ou quels seront les pays qui bénéficieront de cette solution ? Mais si on considère que l’économie mondiale réelle est très largement dominée par le système capitaliste (à son stade impérialiste) alors il faut examiner ce qui se passe lors du procès de reproduction capitaliste à la lumière des lois (découvertes par Marx pour mémoire !) du développement capitaliste.

"Le système de crédit accélère par conséquent le développement matériel des forces productives et la constitution d’un marché mondial, la tâche historique de la production capitaliste est justement de pousser jusqu’à un certain degré de développement de ces deux facteurs, base matérielle de la nouvelle forme de production. Le crédit accélère en même temps les explosions violentes de cette contradiction, les crises et, partant, les éléments qui dissolvent l’ancien mode de production.

Voici deux aspects de la caractéristique immanente du système de crédit : d’une part développer le moteur de la production capitaliste, c’est-à-dire l’enrichissement par exploitation du travail d’autrui pour en faire le système le plus pur et le plus monstrueux de spéculation et de jeu, et pour limiter de plus en plus le petit nombre de ceux qui exploitent les richesses sociales ; mais d’autre part, constituer la forme de transition vers un nouveau mode de production".
 [13]

La logique du développement capitaliste est une logique d’accumulation, de centralisation et de concentration du capital avec comme accélérateur le crédit. C’est un processus constamment renouvelé d’absorption et de recomposition du capital, processus se développant de crise en crise.

C’est ce processus d’absorption du capital national par le capital international qui est la conséquence directe de l’incapacité de ce même capital national à se développer au même rythme et à la même intensité productive que le capital international.

C’est ce qui explique qu’aujourd’hui, les créanciers proposent de se faire rembourser par la prise de participation d’actifs dans les pays endettés, ceci passant par le processus de privatisation et de restructuration des entreprises publiques.

C’est ce qui explique également la matrice des mesures proposées par le FMI et la Banque Mondiale, mesures de politique économique visant surtout à rétablir la capacité de remboursement des pays endettés par la réactivation des politiques d’ajustement structurel dont le premier équilibre à rétablir est celui de la balance commerciale où les exportations doivent d’abord servir au remboursement de la dette et le reste aux importations.

La condition pour pouvoir l’utiliser à des fins de développement réel des forces productives demeure la capacité de l’économie nationale à générer un surplus économique en mesure de satisfaire à la fois le service de la dette et l’accumulation sur une base élargie et autonome.
 [14]

Au plan économique, il s’agit d’élever le niveau de productivité du travail social à celui qui caractérise en moyenne le niveau mondial de productivité du travail social.

Ce qui s’échange sur le marché mondial capitaliste ce sont des marchandises et "derrière" les marchandises ce sont des quantités de travail social qui s’échangent.

La question essentielle qui se pose est alors : comment élever la rentabilité du travail social dans notre pays ? Le projet devra aborder cette question.

Ci-joint en complément à ces remarques une contribution traitant de la dette élaborée au 1er trimestre 1989 et que je considère comme actuelle et pouvant éclairer les camarades et la société sur cette question.

Dans la thèse 37, il est dit "Notre parti a dangereusement hésité et a même laissé se développer en son sein et publiquement des positions erronées".

  1. Il vaut mieux dire la Direction Nationale du PAGS au lieu de notre Parti car c’est à la Direction qu’échoit la responsabilité de prendre une position.
  2. Comment préjuger déjà du caractère erroné des positions puisque c’est presque la première fois qu’un texte approfondi est publié par la Direction et que de surcroît il est soumis à la discussion générale au sein du Parti et de la société. Estime t-on détenir la vérité ? Si oui, pourquoi un débat ?

J’estime pour ma part que l’irresponsabilité est celle du silence relatif sur cette question dont les conséquences politiques et sociales ont alimenté et développé ce que la Direction identifie actuellement comme la contradiction principale.
Il aurait été plus judicieux de développer la capacité de l’écoute du Parti lui-même de la société et tirer les leçons du retard apporté au traitement de cette question. Ceci renvoie à la question du fonctionnement du Parti sur lequel j’interviendrai au moment opportun.

L. Abderrahmane


(1) En relation avec les années 1989-1990, et la "crise" du PAGS, socialgérie a mis en ligne certaines contributions et articles, dont les liens sont donnés ci-dessous :

RÉFLEXIONS D’UN MILITANT SUR LA RÉORGANSATION DU PARTI
CONTRIBUTION DE TAHAR ABADA
 ; en date du 11 décembre 1989,
date de mise en ligne : 30 janvier 2010
Lire la contribution de Tahar Abada...


Le PAGS A BESOIN D’UN FONCTIONNEMENT DEMOCRATIQUE
PAR MHD KHADDA ET CELLULE D’ALGER-CENTRE
 ; en date du 2 juillet 1990 ; date de mise en ligne : 17 février 2010
Lire la contribution de la cellule d’Alger-Centre ...


SADEK AISSAT, SON APPROCHE SOCIALE ET DÉMOCRATIQUE
COURAGE POLITIQUE CONTRE HÉGÉMONISMES DE TOUS BORDS
 ; le 24 juillet 1990 ; date de mise en ligne : dimanche 17 janvier 2010
Lire la lettre de Sadek Aissat


REHABILITER LE POLITIQUE ; HADJERES AU "SOIR D"ALGERIE", GRAND ENTRETIEN AVEC AREZKI METREF ; mai-juin 2007, date de mise en ligne sur SOCIALGERIE : dimanche 31 mai 2009
Lire l’entretien...


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Juillet-aout 90 : Crise du PAGS (suite 4)

ASSEMBLÉE D’AOÛT 1990 : COMMENT ON ENTERRE UN DÉBAT AVANT DE L’OUVRIR

Socialgerie,le 26 juillet 2010

La fin du mois de juillet et le début d’août 1990 ont vu chez les militants inquiétés par la crise de juin, se succéder un renouveau d’espoir, suivi très peu après d’une forte déception.

Comme pour tout ce qui concerne cette crise, le site "Socialgerie" évoque cette évolution dans ses grandes lignes et des aspects partiels.
D’autres précisions et compléments (concernant les acteurs, le déroulement des faits, etc.) figureront dans l’ouvrage plus détaillé qui poursuivra l’entretien réalisé avec moi en 2007 par Arezki Metref dans les colonnes du "Soir d’Algérie".
Il est possible aussi de consulter dès maintenant les contributions et documents d’époque déjà mis en ligne sur le site depuis un an.

Pour l’essentiel, en juin et juillet, les chances d’ouverture d’un réel débat militant existaient encore.
Tout avait été fait jusque là pour l’empêcher, le réduire à un simulacre en faisant mine d’ignorer la soif d’information et le mécontentement militant.
La majorité de l’exécutif national en place avait en effet publié vers la mi-juillet un nouveau communiqué dans le prolongement du précédent de juin. Sur un fond de proclamations abstraites, il ignorait les interrogations et les doutes exprimés par la base et par les cadres à l’assemblée houleuse de juin, qualifiée de simple assemblée « d’information ».
Plusieurs exécutifs régionaux provisoires avaient même refusé à cette occasion de diffuser le communiqué central.

Il devenait quand même difficile de passer outre à la volonté grandissante d’éclaircissements des militants.


ASSEMBLÉE D’AOÛT 90 : REFUS D’UN FRANC DÉBAT ET MÉPRIS ENVERS LES OPINIONS MILITANTES

Parmi les raisons qui poussaient à ouvrir enfin des débats utiles, il y avait notamment les faits suivants :
Une partie de l’exécutif central sentait la fragilité de l’argumentation qui avait consisté, à la mi-juin, à sur-dramatiser la situation nationale du moment, déjà elle même assez inquiétante. Aucun évènement grave au cours du mois écoulé n’avait justifié les injonctions alarmistes et l’urgence qui avaient été invoqués pour arracher une décision à l’esbroufe (pas un jour à perdre, disait-on pour forcer la décision, sans doute en conformité avec un scenario et un timing concoctés dans un des cercles ou des officines qui traversaient le pouvoir ).
Chez ceux qui avaient d’abord cédé à un réflexe de panique, un début de clarification et de raisonnement s’opérait.
L’agressivité antidémocratique de la base activiste du FIS, comme les déclarations de plusieurs de ses porte-paroles , étaient bien réelles. Mais justement, nombre de militants PAGS ne comprenaient pas pourquoi des directives émanant de certaines hiérarchies de leur parti leur enjoignaient d’abandonner toute lutte sociale, politique et idéologique au sein de la population, en se bornant exclusivement à revendiquer l’interdiction administrative du FIS par les autorités.

Cela revenait à quoi ? En fait, à inciter l’ensemble des nationaux et de leurs organisations à laisser par des déclarations générales le terrain libre à l’offensive concrète des courants intégristes dans les media et surtout dans leurs activités de proximité intensifiées en direction de tous les milieux.

Il y avait pire : une interdiction du FIS, telle que préconisée dans les conditions particulières du moment (c’est à dire après son agrément officiel et son succès électoral) apporterait aux courants réactionnaires de cette formation un soutien plus grand des milieux, majoritaires dans le pays (bien au delà des cercles et sympathisants islamistes) auprès desquels le pouvoir était discrédité à cause de ses antécédents de gestion autoritaire et répressive.

La pression ouverte ou sourde de la base militante a donc finalement amené une partie de la direction à concéder au moins la tenue d’une assemblée ouverte au débat. Il était peu concevable de fermer cette voie, alors que la perspective d’un Congrès se dessinait (destiné dans l’esprit de ses promoteurs à cautionner dans la précipitation le forcing de juin).

En fait c’est une série de conférences nationales (thématiques et organiques) qu’il aurait fallu d’abord programmer, avec une sérieuse préparation démocratique de chacune d’elles. Néanmoins, avec l’annonce et l’approche de cette assemblée, j’eus l’impression que l’idée d’ouvrir le débat avait progressé et l’espoir semblait renaître chez les militants, même les plus désabusés.

LES TECHNIQUES D’ESCAMOTAGE REMPLACENT L’APPROCHE POLITIQUE

Jusque là tout avait été fait pour que mon point de vue ne franchisse pas les murs de nos bureaux de réunion.
Comment interpréter alors qu’on venait de me proposer de présenter un rapport à cette assemblée dans lequel j’avancerais mes arguments.
J’ai cru sentir à certains signes que les partisans les plus autoritaires de l’alignement sur un clan du pouvoir avaient concédé un repli tactique à d’autres membres de l’exécutif plus réalistes ou plus soucieux de formes démocratiques. Dans leur logique, les membres du groupe autoritaire étaient convaincus que mon point de vue ne tiendrait pas, face au dilemme simpliste auquel ils réduisaient la situation : interdire immédiatement le FIS ou baisser les bras devant ses agissements et sa menace potentielle.

L’occasion était donc opportune d’exposer enfin largement mes points de vue bloqués ou sciemment déformés jusque là.
Mon opinion ne consistait en aucune façon à capituler devant les menaces des dirigeants islamistes ni de suivre aveuglément en tout les injonctions de clans autoritaires du pouvoir guidés par leurs propres intérêts étroits.
Il y avait nécessité, pour faire reculer réellement les tentatives d’intimidation des milieux les plus agressifs du FIS, de sensibiliser une grande partie de l’opinion populaire autrement que par les considérations institutionnelles abstraites qui ne pouvaient convaincre qu’une frange étroite de démocrates politisés.
Il fallait davantage mettre en avant les mots d’ordre concrets les plus rassembleurs et les plus accessibles aux différentes catégories de la population. Le vécu quotidien des dernières semaines montrait que des prises de conscience intéressantes s’opéraient sur cette base dans différents milieux plutôt indécis jusque là. Il s’agissait d’accompagner et d’amplifier ces évolutions.

J’ai pris le temps nécessaire à préparer le rapport demandé, en évitant de nombreuses contraintes protocolaires dont on m’accablait inutilement. J’ai veillé particulièrement à prendre en compte les différentes opinions apparues, afin d’encourager les échanges et le plus d’unité d’action possible entre les points de vue existants.
[Ce rapport est resté à ce jour inconnu des militants et de l’opinion. J’en ferai connaître plus tard le texte intégral).
On comprend que son contenu dérangeait les détracteurs qui n’avaient cessé de présenter une version caricaturale et totalement falsifiée de ma position.
J’ai alors constaté que dans la pratique, l’obstruction se poursuivait par des voies et des obstacles insidieux, inavoués, dans un climat de méfiance artificiellement attisé depuis les précédents débats houleux

Pour éviter que des membres du service technique invoquent des difficultés matérielles pour retarder ou rendre impossible l’impression de ce rapport (c’était devenu une pratique fréquente pour des textes émanant de moi-même ou de quelques autres camarades), je l’ai fait dactylographier par une camarade bénévole (xx). Plusieurs jours se sont écoulés après sa remise aux camarades de l’exécutif, pendant lesquels je leur ai laissé le temps de l’examiner en vue d’une discussion plus fructueuse. J’ai senti alors un flottement, des faux fuyants. Visiblement le contenu du texte gênait.

Mais au lieu de le discuter ouvertement, un prétexte fut trouvé pour tenter de le remplacer par un autre texte portant sur des problèmes plus généraux, préparé des semaines auparavant par un camarade de l’exécutif (je crois me souvenir qu’il s’agissait de (XX), responsable que j’estimais pour son sérieux, sa profondeur et ses qualités humaines).
Je ne me souviens plus du thème et je n’ai pas réussi à ce jour à retrouver une copie de ce document "de rechange". Dans sa généralité, il avait probablement son intérêt et méritait d’être discuté dans un autre cadre. Mais il avait peu de rapport avec l’actualité brûlante qui interpellait le parti sur des questions précises et exigeait une analyse serrée des faits. Pour l’assemblée prévue, il n’avait pas beaucoup à voir avec ce qui préoccupait concrètement depuis le mois de juin les militants et responsables.
J’ai présenté récemment à des camarades et amis le texte du rapport qui m’avait été confié et dont on avait escamoté même l’existence. Avec le recul du temps, ils ont mesuré avec amertume et révolte le préjudice causé par l’escamotage d’un fructueux échange.
Le document, quelles que soient les diverses opinions, aurait selon eux contribué à sauvegarder l’unité du parti et ses capacités de mobilisation sur le terrain, ainsi qu’une plus large crédibilité auprès d’autres formations politiques et sur la scène publique.

Enterrer le rapport qu’on m’avait expressément demandé, quel qu’en soit le prétexte, n’était pas seulement grotesque dans la forme, c’était inadmissible quant au fond. Les tenants de l’alignement bureaucratique et inconditionnel sur un clan de pouvoir se dérobaient à la confrontation ouverte devant les larges assemblées habilitées à débattre des orientations.
Pourquoi parallèlement n’avaient-ils pas soumis un contre projet réfutant concrètement et point par point l’analyse et les propositions que j’avançais dans le rapport, au lieu de s’en tenir à la trop facile appréciation péremptoire : ce n’est pas conforme à la "ligne" ?
Je crois aujourd’hui saisir rétrospectivement une des raisons de leurs réticences. J’ai en effet pris connaissance, parfois des années plus tard, de lettres de militants ou cellules adressées à la direction et qui ne m’étaient pas parvenues. Ces documents, dont certains récemment publiés sur ce site, émanaient de militants et de cadres respectés pour leur engagement et leur sérieux. Il est vraisemblable que la convergence de ces avis avec mon propre point de vue avait fait craindre aux membres les plus sectaires de l’exécutif, une remise en cause massive de la dérive qu’ils avaient amorcée. Tous leurs efforts visaient en effet à faire croire aux militants que le premier secrétaire cautionnait leurs orientations simplistes, cependant que dans des cercles plus restreints, ils déversaient les calomnies de toutes sortes et les déformations de mes points de vue.

Ils préféraient se rassurer en leur cercle de convaincus pour justifier la dérobade : l’exposé n’est pas dans "la ligne" arrêtée par eux en juin juillet.
Mais qui donc était habilité à définir la ligne ? Quand cette ligne avait-elle été débattue ? Quelle légitimité de décision avait l’organisme exécutif provisoire en cette période de retour à la vie légale ?
Et même si un vrai bureau politique avait été élu, n’aurait-il pas été astreint régulièrement à soumettre les orientations proposées aux différents échelons du parti ?

J’ai compris à ce moment que les chances s’étaient amenuisées de parvenir à un vrai débat, à un minimum de fonctionnement démocratique. La suite confirmera que cette obstruction n’était malheureusement qu’un prélude, enrobé dans des prétextes douteux.

Ce qui s’est passé ensuite au cours de l’assemblée, sous des formes moins subtiles, dépassait ma personne et ma fonction. Il a concerné l’ensemble des militants dont on a méprisé ouvertement le droit à l’expression et tout simplement la dignité. J’avoue que dans un premier temps, comme beaucoup d’autres, je n’imaginais pas qu’on puisse dans le PAGS franchir ce pas de l’indignité.

INCROYABLE MAIS VRAI

J’ assurais la présidence de l’assemblée. Je nourrissais malgré tout l’espoir que, quel que soit le texte servant de point de départ, l’actualité ramènerait au premier plan les considérations et les interrogations de fond, même si les jusqu’au-boutistes des solutions administratives s’acharnaient à les éluder.

C’est bien ce qui s’est passé : quand on veut chasser le fond, il revient au galop. Je sentais dans la vaste salle du « 5 juillet » les militants insatisfaits et impatients face au ronronnement des généralités et des lieux communs qui leur étaient servis.
La langue de bois ne parvenait pas à faire passer les affirmations et points de vue déjà arrêtés, martelés en guise d’analyse.
Brusquement, interrompant ce déroulement de platitudes, je perçus de gros remous qui agitaient l’arrière de l’assemblée. Cris et agitation se sont prolongés un long moment, détournant durablement l’attention générale. A première vue, plusieurs camarades étaient pris à partie pour leurs opinions et battus pour les empêcher de prendre la parole.

Je ne sus que plus tard, à l’interruption de séance qui a suivi, ce qui venait de se dérouler et manifestement continuait à soulever l’émotion et des discussions animées dans la salle. J’apprendrai avec encore plus de détails, le soir et le lendemain, la nature, les motivations et le comportement des protagonistes : la distribution d’un document ou pétition, rédigé par un groupe de camarades qui n’avaient pu jusque là trouver un autre moyen de s’exprimer. Ce document a été reproduit il y a quelques mois sur le site ; il contenait nombre d’analyses pertinentes à côté d’affirmations approximatives mais l’ensemble était un document sérieux, il méritait d’être connu et débattu.
Je laisse à plus tard les dessous et les détails de cet incident, grave par ses motivations d’atteinte aux droits militants. C’est progressivement et des années plus tard que j’ai pris connaissance de l’ensemble des chantages indignes qui se sont exercés avant cette Assemblée d’aout et jusqu’à son ouverture pour contraindre au silence des militants et responsables pleins d’abnégation comme Sadek Aïssat et d’autres et les punir du "crime" de n’avoir pas voulu se taire et se soumettre. Ces faits trouveront leur place dans un aperçu des méthodes qui ont été mises en oeuvre contre le PAGS et en son sein pour barrer la route à une transition démocratique au système et à l’esprit du parti unique.

Sans connaître à ce stade la raison de l’incident, j’étais néanmoins déjà certain qu’il n’était pas une diversion marginale, comme il peut s’en produire à l’occasion d’une tension, de malentendus, d’énervements rapidement dépassés entre des assistants surexcités.
Le heurt inadmissible n’était pas « hors sujet ». Il s’inscrivait directement au cœur du problème qui rongeait et frappait de stérilité la vie politique de l’Algérie depuis longtemps.
Cette gangrène rejaillissait dans nos propres rangs alors que durant des décennies nous lui avions payé un lourd tribut pour l’avoir dénoncée et combattue. On cherchait à imposer à des militants venus librement à l’engagement partisan le bâillonnement de l’expression démocratique et de progrès.
On travaillait en somme à entretenir et nourrir l’incapacité à assurer des échanges et un débat bénéfiques, y compris entre militants se réclamant formellement de la même cause.
Comme président de séance et premier secrétaire du parti, je ne pouvais admettre et supporter des méthodes que nous étions censés rejeter fondamentalement, quels que soient les points de vue ou les torts des intervenants.
Je le proclamai immédiatement et sans détour devant l’assemblée : je condamne ce genre de comportement ; tant que je présiderai et aurai cette responsabilité dans le parti, tout militant a le droit de s’exprimer librement en respectant le droit à l’expression de ses camarades.

Ce que je venais de souligner avait été accueilli avec soulagement par l’assistance comme le rappel, la reconnaissance d’une norme intangible, la norme d’un « parti de Droit », comme on dirait un « Etat de Droit », à qui le respect des règles de son fonctionnement sont source de confiance et de crédibilité .
Mais pour d’autres, que n’ai-je dit ! La mise au point avait été ressentie comme une déclaration sacrilège, une offense à « l’autorité » ! J’ai constaté à l’interruption de séance qui a suivi, qu’en rappelant ce qui devait être l’ABC d’un parti démocratique, j’avais écorché la susceptibilité de plusieurs membres de l’exécutif.
Ils me l’ont reproché avec véhémence : tu as laissé entendre que tu te désolidarises du reste de la direction !
J’étais stupéfait et répliquai : pourquoi donc ? Je m’attendais à ce que vous me félicitiez et souteniez pour avoir rappelé les normes démocratiques que nous proclamons. Vous auriez du vous mêmes intervenir dans le même sens. Vous avez un avis différent ? Vous approuvez de telles méthodes ?

Rien ne pouvait les dissuader que mon appel à respecter la liberté d’expression des militants était dirigée contre eux. Les plus acharnés ne se rendaient pas compte qu’ils trahissaient ainsi leurs pensées inavouées.
C’était de leur part une façon implicite d’avouer qu’ils approuvaient ces méthodes, s’ils ne les avaient pas eux-mêmes inspirées.
J’eus ainsi confirmation de ce que les semaines précédentes avaient commencé à montrer.
Dans une situation politique du pays fortement instrumentalisée par les enjeux de pouvoir, le mode de pensée de certains s’était cristallisé et figé non seulement sur une conception antidémocratique de la vie du pays mais même sur la raison d’être de notre combat. Ils l’assumaient comme si elle devait devenir la norme naturelle et sacrée d’un parti comme le nôtre.
Il leur était insupportable que cette transgression de nos idéaux soit mise à nu et dénoncée à partir des faits.
La rupture était donc consommée, du moins à notre niveau, car comme on le verra, formellement et dans leur discours envers la base, les repentis de la démocratie révolutionnaire et de la démocratie tout court ne jetteront pas immédiatement le masque au grand jour.

DOUBLE LANGAGE, REPENTANCES ET ... RÉCIDIVES

Je fus aussitôt écœuré par ce que je considérai comme une "hogra" envers des militants sincères en quête de réponses convaincantes à leurs interrogations. Je n’admettais pas que des militants soient considérés "sans opinion" et astreints à l’obéissance au doigt et à l’œil comme si le PAGS devait être un parti de "chefs" ou de "patrons".
Ma décision fut prise sur le champ. « Je ne veux plus présider l’assemblée en cautionnant des actes comme ceux qui se sont produits. Si d’autres ont cette conception, qu’ils en prennent la responsabilité et l’assument ouvertement ! ».

Je ne me souviens plus qui, devant ma ferme décision, a proposé que (YY) prenne le relai ou si lui-même s’était proposé.
Depuis quelque temps en effet, une rivalité-complicité, une émulation dans la surenchère antidémocratique était apparue entre les quelques responsables qui voulaient se montrer têtes de file ou porte-paroles de la ligne d’une modernité à la carte pour le « salut du pays ». Ils rivalisaient de zèle autoritaire sous les regards passifs ou médusés d’autres membres de l’exécutif qui, même lorsqu’ils avaient leurs propres interrogations, les faisaient taire face à des évènements ou une logique supérieure qui paraissaient les dépasser et leur conseillait la prudence du ’ghir takhti rassi".
Le responsable de la commission organique semblait séduit et convaincu par la tâche de mater les "rebelles" et les inconscients. Son comportement en général plutôt affable s’était transformé depuis juin, il montrait une hargne particulière envers quiconque « haouess yefhem bezaf » (cherche à trop comprendre). Je n’expose pas ici les ressorts sinueux de cette brusque métamorphose.

A la reprise de l’assemblée, encore sous l’effet de l’indignation, je suivais à peine les paroles du nouveau président de séance. Je apercevais sa silhouette dans la posture et les gestes du tribun intraitable qui veut montrer sa poigne à l’assistance pour obtenir sa soumission. Peu après, des mouvements d’humeur dans l’assemblée ont attiré mon attention puis de sourds grondements entrecoupés de cris ont enflé pour se transformer en une large huée de protestation qui a empli la salle. Le « redresseur » avait probablement outrepassé les bornes du respect et les présents lui renvoyaient la monnaie, indépendamment de leurs opinions sur le fond.

Je reconnus à (YY) l’art de l’esquive puis la souplesse de battre en retraite. Car quand il eût changé progressivement de ton et transformé son attitude arrogante en professions de foi rassurantes , le mécontentement alla en décroissant jusqu’à ce que des applaudissements viennent souligner que la leçon donnée par la salle semblait avoir été bien comprise par son destinataire.

L’avait-elle été vraiment ? J’ai su quand nous nous sommes retrouvés pour le bilan, qu’il s’agissait seulement de la part du groupe d’un repli tactique pour noyer le poisson et terminer l’assemblée par des généralités, sans débat réel ni conclusion.
Je me trouvai ainsi le soir face à un groupe aux convictions autoritaires bien arrêtées, qui ne cherchait même pas à s’interroger sur les conséquences de leurs propres comportements auprès des militants.
Préoccupés avant tout de déverser leur bile contre moi, ils me rendaient responsable du désaveu infligé à leurs méthodes. Ils s’étaient habitués à n’aborder les problèmes rencontrés qu’en termes de manipulations, ils étaient persuadés ou feignaient d’y croire, que j’avais moi-même fabriqué la réprobation qui s’était exprimée envers leurs actes. Affirmation plaisante, alors que j’étais étroitement "marqué" dans chacun de mes gestes et déplacements. J’aurais été heureux si j’avais pu entrer en contact avec la base et les cadres comme je l’aurais souhaité. J’en aurais appris beaucoup de choses que je n’ai su que les jours suivants ou des mois plus tard sur certaines des façons dont ils avaient manigancé l’assemblée.

Au cours de cette rencontre houleuse du soir, les leaders de la conspiration politique ne se sont pas avancés directement pour me reprocher mon manque de « solidarité ».
Ils ont mis en avant deux ou trois de leurs auxiliaires, certains pas très au courant de tous les tenants et aboutissants mais attachés à eux par des liens de différentes natures ou par un profil psychologique sur fond de naïveté ou d’horizons limités.
L’un d’eux, (ZZ), se disait peiné et s’étonnait, sur le registre de la plainte et presque larmoyant, que j’aie rompu en public la cohésion du cercle dirigeant, moi qu’il avait connu comme ayant toujours défendu le droit à l’expression démocratique et la transparence dans les rapports militants !
Incroyable mais vrai ! Je suis resté ébahi par cette salade conceptuelle inattendue.
Curieuse conception du respect démocratique des opinions militantes, qui réduisait ce respect à la complaisance et à la complicité envers les coups tordus perpétrés par des cercles dirigeants qui faisaient tout pour étouffer la voix et jusqu’aux pensées des militants.
« Démocratie » à deux vitesses ! Tout permis au "premier collège" des factions dirigeantes, mais bouche cousue, discipline aveugle et contraintes rigides pour les autres, la « piétaille » militante dont le mérite et l’abnégation se mesureraient à leur capacité de soumission sans une plainte.

Je croyais bien connaître (ZZ), ses élans généreux, son abnégation maintes fois prouvée, sa sensibilité humaine et sa curiosité intellectuelle, desservies néanmoins par la quête mécaniste d’absolus idéologiques ou de tutelles symboliques, à l’ombre d’un chef, un "patron", d’un directeur de conscience, d’une personnalité spirituelle ou culturelle faisant autorité. Une subjectivité frisant parfois la candeur et des ressorts intellectuels déroutants qui l’ont exposé maintes fois à des impairs et des déboires dans ses relations militantes ou humaines, dont il a décrit lui même quelques unes avec sincérité.
Mais cette fois, c’était le comble ! Sa "sortie" aux accents pathétique pour regretter ma prise de position m’a surpris, contrairement aux impairs dont il était coutumier le plus souvent en toute bonne foi . J’ai mieux compris à travers sa réaction les conceptions perverties et les dérèglements provoqués dans des milieux théoriquement marxisants mais environnés et débordés par les réflexes et les effluves idéologiques d’un nationalisme petit-bourgeois et les manigances des appareils d’Etat formés à la chasse aux courants démocratiques et sociaux conséquents.
Comme cela se déroula en Russie, la montée réactionnaire et la crise progressiste ont fait émerger des cercles élitistes, les uns sincères mais dévoyés et d’autres parfaitement conscients, qui ont chevauché abstraitement la « perestroïka » pour marier dans les faits la dérégulation économique libérale sauvage avec l’autoritarisme intérieur absolu et la dépendance servile ou consciemment assumée envers l’impérialisme US. N’a-t-on pas connu dans ce grand pays des leaders à la Eltsine, qui après avoir claironné un communisme "pur et dur", ont fini par faire tirer au canon sur le siège de la Douma dont la majorité des députés protestaient contre son ascension dictatoriale et anti-populaire et réclamaient le plein exercice de la souveraineté parlementaire ? Pas étonnant que ses quelques émules algériens, qui l’ont élevé au rang d’idole, ont été parmi les maîtres à penser et les initiateurs les plus conscients de l’entreprise de dislocation du PAGS. Les premiers à se désoler, au cours de Assemblée qui les avait désavoués, que les militants sincères protestent contre les assauts d’une caporalisation venant de l’intérieur après les décennies de caporalisation que le système de parti unique avait fait subir à la nation. Les premiers aussi à considérer la démocratie comme un luxe pour l’Algérie, tout comme le faisaient à l’autre pôle du champ politique ceux qui diabolisaient la démocratie comme "kofr", un acte d’hérésie et d’apostasie.

Paradoxal et surprenant en apparence fut, après cette assemblée, le comportement de (WW) qui joignit ses invectives (ce n’était pas la première fois) aux partisans du libéralisme et des futurs repentis du communisme, alors qu’il défendait avec ferveur et sincérité les vertus du communisme, non sans dogmatisme toutefois, qui dans ses fonctions ira en s’accentuant au fil des années. Il n’y a en fait pas de paradoxe : la vision foncièrement antidémocratique et bureaucratique de la situation traversée par le pays et le parti le mettait en cohérence avec la caution sans faille d’« ancien »( en pointe même dans certaines besognes) que je n’analyse pas ici, qu’il n’avait cessé d’apporter à l’entreprise de déstabilisation du PAGS depuis janvier 90 et qu’il maintiendra pendant deux ans, jusqu’à ce qu’ après la disparition du PAGS en 1992 il constatera les résultats de son alignement, sans pour autant amorcer le moindre signe d’autocritique pour le zèle aveugle qu’il avait déployé dans cette démolition.

Au total, l’assemblée d’août a marqué un tournant. Il restait à en tirer des leçons quant aux perspectives d’un « Congrès » qui s’annonçait sous des auspices fortement antidémocratiques.

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Sur la pente glissante de la désintégration
PAGS, ASSEMBLÉE D’AOÛT 1990 : UN DES DOCUMENTS DIABOLISÉS
Ils avaient tenté en vain de s’exprimer ...
- Sadek Hadjerès – le 20 juillet 2010 – socialgerie article 218 ;

Ce document d’époque est méconnu de la plupart des militants de l’ex-PAGS, comme de nombreux autres documents jusqu’ici mis en ligne sur le site. Sa présentation est instructive et utile pour au moins deux raisons.

Qu’on soit d’accord ou non sur tout ou partie des analyses et opinions avancées, il méritait un large débat et ses thèmes restent actuels en Algérie et dans le monde.

De plus, le contexte trouble de l’époque apporte un éclairage supplémentaire au problème majeur qui allait faire glisser l’Algérie, sa société, ses organisations et ses institutions vers l’abîme que l’on sait : le rejet du débat, des méthodes et des fonctionnements démocratiques.

Cela est illustré dans ce cas particulier par la façon dont furent "punis" (chantages, menaces, calomnies et voies de fait) les six auteurs et signataires du document (liste et copie en bas du texte et en pièce jointe).

En présentant de bonne foi leurs opinions, ils avaient cru en la vertu des échanges constructifs au service des idéaux et valeurs proclamées et défendues par le PAGS depuis sa fondation.

Nombre de ceux qui ont assisté à cette assemblée peuvent se remémorer et témoigner de ce ratage désastreux, marqué entre autres par l’annulation (avant l’ouverture de l’assemblée) du rapport introductif et du plan d’action dont le premier Secrétaire avait été chargé et qu’il avait préparé depuis des semaines.

Les auteurs de ce torpillage, loin d’en tirer les leçons, s’enfonceront au contraire davantage dans un engrenage dont on mesure mieux aujourd’hui les effets ...


SORTIR LE PARTI DE LA CRISE

Chers camarades,
Le Parti est en crise.
Les élections de juin ont montré la faillite des orientations actuelles du Parti.
De plus en plus de camarades se sentent désemparés et se démobilisent.
Le Parti risque de s’effriter. Il ne se manifeste plus, essentiellement, qu’à travers les déclarations et les déclarations et communiqués dont chacun aggrave la crise du Parti.
Cette crise est, à notre avis, la résultante de problèmes d’orientation et de fonctionnement du Parti.
Sur le plan des orientations, les dernières prises de position de la direction du Parti ont créé une situation extrêmement grave non seulement pour le Parti mais pour l’avenir même des idées du socialisme scientifique dans notre pays.

LA DÉCLARATION DU 18 JUIN

La déclaration du 18 juin a consterné le militant et porté un grand préjudice au Parti.

Face à la réalité du résultat des élections, la direction du Parti n’a trouvé d’autre explication que de nier cette réalité, se privant ainsi du même coup des moyens de comprendre cette réalité et d’en tirer, courageusement, les leçons qui s’imposent en ce qui concerne les orientations du Parti.

En proclamant, de manière dérisoire, que les résultats de ces élections « auraient pu être purement et simplement annulées », qu’ils sont encourageants pour notre Parti » et que chaque voix qui s’est portée sur lui « vaut son pesant d’or » (nouvelle conception de la quantité en qualité !), la direction a ainsi remplacé le procès du pouvoir et de sa politique par celui du peuple.

Elle a fait preuve en même temps d’irresponsabilité en pouvant donner ainsi l’impression que nous préférions un coup de force et donc d’aventure, à une issue démocratique à la crise politique actuelle.

En n’ayant d’autre souci que de dénoncer le danger du FIS et de mettre « devant l’Histoire » la nation en garde contre « le malheur »
qu’il pouvait apporter, la direction a voulu ainsi prendre ses responsabilités historiques. Certes, il y a là du courage, comparé à l’attitude d’autres forces politiques. Mais ce courage aurait été plus grand, plus convaincant si le fond du problème n’avait été en même temps esquivé, celui de la responsabilité historique du pouvoir dans la société actuelle et celui de ses propres responsabilités dans l’absence de toute autre issue offerte au peuple.

S’agit-il, en effet, de clamer au peuple que nous sommes les adversaires les plus résolus du FIS, ou bien s’agit-il de lui montrer que nous sommes les défenseurs les plus déterminés de ses intérêts ? Car derrière le danger qui a été ainsi dénoncé, il y en a encore un plus grand, dont le premier n’est que la conséquence, et que la déclaration n’a cessé d’éviter :
c’est celui d’orientations qui n’ont cessé d’éloigner le Parti du peuple et qui expliquent que le peuple s’est éloigné du Parti.

La déclaration du 18 juin n’est que l’aboutissement d’une ligne politique qui est apparue aux yeux des masses comme une ligne de soutien au pouvoir actuel et donc une politique qui a consisté à faire porter à la classe ouvrière et aux masses populaires le fardeau de la crise et à les écraser.

Cette ligne est apparue comme une ligne opportuniste, empruntant des justifications diverses, mais restant en pratique la même à l’égard des gouvernements successifs et bien que le pouvoir ait basculé dans une politique anti-populaire au début des années 80. Si des critiques ont été formulées, elles sont restées dans les faits verbales, et n’ont en tout cas jamais, sur le terrain des luttes concrètes, orienté notre activité politique. C’est ainsi qu’après les massacres d’Octobre, la direction du Parti a décidé de ne pas dire « non » à la candidature de Chadli, donnant comme explication qu’il fallait « préserver la stabilité d’un pays » en dépit d’une réalité qui montrait que c’était précisément à la politique du pôuvoir représentée par Chadli qui était la cause de l’instabilité du pays.

À cette ligne invariable de « soutien critique », la classe ouvrière a opposé la critique de notre soutien au pouvoir.

La tendance à esquiver en permanence cette question politique clé, la question du pouvoir, s’est exprimée dans la tendance à réduire la position de la classe à une position syndicale. La défense , fatalement alors inconséquente des intérêts économiques de la classe ouvrière (pouvoir d’achats, salaires, etc.) a été présentée comme la défense de ses intérêts politiques. La classe ouvrière a été ainsi livrée à l’influence politique et idéologique des autres forces sociales et des forces politiques qui elles posaient la question du pouvoir et proposaient une alternative.

Pourtant déjà à la veille des événements d’Octobre, la situation était caractérisée par la montée des luttes ouvrières, lesquelles stimulaient la lutte de l’ensemble des travailleurs. C’était le signe que la classe ouvrière s’était portée résolument à l’avant-garde de la protestation populaire, qu’elle recherchait une issue à la situation et qu’il était possible que cette issue soit la plus favorable pour le peuple, à condition de faire la jonction avec les luttes ouvrières.

Mais le Parti n’a pas perçu la signification de ces luttes et de la situation. Les orientations qui ont été données ont consisté, après Octobre 88, à interpréter le mouvement de masse comme la source de tensions préjudiciables à « un processus démocratique fragile ». La question centrale de la démocratie a alors été inversée : au lieu de faire de la démocratie un instrument de développement des luttes de masse et donc des luttes de masse un instrument de développement de la démocratie, une démocratie conséquente au profit du peuple, la tendance a prédominé de plus en plus à freiner le mouvement de masse. Le Parti est apparu alors comme une force qui craignait le mouvement populaire, et ceci malgré les efforts de nombreux camarades pour être présents dans les luttes et montrer le danger d’une telle orientation.

Ainsi s’est opéré le passage aux positions du démocratisme bourgeois et la voie s’est trouvée ouverte à la subordination, à la vision et aux intérêts de la bourgeoisie.

Une telle position ne pouvait permettre la jonction avec la classe ouvrière et les couches populaires. Elle ne pouvait permettre que la jonction avec la partie des couches moyennes, la plus proche, pour les …. Culturelles propres à notre pays de l’appareil de l’Etat. C’est effectivement ce qui se passa, encore qu’il faille préciser que d’autres forces politiques telles que le RCD, sont bien plus à même de réaliser « naturellement » cette jonction ou bien, ce qui revient au même, qu’une telle jonction suppose la transformation du contenu de classe du (... ? ...) Parti.

C’est dans la logique interne de ce processus qu’il faut chercher l’explication de l’alliance préférentielle avec le RCD comme une tendance de celui-ci à dominer cette alliance.

Mais avec ce processus, un nouveau pas risquait d’être franchi dans la dégradation des positions de classes et des positions nationales du Parti.

« L’avant-projet de résolution politico-idéologique » de Juin 1990 vient de franchir ce pas.

L’AVANT-PROJET DE RESOLUTION POLITICO-IDÉOLOGIQUE

Cette résolution fait des contradictions internes de la bourgeoisie algérienne, divisée pour les besoins de la démonstration en une fraction « archaïque » et une fraction « moderne », le moteur de l’évolution historique de notre société, comme elle fait, sur le plan international, des contradictions interimpérialistes le moteur de l’évolution du monde actuel. Telle est le fond de cette résolution, qui est présentée comme une « percée idéologique ».

Il a fallu 40 pages de journal, du journal du parti de la classe ouvrière, pour tenter à la fois de justifier cette idée principale et de la camoufler.

Ainsi se trouve nié le rôle de la classe ouvrière et celui des masses dans l’Histoire. La classe ouvrière est conviée à se contenter de jouer le rôle d’une force d’appoint et à se prosterner devant la bourgeoisie qui désormais « assume l’initiative historique ». [15]

Abandonnant le point de vue de classe, les auteurs de la résolution divisent la société en une « société moderne » et une « société réactionnaire », « archaïque », « passéiste », obscurantiste ». Ils déclarent à ce propos que « la contradiction principale ne se situe pas fondamentalement dans la sphère de l’idéologie et de la culture ». Mais ils se contredisent eux-mêmes puisque, par la division qu’ils opèrent, ils situent la source de la contradiction principale justement dans « la sphère de l’idéologie et de la culture ».

Car comment décider de l’appartenance à la « société moderne » ou à la « société réactionnaire » et archaïque » (et quels sont les juges ?) si ce n’est en fonction de critères idéologiques et culturels. Un ouvrier ou un paysan pauvre porteur de l’idéologie « féodale » et « passéiste » serait-il à classer dans la « société moderne » ou dans la « société réactionnaire ». Faut-il les classer suivant leur être social, comme le réclame le matérialisme historique c’est-à-dire suivant leur position de classe, leur place par rapport à la propriété des moyens de production, ou bien suivant leur conscience sociale ?

Donc, si l’on suit le raisonnement de la résolution, des millions de paysans, de jeunes, d’ouvriers aussi, qui ont voté pour le FIS (et qui vivent d’ailleurs souvent dans des villes modernes en travaillant dans des entreprises modernes) seraient à classer dans la « société réactionnaire », puisqu’ils ont montré ainsi qu’ils ne se comporteraient pas en « gens modernes ». Ils feraient donc eux aussi partie de ces forces qui, comme le dit la résolution, œuvrent « sous le poids des préjugés et idéologies passéistes et réactionnaires » à freiner « le progrès et la modernisation de la société ». Nous revoilà sur la déclaration du 18 Juin qui fait le procès du peuple.

Et si l’on continue à suivre ce raisonnement, les paysans liés aux structures « précapitalistes et féodales » (si tant est qu’il reste beaucoup de structures féodales) seraient eux aussi des adversaires puisque la résolution dit que ces structures font partie de la « société réactionnaire » et que la lutte se déroule entre elles et la « société moderne ». Comment expliquer alors que cette masse de paysans qui a fourni le gros des troupes de libération nationale, fait avancer l’Histoire et fait donc acte de modernité ? Ou faudrait-il en conclure que le colonialisme défendait le « société moderne » en combattant ces paysans et en les massacrant. Nous verrons plus loin, à propos de la question nationale, sur quelles conclusions monstrueuses peuvent déboucher de telles erreurs d’analyse.

Ce n’est plus, selon les auteurs de la résolution, les luttes de classe qui seraient le moteur de l’Histoire, mais les luttes à l’intérieur de chaque classe. En effet comme il y a une « bourgeoisie moderne » et une « bourgeoisie archaïque », « réactionnaire », il pourrait y avoir aussi une paysannerie « moderne » et une paysannerie « archaïque » et « réactionnaire », et pourquoi pas une classe ouvrière « moderne » et une classe ouvrière « archaïque » et « réactionnaire » puisqu’il y a bien des ouvriers qui travaillent dans des entreprises artisanales ou archaïques et qu’il y a le semi prolétariat agricole. Ainsi, chacune des classes aurait une partie d’elle dans « la société moderne et de progrès » et une autre dans la société « archaïque » et « réactionnaire ».

Bien qu’ils disent que la contradiction principale n’est ni idéologique, ni culturelle (au fait pourquoi le disent-ils ?), les auteurs de la résolution ont sans cesse recours à des critères idéologiques, culturels, voire moraux pour différencier les forces sociales ; ici « moderne » et réactionnaire », « archaïque », « préjugés » et « idéologies passéistes », là « Front de l’idéologie libérale »(ce qui ne veut rien dire car comment un Front peut-il être celui d’une idéologie) ; là encore jérémiades moralisantes contre la spéculation ; en oubliant ce que disait Lénine, à savoir que « le capitalisme c’est la spéculation ». [16]

Ils sont obligés d’avoir recours à ces critères parce que leur analyse ne peut s’appuyer que sur ces critères. Mais en même temps, ils s’efforcent pas mille subterfuges de cacher leur procédé d’analyse : ainsi les notions de « moderne » et de « progrès », « d’ancien », « d’archaïque » et « réactionnaire », d’ « ignorance » et « d’obscurantisme », sont abusivement assimilées les unes aux autres. L’analyse passe subrepticement de l’une à l’autre comme si elles étaient équivalentes et comme si leur équivalence avait été démontrée.

C’est d’ailleurs là que se trouve le mécanisme intime de l’erreur ou plus exactement ici, de la mystification. Les auteurs de la résolution ont d’évidence lu les classiques du marxisme-léninisme. [17] Ils y ont appris que le développement du capitalisme était un progrès par rapport aux structures précapitalistes et que c’était du populisme et un combat d’arrière garde que de prétendre le contraire. Mais de cette vérité indiscutable ils tirent une conclusion fausse, absurde : il y a une « société moderne et de progrès » qui correspond au développement du capitalisme et il y a une « société réactionnaire » qui correspond aux structures précapitalistes et féodales.

C’est une conclusion absurde parce que :

  • Premièrement il y a des forces réactionnaires dans une « société moderne » et des forces progressistes dans une société même la plus arriérée. Par exemple, le fascisme a été en Europe la dictature sanglante du « dernier cri » du capitalisme moderne, le plus évolué ; le capitalisme financier. Celui-ci n’a pas hésité, par peur des masses populaires, de céder même le pouvoir politique à la petite bourgeoisie la plus réactionnaire, de se servir d’elle pour instaurer cette dictature. [18]
  • Deuxièmement parce qu’elle crée deux formations économiques et sociales dans la même société, qu’elle dresse artificiellement un mur entre elles et qu’elle se prive par là même de partir de la réalité telle qu’elle est, de voir les différentes structures économiques et sociales existantes dans leur combinaison ; leur interaction, leur unité contradictoire, leurs alliances. Bref, c’est oublier ce qui fait le cœur du marxisme, sa dialectique vivante et aboutir à une simplification mécanique de la situation.
  • Troisièmement, parce qu’elle passe de critères économiques (les structures économiques) à des clivages idéologiques et qu’elle utilise ensuite ces clivages comme instrument d’interprétation de la réalité économique.

Tout ce ci n’aurait pas été grave si c’était resté, ce que cela aurait du rester, un simple exercice d’intellectuel. Mais il s’agit de la ligne générale du Parti et des conclusions pratiques, c’est-à-dire politiques, qui sont tirées de cette analyse.

Cédant à l’engouement actuellement général pour la bourgeoisie, les auteurs de la résolution voient une anomalie dans le fait que la bourgeoisie se présente actuellement chez nous sous la forme d’une idéologie passéiste et réactionnaire. Ils y voient une anomalie parce que, dans leur vision culturaliste, ils ont décidé que la bourgeoisie moderne, c’était l’idéologie moderne et le progrès.

Tournant le dos aux faits, à la réalité, comme la prépondérance actuelle du FIS, qui ne serait pas possible sans le soutien de la bourgeoisie, ils inventent une théorie d’une bourgeoisie archaïque et réactionnaire et d’une bourgeoisie moderne qui seraient en lutte sans merci, car autrement tout leur édifice tomberait comme un château de cartes. Et ils substituent alors à l’analyse scientifique de la réalité des arguments moralisants parlant « d’alliance contre nature » entre ces fractions de la bourgeoisie, reprochant à la bourgeoisie moderne de s’être laissé aller à des intérêts de classe « égoïstes » et « étroits » et de ne pas voir où se trouvent vraiment ses intérêts. Ah, s’ils pouvaient faire preuve d’autant de sollicitude pour la classe ouvrière qui est pratiquement absente du texte.

Ils ne comprennent pas qu’il est question chez nous de révolution démocratique nationale mais à l’orée du 21ème siècle, et c’est pourquoi ils lui appliquent les critères de la révolution démocratique des 18 et 19ème siècle en Occident, à l’époque où la bourgeoisie était une force révolutionnaire démocratique bien que, déjà, comme le signalaient Marx et Engels pour l’Allemagne, et plus tard Lénine pour la révolution démocratique russe, elle perdait ce rôle.

Ils ne voient pas que notre bourgeoisie a désormais pris trop de retard :

  • Parce que premièrement, devant elle se trouve l’impérialisme, c’est-à-dire la bourgeoisie occidentale qui l’a largement devancé et que se pose donc à notre société la question nationale de façon différente : non pas seulement en tant que lutte pour la liquidation de la féodalité et l’émergence d’États nationaux dans cette lutte, comme cela s’est passé en Europe, mais en tant surtout que lutte contre la domination extérieure et la construction de l’État national dans cette lutte,
  • et parce que, deuxièmement, derrière notre bourgeoisie se trouve la classe ouvrière, le mouvement populaire qui lui a déjà fait subir des défaites, qui a déjà contesté son hégémonie et dont elle a peur. Ceci la conduit, non pas seulement à trahir l révolution démocratique an s’alliant avec la féodalité (ou ce qu’il en reste chez nous, c’est à dire surtout son idéologie passéiste dans la petite bourgeoisie) mais en s’alliant avec l’impérialisme. La trahison de la révolution démocratique est celle aussi de la révolution nationale.

C’est pourquoi la trahison de la bourgeoisie, sa veulerie face aux nécessités du progrès social, y compris la modernité, prend dans notre pays deux formes qui peuvent être séparées dans leur expression idéologique et politique mais inévitablement convergentes : soit l’idéologie féodalo-religieuse, soit l’idéologie néocoloniale occidentale, en résumé soit le FIS, soit le RCD, avec toutes les nuances de couleur qui peuvent venir du mélange des deux et qui se retrouvent dans la floraison actuellement de petits partis bourgeois.

Cependant, l’idéologie féodalo-religieuse s’avère plus efficace parce qu’elle permet une certaine expression du nationalisme petit bourgeois dans la mesure où elle a, elle, des racines nationales et que la question centrale est la question nationale.

Bien plus, par peur des masses, comme le massacre d’Octobre l’a montré, la bourgeoisie est prête à renoncer au pouvoir politique pour conserver son pouvoir économique et social et pour cela, elle est prêts à laisser la question du pouvoir politique aux représentants les plus réactionnaires de la petite bourgeoisie.

Ce n’est pas par aveuglement, par égoïsme, pour des « intérêts de classe étroits », comme le dit la résolution, que la « bourgeoisie moderne » le fait mais, au contraire, par conscience de ses intérêts, par lucidité, par la force de la situation, par nécessité.

Il suffit de regarder les faits. Le bijoutier qui sert de banque à la bourgeoisie at qui finance le FIS s’aplatit devant le jeune chômeur, responsable dans le FIS. Le nouveau bourgeois qui introduit de façon impitoyable les rapports capitalistes dans l’agriculture et en détruit les structures traditionnelles veille à entretenir son amitié avec le jeune paysan sans terre, responsable local du FIS. Bref, à la droite de Abassi Madani, il y a Belhadj et c’est celui-ci qui enflammera les asses populaires.

De la même manière que la bourgeoisie économiquement montante est obligée d’accepter la dominante politique de la petite bourgeoisie réactionnaire, elle est obligée d’accepter le domination de son idéologie (dont elle vient d’ailleurs de vérifier l’efficacité aux élections municipales).

L’idéologie de retour au passé, à l’âge d’or, va alors servir de couverture à la destruction douloureuse de ce passé. Elle va servir à la fois d’expression de la révolte, du cri de douleur des masses face à cette situation, tout en masquant ses causes véritables. Elle va servir à canaliser cette révolte, à l’orienter vers d’autres objets que la remise en cause de l’hégémonie de la bourgeoisie (les femmes, l’application de la charia), l’empêchant ainsi de devenir révolutionnaire. Le socialisme religieux, féodal va alors servir d’habit à la justification et à la défense des intérêts de la bourgeoisie.

Vue sous cet angle, l’expression des intérêts d’ensemble de la bourgeoisie sous cette forme idéologique n’est plus une anomalie mais elle est la voie la meilleure par laquelle elle pouvait exprimer et défendre ses intérêts dans les conditions particulières de notre pays. Ou plutôt, ça n’est une anomalie que si on considère le développement du capitalisme sous la forme d’un schéma, celui du modèle de développement du capitalisme occidental, qui plus est au 18 et 19ème siècle, et que l’on ne voit pas, qu’à l’orée du 21ème siècle, le pouvoir de la bourgeoisie est devenue précisément une anomalie, que l’on ne voit pas que la forme idéologique que prend l’expression de ses intérêts exprime précisément son essence, à savoir qu’elle est désormais une force profondément réactionnaire. Et elle l’est d’autant plus qu’elle exerce seule son hégémonie, qu’il n’y a aucune force pour la contrebalancer, pour la lui contester (comme précisément ne le fait pas la résolution en lui reconnaissant l’initiative historique) et que la pression (des forces de progrès et de la classe ouvrière ?) est insuffisante.

Voilà ce que ne voit pas la résolution. Et voilà ce qu’il advient lorsqu’on remplace l’analyse de la réalité, l’analyse d’un processus historique réel par des constructions théoriques et lorsqu’on veut remplacer une analyse qui part des faits par (des désirs ?) politiques.

Certes, il y a des contradictions au sein de la bourgeoisie mais ce qu’oublient les auteurs de la résolution qui leur confèrent une importance principale, c’est qu’elles sont secondaires par rapport à l’unité de la bourgeoisie, autrement elle ne serait pas une classe sociale, et que c’est précisément par la domination d’une partie de la bourgeoisie sur l’ensemble de celle-ci que se réalise cette unité dont elle a besoin. Lorsque cette unité n’existe plus, c’est justement l’indic qu’elle n’a plus d’hégémonie, qu’elle subit l’ascendant d’une autre classe, d’une force extérieure à elle et qu’on passe à une révolution qui n’est plus bourgeoise.

Souvenons-nous de la guerre de libération. C’est la pression des masses populaires, c’est le contenu populaire, démocratique de la révolution nationale, qui ont fait que la bourgeoisie n’y a pas eu la prépondérance et que ses penchants néo-coloniaux, réactionnaires ont été en partie neutralisés. Et c’est l’écho de cette première étape de la révolution nationale démocratique qui réveille actuellement les tendances réactionnaires de la bourgeoisie, rétablit même son unité.

L’erreur, ici, des auteurs de la résolution, c’est qu’ils ne voient pas que
les classes n’existent pas en elles-mêmes, que ce qui existe ce sont des rapports entre elles, et que ce sont ces rapports, lesquels sont des rapports de lutte, qui lient les classes entre elles, constituent leur unité et les formes que prend celle-ci à un moment donné, en fonction de la résultante des luttes de classe.

En d’autres termes, c’est la lutte de la classe ouvrière contre la bourgeoisie, le degré de son poids sur la bourgeoisie qui détermine ce qu’est celle-ci, y compris son évolution interne, et ceci aussi bien sur le plan économique que politique. Ainsi, c’est la résistance de la classe ouvrière à l’exploitation, qui a déterminé l’évolution du capitalisme, sa modernité, son développement technologique, etc. et non des qualités intrinsèques à la bourgeoisie, qui elle, n’est orientée que par une seule nécessité historique : la recherche du profit. En ne comprenant pas cela, en idéalisant la « bourgeoisie moderne », les auteurs de la résolution montrent qu’ils ne comprennent pas ce que veut dire que « la lutte des classes est le moteur de l’Histoire ».

C’est donc la lutte de la classe ouvrière qui « modernise » le capitalisme, qui le « démocratise » et qui peut déterminer en Algérie le « capitalisme démocratique » dont parle la résolution, un capitalisme avantageux à la classe ouvrière et aux masses. Autrement dit, le capitalisme démocratique c’est la domination politique de la classe ouvrière et de ses alliés populaires sur la bourgeoisie, c’est la démocratie révolutionnaire, c’est la réalisation sous le contrôle, la direction de la classe ouvrière et de ses alliés des tâches du capitalisme.

Le « capitalisme démocratique » est une contradiction, car le capitalisme c’est la dictature, le contraire de la démocratie. Mais c’est précisément cette contradiction entre la domination politique de la classe ouvrière et de ses alliés pendant la période de la révolution démocratique et le contenu économique et social bourgeois de celle-ci. C’est le capitalisme sans la domination politique de la bourgeoisie ; c’est le capitalisme avec la prédominance politique de la classe ouvrière et des autres classes populaires sur la bourgeoisie et c’est cet objectif que toute notre lutte politique doit viser, qui doit fonder notre ligne et qui détermine la conséquence de la révolution démocratique nationale.

Les auteurs de la résolution ne voient pas cette possibilité, ou plutôt ils sont capables de l’entrevoir (cf. par. 16 de la résolution) mais pour y renoncer en fait aussitôt.

Ils ne voient pas que le capitalisme est le résultat d’un rapport social, principalement entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, que le socialisme est l’inverse de ce rapport social et que la révolution démocratique nationale est un pas vers le socialisme, le pas le plus sûr parce qu’elle commence justement à inverser ce rapport.

LA CONTRADICTION PRINCIPALE ET LA
REVOLUTION DEMOCRATIQUE NATIONALE

Voyons maintenant ces deux questions.

Les auteurs de la résolution ont raison de dire que la contradiction principale est une contradiction interne à notre société. C’est en effet une loi de la dialectique que ce sont les contradictions internes qui jouent le rôle essentiel et que les contradictions externes (par exemple celle qui oppose notre société aux sociétés dominantes) n’agissent qu’à travers le jeu des contradictions internes. En effet c’est le type de réponses apportées aux problèmes nationaux qui ouvrent ou ferment la voie à la domination extérieure.

C’est donc un progrès par rapport aux années 70 où tous les problèmes du pays étaient expliqués, justifiés et donc masqués par « la contradiction principale avec l’impérialisme », laquelle n’était comprise ainsi que sous l’angle d’une contradiction externe, ce qui rendait la propagande anti-impérialiste abstraite, ce qui lassait à juste titre les masses et avait fini dans les années 80 par transformer la lutte contre la domination extérieure en une simple propagande.

Mais là où les auteurs de la résolution se trompent, c’est quand ils ne voient pas que cette contradiction n’est pas interne dans le sens où elle opposerait désormais « une société moderne et réactionnaire » et que la contradiction avec la domination extérieure aurait disparu.

Elle est interne dans la mesure où cette contradiction oppose désormais de plus en plus clairement au sein de la société algérienne les formes démocratiques nationales aux forces anti démocratiques et antinationales, dont les intérêts sont liés à la domination extérieure. Elle est interne dans la mesure où elle oppose de plus en plus clairement des algériens entre eux. Elle est interne dans la mesure où l’aspect interne de cette contradiction s’est développé, apparait de plus en plus clairement, alors qu’il était masqué pendant la période coloniale et n’apparaissait que sous la forme d’une lutte contre des étrangers. Elle est interne enfin parce qu’avec le développement du capitalisme et donc celui des différenciations de classe, le contenu de classe de cette contradiction, son contenu démocratique, son contenu social, s’est désormais développé.

Le développement de ce nouveau contenu devient dès lors une exigence même du développement de la révolution démocratique nationale. Il indique le passage à une nouvelle étape de cette révolution, il l’exige comme condition même de son achèvement.
Il réclame un contenu démocratique, social conséquent de celle-ci, c’est-à-dire la solution des problèmes historiques de la révolution nationale du point de vue des intérêts de l’immense majorité de la population, la classe ouvrière et les masses populaires.

Ce processus historique est le résultat de la dialectique même de la RDN et s’il ne peut se développer, ce qui se développe c’est la réaction à la RDN, c’est l’influence des formes sociales dont les intérêts, dont la prépondérance est menacée par les exigences historique du développement de la RDN moderne.

L’erreur de la résolution c’est d’interpréter ce développement de la contradiction principale comme un changement de la contradiction principale. C’est toujours la même contradiction principale, celle avec la domination extérieure, avec l’impérialisme (autrement cela voudrait dire que la révolution démocratique nationale est achevée, que la question nationale est réglée) mais avec un contenu de classe nouveau.

Ce contenu de classe, ces exigences historiques de la RDN, définissent en même temps les forces historiques motrices de la RDN moderne, les désignent. La classe ouvrière est la classe la plus conséquente sur la question de la démocratie, sur la question nationale, sur la question du progrès social. Elle est donc la seule forme capable de pousser,
sans crainte, le développement de la RDN jusqu’à son terme parce qu’elle vise précisément encore plus loin, au socialisme. Elle doit donc prétendre à diriger la RDN, comprendre qu’elle doit la diriger avec les autres forces populaires, notamment la paysannerie.

Ceci est une exigence objective de la RDN. Que les conditions politiques ne soient pas réunies pour transformer cette exigence en réalité, certes. Mis il ne s’agit pas d’en tirer la conclusion que d’autres forces sociales, et encore moins la bourgeoisie même « moderne » peuvent répondre aux exigences de la RDN et proposer à la classe ouvrière de se subordonner à elles. Ce serait duper la classe ouvrière et perdre sa confiance. Il s’agit au contraire de voir ce qui, dans nos orientations, n’a pas préparé la classe ouvrière à ce rôle et de changer notre orientation.

Ce n’est donc ni la bourgeoisie, ni ses contradictions internes qui peuvent jouer un rôle d’impulsion de la révolution démocratique nationale, ni dans la solution de la question nationale, ni dans celle de la démocratie, lesquelles forment une unité historique, indispensable dans les conditions de notre temps, dans les pays qui doivent faire leur révolution démocratique nationale dans les conditions de la domination étrangère.

La bourgeoisie, si elle a un rôle à jouer, n’y peut jouer qu’un rôle d’appoint, historiquement, à l’orée du 21ème siècle, la classe ouvrière est l’une des forces historiques essentielles de la révolution démocratique et toute notre action doit consister à l’y préparer. Or l’analyse des auteurs de la résolution consiste à la limiter, à la condamner à jouer le rôle d’une force d’appoint et à condamner par là même la révolution démocratique. Ceci est particulièrement clair dans les conclusions politiques de la résolution.

De quelles manières, sur le plan politique, la résolution réduit-elle la classe ouvrière à une force d’appoint ?

1. en éludant sans cesse la question des forces dirigeantes de la RDN, ce qui fait que les références à la RDN restent finalement verbales.

2. En n’ouvrant d’autre perspective, en ne proposant d’autre alternative que le soutien au pouvoir actuel, en faisant du programme du pouvoir le programme du parti à part quelques réserves sur « des aspects particuliers », et en exhortant la classe ouvrière à en faire le sien.

Notons ici, au passage, qu’il y a là un nouveau subterfuge, la question du programme du Parti étant discrètement escamoté ; notons aussi que cette tendance au « suivisme », à faire des programmes des différents gouvernements les nôtres n’est pas nouvelle, bien qu’elle soit infiniment plus grave aujourd’hui.

Ce soutien au pouvoir à travers celui de ses réformes, est même présenté dans la résolution comme « un acte de courage ». Cette sorte de courage ne peut que masquer le manque de fermeté réelle sur la question de la place de la classe ouvrière dans la RDN, la tendance à escamoter son rôle politique et ainsi à la désarmer, à la démoraliser avant même qu’elle ne livre bataille.

Cette tendance a des racines mécanistes ? ou opportunistes ? (le socialisme est conçu comme le produit mécanique des contradictions du capitalisme et les luttes de classes n’ont pour rôle que « d’aiguiser » ces contradictions) et réformistes qu’il serait trop long de développer ici.

Mais elle a aussi pour racine, compte tenu de l’Histoire du Parti, l’idée à première vue juste, et sans cesse reprise, que notre Parti ne peut prétendre à un rôle dirigeant dans l’état de ses forces. Cette idée n’est que l’autre face d’une idée, elle fausse, que notre Parti est celui de la classe ouvrière. Il est en effet clair que notre Parti ne peut prétendre à un rôle dirigeant car avec une telle ligne il ne peut précisément faire fusion avec la classe ouvrière, d’autant plus que la ligne préconisée lui nie en pratique son rôle historique, non pas évidemment dans le socialisme (car cela n’engage en rien) mais dans les tâches révolutionnaires de l’heure, celles de la RDN.

Le problème se trouve alors (inversé ?), l’état des forces du Parti étant assimilé à celui des forces de la classe ouvrière, d’où en permanence l’utilisation, dans la ligne du Parti, de ce thème du « rapport de forces » et le risque de son détournement au service de compromissions successives.

Qu’en aurait-il été si Marx, Engels et Lénine avaient appliqué une telle « réal politik » (comme la qualifiait avec ironie Marx), s’ils n’avaient pas vu derrière l’état des forces organisées de la classe ouvrière les immenses forces potentielles qu’elle recèle et réduit sa stratégie, sa ligne politique générale à ses capacités du moment.

3. La résolution réduit aussi la classe ouvrière à être une force d’appoint en présentant la situation politique sous la forme de cette alternative : ou le FIS ou le pouvoir, ou la bourgeoisie réactionnaire ou la bourgeoisie moderne, car cela revient finalement à cela dans la résolution si on passe sur ses aspects littéraires.

Poser le problème en ces termes revient à terroriser les forces saines du Parti, à pratiquer un chantage sur la classe ouvrière, le même au fond que celui du Pouvoir.

Cela revient en réalité à lui fermer la porte à toute alternative réelle car c’est rendre équivalent la lutte contre la réaction et le soutien au Pouvoir. C’est n’offrir en fait comme perspective aux masses que la réaction puisqu’elles ont déjà jugé la politique du pouvoir, qu’elles sont dans l’opposition à cette politique.

Pour justifier la politique de soutien au pouvoir, la résolution affirme, en dépit du bon sens, que les événements d’Octobre se sont conclus à « l’avantage des forces démocratiques et de progrès ». Et elle précise même qu’après Octobre s’est établi « un rapport de forces favorable (…) allant dans le sens des transformations démocratiques révolutionnaires ».

Notons tout d’abord que la question de l’évolution du rapport de forces politiques dans la société est ainsi éludée et que cela révèle cette tendance persistance » à regarder « vers le haut », vers le pouvoir et d’oublier ce qui se passe « en bas ». Or c’est le rapport de forces politiques dans la société qui détermine finalement celui du Pouvoir.

D’autre part quels sont les faits qui autorisent la résolution à affirmer qu’il y aurait eu un changement favorable du rapport de forces au sein du pouvoir ? Nous parlons ici de faits et non de ces « informations » sur ce qui se passe dans les couloirs du pouvoir et dont sont friands les appa ???????, ???? de ces interprétations sur la « signification politique » du changement ou de la nomination de tel responsable de l’armée, de tel ministre etc… Rien n’est plus aventureux que d’asseoir une politique sur des données aussi fragiles.

Quels sont ces faits ? Quels changements y a-t-il eu dans la réalité du pouvoir ? Chadli s’est-il représenté à la présidence pour faire une autre politique ? Quel miracle se serait-il produit ?

Il n’y a qu’un moyen d’évaluer de façon rigoureusement objective une politique, c’est d’évaluer, d’analyser, de voir les intérêts de quelles classes elle prend en compte, elle renforce, à quelle classe elle profite.

Le pouvoir a-t-il pris une seule mesure en faveur de la classe ouvrière, en dehors de ce que les travailleurs ont pu arracher à partit de grèves ?

Qu’on considère l’ensemble des mesures prises (les mesures réelles pas les déclarations ou les projets) et on verra qu’elles répondent à une logique, celle de répondre aux revendications, aux besoins, aux intérêts, à la pression de la bourgeoisie, comme si c’était la seule classe existante dans la société.

Poser le problème en ces termes, le pouvoir ou le FIS et en conclure qu’il faut soutenir le pouvoir, est en réalité une manière fausse de poser le problème. C’est se priver de réfléchir au lien qu’il y a entre la politique du pouvoir et le développement du FIS et d’interpréter ces deux phénomènes comme ils se présentent dans la réalité, c’est-à-dire dans leur unité.

C’est ne pas voir que ce lien, cette unité n’est que la manifestation politique d’un processus économique et social, celui de la tendance à la subordination du capital d’Etat au capital privé, et celui du passage de larges secteurs de l’Etat à la soumission, aux intérêts de la bourgeoisie dans les deux formes politiques sous laquelle celle-ci se présente, le FIS et « le parti français ».

C’est aliéner la classe ouvrière au pouvoir ou au FIS, et aux deux à la fois, c’est-à-dire à ce qu’il y a de commun à leur politique, une politique au service des possédants et qui donne quelques os à ronger au peuple.

Le vrai problème est que ce n’est pas au peuple à soutenir le pouvoir mais au pouvoir à soutenir le peuple. Il ne faut pas inverser le problème en disant au peuple : « Soutiens le pouvoir pour qu’il agisse pour toi. Soutiens le pouvoir parce qu’il est plein de bonnes intentions pour toi, la preuve, les réformes ; il est trop faible, menacé. Et ainsi tu le renforceras pour ton propre bien ; ou alors est-ce que tu n’as rien compris et tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même et non au pouvoir. »

Car le peuple répondra : « S’il agit pour moi, il aura mon soutien et c’est ainsi qu’il deviendra fort. Mais s’il ne peut agir pour moi c’est qu’il me dupe et je n’ai que faire de ce pouvoir. »

Si la question du soutien au pouvoir se pose, c’est précisément parce que la classe ouvrière, le peuple ne soutient pas le pouvoir. Et il faut donc réfléchir à ce qui dans la politique du pouvoir explique cette position du peuple.

Le vrai problème est que la classe ouvrière (et elle le fait déjà mais instinctivement, spontanément, de façon insuffisamment organisée) doit lutter contre la politique du pouvoir dans la mesure où elle est le terrain sur lequel se développe la réaction, de façon indirecte ou directe.

Le vrai problème c’est que la classe ouvrière doit soutenir ses propres intérêts politiques et sociaux et ceux des masses populaires.

Certes nous ne sommes pas indifférents à la forme que prend le pouvoir, y compris celui de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, démocratique ou dictatorial, et c’est une question d’une grande importance. Mais il faut bien comprendre, car c’est un aspect crucial, que cette forme ne dépend pas du soutien que nous apportons au pouvoir ou à telle ou telle tendance politique de la bourgeoisie, mais au contraire de la lutte déterminée contre la domination politique de la bourgeoisie sur notre société.

La classe ouvrière doit avoir son propre programme, sa propre politique, indépendante du pouvoir actuel et des autres formes politiques. Le programme doit correspondre rigoureusement à la défense de ses intérêts et de ceux des masses, c’est-à-dire à une solution démocratique conséquente des problèmes actuels du pays dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale.

LA QUESTION NATIONALE

Simplifiant et donc défigurant le marxisme, les auteurs de la résolution en arrivent inévitablement à farder la réalité de l’impérialisme. L’impérialisme n’est plus pour eux, comme le soulignait Lénine : « La réaction sur toute la ligne et le renforcement de l’oppression nationale, conséquence du joug de l’oligarchie financière et de l’élimination de la libre concurrence ». [19]

Au contraire, cette vision de l’impérialisme ne peut, selon eux, « à la limite ne se comprendre que dans le cadres de la vulgarisation et de la propagande générale, en particulier dans les moments de forte poussée du mouvement révolutionnaire ou bien lorsque l’impérialisme fait ouvertement bloc contre le pays ».

En clair, cela voudrait dire que l’impérialisme n’est réactionnaire que lorsque le mouvement révolutionnaire se développe et que c’est donc la faute du mouvement révolutionnaire si l’impérialisme est réactionnaire ? Et donc conclusion : le mouvement révolutionnaire doit ménager l’impérialisme pour que celui-ci ne soit pas … l’impérialisme.

Cela peut paraître énorme mais c’est confirmé par la suite de la résolution qui nous explique que « c’est la politique trop bruyante menée dans les années 60 par les pays socialistes en direction des pays nouvellement libérés » qui « a obligé l’impérialisme à relever le défi » ; et que c’est « la radicalisation (des) pays d’orientation socialiste » qui a amené le capitalisme international à apparaître « comme un bloc uni derrière la politique néocolonialiste des puissances ex-colonisatrices (avec son expression féodalo-libérale dans les pays libérés) et de ses intérêts conservateurs et réactionnaires ».

C’est confirmé aussi par ce qui est dit sur la dette extérieure. Là nous avons droit à un cours sur le crédit (cette notion étant d’ailleurs substituée à celle de la dette extérieure) et à des considérations ironiques sur ceux qui ne comprennent pas que « la dette correspond à la stricte logique du développement économique contemporain » et qui ne voient pas « le crédit comme condition révolutionnaire d’une reproduction sans cesse élargie ».

« Stricte logique », certes mais celle comme le faisait remarquer Lénine de « l’exploitation d’un nombre toujours grandissant de nations petites ou faibles par une poignée de nations extrêmement riches et puissantes », et que l’un des traits distinctifs de l’impérialisme qui le font
caractériser par un capitalisme parasitaire ou pourrissant » c’est « la création d’un État rentier », d’un « État usurier », dont la bourgeoisie vit de plus en plus de l’exploitation de ses capitaux et de la « tonte des coupons ». [20]

Et ils choisissent ce moment historique, celui où profitant des difficultés momentanées du socialisme mondial, l’impérialisme montre son vrai visage, « de réaction sur toute la ligne et d’oppression nationale », reprend ses formes les plus archaïques » (pour reprendre le vocabulaire de la résolution), revient à la politique de la canonnière en faisant débarquer les troupes dans le Golfe, au Panama, etc., pour nous présenter cette nouvelle théorie de l’impérialisme.

Heureusement que nous vivons une période d’accélération extraordinaire de l’Histoire et que de telles théories ne peuvent survivre longtemps face à la réalité et que nous ne sommes plus à l’époque où les théories réformistes de la social-démocratie pouvait durablement tromper le mouvement ouvrier.

C’est d’ailleurs sur cette accélération de l’Histoire que la classe ouvrière, le Parti doivent fonder leur optimisme car elle révèle, quels que soient les hauts et les bas de la lutte des peuples, mieux, elle exprime le développement extrêmement rapide des contradictions de l’impérialisme.

L’offensive actuelle de l’impérialisme peut lui donner une apparence de vitalité et c’est ce qui explique d’ailleurs l’apparition, comme toujours dans ces moments, de telles théories.

Mais face à cette offensive, il aurait fallu conclure que la lutte contre l’impérialisme devrait être encore plus déterminée, et que si elle est la conséquence d’un affaiblissement des États socialistes, elle doit désormais s’appuyer encore plus sur l’autre instrument de lutte dont dispose la classe ouvrière et les peuples : le mouvement de masse sous toutes les formes modernes qu’il prend (mouvements nationaux, mouvements contre la dette extérieure, mouvements écologistes, etc.). Or la résolution ne tire pas cette conclusion.

Ses positions sur l’impérialisme ne sont que la conséquence logique de ses positions sur la bourgeoisie et le développement du capitalisme. À propos de telles positions, on pourrait reprendre ce que disait Lénine sur les positions de Kautsky, le chef de la 2ème internationale. Il disait que la position de celui-ci était « plus subtile, mieux masquée » mais qu’elle revenait à « la conciliation avec l’impérialisme et au raisonnement cynique autant que vulgaire (qui) est celui-ci : l’impér’ialisme, c’est le capitalisme contemporain ; le développement du capitalisme est inévitable et progressif ; donc l’impérialisme est « progressif, donc il faut se prosterner
devant lui et chanter ses louanges ». [21]

Sur la question nationale, la résolution n’est précisément qu’un retour aux vieilles thèses de la 2ème internationale, sous une forme un peu nouvelle.

Les « socialistes » d’Algérie disaient en 1920 : « il s’agit de délivrer les colonies des méthodes impérialistes et non de les abandonner ». Les dirigeants de la 2ème internationale développaient en fait la thèse de « la mission civilisatrice du colonialisme » et n’en condamnaient que les méthodes.

La résolution ne dit pas au fond autre chose, même si elle le fait de façon plus voilée, en disant que « le mouvement de libération nationale moderne s’oppose à la colonisation non pas parce qu’elle détruit les structures socio-économiques arriérées et stagnantes et les modes de conscience périmées qui leur correspondent , mais il s’oppose à la colonisation parce qu’elle les détruit par le feu, le fer et le sang (…), et que « ce n’est pas d’excès de modernité et de civilisation ( !) dont est coupable la colonisation française, mais au contraire de leur dramatique insuffisance ».

En clair, la colonisation aurait été bonne si elle n’avait pas employé des méthodes, et si elle avait apporté plus de modernité. Comme si on pouvait séparer le colonialisme de ses méthodes et si elles ne révélaient pas sa nature.

Certes le texte se sent obligé d’ajouter que « par nature » le colonialisme ne pouvait faire accéder l’Algérie à la modernité, mais il n’ajoute ainsi qu’une contradiction de plus à ce qu’il dit. Les longs développements par la suite sur la barbarie du colonialisme sont parfaitement inutiles pour un peuple qui sait ce qu’est le colonialisme et n’arrivent pas à atténuer la thèse ainsi développée, car à vouloir trop prouver on prouve exactement le contraire.

Voici ce que disait en 1922, la Section de Sidi bel Abbes exclue de l’internationale communiste pour ses positions : « (…) les indigènes de l’Afrique du Nord sont composés en majeure partie d’arabes réfractaires à l’évolution économique, sociale, intellectuelle et morale indispensable aux individus pour former un Etat autonome (…) ».

C’est peut-être dur à dire mais la résolution ne dit pas au fond autre chose même si, elle le dit de façon plus élégante avec sa théorie de la « société moderne » et de la « société réactionnaire », archaïque.

Ainsi se trouvent annulés tous les efforts douloureux, difficiles du mouvement de libération nationale, tous les efforts du Parti pour faire du Marxisme une idéologie nationale.

Les autocritiques faites dans le passé, et qui retracent cette lutte permanente pour passer de l’erreur à la vérité se trouvent elles aussi gommées dans la résolution. On les remplace par une discussion dérisoire pour savoir si elles étaient des « demi erreurs » ou des « demi vérités », en oubliant qu’une demi vérité c’est précisément un mensonge.

Cet avant-projet de résolution risque de déshonorer notre Parti. Il doit être retiré.

LES PROBLÈMES DE FONCTIONNEMENT DU PARTI

Sur cette question, point n’est besoin d’entrer dans les détails. Les camarades connaissent la situation. Ils la vivent.

La convocation d’un Congrès n’a cessé d’être reportée depuis 2 ans ; alors qu’il aurait fallu le réunir au plus vite, dès la sortie de la clandestinité, et profiter ainsi, sans perdre de temps, des possibilités offertes par la légalité.

La justification donnée sur la nécessité de bien préparer ce congrès » n’est pas acceptable, surtout pour un Parti qui est l’un des plus anciens d’Algérie. C’est un argument administratif qui considère cette préparation « par le haut », non pas du point de vue des nécessités de la lutte et d’une situation concrète qui rendait urgent ce congrès, mais du point de vue de la préparation des organes de direction à ce congrès.

C’est ne pas voir que le processus de préparation de ce congrès était précisément le meilleur instrument de solution des problèmes idéologiques, politiques et d’organisation du Parti et qu’il n’y en avait pas d’autre.

Au-delà du souci légitime, mais qui n’aurait pas dû être paralysant, de préparer le congrès dans les meilleures conditions, il aurait fallu comprendre qu’à ce moment là, dans les circonstances particulières de la vie du Parti et du Pays, ce congrès ne pouvait attendre, que l’essentiel était qu’il nous rassemble et que c’était le meilleur organe de direction du Parti dont nous disposions pour préparer les camarades aux luttes à partir de leu existence de lutte.

Il aurait fallu voir que quelles que soient les capacités d’une direction, il était impossible dans des tournants historiques pareils, qu’elle assume, à elle seule la responsabilité du Parti, de son orientation, de l’analyse de la situation nationale et internationale. Là est une conception de la responsabilité qui devrait nous différencier des conceptions petites bourgeoises, étroites, à la fois suffisantes et culpabilisantes.

De toute façon, on juge d’une méthode à la pratique, à ses résultats. Il faut donc se demander si le report continuel du congrès a renforcé ou affaibli le Parti, s’il a fait avancer la solution des problèmes du Parti ou s’il a risqué de les faire pourrir, si le congrès qui normalement doit se tenir dans les plus brefs délais, va désormais avoir lieu dans une situation de renforcement ou d’affaiblissement du Parti.

L’ajournement du congrès a prolongé dangereusement les méthodes de cooptation des organes de direction. Le danger de ces méthodes est leur caractère discrétionnaire dans le choix des cadres, dans la définition de qui est « cadre » et qui ne l’est pas, dans les décisions de réunion de cadres.

Cet aspect est atténué en « période normale » quand ne se pose pas les problèmes de fond, d’orientation, mais il se développe et se révèle avec acuité dans les périodes de crise.

La cooptation a contribué à creuser un fossé entre les organes de direction et la base du Parti, à éloigner ceux-ci de celle-là en ne permettant pas l’ajustement de ces organes aux nouvelles exigences de la lutte, telles qu’elles peuvent être communiquées au Parti et représentées par les nouvelles forces qui y arrivent .

Elle a freiné le renouvellement et le rajeunissement des cadres du Parti, dans un pays où l’essentiel de la population est jeune et (elle) a contribué à l’affaiblissement de la sensibilité du Parti aux nouvelles réalités sociales et culturelles du pays. Elle a donc contribué à la stagnation du Parti.

Elle a favorisé la propension à chercher des solutions administratives aux problèmes de fond du Parti, la tendance à situer les problèmes du Parti dans des problèmes « organiques » (problèmes de « structuration », de réunions de cellules, de présences etc…) en inversant ainsi les problèmes et en ne voyant pas que ces problèmes organiques n’étaient que la conséquence des problèmes de fond, avant tout d’orientation des luttes. Bref, elle a été l’un des facteurs du développement des problèmes d’orientation du Parti en une crise des organes de direction et en une crise de confiance à l’égard de ces organes.

À la cooptation, il ne peut y avoir d’autres solutions que l’élection des organes de direction du Parti à tous les niveaux. La question de la cooptation pose dons directement le problème de la démocratie au sein du Parti.

À ce sujet, déjà pendant la clandestinité, il y avait tendance à l’existence d’une conception, à notre avis, erronée du centralisme démocratique. De ces conditions de clandestinité, on tirait la conclusion qu’il fallait veiller au centralisme, au lieu de comprendre qu’il fallait au contraire veiller à la démocratie, au maximum de démocratie possible, puisque le centralisme avait tendance naturellement à se renforcer. En effet, dans l’unité contradictoire entre centralisme et démocratie, c’est la démocratie qui joue le rôle déterminant, moteur, car sans elle pas de maîtrise de la réalité, pas de discipline librement consentie fondée sur la conviction et la conscience, car c’est elle qui fonde la confiance envers les organes de direction et donc leur autorité.

Il est évident que le Parti ne peut défendre la démocratie dans la société s’il ne la défend pas d’abord en son sein.

QUE FAIRE ?

Nos propositions découlent de l’analyse qui vient d’être faite.

L’appel que nous adressons aux camarades est fondé sur les conclusions suivantes :

  1. La situation actuelle ne peut plus durer au risque de l’effondrement du Parti.
  2. La crise a pris une telle acuité que ce qui est en jeu c’est non seulement l’avenir du Parti mais l’avenir même des idées du socialisme scientifique en Algérie.
  3. La direction n’a pu sortir encore le Parti de la crise.
  4. Cette situation exige l’intervention du Parti dans son ensemble, c’est-à-dire de la base du Parti. Il n’y a pas d’autre moyen pour engager un processus de redressement du Parti à la mesure des exigences historiques actuelles. Aujourd’hui l’esprit de Parti se mesure à la conscience de cette situation et de la responsabilité qu’elle entraîne pour chacun de nous.

C’est pourquoi, nous demandons aux camarades d’agir sous toutes les formes (délégations à la direction, pétitions, actions etc.) pour exiger :

  1. Le retrait de la déclaration du 18 juin et de l’avant-projet de résolution politico-idéologique de juillet.
  2. La convocation d’un congrès dans les plus brefs délais et l’annonce immédiate de la date de ce congrès.
  3. Un rapport de la direction sur la situation et les problèmes du Parti.

Chers camarades,

L’articulation qu’il y a entre la crise d’orientation du Parti et sa crise de fonctionnement montre bien qu’il s’agit d’un processus qui ne peut être réduit à des facteurs individuels.

Il s’agit de lutter contre un programme et non contre des individus. S’il s’agit d’être sans complaisance dans la critique, il s’agit aussi de ne jamais oublier que chaque camarade, chaque responsable et chaque militant mérite le respect et l’affection des autres camarades pour son engagement dans le Parti, qui a déterminé sa vie.

Sur la question des erreurs au sein du Parti, nous partons du point de vue qu’elles sont un moment dans la recherche de la vérité et nous savons combien il peut être difficile d’assumer des responsabilités dans la tourmente historique actuelle.

Sur cette question, rien ne peut mieux résumer notre point de vue que ce que disait Lénine :

« Nous ne devons pas dissimuler nos erreurs devant l’ennemi. Celui qui craint pareille chose n’est pas révolutionnaire. Au contraire, si nous déclarons ouvertement aux ouvriers : « oui, nous nous sommes trompés », cela veut dire que nos erreurs ne se reproduiront plus. » (Lénine au 3ème congrès de l’Internationale communiste).

Alger le 28 août 1990

Signataires :
Sadek AISSAT
Akila AOUAMI
Ahmed CHAREF EDDIN
Djamel LABIDI
Abdelatif REBBAH
Mohamed TINE

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GRAND ENTRETIEN :

Realisé avec Sadek HADJERES par Arezki Metref

(Paru dans Le soir d’Algérie

Vendredi 1er et samedi 2 juin 2007

pages 5 à 10)


courte notice biographique


1. ÊTRE COMMUNISTE ALGÉRIEN AUJOURD’HUI


2. LA PÉRIODE DU PARTI UNIQUE OU LA (RE) - NAISSANCE PARADOXALE.


3. LES ANNÉES CHADLI, DEBUT DE LA FIN ?


4. LE DEVENIR DU MOUVEMENT COMMUNISTE APRES 1990


5. RESTER COMMUNISTE AUJOURD’HUI


Pour lire l’article, cliquer sur le lien (…)

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GAUCHES ALGERIENNES EN QUETE D’IDENTITE

ISLAM, MODERNITE, LUTTE DES CLASSES en ALGERIE

ECHANGES AUTOUR DE LA CRISE du PAGS, par Sadek Hadjerès

Le 24 septembre dernier, Sadek Hadjerès a adressé à la "Fédération d’Oran du MDS" le document ci-dessous. Il fait écho (en posant deux questions) à un communiqué de la même Fédération, qui lui avait été adressé le 2 août précédent, pour le quatrième anniversaire de la disparition de son leader Hachemi Cherif. L’avis de Sadek Hadjerès aborde des questions de fond qui préoccupent les milieux progressistes soucieux d’œuvrer à une relance sérieuse des processus démocratiques et sociaux dans une Algérie sinistrée par les méfaits conjugués des hégémonismes locaux et du néolibéralisme international.

Au centre des échanges, un thème majeur selon l’auteur : la culture du débat sérieux et démocratique, sera-t-elle réhabilitée pour tirer des enseignements essentiels à l’échelle nationale et mondiale ? Et un fil conducteur : l’unité d’action autour des problèmes concrets posés par le vécu social, politique et culturel de,l’Algérie profonde, par delà la diversité des horizons idéologiques progressistes.

__________________


Aux amis de la Fédération MDS d’Oran, pour les documents que vous m’avez adressés cet été. […]

1. Je vous remercie tout d’abord d’avoir annoncé le site www.socialgerie.net...

2. Concernant les conférences débats pour lesquelles vous sollicitez des participations...je crois surtout que de petits comptes-rendus des exposés et débats ... pourraient inciter davantage aux participations, à partir des points nodaux qui auraient émergé des débats précédents...

3.
[…] Votre document du 2 août dernier (4ème anniversaire de la disparition d’El Hachemi Chérif) m’a inspiré deux sortes de réflexions et, par voie de conséquence, deux questions que je vous adresse, en souhaitant des éclaircissements.

Auparavant, je voudrais que vous compreniez la signification et le ton direct de mon intervention auprès de vous...

Croyez bien que mon intention n’est pas d’attiser de stériles joutes polémiques. Il s’agit pour moi, en espérant que vous partagez ce souci, de contribuer à ouvrir un peu plus l’effort de construction des alternatives par tous ceux dont l’engagement politique ou intellectuel est sincère.

J’ai en vue des évaluations de fond à deux niveaux complémentaires.

L’un est celui des partisans d’une « utopie » socialiste qui ne soit pas un rêve creux mais l’horizon mobilisateur des luttes concrètes immédiates.

L’autre concerne tous ceux qui sans viser forcément un tel horizon, cherchent de tout cœur à assurer dans des délais plus proches à notre pays une sortie du cauchemar, une convalescence plus favorables à des solutions de transition acceptables pour la majorité de la nation.

Donner la prééminence aux problèmes de fond

La première de mes réactions à la lecture de votre document a été une surprise, plutôt agréable, un sentiment de satisfaction pour l’esprit démocratique et d’engagement militant qui m’a semblé s’en dégager. Pourquoi ? Le texte m’a paru se démarquer d’autres documents émanant en avalanche de différents groupes revendiquant chacun pour lui-même et de façon très polémique (le mot est trop faible) le monopole de la représentativité au sein du MDS et l’héritage de son leader.

Habituellement, le premier coup d’œil ne m’incite pas à aller plus loin dans la lecture. Les premières phrases m’amènent au même constat. La plupart de ces textes n’arrivent pas à se dégager d’un piège originel. Ils s’y enfoncent et tournent en rond dans les préoccupations étroites de pouvoir. Etroites à mes yeux, c’est à dire centrées sur quelle personne ou quelle équipe devrait être l’héritier le plus légitime de ce qui reste des groupes revendiquant une étiquette « moderniste », issus des morcellements et fractures successives survenues ou provoquées dans le grand corps du PAGS à partir du début des années 90.

Non pas que les enjeux de pouvoir ne seraient pas une partie constituante et naturelle de la vie politique et de ses luttes. Pour les forces progressistes, ces enjeux sont à prendre en considération à leur juste poids, dans la mesure où ils sont bien articulés aux problèmes de fond. C’est-à-dire, s’ils sont subordonnés et au service des intérêts nationaux et de classe légitimes, sous-jacents aux contradictions de la scène politique.

Le désastre (pour les courants progressistes) survient lorsque, sur la scène politique comme au sein des partis, ces problèmes de fond sont enfermés, stérilisés et dévoyés par les querelles opaques de prééminences. Les conflits de prérogatives personnelles ou de groupes d’intérêt l’emportent alors. Tout se passe comme si ce qui était en jeu était la « carrière » politique d’un homme ou d’une équipe et non pas le sort, les aspirations concrètes et le vécu de la société. Comme si le besoin fondamental de la nation était encore celui des temps révolus (déjà abusifs en leur époque) des Zaïms, des chefs de guerre ou têtes de file de factions tribales, régionales, identitaires et même partisanes. À quoi s’ajoute évidemment, pour compliquer et aggraver les choses, le fait que ces affrontements sont instrumentés par des forces et des intérêts extérieurs aux courants qui s’affrontent dans ces querelles.

Ces pratiques, et l’état d’esprit qui les sous-tend, expliquent dans une grande mesure les déceptions, la grande désaffection envers la sphère politique, devenue massivement politicienne. Cette désaffection a atteint y compris les mouvements et formations à vocation démocratique proclamée.

Je ne vous apprends rien en soulignant que notre peuple en est excédé, il n’en éprouve aucun besoin malgré les tentatives faites pour l’y embarquer. Dans plusieurs de ses composantes, il aspire de plus en plus à être non pas l’objet de projets conçus « pour son bien » et par-dessus sa tête, mais à faire entendre sa voix, se reconnaître dans les acteurs politiques, être le sujet de sa propre Histoire.

Il a besoin de projets socialement et politiquement libérateurs, intériorisés et crédibilisés par son expérience acquise. Des projets qu’il ressent comme les siens, au service desquels s’engagent en actes et indépendamment des jeux politiciens, des centaines de cadres connus à ce jour et surtout encore inconnus, en lesquels se retrouvent, dans le feu de l’action et sur la durée, les travailleurs, les jeunes, les intellectuels, les hommes et femmes venus d’horizons culturels divers, arabo-islamique, amazigh et universaliste.

Seul un processus de ce genre peut fonder une vraie politique de cadres, et non les combinaisons et compétitions d’états-majors pour se partager, « ici et maintenant », ce qui fut lui-même l’accumulation d’un long processus historique. Un parti, s’il est représentatif de courants et aspirations sociales authentiques, ne naît pas déjà avec les moustaches en bataille comme les bébés éprouvettes des laboratoires et officines bien connues. L’émergence de militants et de cadres est l’émanation de longues et profondes maturations sur les terrains social et culturel et non le résultat de décisions et d’agencements par le haut qui ignoreraient ce processus.

L’histoire du PCA et du PAGS l’a bien confirmé, dans leurs avancées comme dans leurs reculs.

Partant des intérêts de l’ensemble des forces de progrès, je me suis réjoui évidemment que votre texte du 2 août dernier, dans le cadre limité des polémiques internes au MDS, m’ait paru exprimer le besoin de distanciation envers ces pratiques étroites, avec le souci de mettre davantage l’accent sur les problèmes de fond. Je ne suis pas surpris que ce souci ait suscité des réactions qui l’ont vilipendé et assimilé à de vulgaires manœuvres d’appareils, ce qui en dit long sur l’enracinement de ce genre d’optique.

Cela dit, quand on donne la prééminence aux questions de fond, celles de la société algérienne et de la scène mondiale, les exigences deviennent plus grandes dans l’approche des problèmes d’orientation. Pour être fécondes, ces approches ont à se prémunir des aprioris, des approximations et des préjugés. D’où le besoin requis d’un effort plus grand à s’en tenir aux faits avérés , à ne pas leur substituer les abstractions, les généralités, les rumeurs, les procès d’intention et les jugements de valeur. Sans quoi, les efforts vers des approches de fond sont facilement entachés et biaisés, même involontairement, par les effets pervers des appartenances partisanes ou des divergences autour des problèmes de conjoncture politique.


Clarification sur deux questions :

Cette préoccupation, que j’espère partagée, explique ma deuxième réaction, de surprise aussi, mais moins positive, quant à certains contenus de votre document. Elle nécessite au moins clarifications dans la sérénité. Je l’exprime en deux interrogations, deux questions que je vous pose sur ces contenus.

Il va sans dire, mais c’est mieux de le préciser, que mes points de vue sur le fond, comme citoyen et militant, m’interdisent tout esprit d’ingérence. Depuis le 1er novembre 90, avant le Congrès du PAGS, ma décision irrévocable de sauvegarder mon autonomie de pensée, au service d’un idéal toujours vivace, n’a besoin d’aucune implication organique partisane. J’ajoute aussi que ma démarche fait effort pour s’interdire les réactions de caractère subjectif, y compris lorsque ma démarche se fait critique envers certaines positions défendues à l’époque par feu Hachemi Cherif. Nos relations personnelles sont restées correctes y compris après 1990 et lors de sa maladie. J’aurais à ce propos souhaité que vous me précisiez si mon message lors de son décès, où j’exprimais mes sentiments envers le camarade "Mustapha" de nos années clandestines, a été diffusé. Je n’en ai pas eu d’écho. Je tiens à souligner que nos divergences politiques ne sont pas des « querelles de chefs » mais des problèmes qui dépassent de loin nos personnes, leur solution ne dépend pas de l’état des relations entre individus.


Ma première question est la suivante. Vous écrivez que des pressions de « camarades haut placés » (ndlr : dans ce contexte, la phrase ne pouvait concerner que le premier Secrétaire) s’étaient exercées pour convaincre que « "le PAGS pouvait enseigner l’économie au FIS qui, lui, lui apprendrait la religion"…

Quand, où, dans quelles circonstances, cette phrase ou cette orientation, ont-elles été écrites ou prononcées, alors que vous les mettez entre guillemets comme gage d’authenticité ? Je regrette qu’en cette occurrence, vous n’ayez été plus prudents quant à la véracité des énormités ainsi colportées.

Je sais que bien des montages grossiers ont été utilisés à une époque où, pour des cercles parfaitement identifiés, il s’agissait - et là je n’invente pas les expressions - de « brûler » le premier Secrétaire (na’hargouh), de le « détruire » (n’kassrouh), pour faire passer leur plan précis. Il leur fallait empêcher le premier Secrétaire (et par là aussi tous ceux qui partageaient ses points de vue ou étaient prêts à les écouter dans de larges débats) de faire connaître et mettre en discussion sa stratégie de mobilisation autonome du PAGS et des courants progressistes. Ces analyses visaient à mettre en échec quand il en était encore temps, la subversion antidémocratique et violente des ailes intégristes et paramilitaires de la direction et des cadres du FIS. La subversion s’était nourrie à des sources et des causes profondes, algériennes et étrangères, il fallait les analyser soigneusement en faisant participer largement à cet effort, sans pressions ni subterfuges, tous les niveaux et forces militantes de terrain.

A défaut de faire connaître et discuter par les cadres et la base militante mon point de vue et les documents qui l’exprimaient, on a bloqué systématiquement et de diverses façons, par les canaux d’appareils ou de façon informelle, la diffusion de ces opinions. On a freiné et brisé pour cela la mise en place du fonctionnement démocratique des instances du PAGS qui faisait ses premiers pas dans la légalité. On leur a substitué, dans un climat de passion volontairement exacerbé, des rumeurs malveillantes multiples, diversifiées et absolument sans fondement.

Celle que vous citez, par rapport aux autres, vaut son « pesant d’or », pour reprendre une formule affectionnée par l’acteur principal du stratagème. Non seulement le ragot contredit ou déforme grossièrement toutes mes déclarations publiques ou privées en matière de religion, mais il brille en soi par sa débilité, que je qualifierai, en pesant l’expression, de double ânerie. Dans tous les cas, deux criantes invraisemblances :

- Première invraisemblance : quel communiste aurait l’ingénuité de penser que des fondamentalistes anticommunistes, dont nombre d’entre eux sont des analphabètes en matière d’exégèse et de théologie, pourraient donner des leçons de religion à nos remarquables connaisseurs communistes de l’islam, tels que ceux qui ont animé les journées d’étude de février 1990 pour la tenue desquelles j’avais beaucoup insisté ? Ou encore ceux qui ont largement inspiré l’approche marxiste de la religion que j’ai opposée avec un réel impact aux contradicteurs islamistes lors de ma prestation télévisée du 6 mars 1990 ?

Par ailleurs, quelle serait l’insondable ingénuité de communistes qui croiraient à l’efficacité de « leçons d’économie » données à des dirigeants ou activistes islamistes dont le credo hautement déclaré sous couvert religieux était et reste celui du libéralisme dans ses formes les plus débridées comme dans ses formes plus camouflées ?

- Deuxième invraisemblance : le chef d’œuvre d’ineptie attribuée aux autres, telle qu’exprimée dans la phrase entre guillemets, ne pouvait surgir que d’esprits formatés au mode de pensée bureaucratique, manœuvrier et manipulateur en matière de travail idéologique. Une mentalité qui voudrait tout faire passer « par le haut », par-dessus la tête des sociétés, une mentalité d’appareils, étrangère à la conception marxiste que je partage, quant à la façon dont se forment les opinions et les courants de pensée, fruits d’interactions multiples sur la durée, en fonction des luttes et des expériences qui jalonnent le travail des sociétés sur elles-mêmes.

Quel triste communiste j’aurais été si, après 50 ans d’une expérience sociale et idéologique substantielle aux Scouts Musulmans et aux medersas libres, au PPA, à l’AEMAN, au PCA et au PAGS, j’avais réduit ce processus complexe d’évolutions sociopolitiques qui m’était devenu familier, à de vulgaires calculs, tractations et négociations, du genre donnant-donnant, entre notre parti et des formations islamistes ouvertement hostiles, hors du tourbillon vivant des luttes et des bouillonnements sociaux et culturels à la base, générateurs des prises de conscience chez les travailleurs, les intellectuels et les couches exploitées ! Mon opinion avait de sérieux répondants à la base et parmi les intellectuels du parti, mais on a tout simplement fait avorter un débat qui s’annonçait prometteur, y compris à travers les contradictions. Je garde un souvenir ému de tous ceux aujourd’hui disparus(je ne cite pas ceux qui sont toujours parmi nous) qui partageaient ce point de vue basique quant à la formation et l’évolution des représentations dans les sociétés islamiques, comme M’hammed Djellid et Abdelkader Alloula, le regretté Rabah Guenzet avec qui j’avais de longues discussions hebdomadaires, ou encore Sadek Aïssat qui a exprimé à plusieurs reprises par écrit son point de vue.

Pour tout dire, j’aurais été plongé dans le plus grand étonnement en constatant l’impact d’une ineptie ainsi colportée sans aucun esprit critique, s’il n’y avait à cela une explication à son origine : les manipulations familières aux auteurs de coups tordus, à l’échelle géopolitique planétaire ou à des échelles socio-politiques plus réduites.

Que de couleuvres, je dirai des boas, on a fait avaler pas seulement à des peuples entiers mal informés et vulnérables aux thèses simplistes, mais aussi à des esprits sérieux, n’ayant pas eux mêmes à priori de raisons de s’associer à des entreprises d’intox.

Des dizaines de milliers de patriotes sincères ont cru des années entières à la fable sinistre de « Abbane tombé au champ d’honneur », diffusée par El Moudjahid, organe officiel du FLN du temps de guerre. Aucun texte officiel n’a jusqu’à ce jour rétabli la vérité sur son assassinat. Dans le monde, des millions parmi les partisans sincères de la paix ont cru durant des décennies à la « trahison » des époux Rosenberg, envoyés à la chaise électrique par le système Mac Carthyste aux USA pour soi-disant espionnage atomique envers l’URSS, mensonge énorme qui a été reconnu seulement ces dernières années par ses auteurs. Des dizaines de millions dans le monde et même dans les pays arabes ont d’abord mordu à la thèse des armes de destruction massive aux mains de Saddam et de sa « quatrième armée du monde ». Ce n’est pas pour rien aujourd’hui que même aux USA grandit la revendication d’une commission d’enquête sérieuse sur l’effondrement des « Tours jumelles » de New York et autres évènements super-médiatisés du 11 septembre 2001, dont on connaît les suites jusqu’à nos jours.

L’Histoire du mouvement national et social de libération algérien, n’est-elle pas elle même en attente et en grand besoin d’une ou plusieurs commissions d’investigations historiques impartiales, travaillant sur le mode scientifique ?

Le procédé mis en œuvre au sein du PAGS en 1990 n’avait rien d’original. Il est conforme aux mécanismes bien décrits de la « stratégie du choc », stratégie par nature bassement provocatrice et policière, qualifiée pompeusement de complot « scientifique » par des sous-fifres vantards. Partout, ses inspirateurs occultes exploitent les moments de désarroi massif des populations ou de milieux plus restreints politisés. Ce sont des moments où les manipulateurs escomptent que plus les mystifications sont grossières, plus elles ont des chances de passer parce qu’elles comblent les vides, la paralysie temporaire des esprits et leurs difficultés à accéder à une compréhension rapide et profonde de ce qui se passe.

Sans cette anesthésie temporaire, touchant à la tétanisation d’esprits habituellement plus avisés, sans leur sentiment d’impuissance devant l’énormité et la brusquerie de l’évènement (favorisée aussi par une insuffisance de préparation politique et idéologique), comment expliquer que des personnes douées de raison et en majorité désintéressées, aient pu dans la conjoncture du tournant national et international de 1990, propice aux déstabilisations, croire à une conception aussi caricaturale de la politique marxiste dans le domaine religieux ? Et l’attribuer par-dessus le marché à quelqu’un qui toute sa vie en a connu les écueils et la complexité ?

Le parti avait acquis durant des décennies une longue expérience des pressions idéologiques et physiques hostiles et acharnées de la part des colonialistes, des hégémonismes nationalistes et islamistes. Il avait accumulé et à sa disposition un arsenal vérifié d’orientations à la fois offensives et imprégnées du substrat culturel national. Dans la période la plus récente du retour à la légalité en 1989 et pendant la montée en flèche de la contestation islamiste favorisée par des calculs de certains milieux du pouvoir, ces orientations, qui restaient encore plus appropriées à la situation nouvelle, avaient l’approbation explicite de l’exécutif et particulièrement d’El Hachemi.

Il faut dire que cette période fut celle de riches échanges, une atmosphère de liberté et d’ouverture d’esprit qui était à l’unisson des espoirs algériens d’après Octobre 88. Cela n’a pas réjoui certains milieux dans le parti et hors du parti, que leur formation manigancière ou des intérêts inavoués portaient plutôt à forcer et dicter des prises de positions, plutôt qu’à encourager l’expression des opinions en vue de faire mûrir des décisions collectives.

Les falsifications systématiques de mes points de vue ont commencé à partir de ce fameux « gap » (écart) de juin 1990, lorsque d’aucuns, sous pression d’une stratégie concoctée hors du parti par une fraction du pouvoir d’Etat, ont brusquement exigé, en s’entourant d’une mise en scène suspecte (voir mon entretien avec Arezki Metref au Soir d’Algérie de 2007), que le PAGS revendique l’annulation immédiate des élections municipales auxquelles ces mêmes milieux avaient appelé jusque là avec une ferveur insolite.

Il m’était clair que les inspirateurs de la manœuvre voulaient faire du PAGS le cobaye, le ballon d’essai d’une épreuve qu’ils n’osaient pas engager eux-mêmes et qu’ils ont du reste abandonnée rapidement sous cette forme, non sans avoir provoqué les premiers remous qui ont fragilisé les rangs du PAGS. Dès ce moment, les promoteurs de la manoeuvre n’ont pas pardonné au premier Secrétaire, pas seulement de l’avoir fait échouer en ne la cautionnant pas, mais surtout d’avoir appelé à sauvegarder l’unité d’action par le débat, par l’écoute des instances régionales et de base qui avaient vivement réagi. L’un d’entre eux a même théorisé l’idée que l’exacerbation des conflits internes (qu’ils faisaient tout pour envenimer) était au niveau du parti la meilleure façon de le renforcer et l’assainir et au niveau du pays le meilleur moyen de le sauver.

Leur première manœuvre ayant échoué, les futurs protagonistes du FAM sont passés presque aussitôt à la vitesse supérieure, pour excommunier en paroles et en actes toute action sociale, politique et idéologique autonomes, qualifiées avec hargne de « diversion » à la lutte anti-intégriste. A les croire, cette dernière devait se résumer exclusivement à l’appui sans réserve aux orientations administratives et sécuritaires des appareils dominants du pouvoir, dont on avait connu tout au long de notre histoire le caractère manœuvrier et sans scrupule !

Les promoteurs de cette reculade de fond aux allures faussement offensives et ceux qui de bonne foi s’y sont laissé prendre parmi les « modernistes » comme parmi les « archaïsants », étaient loin comme on le voit, de la « double rupture » prônée des années plus tard, quand les victimes de cette voie aventureuse et piégée sont devenus « jetables », isolés de toutes parts. Ils avaient en effet coupé le parti de sa large base sociale et laborieuse, réelle ou potentielle, la plus fiable. Elle avait été abandonnée en un moment crucial à la démagogie populiste des courants islamistes antidémocratiques. Dans le même temps, cette erreur stratégique était doublée d’une insigne maladresse envers les sentiments profonds de la société. Aux yeux du plus grand nombre, le PAGS en ces graves moments, a prêté le flanc à l’image décevante et imméritée de « supplétif » du pouvoir et d’ennemi de la foi islamique.

Résumons :

  1. Des divergences sur l’appréciation de la conjoncture pouvaient à l’époque expliquer en partie et sans en aucune façon les excuser, des méthodes injustifiables visant à disqualifier un camarade, qu’il soit dirigeant ou pas, mais surtout à briser sans scrupule et par myopie hégémoniste, un instrument de luttes unitaires forgé au prix de décennies de sacrifices et d’héroïsmes individuels et collectifs.
  1. Ces mêmes arguments et procédés sont-ils de mise encore aujourd’hui, quand on veut alimenter un vrai débat sur les rôles convergents et de mobilisation qui incombent aux forces de progrès dans la conjoncture actuelle ?

J’en arrive ainsi à ma deuxième question.

Elle touche aux bilans que les forces de progrès devraient établir ensemble ou séparément, plutôt que de s’enliser dans les diatribes que vous déplorez et qui affectent en particulier les espaces internes du MDS.

Dans ce qui suit, je ne développerai pas ce thème autant que ce serait souhaitable. Je voudrais surtout signaler l’importance de quelques points nodaux, à propos de l’inventaire politico-idéologique que vous abordez de façon allusive, mais qui mérite de devenir plus concret.

Vous indiquez, en vous adressant symboliquement à feu Hachemi Cherif :

« ….dans les "souterrains de la liberté" du Parti de l’Avant-garde Socialiste défenseur des opprimés dans le processus d’alors d’édification nationale et que tu as grandement contribué à en préserver l’essentiel après sa légalisation, en te battant pour en adapter la ligne aux réalités nouvelles (souligné par moi) résultant surtout de la chute du Mur de Berlin et de la déferlante intégriste que subissait (et ne s’en remet pas encore) notre pays ; et ce, au prix d’un effort théorique inlassable pour comprendre la réalité concrète et d’une action ... »

Il serait temps en effet de faire avancer la question normale et controversée que je vous pose :

quel est, de façon très concrète, cet ESSENTIEL qui aurait été préservé à travers le PAGS de 1991 (après-Congrès) puis le Tahaddi-MDS. Et quelles sont les adaptations de cet ESSENTIEL qui se sont avérées (ou non) justifiées par les réalités nouvelles ?

Nouvelles, ces réalités ?

Selon moi, si on veut être plus précis, qu’est ce qui a changé ? C’est le contexte évènementiel et le rapport des forces qui avaient changé en 1990 pour un temps encore indéterminé, de façon surprenante, dramatique et spectaculaire. Ce qui n’avait pas changé, c’était la réalité du « Système-Monde » et la nature fondamentale de l’affrontement à l’échelle planétaire.

De ce point de vue, pas de changement quand on considère les évènements DANS LEUR ESSENCE, quelles que soient les formes tragiques et les reculs qu’ont imprimés à ce grave tournant les forces impérialistes et réactionnaires. Il ne s’agit pas de sous-estimer l’importance de cette évolution pour les générations qui la vivent douloureusement depuis vingt ans. Mais il faut en apprécier la portée à l’échelle historique, celle des décennies en cours et du mouvement global qui continue de se dessiner, à la lumière crue du nouvel épisode de la crise capitaliste mondiale. La réalité de cette trame historique des temps longs ne peut être masquée ni par les défaillances et limites survenues dans les premières mises en œuvre d’alternatives socialistes, ni par les situations calamiteuses engendrées dans le « Tiers Monde » avec les échecs et dérives bien connues des mouvements nationalistes de libération.

Fondamentalement, le système capitaliste, impérialiste, (et ses sous-produits et alliés directs ou indirects) n’ont évolué que dans leur degré de virulence, leurs capacités de se survivre et mettre à jour leurs méthodes par la violence armée, la rapacité accrue de leurs leviers économico-financiers et les machinations de leurs services en vue de diviser et dévoyer les résistances. Fondamentalement, ils n’ont pas changé dans leur nature , ils l’ont confirmée pleinement. L’actualité fait redécouvrir à bien des milieux jadis fermés ou sceptiques, la pertinence se vérifiant encore aujourd’hui, des analyses de Marx, la nécessité non de les jeter aux oubliettes mais d’œuvrer dans l’action et la pensée à leur développement créatif.

Au plan fondamental, la question qui fut posée par la « chute du mur de Berlin » et la flambée des intégrismes est la suivante : ces évènements nous appellent-ils à de nouvelles formes de résistance et de rejet du système capitaliste, encore plus claires, plus fermes et cohérentes, ou bien nous appellent-ils à nous « couler » en ce système, aux deux sens du terme « couler » ?

Ceux qui chez nous ont cherché et continuent le plus ouvertement à s’y couler, sont des pôles politiques et de pouvoir qui se prétendent opposés dans la compétition pour le pouvoir d’Etat, tout en recherchant et réalisant des compromis entre eux. Les uns et les autres n’ont, comme horizon et feuille de route, que de faire plier les Algériens sous le joug de leurs variantes respectives de capitalisme. Pour nous rallier à leurs propres versions du capitalisme, les uns voudraient, idéologiquement parlant, que nous chaussions leurs bottes et les autres que nous nous coiffions de leurs turbans.

Cela voudrait-il dire que, tant que le système capitaliste continue à dominer à l’échelle mondiale, avec ses ramifications et ses sources de superprofits dans le monde arabe et en Algérie, nous pourrions rester indifférents au poids et aux agissements respectifs des courants hégémonistes, présents dans le pouvoir d’État ou qui aspirent à s’en emparer ?

Non bien sûr. Mais pour les travailleurs, les couches populaires, les syndicats, les forces qui aspirent aux libertés et à l’égalité, bien au-delà des seuls communistes ou socialistes, il y a une AUTRE VOIE que le choix de la sauce à laquelle ils continueront à être mangés, exploités, opprimés, selon que pèse davantage l’un ou l’autre des groupes dominants dans notre pays et dans le monde.

Il s’agit d’un choix et d’une voie AUTONOMES, portant à la fois sur l’avenir et le présent. Ainsi les communistes, dont la perspective reste l’instauration d’un vrai système socialiste, préconisent dans l’immédiat de défendre pied à pied et dans l’union la plus large les libertés et les droits sociaux contre la malfaisance exacerbée du capitalisme sous-développé et dépendant de notre pays. Dans le même temps, les luttes engagées dans ce court terme sont de nature à aiguiller et forger la conscience sociale et politique vers l’avènement d’un système socialiste fondamentalement plus équitable.

Cela demande évidemment de la part des courants les plus conscients de cette exigence double du présent et de l’avenir, une forte et lucide conviction en faveur de la voie autonome. Une conviction capable de déjouer autant les obstacles répressifs que les pièges de la séduction et des divisions. La voie autonome est moins aisée que celle du défaitisme et des compromissions, empruntée par nombre de représentants de la social-démocratie internationale ou des nationalismes dévalués et refroidis. Ces derniers, à la traîne des faux-prophètes à la Fukuyama, ont voulu faire voir dans la « chute du mur de Berlin » non pas des leçons à tirer, mais une preuve de la vanité de toute perspective socialiste radicale, selon eux devenue brusquement archaïque et dépassée. Quant aux besoins pressants et incontournables des populations dans l’actualité, ces représentants sombrent aussi dans la complicité active ou passive envers les exploiteurs dès qu’il s’agit de défendre les intérêts immédiats des couches lésées et sévèrement paupérisées. Ils restent plus empêtrés que jamais dans les combinaisons électoralistes et politiciennes, naviguant en permanence entre la carotte et le bâton.

Sur le fond, la position novatrice autonome, dans la nouvelle situation, ne réside-t-elle pas justement et plus encore qu’auparavant, dans l’approche de classe, comme option fondamentale renforcée, enrichie et toujours mieux adaptée aux formes et rapports de force en pleine évolution ?

Face au surcroît d’agressivité capitaliste et ultra-réactionnaire, cette option de classe ne reste-t-elle pas le guide le plus sûr pour les luttes de libération nationale, sociale, culturelle ? Ne permet-elle pas de voir plus clair au delà du rideau de fumée des mystifications médiatiques mondiales, des diabolisations et conflits identitaires et culturels régionaux et locaux ? L’approche de classe contribue à forger chez les travailleurs et les exploités leur « identité sociale » restée encore insuffisante à travers les luttes passées et présentes du mouvement social et politique algérien. Elle tend à faire des travailleurs des sujets de l’Histoire capables de contribuer à démystifier les représentations métaphysiques qui cherchent à leur faire croire qu’ils sont victimes d’autres groupes identitaires et non des logiques diversifiées d’exploitation et d’oppression du système capitaliste.

La conscience de cette « identité sociale » a été sabordée au lieu d’être réaffirmée au moment où militants et travailleurs étaient médusés par l’exacerbation brutale des « identités » ethno-linguistiques et religieuses et où beaucoup d’entre eux s’interrogeaient avec une certaine angoisse : « Ils ont tous leur identité, et nous, où est la nôtre ? » On les sommait de toutes parts et malheureusement aussi en leur propre sein, de mettre sous le boisseau la seule identité tangible qui, vrai dénominateur commun, était consciemment ou non, sous-jacente aux imaginaires et aux références linguistiques et religieuses qui parcouraient la nation. La communauté d’intérêts de classe était et reste le meilleur angle d’approche capable de rendre les nationaux moins vulnérables et plus forts contre les entreprises de division. Certes, cela ne coule pas de source et nécessite des efforts pour faire progresser cette vérité, tout comme il n’avait pas été facile de sauvegarder l’autonomie politique du parti pendant la guerre de libération.

Mais l’approche de classe est-elle en soi une panacée, une arme miraculeuse qu’il suffirait à ceux qui s’en réclament de la mettre en slogans et de lui appliquer un mode d’emploi préétabli pour toutes les situations ?

Je suis de ceux qui estiment, à la lumière des luttes et des expériences diversifiées, qu’elle n’est féconde que lorsqu’elle est assumée de façon créatrice, sans dogmatisme ni laxisme, dans les modalités propres à chaque pays et situation. Un énorme travail théorique et idéologique reste à faire chez nous comme dans l’ensemble du monde arabe, en symbiose avec les luttes. Il exige de faire reculer les simplismes et les clichés paresseux, la répétition mécanique de schémas passe-partout, ainsi que les prétendues novations qui croient faire oeuvre utile en niant ce qui a été confirmé par l’expérience universelle.

L’approche de classe exige entre autres, de mettre à jour et d’éclairer les caractéristiques et les sensibilités psycho-culturelles de chaque peuple, de chacune de ses couches sociales, pour mieux les aiguiller vers leurs meilleures potentialités, vers l’union et la mobilisation dans une voie féconde, au lieu de faire le jeu des exploiteurs. L’exemple récent de l’évolution bolivienne montre quelles avancées puissantes deviennent possibles lorsque se réalise la jonction d’une approche de classe et d’une revendication identitaire, toutes deux légitimes mais vouées séparément jusque là à l’échec.

Dans tous les cas, la correction d’erreurs commises dans l’approche de classe, qu’elles soient d’ordre tactique, stratégique ou de sensibilité culturelle, ne peut justifier l’abandon d’un instrument aussi fondamental. Dans tous les cas, cette approche requiert une jalouse et double attention, visant d’une part à dissiper les ambiguïtés qui tendent à la brouiller ou l’enterrer et, d’autre part, à préserver et non briser les unités d’action qu’exigent les intérêts de classe légitimes des larges courants objectivement anti-impérialistes.

Autrement dit, il est nécessaire de favoriser une large convergence des masses laborieuses, exploitées, opprimées et marginalisées, avec la partie des couches moyennes, des « cadres-et-compétents » et autres couches « managériales » moins défavorisées par le capitalisme mais soucieuses de l’intérêt et du mieux-vivre en commun national. Les pouvoirs redoublent d’efforts pour neutraliser ces dernières, les convaincre de la fatalité historique du capitalisme et de ses méthodes, pour les domestiquer, les couper des couches populaires ou les tourner contre ces couches. Lutter pour réaliser ces convergences n’est donc pas de tout repos, et surtout n’implique pas de renoncer à l’approche de classe. Il y a nécessité au contraire de l’aborder avec autant de responsabilité et créativité que de fermeté.

A ce propos, puisque vous évoquez une adaptation de ligne aux situations surgies de la « chute du mur de Berlin », je ne vous cache pas qu’une lourde ambiguïté, pour le moins, pèse toujours sur l’appréciation donnée publiquement à cette époque par Hachemi Cherif. Selon lui, le PAGS n’aurait rien eu à voir avec le mouvement communiste. Cela avait été accueilli comme une énormité, pas seulement chez les communistes « canal historique » (pour emprunter l’expression de Sid Ahmed Ghozali), mais dans toute l’opinion algérienne bien informée.

Ainsi le PAGS, si on s’en tient au dicton populaire (maâza wa law taret, c’est une chèvre même si on l’a vue voler), n’aurait pas été l’oiseau au cœur rouge qui du 19 juin 1965 à octobre 88 a réussi à voler dans la tempête, les vents contraires, les pressions et les persécutions, en revendiquant sans équivoque sa généalogie et ses parentés internationalistes. Il n’aurait été qu’une « maâza » incolore, chevrotant les versets d’un « socialisme » distant ou absent du mouvement communiste international. En fin d’itinéraire, la maâza finit par brouter dans les pâturages du libre marché, en niant toute parenté avec ses ex-congénaires frappés par l’adversité !

Faut-il être grand analyste pour comprendre la signification de cette nouvelle « chahada » (profession de foi), prononcée inopinément à l’été 91 ? Elle fut bien comprise, dans les milieux les plus larges, pour ce qu’elle était réellement : ses auteurs, sous couvert d’une « modernité » qui jugeait archaïques les expériences socialistes mondiales, décidaient de se mettre à la mode du jour. Il leur fallait se laver du péché d’appartenance au grand Satan, à l’heure du « Lâ yadjouz » lancé conjointement par Eltsine et Bush père, eux-mêmes relayés avec satisfaction en Algérie aussi bien par les services présidentiels heureux du ramollissement du PAGS, leur bête noire depuis 25 ans, que par les partisans du libéralisme débridé, présents dans les rangs républicains comme dans les djamaâtes et madjaliss ach-choura islamistes.

L’ambiguïté sera-t-elle levée

à l’heure où se dispute dans la confusion l’héritage symbolique de Hachemi Cherif ? Conviendra-t-on que la « Modernité », présentée comme la substance ou l’axe d’un projet politique, mérite mieux que le flou et les équivoques dont elle est entourée ? Elle est en effet perçue par certains comme un slogan élitiste se démarquant d’un « ghachi » populaire devenu victime de forces obscurantistes, ou encore par d’autres comme l’apologie des techniques et des moeurs d’un Occident « oppresseur-civilisateur ».

Dans le meilleur des cas, la Modernité évoque la référence louable à la Raison, la Science et l’esprit des Lumières (dont les civilisations et cultures occidentales n’ont pas forcément le monopole). Pour autant, elle ne renseigne pas par elle-même sur le contenu économique, social, politique et idéologique des programmes qui s’en réclament. Et de ce fait, souvent la fonction de cette référence est de couvrir les équivoques sociales et politiques de programmes tiraillés entre les deux options fondamentales, socialisme ou capitalisme.

Concrètement et dans le contexte historique des deux décennies passées, la notion et le slogan de "Modernité" ont constitué la base idéologique et le programme d’action pour le ralliement, conscient ou inconscient, de courants et forces politiques de progrès à la stratégie ultralibérale, internationale et locale.

Nul ne peut cependant faire aux représentants d’une formation politique le procès d’avoir renoncé à une idéologie ou une vision du monde qui étaient ouvertement celles du PAGS. Le changement de conviction n’est pas forcément et en soi, une tare dans les évolutions qui touchent tel ou tel segment du large mouvement progressiste. L’éventail politique et idéologique d’un front national d’action pour les libertés et la justice sociale, n’est-il pas très large par définition, cette large diversité pouvant même constituer une des sources et des conditions de son efficacité ?

Mais pour qu’il en soit ainsi, le front et chacune de ses composantes gagnent à s’assumer dans la plus grande clarté, l’essentiel restant fondé sur le critère de l’apport aux actions d’intérêt commun autour d’objectifs concrets communs.

Quand nous nous réclamons de la démocratie et de la justice sociale, nous avons tous à clarifier nos engagements respectifs, les dégager des ambiguïtés nourries par les élitismes idéologiques abstraits aussi nocifs que les populismes. Nous avons à renforcer (ou renouer avec) le lien social, investir et s’investir davantage dans les batailles concrètes au long cours autour des revendications les plus légitimes et les plus rassembleuses, sans les subordonner aux enjeux immédiats de pouvoir et même si le bénéfice politique n’en parait pas immédiat.

Nous avons à jeter un regard plus serein sur le passé. Entre autres, relire avec le bénéfice du recul, si on en retrouve un exemplaire poussiéreux, le laborieux « patchwork » de la « Résolution politique et idéologique » de 1990, si peu lue, encore moins comprise et débattue par l’immense majorité des militants d’alors. A l’instar de la nouvelle Charte nationale du FLN passée à la sauvette dans le pays en 1986, elle fut annoncée par ses initiateurs dans le PAGS comme un passage obligé vers la démocratie et le mieux-être, et même une voie salvatrice. Il serait salvateur en effet de constater à quel point, sur l’essentiel, elle fut une Bible reprenant sous une phraséologie bivalente la plupart des dogmes ultra libéraux, ceux dont les vingt dernières années n’ont pas tardé à faire justice chez nous comme dans le reste du monde.

Pour ces diverses raisons, ne pensez-vous pas qu’il serait utile à tous les courants qui se revendiquent de la démocratie et de la justice sociale, de ne pas en rester aux panégyriques ou aux anathèmes ?

Pourquoi par exemple ne pas dresser à la lumière de l’expérience, un tableau comparatif et circonstancié des continuités du mouvement ouvrier et communiste qu’il fallait à tout prix assurer dans la nouvelle conjoncture internationale et nationale, et celui des abandons envisageables, les uns justifiés, d’autres injustifiables ?

Dans une meilleure clarté grandiraient ainsi les solidarités de lutte.

En ce sens, je voudrais me répéter : mes deux questions posées ne sont pas destinées à attiser de stériles joutes polémiques. Elles s’inscrivent dans l’espoir de poursuivre l’effort des évaluations de fond constructives, venant de ceux notamment pour qui « l’utopie » socialiste est plus que jamais auparavant l’horizon mobilisateur des luttes concrètes immédiates.

Avec mes cordiales salutations, en souhaitant que vous ne vous mépreniez pas sur l’esprit amical de mon intervention.

Sadek HADJERES.

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[1Lénine : « Pour une révision du programme du parti » in « De l’impérialisme et des Impérialistes » Ed. du Progrès Moscou 1979, p. 177

[2Marx in le Capital, livre 3, T.1, Ed. sociales, 1970, p. 253

[3Si l’on s’en tient au seul domaine des produits agricoles y compris les viandes, donc entièrement contrôlé par le capital commercial et spéculatif et si l’on suppose un taux de profit de 100%, la masse des profits annuelle serait de l’ordre de 22,5 milliards de DA. Ceci correspond à 8,5% du PIB (262 milliards de DA en 1988) ou au taux d’inflation moyen 82/85 de 8,5% ce qui tend à prouver que les augmentations de prix vont à la spéculation.

[4L’article de D. Sari in El Moudjahid du 22 octobre 90.

[5Voir contribution de O. Bessaoud : Agriculture et propositions alternatives : le bilan des années 80 in communication au séminaire économique et social, décembre 89

[6Voir contribution de MRH : « L’industrie en péril / notes sur les effets de la politique actuelle » 1990

[7On lira avec intérêt l’article de M.L. Benhassine relatif à la pensée économique du FMI et de la B.M. in Rasjep n° 2, juin 1988

[8Cette dette intérieure du secteur d’Etat libellée en DA s’élève à près de 80 milliards (M. Hidouci, Ministre de l’Economie, RTA, Ch III, 18/10/89)
C’est environ l’équivalent de la masse du capital dit « spéculatif ». C’est entre autres pourquoi le PAGS dit dans sa déclaration du 16/10/90 « l’argent existe, il faut le chercher là où il se trouve » (Réforme fiscale).
Cette dette intérieure s’aggrave, entre autres en raison de la dévaluation du DA quand celui-ci perd par exemple 25% de sa valeur, la dette augmente d’autant.

[9J. Amuzegar « La dette extérieure des Etats-Unis » in Finances et développement Juin 1988 P. 18 et 19

[10Id. Amuzegar

[11Id. Amuzegar

[12In Rapport sur le développement dans le monde, 1988 p. 285, ligne 119, Banque Mondiale.

[13Marx : La Capital « le rôle du crédit dans la production capitaliste » Livre 3è, Tome II, p. 106/107, Editions. Sociales 1970

[14cf. : article Dette et développement et indépendance nationale par A. Lagha et D. Abdelmalek in Révolution Africaine n° 1311 du 21/04/89.

[15Cf. points de repères stratégiques du 28 / 04 / 1989

[16Cf. Lénine : « L’impôt en nature ».

[17Leurs sources paraissent avoir été ici « Ce que sont les amis du peuple », et « Quel héritage renions-nous ? » de Lénine contre le populisme, ainsi que « L’impôt en nature »

[18D’autre part, l’existence de « structures précapitalistes et féodales » ne prouverait qu’une chose, c’est qu’il existe une des forces progressistes essentielles, la paysannerie, de la révolution démocratique.

[19Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.

[20Idem Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.

[21Lénine, Impérialisme, stade suprême du capitalisme.