Accueil > ECONOMIE > LA QUESTION DU PROBLÈME À DÉBATTRE

Réflexion

LA QUESTION DU PROBLÈME À DÉBATTRE

Larbi Ould Ramdane

lundi 28 novembre 2011


Voici une réflexion intéressante qui tente de déconstruire le discours dominant portant sur la trajectoire de l’Algérie depuis l’indépendance.

Par delà sa longueur et ses abstractions, cette contribution d’un visiteur du site aborde des problèmes de stratégie controversés dans le passé et qui rebondissent aujourd’hui tels que la façon de reconstruire l’économie nationale après les dégâts causés par la casse du tissu industriel algérien et la soumission aveugle et irresponsable à la logique ultralibérale. Bonne mise au point envers les points de vue qui croient obsolète la notion et la réalité de l’impérialisme. Les "ringards" sont ceux qui consciemment ou non, ne voient pas ou ne veulent pas comprendre les évolutions et les formes nouvelles d’un impérialisme global qui cherche à se survivre par une agressivité modulée tous azimuts.

En ce temps de transition vers autre chose, qui est aussi un temps où les dangers grandissent, où les certitudes ancrées sont ébranlées, il est bon de multiplier les points de vue.


On raconte qu’un riche planteur de Louisiane dans le Sud des States décide un jour d’emmener un de ses esclaves au marché pour le vendre. Dès lepremier client venu, il engage la transaction avec une première offre de prix à laquelle le client réplique aussitôt par une contre-proposition ; le planteur se tourne alors vers l’esclave et lui demande : qu’est-ce que tu en penses ? Celui–ci lui rétorque :“ it is not my problem !!” Au 2ème tour de marchandage, c’est l’acheteur qui tient à solliciter l’avis de l’esclave, même réaction de celui-ci : “it is not my problem !” Le marchandage se poursuit et finalement, après maintes tractations qui laissent toujours de marbre le vigoureux forçat à la peau d’ébène, les deux négriers parviennent à s’entendre sur un prix mais le planteur (on va dire démocrate ?) ne peut s’empêcher de demander de nouveau l’avis de son esclave : qu’est ce que tu en penses ? “ Now it is my problem”, lance lourdement l’enfant libre des savanes africaines, arraché à ses racines et enchaîné par les Blancs.

Une pensée "occidentale" empreinte d’une tradition d’histoire "asservissante"

D’instinct, le damné de la terre avait compris qu’il ne pouvait prendre part à un débat dont l’enjeu était sa propre mise à prix. Autant débattre de la qualité de la corde avec laquelle on s’apprête à vous pendre. Le « problème à débattre » n’est devenu le sien que lorsqu’il fut question de l’objet lui-même de l’échange, à savoir, la confirmation de sa condition d’infrahumain, de son statut d’esclave qui ne faisait que changer de propriétaire. L’objet de l’échange avait été défini par les Blancs pour les Blancs, délimitant ainsi le cadre du sujet à discuter. Sont donc exclues de ce « débat » les problématiques de remise en cause de l’esclavage, à fortiori celles aboutissant à sa condamnation et à son abolition. Dans cet échange Blanco-Blanc, le négrier peut s’offrir, sans nul risque, on le devine, le luxe d’intégrer l’esclave dans la discussion sur les termes de sa propre traite.

Cette longue digression métaphorique nous apprend combien est ancienne la tradition de la pensée occidentale de donner le La et de dire l’alpha et l’oméga, mais surtout comment elle plonge ses racines dans les rapports de domination et d’oppression les plus inhumains du capitalisme esclavagiste. Longtemps les colonisés étaient « invités » à s’expliquer leur condition en puisant dans les innombrables grilles explicatives construites avec une sophistication croissante par le colonisateur. Si on ne souscrit pas au raisonnement qui fait de nous des êtres inférieurs, qu’on en comprenne au moins les raisons !

"les prises d’indépendances" des puissances anciennement dominées, et les "grilles de lecture" perverties des puissances anciennement dominantes

Les indépendances ont, aussi, été le résultat d’un long processus d’émancipation de cette pensée asservissante ponctué par des ruptures violentes avec la grille du tuteur, ruptures symbolisées, par exemple, par la formule : l’Algérie n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais la France. Mais ces indépendances conquises, les désormais ex-colonisés ne vont pas, pour autant, s’affranchir d’un revers de main de la pesante grille du tuteur. « Quand on est capable de construire des engins de cent tonnes qui montent en 10 minutes à 10 km de hauteur, on a des droits sur ceux qui n’ont pas inventé la roue : voila ce que nous croyons, avouez-le. [1] » Et l’ethno-sociologue africaniste René Bureau d’ajouter cette précision lourde de signification : « Et j’ai entendu des Africains admettre cela ». L’étape de la construction étatique-nationale, singulièrement celle de l’Algérie, est riche d’illustrations de ce phénomène. L’ex-colonie ne saurait être un objet d’étude neutre ni ordinaire… Notre proximité plus que géographique de l’ex-métropole, grande puissance géopolitique, qui ne veut pas se départir de son “droit tutélaire” de dire la bonne voie et les conduites qui s’y conforment, nous vaut en effet, le redoutable privilège de l’élève relégable en sursis perpétuel. La multitude de yaouled, de Fatma et d’Ahmed est elle capable de former une nation, de construire un Etat, de bâtir une économie, d’engendrer une dynamique sociale et culturelle...? Le doute, puissant, est ancré au plus profond de l’inconscient colonial.

Quand on examine le discours à prétention critique sur les politiques et stratégies économiques mises en œuvre par l’Algérie depuis son indépendance, force est de constater que ce qui domine et nourrit invariablement sa thématique, c’est la rhétorique de l’échec, “l’échec depuis 1962”. “Natif”, “recommencé” ou “patent”, l’échec est, pour ainsi dire, inscrit dans les gènes de l’indépendance algérienne. Faits, évènements, réalisations sont convoqués pour en asséner la preuve tantôt sur le plan économique, tantôt sur le plan politique, tantôt sur le plan culturel. Comment dès lors s’étonner que la liste des “mauvais choix” de l’Algérie soit si longue au point de paver quasi intégralement cinquante années d’indépendance ?

l’exemple du pétrole, de SONATRACH, et les langages de la "rente"(?)

S’il est un exemple qui illustre, de manière à la fois particulièrement significative et quasi caricaturale, ce regard tendancieux, c’est bien celui de la création, en décembre 1963, de la société nationale Sonatrach, en tant qu’instrument de récupération des ressources hydrocarbures nationales. Sonatrach va ainsi devoir faire, depuis sa naissance, avec les accusations de “gigantisme”, d’“Etat dans l’Etat”, “pieuvre tentaculaire”, alors même que cette entreprise se résume encore au seul décret de création et à quelques lignes dans le Journal Officiel [2]. Dès l’âge du berceau, l’atout-clé du développement national alimentera une littérature économique qui fera d’une richesse naturelle la source de tous les maux de l’Algérie (la rente), et de la fondation de Sonatrach, le péché originel de l’Etat national- rentier. Sur le mode de “la malédiction des ressources”. Largement adoptée dans les publications des institutions internationales (en particulier, la Banque mondiale et le FMI), la notion de rente, note l’économiste Fatiha Talahite « qui manque, souligne-t-elle, de fondements théoriques et dérive souvent vers un simple jugement de valeur », appliquée à l’étude des économies de la région MENA a connu un succès inespéré parmi les élites de ces pays » [3]. Les facteurs explicatifs de tous les déséquilibres renvoient invariablement à ces notions qui vont jouer un rôle essentiel dans l’entreprise de déconstruction des politiques de développement national. Comme le fait observer le politologue français arabisant Alain Roussillon, « la catégorie de rente et d’économie rentière, couplée à l’analyse de la structure de « classe » induite par/à la base de ce type de mobilisation des ressources, vont permettre une véritable inversion rétrospective du modèle. » [4]. [5]Tant pis si la réalité n’obéit pas au schéma ! Ce qui importe c’est que soient disqualifiés les résultats du développement parce que “dus à la manne pétrolière”… La littérature consacrée à l’économie algérienne déborde d’écrits tout entiers voués à la propagation de cette thèse. Comme le relevait pertinemment, en substance, Laurent Bonelli dans Le Monde diplomatique, ceux qui ont un quasi monopole sur la construction des catégories de perception de la réalité ne s’en privent pas pour donner le sens des faits, trouver les mots ou les catégories pour les dire [6].

Cette rhétorique sur la rente pétrolière versus dévalorisation du travail productif, qui s’est dispensée de l’argumentation scientifique, feint d’ignorer une vérité simple et vérifiable. C’est le pétrole nationalisé qui a permis de mettre en selle la sphère productive et le travail productif, et qui a donné naissance à un essor de la création d’entreprises, sans précédent, dans notre pays. En réalité, c’est précisément ce statut des revenus pétroliers qui est en cause, car « à travers la dénonciation de la rente s’exprime implicitement une contestation de la légitimité des pays pétroliers ou de leurs Etats à s’approprier les revenus de l’exportation des hydrocarbures » [7]. Les faits, têtus, ont beau s’inscrire en faux contre leur interprétation réductrice, le verdict reste désespérément le même. Ainsi, les années de vaste mobilité sociale ascendante sans précédent qui ont permis aux Algériens de “changer de file”, pour la première fois sans doute de leur histoire, deviendront, des décennies plus tard, sous la plume experte d’une journaliste française réputée être la “madame Algérie” de la presse parisienne, « les années postindépendance au cours desquelles le président Houari Boumediene à acheté la paix sociale (médecine, école gratuites, administration pléthorique)… ».

les mythes coloniaux insensés

La mémoire oublieuse ne fait plus barrage aux mythes coloniaux les plus insensés. Celui, par exemple, d’un système d’enseignement performant et exemplaire quand 9 Algériens sur 10 ne savaient ni lire ni écrire en ces temps bénis de l’école française. Ou celui du paradis perdu de l’agriculture coloniale qui avait projeté dans la misère et le dénuement la quasi-totalité de la population indigène. Les mythes, on le sait, ont la peau dure, ils nourrissent jusqu’aujourd’hui un certain discours intéressé sur la réalité algérienne. Celui, notamment, qui préfère parler de l’Algérie “Etat riche” plutôt que de pays semi aride et pauvre en ressources naturelles renouvelables (la terre et l’eau), comme base de vie indispensable. Comme celui qui décrète, sans appel et sans nuances, “l’école algérienne sinistrée” sans jamais se demander comment cette école, lestée de cette “tare”, avait pu fournir des dizaines de milliers de diplômés de valeur aux économies développées du Nord qui en tirent profit.

“la non-conformité" des "audaces indépendantistes"”

Qu’il s’agisse du développement industriel, agricole ou social, la sentence est inscrite dans l’attendu même qui les qualifie : “l’audace indépendantiste” prolongée impudemment sur le terrain de l’économie. Et son corollaire, la coupable non-conformité au modèle de référence et au statut traditionnel assigné aux pays de notre rang. En forçant le raisonnement, on est amené à comprendre que les choix du développement national indépendant ont dévié le pays d’une trajectoire vertueuse déjà inscrite en pointillés dans son statut d’économie coloniale. Une anomalie donc. Le retour au modèle de référence devient alors une “urgence historique”.

Ainsi, derrière la sémantique de bon sens des Réformes, un agenda politique précis a imposé son champ d’observation et d’analyse, son objet, sa problématique et les catégories pour la traiter et, bien sûr, le vocabulaire approprié pour la vulgariser. À usage d’élites mondialisées et aussi d’élites locales d’autant volontiers réceptives qu’elles se considèrent « piégées dans le national ». Est en œuvre là, le fameux « soft-power » qui « réside largement dans la capacité à définir l’agenda politique d’une telle manière qu’il oriente les préférences des autres. » [8].

L’enjeu de la définition du « problème à débattre » est considérable puisqu’il va induire le choix de l’appareil conceptuel pour l’analyser et celui de la méthode pour le « résoudre ».

Ainsi du « climat des affaires » qui va focaliser la réflexion sur les « conditions institutionnelles » à mettre en place pour l’améliorer. Parfois « le problème à débattre » prend des accents séduisants et flatteurs. Ainsi, des voix savantes nous invitent à penser « comment mettre en place cette économie largement centrée sur les services, sur le développement des PME/PMI, sur une forte reconnaissance des chercheurs, des inventeurs, des entrepreneurs, toutes les choses que les systèmes bureaucratiques ont tendance à bloquer ». Ces conseils d’expert ne se limitent pas à nous suggérer ce que devrait être notre champ d’analyse et l’objet de notre réflexion, ils s’autorisent même à nous en tracer la direction. « De ce point de vue, poursuit le président du Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques (FEMISE), l’expérience internationale montre que l’ouverture et le choc externe sont le meilleur moyen d’y conduire naturellement » et, pour donner une couleur locale à cette affirmation, le professeur ne résiste pas à la tentation du jugement d’appréciation : « l’Algérie, affirme-t-il, a fait de considérables progrès depuis les années 80 » [9]. On sait que nombre de pays industrialisés sont revenus aujourd’hui de cette arnaque post industrielle refilée sous le couvert de passage à l’économie des services, arnaque qui a transformé des régions entières, naguère vivantes et dynamiques, en zones sinistrées, livrées à la désolation. On sait bien aussi qu’aujourd’hui les véritables protagonistes de l’économie ne sont ni des scientifiques ni des technologues ni des entrepreneurs schumpétériens mais des boursicoteurs et des spéculateurs financiers dont l’escroc Madoff n’est que la partie immergée, certes monumentale, de l’iceberg.

implications et conséquences de cet agenda imposé :

Les implications de cet agenda imposé dépassent cependant la stricte sphère académique.
Il y a d’abord celle qui va consacrer la rupture avec les conceptions des relations internationales en termes de relations de dépendance-domination et le passage à des conceptions qui mettent en avant les interdépendances et les opportunités que présente la globalisation. L’Algérie, écrit l’ex-haut fonctionnaire de la Banque mondiale, Mourad Benachenhou, s’engage à renoncer à l’idée que les relations entre le Nord et le Sud sont des relations de domination et d’exploitation devant être changées par des négociations globales et à accepter l’analyse des pays capitalistes suivant laquelle ces relations sont la conséquence du libre jeu des mécanismes de marché…et que le développement n’est que le résultat d’une exploitation adéquate des avantages comparatifs » [10].
La concession est de taille, elle en entraîne d’autres, de plus grande envergure. Celle, notamment, qui décrète l’obsolescence du modèle politique et économique de l’Etat-nation , mondialisation oblige [11]. Ce qui a pour conséquence d’évacuer du champ d’analyse toute politique pensée en termes de développement national puisque inscrit dans le cadre de l’Etat-nation. Celle mise en œuvre durant les deux premières décennies de l’Algérie indépendante est, alors, disqualifiée sans appel pour cause d’inefficacité « native ».

le verdict de l’échec du développementalisme

Et, aboutissement logique de cet agenda, le verdict de l’échec du développementalisme. Il emporte dans son opprobre l’industrialisation « conçue comme une greffe du modèle d’organisation économique et technique occidental sur des structures sociales inaptes à les recevoir, onéreuse, hautement capitalistique, peu créatrice d’emplois et foncièrement incapable de générer des synergies positives ». N’échappent pas à ce réquisitoire, l’Etat « importé », ses politiques de modernisation, sources de tensions, ses pêchés d’acculturation et d’occidentalisation.

Formulé sur le mode de l’incantation, un seul crédo domine désormais : celui du développement d’ « une économie hors hydrocarbures compétitive et rentable ». Son cheval de bataille est le développement de la PME /PMI en Algérie, promue terre de mission d’un libéralisme économique en mal de projet susceptible de donner une consistance économique nationale tangible et convaincante à l’économie de marché. Le nombre insuffisant de PME est régulièrement dénoncé comme le handicap majeur de l’économie algérienne. Le discours autour du ciblage des politiques économiques en faveur du développement des PME accapare la scène médiatique. Pour expliquer les difficultés des PME à grossir, on invoque traditionnellement le poids des charges sociales et fiscales, l’obstacle des complexités administratives, notamment pour l’accès au foncier, et la frilosité des banques, sans oublier, bien sûr, la “faiblesse de la culture entrepreneuriale”. En 2009, on n’enregistrait, souligne-t-on, que 55 entreprises pour 100. 000 habitants par an contre une moyenne de 240 PME/100.000 hab/an pour les pays en développement du même niveau que l’Algérie [12]. Un discours qui, par un curieux paradoxe, valorise le rôle privilégié de l’entrepreneuriat tout en occultant son corollaire, le risque de l’entrepreneur, en faisant reposer sur l’Etat tout l’effort de développement de la PME ». Est aussi occultée la béance essentielle, comme le souligne l’expert international en management, Omar Aktouf : aujourd’hui, les PME ne parviennent pas à s’arrimer à des entités pouvant jouer le rôle de locomotives [13]. Or, explique-t-il, l’existence des PME et leur pérennité ne sont possibles qu’à condition d’avoir un tableau des échanges interindustriels déjà intégré. Cela suppose des opérateurs économiques de grande envergure qui peuvent être des incubateurs de création de PME/PMI comme par exemple, rappelle-t-il, les fameux complexes du temps de Boumediene. Mais qu’importe si l’injonction et le crédo ne procèdent d’aucune démarche stratégique (sinon une visée à forte charge idéologique pour « créer une classe d’entrepreneurs »), puisque cela reste conforme à « l’agenda » du problème à débattre.

économie mondiale - vaste marché : où est l’égalité des chances ?

Autre thématique d’emprunt en vogue, celle d’une économie mondiale, vaste marché où règne l’égalité des chances et où les opportunités dépendent des avantages compétitifs des acteurs. C’est le fameux mythe du “gagnant-gagnant”. Pour ne pas gâcher ce tableau idyllique, il faut surtout oublier de rappeler que ce “vaste marché égalitaire” est avant tout une hiérarchie implacable issue de rapports de forces forgés tout le long des siècles de l’industrialisation et de la colonisation. Que c’est, également, un immense pouvoir de marché concentré entre les mains d’une poignée d’acteurs, les oligopoles, un marché donc peu concurrentiel. Des entreprises ayant un pouvoir de marché mondial qui surpasse les compétences des régulateurs et les capacités financières de la plupart des Etats. Que c’est, pour finir, un « pouvoir structurel » de façonner et de déterminer les structures de l’économie politique globale à l’intérieur desquelles d’autres Etats -leurs institutions politiques, leurs entreprises, leurs scientifiques et autres professionnels- doivent opérer [14] ». Pouvoir dont disposent la seule superpuissance existant actuellement, les USA, et un petit groupe de pays dominants de la Triade [15]. Pouvoir qu’ils exercent à travers une combinaison d’institutions, G8, G20,Union Européenne, FMI, Banque mondiale, Agences de notation, OMC, OCDE,OTAN, bref, la super élite entrepreneuriale, politique, militaire et intellectuelle de la Triade , un « système sans tête mais non sans maître » [16] , qui nous commande d’ « enlever nos mains du clavier et de suivre ses instructions » [17]. Comme le rappelle de manière convaincante, Luis Carlos Bresser-Pereira, l’auteur brésilien de « Mondialisation et compétition », un ouvrage de référence sur la question [18], la compétition n’est pas seulement entre les entreprises, mais aussi entre les Etats et entre les gouvernements. Dans cette compétition, explique-t-il, l’Etat national est devenu plus stratégique qu’avant et les pays qui réussissent dans cette compétition, soutient le professeur Luis Carlos Bresser-Pereira, sont ceux qui consolident leur nation et adoptent une stratégie nationale de développement [19].

Autant dire que la construction des fondements de la compétitivité externe de notre pays est loin de se réduire à une question de bonnes techniques d’ingénierie financière et de managers compétents capables d’opérer les bons choix avec les « données du marché ». Œuvre de longue haleine, elle est irréalisable sans la préservation et le renforcement de l’Etat national [20].

l’impasse aujourd’hui du « modèle de référence »

Aujourd’hui, la crise systémique qui a précipité dans la même impasse structurelle les trois pôles de la Triade, et l’impossibilité reconnue d’en entrevoir une issue visible, offrent chaque jour la démonstration pédagogique de l’impasse du « modèle de référence ». Le cycle des crises tend à se raccourcir fortement. Malgré les milliers de milliards de dollars déversés dans les circuits de la haute finance capitaliste, le cœur du réacteur, la machine économique, ne donne pas de signes d’une reprise durable et le spectre d’une rechute est toujours là qui plane. Les commandes centrales classiques de régulation du système ne répondent plus, sans engendrer de nouveaux déséquilibres. Le risque d’implosion guette ce mécanisme qui, il faut bien le dire, n’y échappe que grâce, notamment, au concours compréhensif et bienveillant des capitaux chinois. Un doute puissant pèse sur le devenir d’un modèle vers lequel « nos » réformes libérales étaient sensées nous faire converger [21]. C’est bien la fin du « vaisseau global » selon la métaphore du Canadien John Ralston Saul qui a dressé le constat de la mort de la globalisation [22]. Un vide, une transition, nous signale-t-il, « où tout est à définir, où tout redevient possible » [23]. Ce que le professeur Omar Aktouf résume dans ces lignes directrices : « développement autocentré sans modèle impératif mais adapté aux spécificités et priorités du pays, le non-alignement et la non-inféodation à aucun modèle ni aucune institution économiques quels qu’ils soient » [24]. Le primat de l’intérêt national avant tout, comme fil conducteur.

Pour rester dans la métaphore marine, le vaisseau Algérie doit donc remettre en question son ancienne feuille de route, cause de tant de désastres, pour s’engager dans la voie difficile mais seule en mesure de le sauver, la voie qui a pour port d’attache l’intérêt national et l’indépendance nationale, et pour destination le développement national, forcément autocentré. Retrouver sa voie propre, en clamant haut et fort, comme le grand Mahmoud Darwich, à la face des tuteurs de l’Occident recolonisateur :

« Vous qui passez parmi les paroles passagères,
portez vos noms et partez.

Retirez vos heures de notre temps, partez…

Vous qui passez parmi les paroles passagères,
entassez vos illusions dans une fosse abandonnée, et partez.

Rendez les aiguilles du temps à la légitimité du veau d’or ou au battement musical du revolver.

Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, partez….. »



[1René Bureau, “Péril blanc. Propos d’un ethnologue sur l’Occident”, L’Harmattan, Paris, 1978, cité par Serge Latouche, “L’Occidentalisation du monde”, La Découverte, Paris, 1992.

[2Décret 63-491 du 31 Décembre 1963 et Journal Officiel de la RADP du 14 janvier 1964, p. 23.

[3“Le concept de rente appliqué aux économies de la région MENA-pertinence et dérives.” Fatiha Talahite, chercheur au CNRS-Université Paris 3 :http://hal.archives-ouvertes.fr/

[4Alain Roussillon. “Les dossiers du CEDEJ :“l’Egypte et l’Algérie au péril de la libéralisation”, Le Caire, Egypte/CNRS.1996,p.58.

[5Fatiha Talahite, “Le concept de rente..”, article cité

[6Cf. “Des faits, mais quelle interprétation ? Combien de divisions ?”, par Laurent Bonelli, in Le Monde diplomatique, Avril-Mai 2009.

[7Fatiha Talahite, “Le concept de rente..,” article cité

[8Selon Joseph Nye, The means to succes in world politics. Public Affairs (US) 2OO4.

[9Le président du Femise à El Watan Economie du 9 nov au 15 nov 2009

[10Cf.Benachenhou Mourad, “Réformes économiques, dette et démocratie”, Maison d’édition Dar Echrifa, p.111

[11Si on continue à raisonner dans le cadre des limites d’une économie proprement nationale, tout effort pour trouver une issue à l’état actuel des choses serait vain, estime, par exemple, Fodil Hassam, en conclusion d’un livre dédié à « Vingt ans de réformes libérales, 1986-2004, Les chemins d’une croissance retrouvée » op. cit , p. 199. Cf. aussi l’article intitulé “Les réformes économiques au Maghreb:la gouvernance à l’épreuve de l’autoritarisme”, par M.C. Belmihoub, in la revue des sciences commerciales, INC n° 8, 2008, pp. 107-141.

[12Source Cercle algérien de réflexion économique (CARE

[13Cf. Omar Aktouf, in El Watan du 30 novembre 2010.

[14Susan Strange, “States and Markets”, New York’s. Martin’s Press, 1994

[15Idem

[16Cf. Elisabeth Gauthier, Dé-mondialiser ou changer le monde ?, publié le 12/7/11.(http://www.espace-marx.net) Cf également sur le même site, Nils Anderssen, “Libérer le système des relations internationales des politiques des puissances”, Colloque d’Espaces Marx, « Une crise de civilisation ? »,28/29 janvier 2011.

[17Anne- Marie Slaughter est directrice de la planification politique au ministère des affaires étrangères des Etats-Unis (ex rectrice de la Woodrow Wilson of Public and international Affairs à l’université de Princeton dans les années 2002-2009.) En 1997, elle a écrit un article dans le magazine Council of Foreign Affairs dans lequel elle traite des fondements théoriques du nouvel ordre mondial. Selon elle, l’Etat ne disparait pas mais il éclate en différentes composantes fonctionnelles distinctes. Ces composantes -la justice, les agences de régulation, les composantes de l’Exécutif et même celles du Législatif- se connectent aux réseaux avec leurs vis-à-vis à l’étranger, formant ainsi une toile dense de rapports qui constituent le nouvel ordre supra gouvernemental, et le transgouvernementalisme devient rapidement le régime effectif le plus répandu de la domination internationale.

[18Luis Carlos Bresser-Pereira, Mondialisation et compétition, Editions La Découverte 2009.

[19Cf. Interview de Luis Carlos Bresser- Pereira le 22 mai 2010 sur http://www.opalc.org/web

[20Nombreux sont les observateurs et les analystes de l’expérience chinoise qui mettent en exergue le rôle de l’Etat-stratège et du développement planifié et autocentré dans la création des conditions de la dynamique extraordinaire actuelle.

[21Fatiha Talahite et Ahmed Hamadache, “L’économie algérienne dans le contexte de la crise financière internationale. L’Algérie aux défis de la globalisation”, Journée d’étude, Grenoble. Mardi 8 février 2011.(.http://lepi.upmf-grenoble.fr)

[22John Ralston John, Mort de la globalisation. www. Youtube.com/watch ?v=bhn3f2=JIQk

[23Omar Aktouf à El Watan du 30/11/10

[24Cf. El Watan des 13/5/09 et 24/5/09.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Lien hypertexte

    (Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)