Accueil > GUERRE DE LIBERATION > DANIEL TIMSIT, UN COMMUNISTE ALGÉRIEN

DANIEL TIMSIT, UN COMMUNISTE ALGÉRIEN

jeudi 29 mars 2012

Humanité Quotidien

23 Mars, 2012

Petit-fils d’un grand rabbin, combattant de l’indépendance algérienne, étudiant communiste, « médecin des pauvres », il participa à la Bataille d’Alger, connut la prison et la torture au commissariat central. De cette douloureuse expérience, il a tiré des carnets de prison (1). Il est mort il y a dix ans.

Daniel Timsit était un étudiant communiste d’Alger ayant participé, aux côtés des indépendantistes, à la bataille d’Alger. Son engagement radical, il l’a puisé dans la détresse des « aoulads », enfants perdus de la casbah, ces invisibles de la société coloniale qu’il côtoyait sur le chemin de l’école.
Leur insondable malheur imprégna l’innocence enfantine du petit juif de Bab-El-Oued, déjà profondément marqué par l’Holocauste, et y cultiva une indignation absolue.

Les carnets de prison du « médecin des pauvres » ont été édités sous le titre Récits de la longue patience (Flammarion - Bouchene, 2002). Ces pages peuvent se lire d’une traite, comme un roman, sinon se déguster en poignants ou savoureux morceaux choisis.

L’auteur y fait revivre des martyrs algériens, ses camarades de combat. Maurice Audin : « Dès les premiers jours j’ai vu que c’était un ange –un regard et un front d’intelligence, une bouche et un sourire d’enfant–- un ange. Étranglé lors d’un interrogatoire – va poursuivre quelque chose après ça. Les plus hautes ambitions sont des jouets d’enfants en face de ces stupéfiantes souffrances. Il n’y a pas de mot ! Même les meilleurs ne disent rien, ne peuvent rien en dire. »

Hassiba Ben Bouali : « Elle transportait les explosifs que nous fabriquions. C’était une toute jeune lycéenne de dix-sept ans, très belle, de grande éducation, raffinée. Tous nos rapports étaient empreints de délicatesse. J’étais hébergé chez la mère d’un militant qui me traitait comme son fils. Hassiba m’avait offert un superbe exemplaire des Mille et Une Nuits. C’était le sien depuis la petite enfance, m’avait-elle dit, et elle avait ajouté : “Cela t’aidera à passer les nuits”. »

Le communiste Paul Caballero : « Il a une vue fine faite d’observations précises, pratiques, et d’expériences personnelles. Les qualités premières d’un vrai dirigeant ouvrier, il les a. Il est optimiste, il s’explique simplement, sans volubilité ni éclats de voix et quand il parle cela réconforte. »

Tout au long de son récit, Daniel Timsit fait pénétrer le lecteur au cœur de la machine répressive coloniale, dans l’horrible atmosphère ayant marqué la seconde moitié des années 1950 : « Je suis resté huit jours au commissariat central. Avec stupeur, j’ai découvert la férocité, l’acharnement. (…) Deux jours et trois nuits debout, bras étendus, sans boire ni manger, battu en permanence par les policiers qui se relayaient. Insultes qui blessent peut-être plus encore que les coups. Simulacres d’exécution, menaces sur la famille. Et ce questionnement incessant, le martèlement de questions répétitives jusqu’au délire, qui embrume. »

Nous découvrons avec lui l’univers carcéral d’El-Harrach, Lambèse, les Petites Baumettes et Angers : « En dedans, eau courante, le fil des images et des idées se dévide irisé de soleil. Trente pas, trente pas, pas plus. Sinon ce sont les latrines avec des crottes séchées et la mare d’urine et d’eau croupie où viennent boire les mouches, dans l’angle du mur et des latrines. » Nous faisons la connaissance d’hommes ordinaires qui sont faits d’une étoffe à part. Divers par la religion, la région d’origine, la situation sociale, ils ont cultivé le rêve de libérer l’Algérie et, pour certains, dont Daniel Timsit, l’humanité entière : « Revoir tous les amis que j’ai connus en prison, et faire avec leurs vies passées, la révolution présente et future, une compréhension du monde. (…) Il faudrait revoir, de Barberousse : Bosli, Hadj Ali, Kasbadji, Baptiste Pastor, Faudji et aussi Reynaud père et fils, Smadja, Paco, Dulac ; de Maison-Carrée : Zamoum, Dadah, Mokhtar, Zoubir, Medjkane, Si Moh Touil ; de Lambèse : Driss, Si Moh, Si Saïd l’Oranais, Missoum, Benzine, Étienne, Georges, Azzouz, Larbi, Mahmoud, Benia, Targa, Ben Chergui, Hamoudi, et une pléiade d’autres, de Khenchela, de Souguer, de Bône, de Constantine, d’Oued Zenati, de Bougie, des Petites Baumettes, de Sétif… »

Mais tout n’était pas rose, côté « révolution » : les étroitesses qui amputèrent l’Algérie postcoloniale de sa diversité démocratique et sociale étaient déjà là. À Angers : « La détention se fractionne en clans et sous-clans divers suivant les appartenances régionales, sociales, culturelles. La belle cohésion des gourbis solidaires se délite dans une atmosphère de méfiance réciproque et parfois d’hostilité, au point que certains souhaitent revenir à la fermeture des portes des cellules. C’est dans cette prison où nous sommes les plus libres que nous sommes les plus malheureux. »

(1) Ses carnets de prison ont été publiés en 2002 
sous le titre Récits de la longue patience, journal 
de prison 1956-1962, aux Éditions Flammarion-Bouchène. 472 pages, 20 euros.

Une vie de combats


Né en 1928 dans une famille populaire de commerçants d’Alger, petit-fils d’un grand rabbin de Constantine, Daniel Timsit a très tôt épousé la cause de l’indépendance algérienne.
Responsable des étudiants communistes d’Alger en 1955, il plonge dans la clandestinité en mai1956.
Membre des Combattants de la libération créés par le PCA, il rejoint l’ALN et prend part à la bataille d’Alger.
Il est arrêté en octobre1956.
Jugé en mars1957, il est incarcéré à El Harrach puis à Lambèse, avant d’être transféré en France en janvier1960.
Libéré en mai 1962 à Angers, il rentre à Alger en juillet 1962. « Je n’ai jamais été un Européen », affirmait ce descendant d’une longue lignée judéo-berbère dans le documentaire que lui a consacré, en 2010, Nasredine Guenifi. En langue amazigh, son nom signifie « petite flamme ».

Daniel Timsit s’est éteint à Paris, 
le 2 août 2002. Jusqu’à son dernier souffle, 
il n’a cessé de rappeler la violence d’un système colonial dans lequel les « musulmans n’étaient que des ombres transparentes » 
et de plaider pour la « vérité historique ».

Ramdane Hakem


Sur socialgerie, voir aussi :

JOURNAL DE PRISON 1956 - 1962 - Daniel TIMSIT : RÉCITS DE LA LONGUE PATIENCE - "NOTES DE LECTURE", PAR RAMDANE HAKEM - article 101 mis en ligne sur socialgerie le 27 octobre 2009.

Samedi 16-01 : DANIEL TIMSIT L’ALGÉRIEN, film de NASREDINE GUENIFI - brève 23 mis en ligne le 13 janvier 2010.

Jeudi 25 mars, aux 3 Luxembourg, le film "DANIEL TIMSIT, L’ALGÉRIEN " - brève 53, mise en ligne le 16 mars 2010



Voir en ligne : http://www.humanite.fr/culture/493025

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Lien hypertexte

    (Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)