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"TURQUIE - TUNISIE : UN UTILE REGARD COMPARATIF DANS LE TEMPS ET DANS L’ESPACE"

samedi 14 janvier 2012

DÉRIVES TURQUES ET TUNISIE

Par Hassane Zerrouky

Le président Abdullah Gül a beau affirmer que « tous les citoyens sont égaux devant la loi » après l’arrestation vendredi dernier de l’ex-chef d’état-major de l’armée, le général Ilker Basbug – il était en fonction en 2010 – il n’en demeure pas moins que la Turquie est le théâtre d’une dérive autoritaire inquiétante : des centaines de journalistes et de démocrates, accusés de « complot contre l’Etat », sont l’objet de poursuites judiciaires quand ils ne sont pas jetés en prison.

Ce pays, cité comme « modèle » par Washington de ce qui convient le mieux aux pays arabes et maghrébins, est en train de renouer avec les années de plomb des années 1980 où à la suite d’un coup d’Etat, les Kurdes, les démocrates et progressistes turcs avaient été impitoyablement traqués.
L’armée avait alors promulgué des lois liberticides et mis en place des tribunaux d’exception dont, aujourd’hui, cette même armée en fait les frais.
En outre, c’est l’armée, après le coup d’Etat de 1982, qui a introduit l’enseignement islamique dans les écoles turques.
À l’époque, en bon élève de l’Otan, son action s’inscrivait dans cette stratégie dite de la « ceinture verte » initiée par Zbignew Brezinski, conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, pour contenir le « communisme ». Il s’agissait d’instrumentaliser l’islam contre le « communisme » en favorisant l’émergence de régimes islamiques dans le monde arabe et musulman.
C’est l’armée encore qui avait fait la chasse à tous ceux qui évoquaient les massacres d’Arméniens.
C’est elle qui était derrière l’accord stratégique politique et militaire, aujourd’hui gelé, avec Israël avec l’aval des Etats-Unis.
Il est vrai que des militaires de haut rang, dont beaucoup n’exercent plus aucune fonction, ont trempé dans une affaire, dite “Ernegecon”, et ont été arrêtés. Cette organisation ultranationaliste, regroupant des officiers supérieurs de l’armée à la retraite, démantelée après la découverte d’un plan de déstabilisation du pays : assassinats d’hommes politiques, de journalistes et d’intellectuels, provocations d’incidents armés à la frontière turco-grecque, bombes dans des mosquées !
Le tout visant à créer une situation de chaos et d’instabilité généralisée propice à une intervention militaire avec à la clé, la proclamation de l’état d’urgence, la dissolution du gouvernement et du Parlement !

Cette affaire a servi le Premier ministre Tayyip Erdogan et son parti l’AKP. Aussi, profitant que l’armée soit sur la défensive, l’AKP a-t-il décidé d’enfoncer le clou dans le but de réduire son influence et celle de ses relais kémalistes au sein des institutions étatiques, mais aussi museler des forces autrefois victimes de cette même armée : des journalistes, des étudiants, des militants et des intellectuels prokurdes.
Ce bras de fer AKP-généraux n’est rien d’autre que l’expression d’une lutte pour le pouvoir entre les nouvelles élites bourgeoises turques dont les objectifs sont entravés par ces franges de la bourgeoisie traditionnelle proche de l’armée, ancrée dans une vision pseudo-moderniste, autrefois pro-occidentale, autoritaire et passéiste.

En Tunisie, c’est une tout autre réalité. Rien à voir avec la Turquie où, contrairement aux pays du Maghreb, la différenciation de classe est comparable à celle existant dans les pays occidentaux, et où les luttes sociales et politiques structurent le champ politique depuis les années 1950.
J’invite les démocrates algériens à se rendre dans ce pays pour mesurer le fossé qui nous sépare de la réalité turque.
De ce fait, en Tunisie, la référence au modèle turc, brandi par Ennahda, relève de l’instrumentalisation à des fins de pouvoir. À l’issue d’une élection où un Tunisien sur deux ne s’est pas rendu aux urnes, le parti de Ghanouchi dirige un gouvernement de coalition avec le parti du président Marzouki et celui du président de l’Assemblée constituante, Mustapha Benjaafar, tous deux issus d’une mouvance de gauche.
Les ministères de l’Intérieur et de la Justice sont aux mains d’Ennahda.
Aussi a-t-il tenté d’en user pour asseoir son pouvoir sur les médias en nommant des responsables à sa solde à la tête des principaux médias. La réaction des journalistes a été rapide : après le rassemblement de plusieurs centaines de journalistes lundi devant le palais du gouvernement dénonçant le retour aux pratiques de l’exrégime de Ben Ali, les autorités tunisiennes ont été obligées de reculer.
Cette bonne nouvelle montre que le combat des journalistes tunisiens nous concerne directement.

H. Z.
Dans Le soir d’Algérie, 13 janvier 2012
"Chronique du jour" : CE MONDE QUI BOUGE




Voir en ligne : http://www.lesoirdalgerie.com/artic...

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