Accueil > GUERRE DE LIBERATION > LES CONTREVÉRITÉS DE BEN BELLA

L’ ÉCRITURE DE L’HISTOIRE - HISTOIRE DU MOUVEMENT NATIONAL

LES CONTREVÉRITÉS DE BEN BELLA

Dossier

jeudi 26 mai 2011

“AMAR BENTOUMI MET à NU LES CONTREVÉRITÉS DE BEN BELLA” Amar Bentoumi * le 17 mai 2011.

“DÉPOSITION DE AHMED BEN BELLA APRÈS L’ATTAQUE DE LA BANQUE D’ORAN” document conforme à l’original.


AMAR BENTOUMI MET à NU
LES CONTREVÉRITÉS DE BEN BELLA

par Amar Bentoumi

La Tribune
le 17 mai 2011

et

Le Qotidien d’Algérie en ligne
le 17 mai 2011

Après les déclarations de Ben Bella à Jeune Afrique, je me dois de rétablir la vérité sur certains faits dont j’ai eu connaissance en ma qualité d’avocat du PPA-MTLD et puis du FLN.

Rôle de Ben Bella
au sein de l’Organisation spéciale (OS)

Après avoir mis sur pied l’OS qu’il a dirigée pendant environ une année, Mohamed Belouizded a dû, pour des raisons de santé très graves (tuberculose contractée au cours de la reconstitution du parti (décimé lors des massacres du 8 Mai 1945) dans le Constantinois, cesser ses activités.
La commission des Quatre composée de Lahouel ? Lamine Debaghine, Boukadoum et Aït Ahmed, a proposé au Bureau politique Aït Ahmed comme chef de l’OS en remplacement de Belouizded, ainsi que l’adoption d’un découpage territorial en cinq zones calqué sur celui du PPA-MTLD.
Ces propositions adoptées, Aït Ahmed prend le commandement de l’OS qu’il a dirigée pendant deux ans durant lesquels il a élaboré les manuels de formation des cadres et des militants, un manuel relatif à l’attitude des militants en cas d’arrestation. Aït Ahmed a mis en place les structures de l’OS et grandement renforcé la logistique que Belouizded a commencé à mettre en place.
Ben Bella a été désigné à la tête de la zone de l’Oranie et Mohamed Boudiaf à la tête du Constantinois. L’inspection qui eut lieu, pour établir le bilan avant la réunion du Comité central élargi de Zeddine, fin décembre 1948, a révélé que les résultats obtenus par Boudiaf étaient nettement supérieurs à ceux, plutôt décevants, de Ben Bella.
Lors de la crise dite « berbériste » de 1949, Aït Ahmed, soupçonné d’en être l’instigateur, a été écarté de la direction de l’OS.
En octobre 1949, Ben Bella a été désigné à la tête de l’état-major de l’OS. Ce qui lui a valu ce poste, en dépit de ses maigres résultats à la tête de l’Oranie, était plutôt ses dix ans passés au sein de l’armée française (1937-1947) et ses « exploits » pendant la Seconde Guerre mondiale, dont il ne cessait de se vanter et qui lui ont valu sa médaille militaire et ses quatre citations.
Mais Ben Bella n’est resté à la tête de l’OS que près de sept à huit mois. Le parti avait loué pour Ben Bella un appartement situé au 36, rue Auber-Seger, à Alger, chez une femme européenne. Lorsqu’en mars-avril 1949, la police a commencé à enquêter sur l’affaire de l’OS, le parti a ordonné à Ben Bella de quitter l’appartement en question et de se mettre au vert mais ce dernier a refusé de s’y soumettre, préférant rester en compagnie de Madame Tendière avec qui il entretenait une relation intime. C’est ainsi que Ben Bella a été arrêté en mars 1950 sans opposer aucune résistance et a même remis spontanément à la police son arme – un 7,65 appartenant à l’OS de l’Oranie qu’il a illégalement gardé – qui se trouvait sur la table de nuit de la chambre de la dame qui l’hébergeait.

Début mai 1950, Ben Bella est présenté par le commissaire Havard de la PRG au commissaire divisionnaire Costes, qui lui a donné une paire de gifles pour s’être allié à « anti-français » lui disant qu’en raison de ses états de service pendant la Seconde Guerre mondiale, il ne souhaitait pas lui infliger le même traitement que subissaient les autres membres de l’OS, à condition qu’il livre toutes les informations en sa possession. Le commissaire divisionnaire Costes a averti Ben Bella qu’il était informé par Belhadj Djilali (inspecteur général de l’OS) de tout ce qui concerne l’OS et son rôle personnel (celui de Ben Bella, ndlr) et qu’il ne s’avise pas de mentir ou de cacher des informations. Du papier et un crayon ont été remis à Ben Bella installé dans une pièce pour rédiger son « récit ». Au bout de quelque temps, Ben Bella frappe à la porte pour demander du papier. C’est dire, selon le jargon policier, qu’il a vidé son sac !
Déféré devant le juge d’instruction, il a confirmé ses déclarations faites devant la police et par lesquelles il a dénoncé Saïd Amrani qui l’a remplacé à la tête de l’OS et dont la police ignorait même l’existence. Ben Bella avait livré beaucoup de militants et de cadres dont Khider, Boutelilis, etc.
À propos de l’affaire de la poste d’Oran, Ben Bella a écrit dans sa déposition : « S’il me revenait d’autres détails, je ne manquerais pas de vous en faire part ou de les dire au juge d’instruction. » Le juge d’instruction a ordonné son incarcération à la prison de Blida où je lui ai rendu visite en compagnie de Maître Kiouane.
Ce dernier a transmis à Ben Bella les instructions fermes du parti qui ordonne à tous les militants détenus de revenir sur leurs déclarations faites à la police, invoquant la torture et dénonçant un complot policier contre le MTLD, parti légal. Dans un premier temps, Ben Bella a catégoriquement refusé d’obtempérer sous prétexte qu’il ne pouvait « se déjuger ». Ce n’est qu’après de fortes pressions qu’il a fini par obéir aux instructions du parti et adopter la même attitude que ses codétenus.

Rôle de Ben Bella dans l’affaire de la poste d’Oran

Près de soixante ans après, Ben Bella s’attribue à lui seul les mérites de l’affaire de l’attaque de la poste d’Oran. « L’organisation principale du coup jusqu’au moindre détail, c’est moi », déclare-t-il.
C’est une contrevérité et une falsification grossière de l’histoire. Il n’y était pas. Il n’y a pas participé. Sa seule contribution consistait à présenter Bekhti Nemmiche, agent de la poste d’Oran, à Aït Ahmed qui ont étudié le plan des lieux ensemble.

Comment le père de Ben Bella a acquis ses biens à Maghnia

Entre 1952 et 1953, la commune mixte de Maghnia a attaqué en justice la famille Ben Bella, notamment la mère et la sœur de Ahmed Ben Bella, pour les déposséder de leurs biens fonciers et immobiliers. L’objet de cette action en justice était la révocation des concessions accordées au père Ben Bella par la commune de Maghnia pour services rendus à la France. Ces concessions consistaient en un caravansérail qui servait d’écurie et de fondouk, des terrains agricoles et des vergers d’oliviers et divers arbres fruitiers.

Cette action en justice a été engagée contre la famille Ben Bella pour se venger de son fils Ahmed après son évasion de la prison de Blida. Le tribunal de grande instance de Tlemcen qui a cité à comparaître la mère, la sœur et par défaut Ahmed Ben Bella, a donné raison à la commune de Maghnia et a ordonné la dépossession des Ben Bella et leur expulsion y compris de la maison où ils habitaient.
J’ai été chargé par le parti de m’occuper de cette affaire qui n’avait aucun rapport direct avec la répression et j’ai introduit un appel auprès de la cour d’Alger où je me suis présenté pour défendre les intérêts de madame Ben Bella et de sa fille et implicitement de Ahmed Ben Bella.
À la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, j’ai plaidé cette affaire devant la cour d’Alger et j’ai fait infirmer la décision du tribunal de Tlemcen.
La question qui se pose en fin de compte, pourquoi ce Marocain qu’était le père de Ben Bella, a-t-il obtenu des autorités coloniales de pareilles concessions ? Je n’ai pas trouvé de réponse immédiatement. Plus tard, lors de ma détention au Sud, ordonnée par le même Ben Bella, un compagnon de détention, en l’occurrence Bensoltane, natif de Maghnia et militant de la première heure du PPA, m’avait dit qu’il a su que cette récompense dont a bénéficié le père de Ben Bella après l’avoir fait quitter le Maroc pour le protéger, était le résultat des trahisons et des crimes qu’il avait commis au Maroc. Le père de Ben Bella a donc été récompensé parce qu’il a trahi son peuple marocain, sa patrie et son roi. C’est ça la marocanité héréditaire de Monsieur Ahmed Ben Bella.

Par ailleurs, j’ai une question à poser à Monsieur Ben Bella même si j’ai, en partie, la réponse. Que sont devenus les bijoux collectés dans le cadre du Fonds de solidarité (Soundoq ettadhamoun), au début de l’indépendance et qui s’estimaient à des quintaux, si ce n’est à des tonnes d’or et d’argent dont les femmes algérienne se sont dépouillées pour se parer de la liberté retrouver et aider l’économie algérienne à prendre son essor ?
Une partie de ce fonds a été retrouvée à la Villa Jolie, où des sacs de bijoux étaient entassés dans des pièces jusqu’au plafond. Et c’est Ben Bella qui les y avait déposés. L’inventaire de ce qui a été retrouvé a été établi officiellement après le coup d’Etat du 19 juin 1965, par le président de la Cour suprême de l’époque et par son procureur général respectivement Benbahmed et Maître Mostafaï El Hadi. Des sacs pleins de devises ont été également retrouvés à la Villa Jolie, car Monsieur Ben Bella puisait comme bon lui semblait dans le fonds de devises de la Banque centrale pour distribuer l’argent selon ses humeurs.
La question reste posée : où est passé le reste de Soundouq ettadhamoun et qu’en a-t-il fait ?

À propos du déclenchement du 1er Novembre

Là aussi Ben Bella dit : « Le 1er Novembre, c’est moi. » Une autre ignominie.
Car tout le monde sait que le 1er Novembre n’a pas été décidé au Caire où s’était réfugié Ben Bella, mais en Algérie.

Tout le monde sait aussi le rôle joué par Boudiaf, Taïeb El Watani, dans la préparation du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Sans Boudiaf, sans les démarches qu’il a entreprises, sans l’aide qu’il a reçue de la part d’un nombre réduit de militants dont Didouche, la réunion des 22 n’aurait jamais pu avoir lieu.
Le principe d’une action armée a été décidé lors de la réunion des 22 à laquelle Ben Bella n’a pas participé, parce qu’il ne pouvait pas y être puisqu’il était au Caire.

L’assemblée des 22 a mandaté les Cinq auxquels s’était joint Krim Belkacem pour devenir le comité des Six qui s’est réuni chez Mourad Boukchoura à Bologhine et a décidé de la date du 1er Novembre pour lancer l’insurrection.
Donc, Ben Bella n’a pas participé à cette décision et, à ce titre, ne peut prétendre que le 1er Novembre, c’était lui.

Mieux encore, Ben Bella n’a pas assisté à la création du CRUA dont le véritable artisan était Boudiaf qui en a eu le financement grâce à Lahouel et dont l’organe central, “Le Patriote”, était dirigé par Salah Louanchi et tiré et distribué à partir du local des SMA, à la Pêcherie.

Ben Bella n’y est pour rien dans cet épisode glorieux.
Ben Bella était plutôt à l’origine de l’arrestation au Caire de Lagha, président des SMA.
D’ailleurs, au Caire, Ben Bella était l’agent de Fethi Dib, chef des services secrets égyptiens.

Quand Lahouel Hocine est arrivé en novembre 1954 au Caire, en compagnie de Mhamed Yazid pour discuter de l’ouverture de la représentation du MTLD à l’extérieur et dont le chef était Mohamed Khider, il s’est indigné du fait que ses interlocuteurs soient des éléments des Moukhabaret. Lahouel a refusé de dialoguer avec la police égyptienne et a exigé qu’il soit reçu par un niveau politique supérieur. Lahouel avait déclaré alors : « Nous sommes un parti politique, nous exigeons de discuter avec des autorités politiques. » Ce coup de gueule de Lahouel contre les Egyptiens et Ben Bella a valu au leader centraliste l’ire du Caire ce qui l’avait contraint à se réfugier en Allemagne puisqu’en Algérie, la révolution avait déjà commencé.

Le rôle de Ben Bella dans la révolution

Khider était le premier à se réfugier au Caire lors du démantèlement de l’OS et après la levée de son immunité parlementaire. Le MTLD lui avait alors demandé de se rendre aux autorités coloniales, mais Khider a refusé et avec l’aide de M’hamed Yazid, il s’est rendu en Suisse avant de rejoindre le Caire.
Aït Ahmed, en sa qualité d’ancien responsable de l’OS et craignant d’être arrêté, le parti lui ordonna de quitter l’Algérie et de se rendre au Caire.
Enfin, et après son évasion organisée par le parti, Ben Bella était le troisième à rallier le Caire.

Il est exact que Ben Bella a fait partie du Bureau du PPA au Caire. Il est tout aussi exact, à l’instar des autres membres du Bureau du Caire, Mohamed Khider et Hocine Aït Ahmed, il a opté pour le FLN.

À ce titre, chacun des trois membres de la délégation du FLN à l’extérieur avant d’être rejoint par Boudiaf, était chargé d’une mission :
Khider était chargé des questions politiques. À ce titre, il a été contacté par la SFIO pour tenter d’entrer en contact avec le FLN et engager des négociations.
Aït Ahmed était chargé des relations internationales qui, assisté de M’hamed Yazid, a représenté le FLN lors de la conférence des non-alignés à Bandong. C’est toujours Aït Ahmed qui représentait l’Algérie aux Nations Unies jusqu’à son arrestation.
Ben Bella était chargé de pourvoir les maquis en armes. De 1954 à 1955, aucune arme n’a été fournie par Ben Bella aux maquis, ce qui a poussé Benboulaïd à puiser dans ses propres fonds dans l’espoir de se rendre en Libye pour acheter des armes. C’est d’ailleurs lors de son périple à pied vers la Libye qu’il a été arrêté aux frontières tunisiennes. En 1956, la situation n’a pas changé et le bilan de Ben Bella était négatif. C’est pour cette raison que Larbi Ben M’hidi a pris le risque de se rendre au Caire où il a eu une discussion orageuse avec Ben Bella à propos de sa mission qu’il n’a pas remplie. Dès son retour, en Algérie, Ben M’hidi a rendu compte de sa mission au Caire à Abane.

Le Congrès de la Soummam

Ben Bella prétend qu’il a été empêché par Abane d’assister au Congrès de la Soummam. Ben Bella oublie de dire qu’il voulait que le Congrès se tienne à San Remo, situé à la frontière franco-italienne, ce qui constituait un risque sérieux pour la sécurité de la direction de la Révolution. Ben Bella était alors à Madrid. Il a envoyé à San Remo Khider pour la délégation de l’extérieur et Doum pour la Fédération FLN de France.

Pour Abane, il n’était pas question de tenir le congrès ailleurs qu’en Algérie aussi bien pour des raisons de symbolique politique que pour des raisons sécuritaires.

Au-delà de ces considérations, le Congrès concerne, en premier lieu, ceux qui étaient à l’intérieur et qui affrontaient l’ennemi militairement et politiquement.
Pour mémoire, le Congrès devait se tenir dans un autre endroit que la région d’Ifri mais toujours dans la Kabylie. Ce lieu a été bombardé.
Pour rappel aussi, Zighoud Youcef avait proposé la tenue du Congrès dans le Nord constantinois.

À propos du « cinéma » vestimentaire de Messali Hadj

Monsieur Ben Bella ! L’accoutrement de Massali Hadj, à savoir sa chéchia, sa gandoura, son burnous et sa canne, avait un sens identitaire qui le différenciait des colonialistes qu’il combattait. Cette façon de s’habiller n’était ni excentrique ni fantasmagorique. Elle faisait partie de la dimension politique de l’homme qu’était Messali. Elle avait une valeur aux yeux du peuple. Par cet accoutrement, Messali affirmait la personnalité algérienne. Quant à la barbe qui le caractérisait depuis son engagement politique, Messali a juré de ne la raser qu’après l’indépendance.
Pourquoi Ben Bella ne parle-t-il pas du charisme de Messali, de sa verve et son talent de tribun hors pair et de sa foi inébranlable en l’indépendance du pays ?

Il a résisté à tout le monde et aujourd’hui on présente les Oulémas comme des révolutionnaires à l’origine de l’indépendance.
C’est une autre monstruosité et une falsification éhontée de l’histoire.

Le père du nationalisme algérien est bel et bien Messali Hadj. Cependant, il mérite d’être condamné pour ses choix à la veille du 1er Novembre 1954, pour le sang qu’il a fait verser entre les Algériens, pour sa mégalomanie, oui l’histoire le jugera.
Mais jusqu’à la création du CRUA, Messali a été le représentant du nationalisme algérien.

Lorsque Messali a commencé à parler de la présidence à vie du parti, de pleins pouvoirs, il s’est mis sur le banc des accusés et le peuple a tranché le 1er Novembre et en 1956 en choisissant le FLN contre le MNA.

C’est cet épisode que Ben Bella aurait dû aborder et non l’aspect vestimentaire d’un homme qui a réussi à imposer le fait national algérien et l’idée de l’indépendance alors que les assimilationnistes étaient légion au sein du mouvement national.

En tout état de cause, Ben Bella est mal placé pour critiquer le culte de la personnalité de Messali Hadj et de sa folie des grandeurs. N’a-t-il pas fait pire quand il était président de la République ? Je me souviens d’une réunion du gouvernement qu’il a présidée après son retour d’un voyage en Guinée. Il n’a pas cessé de parler du « cinéma » de l’accueil qui lui a été réservé. Il jubilait au point de regretter qu’en Algérie, ce genre de « cinéma » n’existait pas.

Enfin, je tiens à dire que Ben Bella est responsable de la fin tragique de beaucoup de héros de la Révolution. Qu’il se souvienne, lui qui n’a pas tiré un coup de feu durant les sept ans et demi de la Révolution, de sa décision d’exécuter Chaâbani, chef de la wilaya, colonel de l’ALN de l’intérieur. Du rôle qu’il a joué dans l’exécution de Abane et j’en passe.

Les trahisons de Ben Bella

Pour finir, je tiens à dévoiler un fait que Khider m’a raconté. Khider a soutenu Ben Bella après un accord commun. L’un et l’autre visaient le pouvoir. L’un et l’autre avaient ses raisons. À ce titre, ils s’étaient entendus de se partager le pouvoir. Khider espérait en fait être président de la République à titre honorifique et Ben Bella chef du gouvernement avec les pleins pouvoirs de l’exécutif. Pour Khider, Ben Bella était jeune, il avait tout l’avenir devant lui. Donc Khider espérait faire un mandat à la tête du pays avant de se retirer dans une ferme à Douéra pour finir sa vie.

Ben Bella est venu d’Oran à Alger où les armées de la Wilaya IV régnaient en maîtres.
Lors d’une réunion de nuit chez Rabah Bitat, en présence de Khider, de Bousmaha, de Lakhdar Bouragaâ, de Boumaâza et de moi-même, il a été dit à Khider qu’il était le bienvenu, mais Ben Bella n’avait pas intérêt à venir à Alger. Les responsables de la Wilaya IV ont informé Khider qu’ils ne voulaient ni de Ben Bella ni de Boumediene même comme députés.

C’est Khider qui a fait venir Ben Bella clandestinement à Alger et c’est Fares qui l’a hébergé dans une villa à Rocher-Noir, à Boumerdes, un hélicoptère était prêt à l’évacuer en cas de besoin. Plus tard, Fares, le commandant Azzedine, moi et d’autres avons été mis en résidence surveillée.

Lors de la réunion des cadres du parti tenue au lycée Amara-Rachid, tous les commissaires politiques, à l’exception de Mostghalmi, se sont engagés à reprendre les armes pour empêcher Ben Bella de prendre le pouvoir.
Ben Bella, ayant été informé par Mostghalmi de ce qui se tramait, a quitté Alger pour Oran. Ben Bella a fait intervenir l’ambassadeur d’Egypte à Alger pour trouver un arrangement avec Khider à qui il a demandé de s’éclipser pendant six mois, et à son retour, l’engagement pris pour le partage du pouvoir sera respecté.
À son retour, Khider a compris le jeu de celui qu’il considérait comme son fils. Ben Bella a trahi tous ceux qui l’ont aidé, y compris Khider.

Sur le plan intellectuel, Ben Bella n’a aucune honnêteté. J’ai travaillé avec lui et je sais de quoi je parle. Il s’approprie les idées des autres en les étalant dans les journaux.

Entre 1956 et 1962, il a été emprisonné sans se donner la peine d’améliorer son français.
Entre 1965 et 1982, date de sa libération par Chadli, il n’a fait aucun effort pour apprendre l’arabe classique, lui qui se dit arabe.

Aujourd’hui, Ben Bella verse, à travers son délire, dans la désinformation et le détournement de l’histoire.

C’est pour cette raison que j’ai tenu à lui répondre car le devoir de mémoire m’est imposé comme il s’impose à tous les témoins vivants de notre histoire.

Je suis en train d’écrire pour dire et rétablir les vérités telles que vécues.

Nul n’a le droit de se taire sur la falsification de l’histoire qui est le patrimoine de tous les Algériens.

Amar Bentoumi.

*Amar Bentoumi a été avocat du PPA-MTLD de 1947 à 1954, puis avocat du FLN jusqu’en 1962.

Député de Constantine à l’Assemblée constituante, il a été le premier ministre de la Justice de l’Algérie indépendante.
Après un désaccord avec Ben Bella qui l’a poussé à quitter le gouvernement, il a été interné en compagnie de Farhat Abbas à Adrar.
Ancien bâtonnier d’Alger.

Sources :

“Le Quotidien d’Algérie en ligne” du 17 mai 2011

“La Tribune” du 17 mai 2011

haut de page


“DÉPOSITION DE AHMED BEN BELLA

APRÈS

L’ATTAQUE DE LA BANQUE D’ORAN”

5 Avril 1950 : Un holdup aux allures militaires est perpétué à la grande poste d’Oran. Très vite la police identifie les auteurs (des militants de l’Organisation Spéciale, la branche armée et secrète du MTLD) et arrête Ben Bella. Sa déposition complète (il est prolixe) est enregistrée le 12 Mai 1950.

L’an mil neuf cent cinquante et le douze du mois de mai, Devant nous, Havard Jean, commissaire de la police des renseignements généraux, officier de police judiciaire, auxiliaire de M. le procureur de la République. Agissant en exécution de la commission rogatoire n°34 du 7 avril 1950 de M. Catherineau, juge d’instruction près le tribunal de première instance de l’arrondissement de Tizi Ouzou, étant subdélégué.
Assisté de l’inspecteur officier de police judiciaire Tavera René de notre service. Pour faire suite aux renseignements contenus dans la déclaration de Belhadj Djillali Abdelkader Ben Mohamed, entendons le nommé Ben Bella Mohamed qui nous déclare :Je me nomme Ben Bella Mohamed Ben Embarek, né le 25 décembre 1916 à Marnia (département d’Oran, arrondissement de Tlemcen), fils de Embarek Ben Mahdjoub et de SNP Fatma Bent El Hadj, célibataire. J’ai exercé la profession de cultivateur à Marnia. Actuellement, je suis permanent rétribué du parti politique MTLD. J’habite Alger, chez Mme Ledru, 35, rue Auber. J’ai fait mon service militaire en qualité d’appelé au 141 RIA à Marseille. J’ai fait la campagne de France 1939-1940, puis la campagne d’Italie. J’ai été démobilisé avec le grade d’adjudant en juillet 1945.Je suis titulaire de la médaille militaire avec 4 citations. Je n’ai jamais été condamné, je suis lettré en français et quelque peu en arabe. J’ai fait mes études primaires au collège de Tlemcen (EPS) jusqu’au brevet. Mes études terminées, je suis retourné chez moi, dans ma famille à Marnia, où j’ai aidé mon père qui possédait un café fondouk et du terrain de culture. J’ai été appelé sous les drapeaux en 1937 et, comme je vous l’ai dit plus haut, j’ai fait la campagne de France et d’Italie pour être démobilisé en juillet 1945.

Pendant toute cette période, je n’ai pas eu d’activité politique. J’ai commencé à faire de la politique juste après ma démobilisation. Je me suis inscrit aux AML (Amis du manifeste et de la liberté) mais je n’avais aucune fonction particulière ni aucune responsabilité. Aux élections municipales de fin 1945 ou début 1946, je me suis présenté sur une liste d’union indépendante. J’ai été élu et c’est quelques mois après cela que j’ai été sollicité par le PPA pour entrer dans le parti et organiser une section politique à Marnia. J’ai organisé la section de Marnia, puis ai été chargé de prospecter la région en vue de créer partout des noyaux politiques. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de me déplacer à Sebdou, Turenne, Hennaya et Nemours. Je n’ai pas obtenu les résultats escomptés.

Je suis resté à Marnia jusqu’au début de l’année 1948. Un mois environ avant les élections à l’assemblée algérienne (avril 1948) le chef de la région politique qui m’avait contacté m’a fait connaître que je devais aller à Alger me mettre à la disposition d’un certain Madjid. L’endroit de la rencontre, un café actuellement fermé, qui se trouve aux environs de Monoprix à Belcourt, le jour et l’heure m’ont été fixés. Je devais me présenter à ce café maure avec un journal. Je ne me souviens plus exactement de quel journal il s’agissait, mais je me souviens qu’il y avait un mot de passe. C’est ainsi qu’à l’heure indiquée, j’ai rencontré Madjid. Je le voyais pour la première fois. Il m’a dit dans les grandes lignes ce que le parti attendait de moi. Une organisation paramilitaire, super-clandestine venait d’être créée et le parti me mettait à la disposition de cette formation. Je vous précise qu’à ce moment-là, le MTLD existait et que j’en faisais partie. C’est donc ce parti politique qui m’a mis à la disposition de cette organisation paramilitaire qui prenait le titre de l’OS (Organisation spéciale). Madjid m’expliqua en outre qu’il fallait obtenir la libération de l’Algérie par la force et que seule la violence était susceptible de nous faire atteindre l’objectif. J’étais désigné pour prendre la direction de l’OS en Oranie. Partout, dans les villes, je devais créer des groupes comptant un chef et trois éléments. C’est ce que nous avons appelé l’organisation "quatre-quatre".C’est au cours de contacts successifs que Madjid m’a expliqué le détail de ma mission. Durant mon séjour à Alger, j’ai fait la connaissance de Belhadj Djillali Abdelkader, Reguimi et Maroc.

Avec Madjid, nous constituions une sorte d’état-major qui devait élaborer le plan d’instruction et de formation militaires. Belhadj Djillali était chargé de la rédaction des cours d’instruction militaire que nous supervisions, approuvions ou modifions en séance de comité. Quelques mois à peine, après les élections à l’assemblée algérienne, pour mettre en pratique ce que nous avions élaboré en théorie, avec le chef national Madjid et le comité d’état-major, nous avons décidé d’effectuer un peloton d’instruction à la ferme de Belhadj, au douar Zeddine, près de Rouina. Nous sommes restés là sept jours au cours desquels nous avons fait des exercices de tir au "colt" et de l’instruction individuelle technique du combattant. Nous disposions de deux "colts" dont l’un appartenait à Madjid, l’autre à Belhadj. J’ai commencé à organiser à Oran où j’ai désigné comme chef un certain Belhadj, employé à la mairie, au service du ravitaillement. Puis j’ai nommé à Tiaret comme responsable de notre organisation un certain Saïd, tailleur. Par la suite, j’ai organisé Relizane, Mostaganem et Tlemcen. J’ai placé à la tête de ces trois derniers centres respectivement Benatia, conseiller municipal, Fellouh, gargotier, et un troisième à Tlemcen dont je ne me souviens plus du nom. Je suis resté à la tête du département d’Oran jusqu’en avril 1949. J’ai été rappelé par le parti à la politique.

Durant mes fonctions de chef de département, je venais assez régulièrement à Alger où j’effectuais des liaisons avec Madjid. Nous nous réunissions environ une fois par mois pour faire le point sur la situation de l’organisation paramilitaire. Je retrouvais là mes camarades de l’état-major. Ces petites réunions mensuelles duraient deux ou trois jours et à chacune d’elle nous avions le soin de fixer le lieu, la date et l’heure de la prochaine.

Au sujet des armes d’instruction de mon département, elles n’ont pas été livrées par Alger, mais achetées sur place. Oran disposait de quelques revolvers 7,65, de deux colts et d’une mitraillette allemande qui, je crois, est celle qui a servi à l’attaque de la poste d’Oran. Je vous parlerai plus tard en détail de cette affaire. Pour les autres régions, je ne me souviens plus de la nomenclature des armes, il n’y en avait pas beaucoup. J’ai été remplacé par Boutlelis Hamou à la tête du département d’Oran. A Alger, le parti m’a placé à la tête du CO (comité d’organisation). Ma mission consistait en la réception des rapports des différentes wilayas d’Algérie, que je transmettais au parti. En retour, j’adressais à ces dernières les instructions données par la direction politique.

Les réunions de wilaya avaient lieu mensuellement et chacun des chefs apportait personnellement son rapport. J’ai assumé ces fonctions jusqu’en septembre 1949. A ce moment-là, le chef national de l’OS, Madjid, est passé au berbérisme et le parti, en la personne de Khider, m’a chargé de m’occuper de l’OS. Durant trois mois, c’est-à-dire octobre, novembre et décembre, j’ai donc cumulé les fonctions de chef du comité d’organisation et de chef national de l’OS. A partir de décembre, j’ai abandonné mes fonctions spécifiquement politiques pour me consacrer à l’organisation paramilitaire.

J’ai été remplacé au comité d’organisation par Saïd Hamrani. Depuis la fin 1948, le coup d’Etat berbériste était en préparation, et peu à peu les rangs de l’OS se vidaient. Cette crise a atteint son paroxysme au moment où Madjid a été mis dehors par le parti. C’est, je crois, en juillet-août 1949. Quand j’ai repris l’OS, la situation n’était pas brillante. Alger se subdivisait en trois régions, Oran et Constantine en deux. J’ai dû supprimer cette fragmentation et les trois départements ne formèrent plus qu’un seul bloc. A la tête du département d’Alger, j’ai placé Reguimi Marc, avec comme adjoint, Larbi, celle du Constantinois, Belhadj. Djillali, conservait sous mon autorité la direction des trois départements en ce qui concerne l’organisation paramilitaire. A la tête du service général, en remplacement de Ould Hamouda, arrêté, je plaçais Yousfi Mohamed. A la suite de la démission du docteur Lamine Debaghine, l’OS a subi une nouvelle crise. Belhadj Djillali était mis en veilleuse et remplacé par Reguimi. Il était accusé de s’occuper beaucoup plus de son commerce que de l’organisation.

Alger, Oran et Constantine étaient respectivement dirigés par Boudiaf, Abderrahmane et Larbi. Maroc était rappelé à la politique. Yousfi conservait toujours la direction du service général qui s’enrichissait d’un groupe sanitaire. Je sais que le réseau complicité passait sous la direction de Ben Mahdjoub, Arab Mohamed conservant le service des artificiers. J’ignore quels étaient les responsables d’autres sections. A ce moment-là, l’OS avait la structure suivante : Un chef national placé sous l’autorité du parti. J’avais sous mes ordres un chef pour les trois départements et un chef de service général. Chaque département était placé sous l’autorité d’un responsable duquel dépendaient plusieurs chefs de zones. Pour Alger, il y en avait six ou huit : pour Oran, il y en avait un, enfin pour Constantine, quatre ou cinq. Tous les membres de l’OS, du chef national jusqu’au chef de zones, y compris le chef du réseau de complicité et le chef des artificiers, étaient des permanents du parti politique M.T.L.D, mis à la disposition de l’organisation paramilitaire. Ils touchaient un traitement mensuel. Les chefs de chaque département, le chef des trois départements, le chef du service général et moi-même percevions une mensualité de quinze mille francs, alors que les chefs de zones, le chef du réseau complicité et celui des artificiers percevaient douze mille francs par mois. Je vous ai dit qu’en ma qualité de chef national de l’OS, je dépendais directement du parti. J’étais placé sous l’autorité directe du député Khider. C’est à lui et à lui seul que je rendais compte de l’activité de la formation paramilitaire. C’est de lui et de lui seul que je recevais les directives et les consignes. Aucune décision grave, aucune réforme importante n’était prise sans en référer au député Khider. C’est d’ailleurs lui, qui, chaque mois, me remettait les fonds nécessaires à la rétribution des permanents de l’OS. Nous avions l’habitude de nous rencontrer une fois par mois, soit place de Chartres soit au 13 de la rue Marengo, soit dans un autre endroit quelconque. Il est évident que je le voyais d’autres fois à la permanence politique, mais pour l’OS, les contacts étaient mensuels. Aux différents cas que je lui soumettais et suivant leur importance, Khider les tranchait immédiatement ou me demandait un temps de réflexion. Je suppose donc qu’il sollicitait quelquefois l’avis du parti.

Je veux maintenant vous expliquer les conditions dans lesquelles l’OS a été créée. Dans le M.T.L.D, comme dans tous les partis politiques, il y a ce qu’on appelle les détracteurs. Il y a les réfléchis, les pondérés, les exaltés, les violents qui trouvent qu’on n’en fait jamais assez et qui nous disaient que la libération du territoire national n’allait pas assez vite.
C’est dans cette atmosphère et pour faire face au discrédit que le parti a décidé, pour montrer sa force et sa volonté d’action, de créer une organisation paramilitaire. Cette formation, qui avait pour but la libération de l’Algérie, ne devait intervenir qu’en cas de conflit extérieur avec la France ou de conflit intérieur grave. Et c’est toujours sous la pression des perturbateurs et pour céder à leurs exigences que certains actes de violence ont été commis. Parmi eux, je citerai le cas de l’attaque de la poste d’Oran.
Je vous le dis immédiatement, il s’agit d’un coup de force exécuté par l’OS. Après le départ de certains éléments troubles tels que Madjid, par exemple, et à la lueur de l’expérience acquise, il était avéré que l’OS n’était pas viable. Le parti avait décidé de la supprimer. C’est ainsi que peu à peu, les éléments et les permanents qui étaient rappelés à la politique n’étaient pas remplacés. L’ordre formel avait d’ailleurs été donné à tous les élus M.T.L.D qui avaient été mis à la disposition de l’OS d’avoir à réintégrer le parti.

À plusieurs reprises, je vous ai parlé de l’attaque à main armée perpétrée contre la poste d’Oran. Je viens de vous dire qu’il s’agissait d’une manifestation de l’OS, que ce coup de force avait été tenté pour satisfaire aux exigences des trublions politiques du M.T.L.D.
Je vais donc par le détail vous dire tout ce que je sais sur cet attentat.
Au début de l’année 1949, le M.T.L.D. subissait une crise financière assez aiguë et cela s’ajoutait aux tiraillements politiques. Je ne peux pas vous dire absolument si c’est Madjid qui était à ce moment-là le chef national de l’OS ou bien le député Khider, qui a imaginé ou conçu ce coup de force. En tout cas, ce que je puis vous affirmer, c’est qu’ils étaient au courant des faits, et que cette affaire n’a pas pu se réaliser, à condition que ce soit Madjid qui l’ait conçue, sans en conférer à Khider. D’ailleurs, par la suite, lorsque j’étais chef national de l’OS, les conversations que j’ai eues avec Khider m’ont démontré qu’il était parfaitement au courant des faits.
C’est au cours d’une réunion de l’état-major de l’OS, à Alger, que Madjid nous a fait connaître l’intention du parti d’attaquer la poste d’Oran, pour se procurer de l’argent. Il m’a chargé de trouver sur place, à Oran, un local où nous pourrions en toute quiétude mettre sur pied le plan de réalisation d’une telle opération. Dès le début, nous avons désigné pour l’exécution Bouchaïb, de Temouchent, qui devait diriger l’expédition, Fellouh, de Mostaganem, Kheder, le chauffeur d’Alger, tous trois membres de l’OS. Cette équipe devait être complétée par trois ou quatre éléments supplémentaires choisis parmi les membres de l’OS ou des maquisards. Ces grandes lignes arrêtées, il était convenu que l’affaire se ferait au début du mois de mars et que Madjid viendrait à Oran, une quinzaine de jours avant, pour le montage définitif. Je suis rentré à Oran et j’ai immédiatement songé à utiliser le local dont le parti disposait, 1, rue Agent Lepain, à Gambetta, et j’en ai avisé Madjid.

Il est arrivé vers le 20 février à Oran et a logé au local. J’ai omis de vous dire qu’il était accompagné de Khider. Ils ont été rejoints par les permanents Bouchaïb, de Temouchent et Fellouh de Mostaganem. Trois maquisards sont arrivés d’Alger quelques jours après. Je suppose qu’ils ont été désignés par Ould Hamouda, qui, à l’époque, devait être chef du réseau de complicité, par sa qualité de chef du service général. Ils ont certainement été reçus à la gare d’Oran par Bouchaïb qui les a conduits au local de la rue Agent Lepain. Comme cela est de coutume chez nous, ils devaient très probablement avoir un mot de passe et un journal, signe de reconnaissance. Je dois vous dire que c’est Madjid qui détenait les fonds nécessaires à la nourriture et qu’ils faisaient eux-mêmes leur popote.
À cette époque, le parti m’avait rappelé à la politique. J’avais déjà pris mes consignes à Alger et j’étais en train de passer celle de l’OS, du département d’Oran à Boutlelis Hamou. Je ne pense pas que ce dernier à ce moment fût au courant de cette première affaire.
Pour ma part, il avait été décidé que, deux ou trois jours avant le coup, je devais me créer un alibi en allant me reposer dans ma famille à Marnia, puis le lendemain de l’attentat me rendre à Alger pour y rencontrer Madjid. Environ six jours avant l’attaque de la poste, avec Madjid et l’équipe, nous avons tenu une réunion pour exhorter les exécutants à faire ce que commandait le parti. Pour cette réunion, Madjid et moi avons revêtu des cagoules noires du groupe de l’OS, d’Oran. Elles nous arrivaient jusqu’à mi-corps, nous étions assis dans la grande pièce centrale, face à la porte dissimulant nos pantalons par une couverture. C’est Bouchaïb qui nous a fait rentrer dans ce local et c’est lui qui a introduit les éléments, alors que nous avions la face voilée .C’est Madjid qui a pris le premier la parole. Il s’est adressé à l’auditoire en langue arabe et a dit en substance : "Le parti a besoin d’argent, vous avez juré de lui obéir et il compte sur vous pour exécuter fidèlement la mission qui vous a été confiée."Il a expliqué succinctement qu’il s’agissait d’attaquer la poste d’Oran pour se procurer l’argent de la caisse de la recette. Il a ajouté que les détails complémentaires seraient fournis en temps utile par Bouchaïb. J’ai ensuite pris la parole en langue arabe pour confirmer ce qu’avait dit Madjid. Ici, je vous dois une explication. Dans les conversations préliminaires avec Madjid, il avait été décidé d’utiliser un taxi volé à son propriétaire. Madjid avait minutieusement étudié les détails de tout cela. Comme il avait été convenu, je me suis rendu à Marnia.

L’opération, autant qu’il m’en souvienne, avait été fixée pour le 3 ou le 4 mars. Dès cette date écoulée, j’ai pris le train à destination d’Alger où j’avais rendez-vous avec Madjid. Je l’ai effectivement rencontré et il m’a expliqué comment l’affaire n’avait pas réussi du fait d’un mauvais fonctionnement de la voiture restée en panne à proximité de la poste. Quelques jours après, l’état-major de l’OS s’est réuni et nous avons décidé que cette affaire serait reportée au 4 ou au 5 avril 1949. Je suis retourné à Oran, où je devais terminer de passer mes consignes à Boutlelis. Madjid m’a rejoint vers les 23 ou 24 mars, et comme précédemment, il a logé au local de la rue Agent Lepain. Là, il a retrouvé les éléments, c’est-à-dire Bouchaïb, Khider, Messaoud Soudani, qui était permanent rétribué du parti, chef de zones d’Oran centre, un certain X de Palikao, qui avait remplacé Fellouh et deux des trois maquisards de la première opération, le troisième ayant, je crois, rejoint Alger. Cette fois, je n’ai pas paru au local. Je prenais contact avec Madjid à l’extérieur. Il avait été décidé que le coup se ferait le 5 avril au matin et comme la première fois, on devait utiliser un taxi volé. Pour ma part, je devais rejoindre Alger deux ou trois jours avant la date et revenir à Oran par le train de jour qui arrive à quinze heures.

Madjid, lui, devait rentrer à Alger la veille, en prenant le train qui part d’Oran à vingt-deux heures environ. Ces consignes ont été scrupuleusement respectées et le 5 avril vers 13h je suis arrivé à Oran.
À la sortie de la gare, j’ai rencontré Soudani qui m’a mis au courant du déroulement de l’affaire, me signalant qu’il avait été impossible d’utiliser un taxi, les chauffeurs étant très méfiants et qu’ils avaient dû user d’un subterfuge en se servant d’un docteur et de sa traction avant. Il m’a dit que l’argent se trouvait dans le local. C’est par le journal du soir Oran-Soir que j’ai connu le montant du vol et appris certains autres détails.
Je devais reprendre le train du soir pour rendre compte de ma mission à Madjid. J’ai pris contact avec Boutlelis que j’ai mis au courant des faits, le chargeant en sa qualité de chef de département de veiller à la sécurité des éléments qui avaient perpétré le coup, et au moment du vol. Vers 17h30, ce même jour, j’ai vu Soudani et je lui ai dit de prendre contact avec Boutlelis, duquel il recevrait des instructions ultérieures susceptibles de parer à toute éventualité. Dès le matin, j’étais rentré à Alger par le train de la veille, au soir, j’ai pris contact avec Madjid auquel j’ai rendu compte de ma mission.
Là, se terminait mon rôle. Par la suite, j’ai appris par Madjid lui-même que l’argent avait été transporté chez Boutlelis où le député Khider devait en prendre livraison. Ce fait m’a été confirmé par lui-même au cours de discussions et de conversations que nous avons eues alors que j’étais responsable du CO, puis chef national de l’OS. Le produit du vol a été entièrement versé au M.T.L.D. par Khider, la somme d’argent découverte chez Kheder le chauffeur représentait un prêt consenti par l’OS pour lui permettre de monter un garage personnel.
Je ne vois rien d’autre à vous dire sur l’affaire de la poste d’Oran. Si par la suite il me revenait certains détails, je ne manquerai pas de vous en faire part ou de les dire au juge d’instruction. À l’instant, il me souvient que c’est Madjid, avant de prendre le train à destination d’Alger, qui a téléphoné ou qui est allé voir la femme du docteur. Les armes utilisées pour perpétrer l’attentat contre la poste d’Oran appartiennent toutes à l’OS de cette ville.

S.I. (Sur Interrogation) - La somme d’argent que vous avez trouvée dans ma chambre, soit deux cent vingt-trois mille francs, se décompose comme suit : trente-huit mille francs m’appartiennent en propre, dont quinze mille francs de ma permanence du mois en cours. Le reste représente la Caisse de l’OS, constituée en partie par des cotisations et les dons et en partie remises par le député Khider.

S.I . - Le revolver P 38 de marque allemande que vous avez découvert dans la poche de ma canadienne dans ma chambre est une prise de guerre de la campagne d’Italie.

S.I. - La fausse carte d’identité, l’extrait de naissance au nom de Mebtouche Abdelkader, né le 9 mars 1919 que vous avez trouvés dans ma chambre m’ont été remis par le député Khider et ce, dans les conditions suivantes : quelque temps après l’attentat perpétré contre la poste d’Oran, la police est allée me chercher à Marnia, à mon domicile.
Mes parents m’ont averti. C’est alors que j’ai demandé à Khider de me procurer de faux papiers. À sa demande, je lui ai remis deux photographies et quelques jours après, il m’a donné les papiers que vous avez découverts.

S.I. - Je ne peux vous donner aucune indication sur les maquisards, je sais seulement qu’il y en avait deux, hébergés dans la région de l’Alma, un dans la région de Cherchell, un en Oranie, dans la région de Saint-Cloud et deux dans Oran-ville ou aux environs immédiats.
Pour ces trois derniers, je pense qu’Abderrahmane, actuellement chef de l’OS du département d’Oran, pourra vous dire exactement où ils se trouvent.

Quant à Bouchaïb et Soudani, depuis l’affaire d’Oran, je ne les ai plus revus. Je ne me souviens du signalement que d’un maquisard. Je l’ai aperçu alors que j’étais en cagoule. Il semblait être âgé d’une trentaine d’années, très brun, le nez épaté, petit et trapu.

Lu, persiste, signe, signons.

Et de même suite, disons que Ben Bella nous déclare : Aux mois de mars et d’avril, non : en avril seulement, pour l’attentat de la poste d’Oran, je me suis créé un alibi en passant la nuit qui a précédé cet attentat à l’hôtel du Muguet, à Alger.

Lu, persiste, signe, signons.

Copie certifiée conforme Le greffier Signé :

illisible*

Il s’agit en fait d’Ahmed Ben Bella. Texte reproduit intégralement conforme à l’original.

haut de page


Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Lien hypertexte

    (Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)