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« AL HOURIYA”, le 20 septembre 1962

LETTRES ADRESSÉES AU G.P.R.A. AU COURS DE LA GUERRE POUR L’INDÉPENDANCE AU NOM DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN

le 15 NOVEMBRE 1958 & le 15 JUILLET 1959

mardi 9 février 2010

LETTRES

ADRESSÉES AU G.P.R.A.

AU COURS DE LA GUERRE
P O U R L’INDEPENDANCE

AU NOM DU COMITE C E N T R A L
DU PARTI COMMUNISTE ALGERIEN

PAR

Bachir HADJ ALI
Secrétaire du Parti

PRÉFACE DE
Sadek HADJERES
membre du Bureau Politique

É D I T I O N S « AL HOURIYA”


P r é f a c e

D’Algérie où la direction de notre Parti n’a cessé, durant les années de guerre, d’assumer pleinement ses tâches au milieu de notre peuple, notre Comité Central a adressé au G.P.R.A., en novembre 1958 et en juillet 1959, des lettres confidentielles sur la situation en Algérie. Nous n’avons pas voulu les publier jusqu’ici afin que l’ennemi colonialiste ne puisse utiliser certaines de nos remarques, critiques ou suggestions contre le F.L.N. et tenter de diviser les patriotes.

Aujourd’hui que la guerre s’est terminée par une victoire historique de notre peuple, il nous semble utile, à plus d’un titre, de publier ces documents :

1) Ces lettres confirment combien le P.C.A. avait raison de mettre
l’accent sur l’immense courant national, la force grandissante du sentiment patriotique et la certitude de la victoire ;

2) Elles montrent le souci national constant qu’avait notre Parti d’élever sans cesse le niveau politique et de lutte du peuple à la fois par une critique constructive des faiblesses du mouvement de libération et par des propositions en vue de surmonter ces faiblesses et pour rendre la victoire moins coûteuse et plus rapide ;

3) Elles confirment la clairvoyance de notre Parti qui déjà, bien avant l’autocritique du F.L.N. contenue dans le projet de programme de Tripoli, avait décelé les erreurs commises dans la conduite de la guerre par le G.P.R.A. et attiré l’attention de ce dernier sur elles ;

4) Elles jettent plus de lumière sur la crise du F.L.N. et justifient notre conception de l’union : front unique de toutes les forces patriotiques sans exception sur un programme minimum commun dans le respect de l’indépendance politique et organique de chaque parti et tendance ;

5) Elles montrent la nocivité de l’anticommunisme, arme préférée des impérialistes et de leurs agents contre les mouvements d’émancipation nationale et sociale des peuples ;

6) Elles confirment enfin et surtout la justesse du maintien du Parti Communiste Algérien dans la tourmente de la guerre et la justesse de ses positions : unir toutes les forces saines de la nation sans exclusive ; lier la lutte armée à la lutte de masse ; définir les objectifs sociaux, économiques et politiques de la révolution pour souder plus encore les masses les plus déshéritées à cette dernières ; bannir les méthodes de contrainte au sein des masses et généraliser les méthodes démocratiques d’explication et de persuasion ; lutter pour soustraire à l’influence des ultras les Européens honnêtes d’Algérie ; accorder plus d’importance à l’opinion publique française ; lutter contre les illusions sur la politique de De Gaulle, le soi-disant anticolonialisme des dirigeants américains ; consolider nos alliances extérieures, etc.

Nous sommes convaincus que la lecture de ces lettres enrichira les patriotes, élèvera leur esprit de responsabilité, leur permettra de tirer des leçons utiles au moment où la crise du F.L.N. n’est pas définitivement surmontée et où les difficultés rencontrées par l’Algérie libre s’avèrent considérables, face à l’emprise et aux manœuvres néo-colonialistes.

Elles armeront politiquement les patriotes et contribueront à les unir dans l’action pour l’édification de la République algérienne démocratique et populaire et pour ouvrir le voie au socialisme.

Alger, le 20 septembre 1962

Sadek HADJERES ,
Membre du Bureau Politique
Du Parti communiste Algérien


LETTRE DU P.C.A. au GPRA du 15 NOVEMBRE 1958

Alger, 15 novembre 1958

AU GOUVERNEMENT PROVISOIRE DE LA REPUBLIQUE ALGERIENNE

Chers Frères,

En établissant pour vous le présent rapport, le Parti Communiste Algérien a eu pour souci essentiel d’informer les patriotes qui, à la tête de notre gouvernement, dirigent la lutte du peuple algérien. Certes, le gouvernement algérien a ses propres sources d’information grâce au F.I.N. et à l’ A.L.N. Mais un faisceau d’informations aussi objectives que possible et émanant de différents postes d’observations permet d’avoir une vue plus complète et plus précise de la situation en Algérie, de procéder à d’utiles comparaisons pour agir d’une façon plus efficace encore, au mieux de nos intérêts nationaux.

Nous vous prions donc de considérer ce rapport comme une des manifestations de notre politique de soutien au gouvernement. Vous n’ y trouverez aucune référence à la situation militaire proprement dite sur laquelle vous êtes informés directement. Vous y trouverez par contre une analyse succincte de la situation politique intérieure après quatre ans de guerre pour l’indépendance, sur la base de renseignements locaux recueillis notamment dans les grandes villes. Nous n’avons pas jugé utile d’insister trop sur les facteurs positifs, qui, de loin, sont supérieurs aux aspects négatifs. Par contre, nous nous sommes attardés dans l’étude de ces derniers. Nous avons essayé d’en dégager les causes en vous donnant à ce sujet notre opinion sur quelques questions touchant à l’orientation générale du mouvement. Nous avons émis une série de suggestions pour faciliter l’élimination de ces facteurs négatifs.

Voilà l’esprit dans lequel nous avons cru de notre devoir de patriotes d’établir ce rapport. Nous avons pris des mesures afin qu’il vous parvienne directement et qu’il ne tombe pas entre les mains de l’ennemi.

I. Après quatre années d’une guerre terrible, la foi patriotique de notre peuple trempée dans des épreuves atroces, est plus vivace que jamais

La formation du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne a rempli de joie et de fierté tous les patriotes sans distinctions politiques. Cet acte historique, tant attendu, a une portée psychologique considérable sur les masses populaires : l’Algérie possède son drapeau, son armée, son gouvernement. Celui-ci est reconnu par de nombreux pays. Le caractère étranger de l’administration française n’apparaît que plus nettement. Quelles que soient les difficultés rencontrées actuellement par le gouvernement algérien, son audience internationale ira en grandissant parce qu’il symbolise et représente les justes aspirations de notre peuple. Sa formation rend plus irréversible encore la marche de l’Algérie vers son indépendance. L’Algérie ne restera pas, seule, enchaînée, entre la Tunisie et le Maroc, états souverains, et dans un continent où l’indépendance de la Guinée précipitera le processus de désagrégation de l’ancien empire colonial français.

L’abandon par De Gaulle des slogans « Français à part entière » (Forum d’Alger), « Algérie française » (discours de Mostaganem), l’emploi de la formule « Personnalité algérienne » sont autant de reculs politiques à mettre à l’actif de l’Algérie et de son refus d’être la France. Les contacts plus ou moins officieux entre notre gouvernement et le gouvernement français, la conférence de presse de De Gaulle (malgré le caractère inadmissible des conditions posées à l’Algérie) fournissent, s’il en était encore besoin, la preuve que la France reconnaît officiellement qu’elle n’est plus en mesure de décider seule pour l’Algérie et qu’elle est obligée, dans les faits, bien qu’elle le nie en paroles, d’admettre la représentativité du gouvernement algérien . Cela n’échappe pas aux masses populaires et même à certains candidats administratifs qui se sont dérobés aux sollicitations officielles pour la prochaine « compétition électorale ». Le « vide politique » dont parle De Gaulle ne sera pas comblé. Les prochaines « élections » seront un échec politique cinglant pour la France. Elles feront éclater les mensonges débités sur les résultats du 28 septembre en Algérie. Leur report aurait constitué l’aveu d’un désastre politique plus grand. Cet aspect des contradictions dans lesquelles se débat le général De Gaulle et l’éclatement des comités du 13 mai n’échappent pas aux Algériens. Toutes ces difficultés chez l’ennemi ont pour toile de fond la résistance de notre peuple. Il ne fait pas de doute que les conditions politiques générales de notre lutte sont excellentes au moment où nous entamons la cinquième année de guerre.

Les quatre années écoulées ont montré à l’évidence que notre nation mérite mille fois sa souveraineté et son indépendance. Une analyse des aspects originaux de la guerre d’Algérie, comparée à la guerre d’Indochine, fait apparaître des conditions objectives supplémentaires défavorables à notre lutte, soulignant par là-même avec plus d’éclat la puissance et la profondeur du Mouvement de libération nationale algérien :
• proximité de la France, en 24 heures de bateau et à 3 heures d’avion ;
• mobilisation du contingent et présence en Algérie d’un million d’Européens, dont l’immense majorité a été organisée en base de répression contre le peuple algérien, etc.

Notre peuple a supporté avec vaillance le poids de cette guerre. Vous connaissez autant que nous les chiffres impressionnants qu’on obtiendrait si on appliquait aux pays européens qui ont subi la barbarie nazie la proportion de pertes et de sacrifices consentis par les Algériens. Combien de peuples auraient tenu aussi longtemps devant le déluge de fer et de feu déversé sur l’Algérie par l’armée française ? Nous pouvons être fiers de notre peuple !

Sa résistance ne se manifeste pas seulement dans les actions d’éclat et les sacrifices. Elle se manifeste aussi dans certains faits, grands ou petits, qui marquent les traditions ou la vie de tous les jours et qui sont profondément significatifs de l’état d’esprit des masses populaires : depuis novembre 1954, le sacrifice du mouton est abandonné, le jour de l’Aït el Kébir ; le pèlerinage à La Mecque ne rencontre plus que la faveur de quelques dizaines de médaillés et mouchards, voyageant aux frais de la France ; les sociétés sportives algériennes ne participent plus aux compétitions ; la pratique religieuse s’est étendue. Les femmes algériennes dans leur ensemble font face avec un courage admirable aux responsabilités écrasantes que fait peser sur elles la nouvelle situation qui a privé une grande proportion d’entre elles du ou des soutiens de familles traditionnels. Il ne fait pas de doute que cette dure épreuve fait avancer à grands pas leur émancipation. On peut citer aussi les exemples de ces douars situés dans les zones de la faim ou de ces villages kabyles, qui préfèrent subir stoïquement le blocus alimentaire des troupes d’occupation françaises, à l’occasion des « offensives » décidées par De Gaulle, que faire leur « soumission » aux sections administratives spéciales. En juin dernier, à Oran, des manifestants fascistes européens des C.S.P. ont été mis en fuite par des groupes de jeunes algériens aux abords du quartier de la Ville nouvelle. Le même mois, à Alger, plus d’une centaine de femmes patriotes ont défilé à deux reprises devant la préfecture en chantant « Min Djibalina » et en scandant des mots d’ordre pour la libération des détenus politiques et l’indépendance. Toutes ces attitudes, tous ces gestes constituent autant de formes de la résistance nationale.

A ce désir profond de libération, à cet attachement fervent à la cause nationale s’ajoute un très grand désir de paix. Certes, les Algériens ont toujours désiré en finir le plus rapidement possible avec cette guerre, ce qui est compréhensible. Mais, après les quatre années de souffrances épouvantables endurées par notre peuple, dont pas une famille n’a échappé à une répression effroyable, ce désir est devenu si profond qu’il constitue véritablement, en fonction notamment des changements politiques survenus chez l’ennemi, ces derniers mois, un fait nouveau. Ce fait doit retenir sérieusement notre attention, dans la mesure où la poursuite de la lutte sous toutes ses formes jusqu’à l’objectif de l’indépendance, nécessite en premier lieu une meilleure mobilisation des masses populaires, impossible sans la connaissance précise de leur état d’esprit et des courants d’opinion provoqués par les événements.

II. L’ennemi spécule sur ce désir réel et sincère de paix pour le détourner à son profit en le séparant du désir profond de libération et

en s’efforçant de détruire ce dernier ou au moins de l’affaiblir en lui assignant les limites d’une prétendue libération individuelle et sociale dans le cadre de la « Communauté française ».

On peut déceler deux orientations dans la politique française actuelle :

ORIENTATION POLITIQUE

Après l’échec patent de l’« intégration des âmes » et de la « fraternisation », le 5ème Bureau d’action psychologique de l’armée française met aujourd’hui l’accent sur De Gaulle, présenté comme un « homme d’honneur », comme un « ami sincère des Algériens », décidé à nous « rendre nos droits et notre dignité à la condition que la lutte cesse ». Ceux qui poursuivent la lutte retardent donc la promotion politique et sociale de l’Algérie, est-il suggéré. L’accord regrettable entre la France et la Tunisie sur l’acheminement du pétrole d’Edjélé apparaît comme le résultat de son habileté politique à diviser les Maghrébins. La répression se poursuit mais ne prend plus cependant un caractère spectaculaire dans les villes . Ainsi, par exemple, les barbelés qui entouraient les quartiers algériens, ont été enlevés ; depuis juin, l’armée française, tout en multipliant les arrestations, a cessé de façon générale les irruptions nocturnes, répétées et organisées sur une grande échelle dans les maisons, irruptions avec enlèvements, qui étaient devenues depuis deux ans un infernal cauchemar pour les habitants de la Casbah. Les fouilles et contrôles massifs d’identité avec vexations y sont devenus plus rares. Au point que certains de nos compatriotes en viennent à se dire : « Enfin, nous pouvons respirer… »

Cette politique de soi-disant « mansuétude » est mise sur le compte des idées « libérales » de De Gaulle. En fait, c’est une politique qui a été imposée à De Gaulle grâce aux campagnes menées par notre Mouvement de libération et par les organisations démocratiques de nombreux pays, en particulier en France, contre les tortures et la répression barbares. Cette politique lui a été imposée surtout par l’impossibilité de venir à bout de l’insurrection nationale par les seuls moyens militaires. Et il a choisi parmi les moyens politiques, non la négociation d’égal à égal qui finira par être imposée tôt ou tard au gouvernement français, mais des méthodes visant à troubler notre peuple et à affaiblir sa résistance.

ORIENTATION SOCIALE :

Par l’intermédiaire des officiers des S.A.S. et des S.A.U., une politique de petits travaux est amorcée sérieusement, à l’échelle de certains quartiers et villages. Cette politique paternaliste et réformiste a pour but de placer des antennes dans les milieux algériens et de neutraliser politiquement certaines couches sociales retardataires qu’un extrême dénuement rend instables politiquement et moins difficiles à corrompre. Il y a ensuite le plan de Constantine qui a un double but à notre avis : faire croire que l’évolution du peuple algérien peut se réaliser par l’addition de plusieurs réformes ; convaincre les Algériens que la France ne quittera pas l’Algérie, qu’elle y restera éternellement ; montrer donc que l’indépendance est un mythe, que la lutte et les souffrances auront été vaines et qu’il importe dans ces conditions de les abréger par l’abandon de la résistance.

Il n’est pas question dans le cadre de ce rapport d’analyser ce plan ni d’en montrer l’aspect démagogique, les faiblesses et le manque de réalisme face aux difficultés économiques et financières de la France. Mais le désir de la France de « s’accrocher » à l’Algérie avec l’aide de ses alliés ne fait pas l’ombre d’un doute. La plupart des concessions faites à l’Afrique noire, à la Tunisie et au Maroc, s’expliquent notamment par le désir de garder « l’essentiel », l’Algérie, clef de voûte de l’Afrique et approche des pétroles sahariens. D’autant que, chassés d’Asie et menacés par le Mouvement vers l’unité des peuples arabes, les impérialistes ont depuis longtemps envisagé le repli vers l’Afrique.

On assiste actuellement à des installations d’usines de montage Berliet à Rouïba, à la mise au point de projet d’installation des mêmes usines à Guelma. Il ya des projets de combinat sidérurgique à Bône, de raffineries à Alger. Des permis pétroliers ont été cédés aux sociétés anglaises et américaines. La Compagnie Française des Pétroles a réalisé un accord avec la Standard Oil pour l’exploitation en commun de nouveaux permis de recherches.

Il serait dangereux de mésestimer les effets de cette propagande et ces efforts dans la perspective d’une prolongation du conflit franco-algérien.

Sur le plan militaire, l’objectif principal de l’ennemi est de détacher les masses de l’A.L.N., pour enlever à cette dernière son appui, et sinon la détruire, du moins l’amener à une négociation à partir de positions colonialistes très fortes.

Combinant la politique du « bâton » et celle du « morceau de sucre », l’ennemi a réussi à obtenir un climat de calme relatif dans les villes où le rapport des forces militaires est en sa faveur pour le moment. Les masses populaires s’adaptent à la nouvelle situation et emploient la ruse, suprême recours des opprimés dans les périodes difficiles, en vertu de l’adage « baise la main que tu ne peux mordre ».

Mais cette « adaptation » comporte déjà et comportera à la longue un danger : l’attentisme. D’autant que la terrible répression qui s’est abattue sur les villes a privé les masses populaires de militants et de cadres politiques et que l’activité politique de l’ennemi ne s’y ralentit pas.

L’ennemi a obtenu quelques résultats dont il faut analyser la signification politique pour en mesurer l’importance et surtout pour réagir.

1) Depuis le 13 mai, il a libéré des milliers de détenus politiques des camps en particulier parmi la masse innombrable de « suspects » arrêtés dans les villes et les campagnes sous les prétextes les plus divers. Il a exigé des conditions qui ont été acceptées dans la majorité des cas : ne pas « récidiver ». Certes, beaucoup de ces ex-détenus ont obéi à des considérations d’ordre familial. Mais ils ont cédé, alors que d’autres patriotes ont résisté aux sollicitations du Service psychologique français. A l’origine de cette attitude, il y a aussi la lassitude, une perte de confiance dans les perspectives. Que des changements se produisent et la plupart reprendront confiance. Mais pour le moment, force est de reconnaître que la propagande ennemie et les pressions ont porté un certain coup au moral de ces patriotes.

2) L’ennemi a pu trouver pour ses délégations spéciales, des Algériens, ce qui était impossible il y a deux ans.

3) Il a fait un effort sérieux en direction des jeunes pour former 500 moniteurs à Issoire.

4) Il a ramené en Algérie certaines unités de tirailleurs algériens considérées jusqu’ici comme suspectes. Il a mobilisé des Algériens dans certaines unités de gardes territoriaux, alors que jusqu’ici les unités territoriales étaient composées exclusivement d’Européens.

5) L’Union départementale des syndicats Force Ouvrière de l’Algérois a réussi pour la première fois à incorporer dans sa Commission administrative autant de travailleurs algériens que d’Européens.

6) Le 28 septembre, dans les villes, à Alger notamment, les Algériens et nomment les Algériennes sont allés aux urnes, non par conviction, mais sous les pressions ou les menaces (certes discrètes, mais multiples et très fortes). Cependant, quand on sait que dans certains quartiers d’Alger (exemple : le Climat de France), l’abstention a été élevée et que dans certains autres (par exemple la Casbah), nombreux sont nos compatriotes qui ont voté « non » (parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement), on est obligé de convenir que les quartiers où les Algériens ont voté « oui » constituent des points relativement faibles pour le mouvement national ;

Tous ces faits doivent être ramenés à leur juste proportion par une étude plus approfondie encore des raisons multiples qui sont à leur origine. Mais, si l’on doit mettre au premier plan les pressions, la répression et l’insuffisance des cadres politiques ,
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on ne doit pas pour autant jeter le voile sur d’autres raisons : illusions sur De Gaulle, manque de perspectives, un certain découragement, de la lassitude, qui ont pour origine des causes politiques. Le danger d’une telle situation ne réside pas tellement dans les quelques résultats obtenus par l’ennemi, mais dans le risque de voir les Algériens qui ont cédé
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considérer à présent que leur sort est lié à celui de la France ; dans le risque de voir se transformer, avec une prolongation du conflit et des souffrances indicibles de notre peuple, l’aspiration juste et humaine à la paix en paix à tout prix, dans des couches plus larges de la population. Le danger, en définitive, réside dans le retard à prendre des mesures pour lutter contre ces germes de faiblesse. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un danger à éviter. Il s’agit aussi d’aller de l’avant et de ne pas laisser une partie des forces vives de la nation figées dans l’attentisme et livrées à elles-mêmes. Si les mesures nécessaires sont prises, si tout est fait auprès des masses particulièrement soumises aux pressions françaises pour démasquer les manœuvres et les chantages à la paix de De Gaulle, alors non seulement ces masses ne stagneront pas dans l’attentisme, mais éveillées, guidées, elles répondront encore mieux, notamment dans les villes, aux mots d’ordre, par des actions concertées, des initiatives plus diverses, destinées à soutenir notre gouvernement, que ce soit pour des négociations dans la position la plus forte possible, que ce soit pour poursuivre avec abnégation et ardeur la lutte, en dépit de toutes les souffrances contre un ennemi dont les manœuvres auront été complètement mises à nu.

III. Il importe donc d’aller au fond des choses, c’est-à-dire d’analyser certaines faiblesses du mouvement national

Prenons quelques exemples :

1. L’absence presque totale depuis plus d’un an de toute autre forme de lutte, en dehors de la lutte armée – la lutte armée demeure la forme principale et décisive dans la guerre pour l’indépendance. Mais tous les Algériens ne sont pas en mesure de mener cette lutte pour beaucoup de raisons. Doivent-ils rester passifs ?
Non, bien sûr. La lutte armée a besoin d’être soutenue par d’autres moyens pour que soit allégé le fardeau qui pèse sur l’A.L.N., en obligeant l’ennemi à disperser ses forces, pour élever le niveau de lutte des plus larges masses et entraîner les couches retardataires. A cet égard, les actions de masse des années 1956 et début 1957 (grèves, boycotts, manifestations de rues, etc.) doivent être citées en exemples. L’absence actuellement des formes de lutte, autres que la lutte armée s’explique certes en premier lieu par une cause objective : la répression. En effet, jusqu’à la fin 1956, l’ennemi avait encore relativement fait peu d’efforts en direction des villes et des formes diverses de lutte pouvaient s’y développer plus facilement. Mais c’est une raison supplémentaire de mettre tout en œuvre pour organiser les masses. Des possibilités de lutte existent, malgré les conditions difficiles, comme en témoignent les deux manifestations – signalées plus haut - des femmes algériennes à une semaine d’intervalle. Aussi, convient-il de s’interroger s’il n’y a pas eu, en dehors de la cause citée (répression), sous-estimation de ces autres formes de lutte, ce qui aboutit à délaisser la recherche de nouveaux moyens d’action en fonction de chaque situation concrète. Il ne s’agit pas dans notre esprit seulement d’actions de masse d’envergure et surtout de celles qui ne tiendraient pas comte des réalités. C’est ainsi qu’à notre avis, le mot d’ordre de grève générale pour toute l’Algérie du 5 juillet dernier, lancé par le F.L.N. n’était pas juste. Entièrement valable pour certains villages et villes proches du front militaire et dont les habitants, grâce à un travail de mobilisation, manifestent au niveau politique et une combativité élevés, comme Tizi-Ouzou, Bordj-bou Arréridj par exemple, il n’avait par contre aucune chance de réussir à Alger par exemple, ou dans d’autres villes encore. On connaît le rapport actuel des forces militaires et la terrible répression qui a suivi la grève de janvier 1957 et la bataille d’Alger, et qui a porté des coups très durs au mouvement. Il eût été préférable, plutôt que de lancer un mot d’ordre général pour toute l’Algérie, de prévoir des mots d’ordre multiples, adaptés à chaque situation, en fonction de l’état des forces du mouvement, des forces ennemies, etc. Ainsi, pour Alger et pour d’autres villes n’était-il pas préférable, pour entraîner toute la population y compris les travailleurs et les commerçants, qui pouvaient difficilement se mettre en grève, samedi 5 juillet pour les raisons données plus haut, de lancer le mot d’ordre de déserter les rues le lendemain 6 juillet ? Ce mot d’ordre réalisable aurait été mieux suivi ; il aurait donné davantage confiance à nos compatriotes, il les aurait préparés à d’autres actions et aurait eu davantage de répercussions à l’extérieur, alors que le mot d’ordre de grève générale n’a pas été suivi. Mais, cela n’est possible qu’avec l’existence dans les villes de directions politiques liées aux larges masses, grâce à de multiples organisations de quartiers et d’usines et d’un appareil de propagande pour le travail de mobilisation et d’organisation nécessaire avant toute action.

2. On assiste actuellement à une reprise d’actions armées dans les villes. Il faut souligner que l’apparition de la lutte armée à Alger après la bataille d’Alger était des plus nécessaires, notamment sur le plan psychologique. Elle facilite le travail politique pour diverses raisons. Mais à la condition qu’elle ne soit pas aveugle et que les objectifs apparaissent clairement à tous. Il ne serait pas souhaitable notamment de renouveler des actions telles que les bombes placées dans les lampadaires près des arrêts de tramways et dans les autobus, où les victimes civiles furent amenées là uniquement par le hasard et comprenaient même une forte proportion d’Algériens. Même en supposant que les masses font la part d’erreurs inévitables ou qu’elles ne considèrent cela que comme des détails malheureux, dans un ensemble positif nous ne pensons pas que cela fasse progresser la lutte. Un plus grand contrôle et une plus grande rigueur dans l’orientation de ces actions, dirigées contre l’ennemi, ses agents, ses installations (ce qui n’est certes pas facile), les rend beaucoup plus rentables à tous points de vue.

3. L’examen de tracts émanant de quelques détachements de l’A.L.N. à la veille du « référendum » montre que dans certains cas l’accent est mis plus sur les menaces et la contrainte envers les électeurs que sur les explications politiques. La menace d’exécuter des villageois qui assistent sous la pression aux réunions organisées par l’armée française ou qui se rendent aux urnes pour les mêmes raisons, risque d’aboutir exactement à l’inverse du résultat poursuivi. En effet, dans la mesure où des villages entiers sont contraints par l’ennemi d’aller aux urnes, dans la mesure où les électeurs pensent que l’A.L.N. mettra à exécution ses menaces, ils peuvent être amenés à lier leur sort à celui de l’armée française et à solliciter sa « protection ».

4. Rôle des étudiants : dans un pays où les écarts sur le plan de l’instruction sont immenses, le rôle de nos étudiants est considérable. Ils ont répondu magnifiquement à l’appel du F.L.N. et rejoint les maquis, où leur présence a certainement été bénéfique pour l’A.L.N. Après la grève scolaire et universitaire, le mot d’ordre de reprise des études fut donné par l’U.G.E.M.A. aux étudiants qui n’avaient pas rejoint les maquis. L’U.G.M.A. a demandé aux étudiants algériens de s’inscrire dans les facultés de France ou de l’étranger et de déserter l’université d’Alger, étant donné le climat colonialiste et raciste qui y règne. La décision de déserter Alger est une erreur à notre avis. Elle a privé notre capitale de cadres politiques dont la présence à Alger, primordiale pour le travail clandestin de mobilisation politique des masses, se fait sentir. Nous pensons qu’il est plus avantageux pour le mouvement que les étudiants étudient et luttent à Alger, malgré le climat de l’université d’Alger qui ne peut d’ailleurs qu’aviver leur haine et stimuler leur travail de militants.

5. Les procès de Yacef Saadi, chef de la zone autonome d’Alger et de certains de ses compagnons n’ont pas produit une bonne impression sur les patriotes. Outre des querelles publiques entre responsables (querelles que la presse colonialiste a amplifiées à souhait), outre que Yacef Saadi ni aucun de ces responsables n’a dénié à un tribunal français le droit de juger des patriotes algériens (surtout avec l’existence du gouvernement de l’Algérie libre), on a vu malheureusement Yacef Saadi faire en mai-juin dernier l’éloge de la politique de De Gaulle et contribuer ainsi à semer des illusions dans les masses. C’était en effet à un moment où des flottements se produisaient chez nombre de petits-bourgeois et d’intellectuels, où l’armée française venait prendre de force les Algériens pour les amener au Forum. Les déclarations de Yacef Saadi cautionnaient objectivement cette propagande ou ces procédés. La presse a peut-être tronqué ses déclarations. Dans ce cas, un démenti ou une mise au point du F.L.N. était nécessaire pour dissiper l’équivoque.

Il s’agit jusque-là de faiblesses en quelque sorte « intérieures » au mouvement national. Nous voudrions en signaler deux autres qui concernent l’attitude du Mouvement de libération envers les Européens d’Algérie et l’opinion française, faiblesses qui jusqu’ici ont privé l’Algérie de certains succès qu’il lui eût été loisible d’obtenir.

1) Peu d’efforts politiques sont faits en direction de la minorité d’Algérie, efforts pourtant reconnus nécessaires par le Congrès de la Soummam. Or, cette minorité constitue par sa seule présence un bloc hostile dans sa grande masse au mouvement national et lui crée aussi, par les répercussions savamment orchestrées de la guerre sur le plan de l’opinion internationale, de l’opinion française en particulier, des difficultés considérables, parvenant même à bloquer pendant longtemps toute idée de solution raisonnable, basée sur le droit de notre peuple à l’indépendance.

C’est dire que nous avons un double devoir. D’abord, nous efforcer de dissocier cette minorité, d’en neutraliser les éléments les moins colonialistes et d’attirer à nous les éléments anticolonialistes, sans rien abdiquer de notre objectif fondamental. Sans doute, ces derniers ne sont pas en très grand nombre, mais ils peuvent nous apporter une aide précieuse dans certains domaines. Cet effort politique est d’autant plus nécessaire qu’on assiste actuellement à certains faits intéressants : l’unanimité réalisée le 13 mai a éclaté : des divergences (plus de forme que de fond) se font jour ; elles découragent une bonne partie de cette population que certains gestes de De Gaulle inquiètent par ailleurs ; par contre, elles ont facilité le retour encore timide de certains démocrates et progressistes à la vie politique ; à ce sujet, il faut signaler le réveil (ou la naissance) de la Ligue des Droits de l’Homme à Alger ; il est question aussi de la reparution d’« Espoir », organe des libéraux. L’attitude des communistes algériens d’origine européenne porte un coup à la peur de l’avenir sur laquelle spéculent les ultras : nos camarades revendiquent hautement devant les tribunaux français, qu’ils récusent, la qualité d’Algériens et exaltent le gouvernement algérien.

Les efforts en direction de la minorité européenne exerceraient également une influence favorable à l’extérieur du pays et doivent aboutir à priver les cercles colonialistes français de leur argument favori : « La sauvegarde de cette minorité en effet et de « l’harmonie entre les deux communautés » que la France prétend perpétuer sa domination et que l’opinion française a donné dans sa majorité sa caution à la guerre de reconquête. Or, nous estimons qu’il ne suffit pas pour cela d’affirmations de principes sur la possibilité future pour les Européens d’Algérie d’acquérir la citoyenneté algérienne ou de vivre en sécurité avec le statut d’étranger. Dans le courant même de la guerre, quotidiennement, nous devons alimenter les campagnes de nos alliés, qui en France et dans le monde, s’efforcent d’isoler les colonialistes français ou de faire pression sur eux pour une solution conforme au droit des peuples. Des efforts de propagande constants en direction des Européens, le fait de donner en exemple les européens qui participent à la lutte ou des petits colons qui poursuivent en paix leur travail parce que protégés par l’A.L.N. ; le fait de respecter au maximum les civils ne participant pas directement à la lutte contre notre peuple, les gestes spectaculaires en faveur de ces civils ; telles que les libération récentes, la large diffusion des déclarations des civils libérés et selon lesquels « seuls les colons et agents colonialistes ont à craindre les coups de l’A.L.N. », tout cela doit constituer pour nous autant d’atouts supplémentaires dans notre lutte. Nous sommes certains que nous aurions obtenu déjà de grands succès dans ce domaine si le F.L.N. avait imprimé une direction politique ferme dans ce sens.

2) Il nous apparaît que l’importance du rôle de l’opinion publique française a été sous-estimée jusqu’à la dernière période et que des attitudes étroites auraient dû être évitées. Autant il est juste et nécessaire d’être ferme sur notre droit à l’indépendance, sur notre droit de régler, sans ingérence extérieure, nos affaires, autant il était injuste et au surplus peu habile de mettre sur le même plan tous les Français. Cet effort politique doit tenir compte des différenciations politiques en France pour exploiter les contradictions au sein de cette opinion publique et gagner à notre cause, en plus du prolétariat avancé et des progressistes français qui sympathisent avec notre idéal national, d’autres couches de la population française.

Conforme aux intérêts des Algériens, basée sur l’existence d’une alliance naturelle de fait entre notre peuple et le prolétariat avancé français (même si des ouvriers français n’en ont pas conscience), cette position que nous avons constamment défendue n’a pas toujours été bien comprise par nombre de patriotes, alors qu’elle vise en définitive à affaiblir politiquement les arrières de l’ennemi. Certes, dans la guerre atroce qui nous est faite, nos sentiments sont exacerbés devant les souffrances effroyables de notre peuple. D’autre part, la gauche française est affaiblie, désunie, grâce à un anticommunisme habilement entretenu par les dirigeants de la S.F.I.O. en particulier. Cet effort risque donc d’être incompris dans les premiers temps par les patriotes. Mais il appartient aux dirigeants de l’Algérie et à tous les patriotes qui ont conscience de l’utilité de cet effort d’user de toute leur conviction pour montrer qu’en définitive certaines déclarations ou certains gestes politiques ont des conséquences politiques aussi importantes que le succès de telle ou telle action de guérilla.

* * *

Voilà donc quelques exemples de faiblesses relevées dans la lutte du peuple algérien.

Qu’est-ce qui est à l’origine de ces faiblesses ? Il y a d’abord à notre avis l’insuffisance du travail de mobilisation politique dans les masses et d’éducation politique des cadres. Ce travail est vital pour la Révolution algérienne. Il nous semble que ce travail réalisé dans les premiers temps de l’insurrection et poursuivi jusqu’en 1956 s’est ralenti depuis cette date ou tout au moins n’a pas été à la hauteur des progrès considérables de la lutte militaire.

Est-ce que le mot d’ordre juste : « Tout subordonner à la guerre de libération » n’a pas été interprété et appliqué d’une façon schématique et étroite ? « Subordonner tout à la guerre » veut dire aussi mobiliser politiquement les masses pour cela, puisque la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Vous connaissez la situation mieux que nous pour répondre plus valablement à cette question. Mais nous pensons que c’est dans cette direction qu’il faut rechercher les racines de ces faiblesses.

Répétons, pour terminer ce paragraphe sur les aspects négatifs de notre lutte, que l’arbre ne doit pas cacher la forêt et qu’il serait faux de voir la situation en noir. Les critiques constructives formulées dans ce rapport ont pour objet de venir à bout des faiblesses constatées. L’absence de ces faiblesses aurait donné au mouvement une force plus grande encore et un niveau politique plus élevé. Le combat politique pour leur élimination permettra d’éviter l’extension de leurs conséquences, ce qui serait d’un grand danger pour la Révolution algérienne.

IV. Quelques suggestions pour éliminer les faiblesses signalées dans ce rapport

1. Le gouvernement algérien apparaît comme le dirigeant de la lutte libératrice. Il doit apparaître également comme le champion de la lutte pour la paix et ne pas laisser le gouvernement français s’emparer de cette idée-force pour l’exploiter. Les initiatives de notre gouvernement pour des négociations sans préalable de part et d’autre et sans abandon de notre objectif fondamental sont excellentes de ce point de vue. Les masses se rendront compte de plus en plus que la paix véritable, c’est-à-dire la fin du cauchemar actuel, et de nos humiliations, est liée intimement à la fin du régime colonial.

2. Nous pensons qu’il est utile que le gouvernement algérien précise et diffuse dans les masses ouvrières et paysannes son programme social pour démasquer le caractère réformiste et démagogique du plan de De Gaulle. Il ne s’agit pas d’établir un programme détaillé mais de donner des précisions sur l’orientation des réformes dans le cadre de la Révolution nationale et démocratique, pour faire prendre davantage conscience aux masses que leur véritable promotion sociale est liée à la fin du régime colonial et les attacher plus indéfectiblement encore à la Révolution.

3. Dans la période qui a précédé et suivi la dernière conférence de presse du général De Gaulle, il est apparu à tort ou à raison et vu d’ici, que les déclarations faites à la presse par des membres de notre gouvernement, notamment sur les négociations et sur la politique française actuelle vis-à-vis de l’Algérie, comportaient des contradictions, plus formelles d’ailleurs que réelles. De plus, la presse d’ici se charge de tronquer les textes et d’extrapoler ce qui risque de dérouter certains milieux algériens. Il nous paraît nécessaire de tenir compte de cette expérience pour éviter au maximum de donner prise à de telles interprétations.

4. Une plus grande importance devrait être donnée au travail politique de mobilisation des masses, afin que le travail de conviction, d’éclaircissement et d’explication, clef de tous les problèmes soit partout mis à l’honneur . L’évolution des événements et l’actualité politique rendent plus urgente la nécessité d’un tel redressement
 [3].
Il est toujours vrai que c’est l’A.L.N. qui reste le fer de lance de notre révolution et que le sort de l’Algérie se décide avant tout dans la lutte de guérilla menée dans nos campagnes. Mais on peut déjà déceler que les nouvelles conditions peuvent et doivent amener les grandes villes de notre pays à jouer un rôle politique d’appoint de plus en plus important dans la lutte.

En effet, nous avons déjà signalé que les instruction de De Gaulle tendent à provoquer, notamment dans les grandes villes tout au moins en apparence, un certain relâchement de la rigueur répressive et un « dégel politique » qu’il s’imagine pouvoir utiliser à son profit. Nous pensons, sans nous dissimuler cependant les difficultés inévitables de la tâche, que le moment est favorable pour mettre à profit ce repli auquel a été contraint l’ennemi, en vue de préparer des actions de masse diverses qui exprimeront sans équivoque la volonté de nos compatriotes. Le moment semble d’autant plus favorable que la création de notre gouvernement et ses incitatives ont eu chez les nôtres, comme nous l’avons dit, une grande répercussion qu’il s’agit maintenant d’exploiter, de canaliser et de pousser en avant. Le mur d’indifférence qui a accueilli les offres de candidatures de De Gaulle aux prochaines « élections » est très significatif. Enfin, aujourd’hui plus qu’auparavant, les grandes villes et notamment Alger constituent en quelque sorte la « vitrine » de notre pays pour les observateurs étrangers et l’opinion française qui s’interrogent sur le sort réservé à la politique de De Gaulle. Nous sommes convaincus, si l’on se souvient par exemple du rôle important joué par les villes marocaines dans la dernière phase de la lutte pour l’indépendance du Maroc (sans oublier le rôle de l’armée du Rif et le ralliement des féodaux dans les campagnes), que des réactions plus actives des Algériens dans les grandes villes influeront beaucoup sur l’évolution des événements ici et hâteront le succès des efforts diplomatiques de notre gouvernement. C’est dire toute l’attention qu’il convient, à notre sens, d’apporter à cette question. Pour cela :

a) la formation et la promotion des cadres politiques doit prendre autant d’importance que la formation des cadres militaires. Nous pensons qu’il est nécessaire de lever discrètement l’interdit sur l’université d’Alger pour que les étudiants algériens s’y inscrivent ;

b) dans les villes, parallèlement aux actions armées nécessaires pour faire progresser le travail politique, mais excluant le terrorisme aveugle, il est de la plus haute importance :

- que soient mises en place des directions politiques capables d’apprécier l’évolution de la situation et de mener à bien le travail de mobilisation politique, de combattre avec vigueur et en permanence aussi bien les manœuvres et mensonges colonialistes que les faux bruits et les conceptions exagérément optimistes qui risquent de plonger les masses dans la désillusion et le scepticisme ;

- que cet appareil politique et de propagande soit, pour des raisons de sécurité, nettement séparé des cellules d’action et de collecteurs de fonds ou de renseignements. Vous n’ignorez pas que le manque de cloisonnement rend plus facile la destruction de l’ensemble de l’organisation, ce qui entraîne des interruptions dans la continuité du travail politique ;

- que soient repris et poursuivis les efforts clandestins d’organisation des travailleurs au sein de l’U.G.T.A., des commerçants, des jeunes et des femmes.

5. Il vaut mieux une action modeste réussie que l’échec d’une action d’envergure ou généralisée. En d’autres termes, il serait utile d’étudier plus attentivement les mots d’ordre de lutte et de les adapter à chaque situation.

6. Des efforts politiques doivent être repris en direction des Européens d’Algérie, sous forme de tracts et de déclarations, pour combattre d’une part la propagande « paniquarde » des ultras, pour rassurer les européens quant à leur sécurité et au respect de leurs droits dans l’égalité des devoirs et dans la cadre de la souveraineté algérienne, pour les mettre aussi devant leurs responsabilités et leur faire sentir que leur avenir et celui de leurs enfants sur la terre d’Algérie dépend de leur attitude à l’égard de nos aspirations nationales. Des gestes comme la libération de civils par la Willaya III portent loin. Tout cela aidera dans le présent à combattre cet obstacle dressé ici et à l’extérieur sur la route de la liberté et contribuera demain à intégrer dans l’Algérie ceux des Européens qui auront admis loyalement le nouvel ordre de choses et dont notre pays libéré aura un urgent besoin.

7. Nous pensons qu’il est de l’intérêt de notre peuple de développer une action politique d’envergure en direction de l’opinion française, en tenant compte des réalités de cette opinion façonnée par des dizaines d’années de propagande colonialiste. Une déclaration comme celle de Ferhat Abbas au journal « Der Tag », la proposition qu’il a faite pour l’établissement de rapports égaux, sur la base de notre indépendance, avec la France, la libération de prisonniers français sont des actes politiques d’une grande efficacité. Il est utile de poursuivre dans ce sens cet effort. La cessation des actions armées en France, sans abandon du droit légitime du gouvernement algérien en guerre avec la France de porter la guerre sur le sol français, aurait une portée considérable et renforcerait par la même occasion le prestige international de notre gouvernement.

* * *

Après ces informations et suggestions, nous ne serions ni logiques avec nous-mêmes, ni conscients de notre devoir de patriotes si nous nous cantonnions dans le rôle trop facile de « donneurs de conseils ».

Tout au long de ces quatre années de guerre, nous nous sommes efforcés de tout mettre en œuvre, dans la mesure de nos moyens, pour soutenir l’effort gigantesque entrepris par notre peuple sous la direction du F.L.N.

Nous avons donné le meilleur de nos forces à la lutte armée : par l’intégration en bloc de nos groupes armés dans l’A.L.N., avec toutes les armes que nous avons pu acquérir, l’enrôlement dans l’A.L.N. à titre individuel de très nombreux adhérents et cadres des villes et des campagnes (dans ce dernier cas par groupes entiers). Tous ont rejoint l’A.L.N. et en respectant strictement les accords conclus entre le F.L.N. et le P.C.A. en 1956 et se considèrent comme soldats de l’A.L.N. et membres du F.L.N., y copris devant les tribunaux français. Par la presse, par leurs parents et amis nous avons appris que nombre d’entre eux sont tombés courageusement au combat.

Nous avons démontré aussi notre souci d’union en soutenant le F.L.N. en mettant l’accent sur sa représentativité mise en cause par l’ennemi à l’extérieur, en appelant nos adhérents et sympathisants à rejoindre l’U.G.T.A., en dénonçant les manœuvres de division de la direction M.N.A. Notre soutien au F.L.N. est d’autant plus sincère, solide et total qu’il a pour fondement une unité de vue sur les objectifs fondamentaux de l’heure, autour desquels s’est réalisée l’unité politique de notre peuple.

Notre Parti en tant que tel a poursuivi sa propagande et son action centrées essentiellement sur le soutien de la guerre de libération et le développement des autres formes de lutte. Malgré les difficultés, nos militants ont continué, surtout dans les grandes villes, la diffusion de la littérature appelant les patriotes à aider l’A.L.N., apportant dans les moments délicats des explications sur les manœuvres de l’ennemi, s’efforçant d’élever le niveau politique et de lutte des masses populaires. Nombre de nos militants ont payé cette activité de leur vie ou de tortures effroyables.

Nous avons pris des initiatives sur le plan extérieur, surtout auprès de nos partis frères et des classes ouvrières de France et des pays socialistes pour apporter aux travailleurs et aux opinions publiques de ces pays le maximum d’éclaircissements sur la juste cause de l’Algérie et renforcer notre mutuelle solidarité dans la lutte anti-impérialiste et ceci de façon permanente. Nous avons également apporté notre contribution à l’occasion de certaines campagnes : Melouz, méthodes barbares de l’armée française (le livre de Henri Alleg a eu un retentissement universel) etc.

De toute cette activité, des sacrifices consentis, notre Parti ne tire aucune vanité à l’heure où notre peuple tout entier s’est surpassé et a déployé ses forces au milieu d’inimaginables souffrances. Nous éprouvons simplement en nous-mêmes, nous dont l’idéal est la libération et le bonheur de notre peuple, la fierté naturelle d’avoir apporté notre contribution à sa lutte, d’avoir eu notre part des épreuves communes pour tirer la nation de l’enfer colonialiste.

Aujourd’hui que notre pays possède son gouvernement, nous estimons que notre devoir est de soutenir celui-ci résolument, comme nous soutenons le F.L.N. et nous nous sommes déclarés également prêts à y assumer nos responsabilités. Cette proposition vise avant tout à consolider et renforcer le front intérieur en faisant de notre gouvernement le représentant achevé de l’Algérie combattante, dans toutes ses classes sociales et tous ses horizons politiques patriotiques sans exclusive. Nous pensons aussi que notre participation au gouvernement algérien constituerait une contribution utile au développement du programme social de la Révolution nationale algérienne et qu’elle contribuerait par ailleurs à aggraver les contradictions entre la France et ses alliés atlantiques, en amenant ceux-ci à faire davantage pression sur elle pour négocier. Nous connaissons certes le vieil épouvantail anticommuniste par lequel les dirigeants impérialistes s’efforcent, avec de moins en moins de succès, d’effrayer tout mouvement désireux d’aller de l’avant. Et nous avons regretté (en de rares occasions) que certains représentants du F.L.N. à l’étranger s’y soient laissés prendre, dans certaines déclarations qui leur ont été prêtés par la presse occidentale, déclarations non démenties, mais non renouvelées il est vrai. Mais notre peuple, avec son expérience et sa maturité acquises dans la guerre, découvre de plus en plus que cet épouvantail est utilisé par les impérialistes contre tout peuple qui veut sa libération totale. Nous ne doutons pas qu’il accueillerait avec joie une telle participation.

Quoi qu’il en soit, notre position est claire. Nous n’avons pas fait dépendre et nous ne faisons pas dépendre notre soutien à vos efforts pour libérer la nation, de notre participation au gouvernement. Notre Parti est prêt à aider le F.L.N. dans la mesure de ses moyens, pour mettre en application ces suggestions et telles autres susceptibles de faire progresser la lutte. Il est prêt à collaborer avec lui dans les trois grandes villes en particulier, Alger, Constantine, Oran. Cette collaboration a été fructueuse en 1956, à un moment où, de toute façon, utile, elle s’imposait beaucoup moins qu’aujourd’hui. Nous ne vous cachons pas que les moyens dont dispose notre Parti sont disproportionnés par rapport à l’immensité de la tâche, la répression ayant causé d’énormes dégâts dans nos rangs déjà fortement diminués par les départs dans les maquis. Cependant, nous sommes sûrs que la conjugaison de nos efforts permettra de venir plus facilement à bout des difficultés rencontrées par l’ensemble du mouvement dans certains secteurs.

* * *

Nous avons mis toute notre raison et tout notre cœur à vous informer aussi objectivement que possible et à vous faire des propositions dont, en toute conscience, nous estimons l’application urgente.

Nous espérons que vous répondrez d’une manière positive à notre désir de vous aider plus efficacement et de collaborer avec le F.L.N. Quelle que soit la suite que vous jugerez utile de donner à ce rapport, soyez assurés que notre soutien vous reste acquis et croyez à nos sentiments très fraternels.

Alger, le 15 novembre 1958

Pour le Comité central
du Parti Communiste Algérien

Bachir HADj-ALI


LETTRE DU P.C.A. au GPRA du 15 JUILLET 1959

Alger, le 15 juillet 1959

AU GOUVERNEMENT PROVISOIRE DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE

Dans le même esprit que le rapport rédigé à votre intention en novembre 1958 et qui vous a été transmis en mai dernier, nous vous faisons parvenir un document rédigé par un membre de l’A.L.N. Abdelhamid Boudiaf. S’agissant d’un militant responsable que nous avons connu de longue date et dont nous avons apprécié le patriotisme et le dévouement, nous n’hésitons pas à nous porter garants de sa sincérité et de son sérieux. Il avait préféré, à l’époque de sa rédaction (mars 1959) pour des raisons compréhensibles qui ressortent du contenu même de ce rapport, ne pas le transmettre par voie hiérarchique et nous avait instamment demandé de le transmettre nous-mêmes, par les moyens dont nous disposions, au gouvernement algérien. Nous avons appris, depuis la réception de ce document que notre camarade, après trois années passées dans les rangs de l’A.L.N. avait été démobilisé avec pension. Vos services pourraient obtenir directement auprès de lui des précisions complémentaires susceptibles de contribuer à l’amélioration de la situation dans les secteurs qu’il a mentionnés.

Les diverses observations de ce document confirment l’analyse de la situation générale contenue dans notre précédent rapport, ainsi que la justesse des suggestions que nous vous adressions par la même occasion.

De plus, ce rapport apporte des éléments nouveaux qui viennent confirmer un certain nombre d’indices que nous possédions déjà au sujet de la discrimination dont ont fait l’objet nos camarades au sein de l’A.L.N.

Déjà, à la fin de 1956, Abdelkader Guerroudj, responsable pour Alger des groupes des « Combattants de la Libération », intégrés à l’A.L.N., nous avait signalé qu’ils étaient progressivement désarmés alors que leur action commençait à prendre de l’ampleur et que leurs relations avec leurs responsables directs et leurs frères de combat étaient très bonnes. Une réunion avait été prévue entre les directions du F.L.N. et de notre Parti pour régler cette situation, projet qui ne put être réalisé par suite des circonstances (bataille d’Alger). De son côté, Abdelkader Babou, lieutenant d’intendance dans l’A.L.N., fait prisonnier par l’armée française au début 1958, nous a également fait savoir, après son arrestation, que les anciens « Combattants de la Libération » intégrés dans l’A.L.N., alors qu’ils avaient activement participé à l’implantation et au développement de l’A.L.N. et du F.L.N. dans les régions du Chélif et de l’Ouarsenis, s’étaient vus écartés de leurs responsabilités quelques mois après, en bute à une défiance permanente des responsables et certains même désarmés. Plus récemment encore, et dans un autre domaine, la Fédération de France de notre Parti nous a signalé que certains de nos camarades ont été menacés par des militants du F.L.N. en raison de leur seule appartenance politique.

Les exclusives dont ont été l’objet nos camarades au sein de l’A.LN. ne peuvent en aucune manière être justifiées par leur comportement au sein des unités combattantes auxquelles ils ont été affectés, d’un commun accord entre P.C.A. et F.L.N. Aussi bien notre Parti, en tant qu’organisation, que ces camarades, qui ont fait leur devoir de soldats dans l’A.L.N. après la dissolutions des « Combattants de la Libération », ont respecté scrupuleusement les termes de cet accord dont notre lettre du 12 juillet 1956 rappelait les points suivants :

1) Les groupes armés dirigés par les communistes et faisant partie des« Combattants de la Libération » s’intègrent dans l’A.L.N. et acceptent le contrôle du F.L.N.

2) Les militants communistes qui sont déjà dans l’A.L.N. ou qui en feront partie n’auront plus de liens organiques ou de liens politiques organisés avec le P.C.A. jusqu’à la fin de la lutte armée de la nation, sans toutefois renoncer à leur idéal et à leurs convictions politiques.

La décision d’ensemble du Congrès de la Soummam, jetant la suspicion sur tous les militants issus du P.C.A. et en les écartant de leurs responsabilités, n’a pas répondu à la loyauté dont ces combattants et notre Parti n’ont cessé de faire preuve. Astreints aux mêmes devoirs que les autres combattants, ces camarades, s’ils avaient joui des mêmes droits que tous leurs compagnons de lutte issus d’autres formations politiques, auraient fourni une contribution encore plus grande et continue dans l’intérêt de la lutte de notre peuple, auraient mis toutes leurs capacités et toute leur formation au service de la cause commune. Vous savez que des dizaines d’entre eux, parmi les meilleurs (dont trois membres de notre Comité Central), ont trouvé la mort et resteront dans la mémoire de leurs frères de lutte ou des populations qui les ont vus à l’œuvre. En définitive, cette exclusive injustifiée n’a fait que porter tort à la lutte de notre peuple en la privant d’éléments et de cadres qui ont fait la preuve de leur courage, de leur dévouement et de leur efficacité ;

Quant à l’existence et à l’activité propre de notre Parti, elles ne peuvent en aucune manière servir de prétexte aux mesures édictées à la suite du Congrès de la Soummam. Sur le plan intérieur, les efforts du Parti Communiste Algérien ont tendu au renforcement de la lutte anti-impérialiste, à l’élévation du niveau politique des masses, à leur mobilisation autour des objectifs politiques et sociaux de la Révolution nationale et démocratique algérienne, au renforcement de l’unité politique de notre peuple. Sur le plan extérieur, le travail de notre Parti a contribué à accroître la sympathie naturelle et la solidarité du Mouvement communiste et ouvrier international envers la lutte de Libération algérienne, à renforcer la représentativité du F.L.N. et du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne. Ces quatre ans et demi de lutte ont montré que la dissolution de notre Parti aurait été négative pour la cause algérienne. A travers tous les efforts intérieurs et extérieurs, que nous avons entrepris, l’expérience nous a confirmé que c’est le maintien du Parti en tant que tel qui a été bénéfique à cette cause. Il ne fait pas de doute que l’unité d’action politique et la coopération entre F.L.N. et P.C.A. que nous avons vainement recherchées, nous auraient permis de réaliser davantage encore.

Nous pensons donc, dans l’intérêt même de la cause sacrée de notre peuple, qu’il est urgent de mettre fin aux exclusives et à l’hostilité à l’encontre des combattants algériens se réclamant de notre idéal. Cette orientation ne peut avoir aucune justification valable. Par contre, elle nuit au renforcement de la lutte de libération nationale.

Pour notre Parti comme pour le peuple algérien, le problème immédiat n’est pas aujourd’hui « Colonialisme ou Socialisme » mais « Colonialisme ou Indépendance ». Toutes les positions, tous les efforts de notre Parti visent à renforcer la lutte d’indépendance et l’unité nationale, par-delà toutes les divergences idéologiques. Dans le mouvement national, il est naturel, inévitable, qu’il existe des patriotes ayant des conceptions différentes sur l’avenir de l’Algérie indépendante. Comme dans la plupart des pays du monde, l’aspiration des masses opprimées à une libération complète et au socialisme se traduit chez nous aussi de façon organique par l’existence d’un Parti Communiste indépendant des autres formations politiques et dont une longue expérience a enseigné la nécessité historique. Mais l’existence de courants idéologiques divers et d’organisations les exprimant n’est nullement, comme l’ont montré encore les exemples récents de l’Indonésie, de Ceylan, de l’Irak, de Cuba, un obstacle à la lutte unie anti-impérialiste, pour des objectifs communs, à partir du moment où il existe pour tous les patriotes et organisations patriotiques une solide plate-forme politique d’union.

Notre existence autonome, en tant que Parti exprimant et défendant les intérêts immédiats et futurs de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre, c’est-à-dire des masses qui souffrent le plus de l’oppression nationale et de l’exploitation par le colonialisme, non seulement n’affaiblit pas l’unité du mouvement, mais le renforce, étant donné le profond souci d’union, les efforts unitaires de notre Parti et son vif désir d’accroître sa contribution à la lutte nationale. La préoccupation du gouvernement algérien et du F.L.N. qui dirigent la lutte, doit être de rassembler et d’unir tous les courants, toutes les organisations dans le même combat, dans le respect de l’indépendance des organisations qui tiennent à leur autonomie. Cela ne peut être obtenu par des exclusives à l’égard d’organisation patriotiques. Rechercher au contraire la participation plus active des communistes algériens et du Parti communiste Algérien sous diverses formes, constituerait pour notre peuple, comme pour l’étranger, une preuve de plus de la profondeur et de l’unité du mouvement national et un gage de plus pour la victoire.

Il faut aussi rejeter, définitivement et complètement, le chantage anticommuniste des impérialistes occidentaux. Les événements ont d’ailleurs fait justice des « raisons » de politique internationale, parfois invoquées pour tenter d’écarter le Parti Communiste Algérien de la lutte nationale. Les impérialistes américains et occidentaux ont appuyé sans arrêt les colonialistes français tout en sachant parfaitement que le mouvement algérien de libération n’était ni communiste ni même dirigé par des communistes. Nous sommes bien convaincus que les contradictions entre les colonialistes français et leurs complices atlantiques s’aggraveraient d’autant plus que l’unité d’action et l’union entre F.L.N. et P.C.A. seraient plus solides.

C’est pour toutes ces raisons qu’il ne nous paraît ni justifié, ni réaliste, dans l’intérêt de la lutte pour notre indépendance, de persévérer à exiger la dissolution de notre Parti. Il nous paraît bien plus fructueux et plus conforme à l’intérêt national d’en finir avec la discrimination dont sont frappés les communistes algériens au sein de l’A.L.N. et de les rétablir dans leurs droits, comme les autres patriotes, de rechercher ensemble les modalités d’une coopération plus large et de l’unité d’action sur la base de notre programme commun dans le combat pour l’indépendance, sans négliger aucun élément susceptible d’amener notre lutte à un niveau plus élevé. Au moment où l’ennemi met en œuvre des moyens considérables pour tenter de perpétuer sa domination sanglante, nous saisissons de nouveau l’occasion de cette lettre pour renouveler notre proposition d’un contact entre les représentants du G.P.R.A. ou du F.L.N. et ceux du P.C.A., contact qui permettrait une franche discussion au cours de laquelle pourraient être examinées toutes ces questions.

Vous connaissez à présent un moyen sûr et rapide de toucher notre Délégation extérieure, ce qui faciliterait les contacts à l’intérieur même du pays.

En attendant votre réponse, que nous espérons positive, veuillez croire à l’expression de nos sentiments fraternels.

Alger, le 15 juillet 1959

Pour le Comité Central
Du Parti Communiste Algérien

Bachir HADJ ALI


[1Il nous apparaît que le F.L.N. qui entraîne l’ensemble du peuple algérien dans le combat, sans distinction de classe, a une faiblesse qui découle de sa puissance : le nombre insuffisant de cadres politiques moyens. A la veille de l’insurrection de 1954, le mouvement de libération national avait une pépinière de cadres issus de tous les partis et organisations nationaux : M.T.L.D., U.D.M.A.,P.C.A., Oulema, Syndicats, Jeunes, Femmes. Dans le feu des nouvelles formes de lutte, de jeunes cadres ont surgi. Mais le mouvement de lutte a pris une ampleur telle que le nombre des cadres, malgré les efforts déployés, s’est avéré insuffisant. De plus, la répression a fait des ravages dans les rangs des militants.

[2Il ne s’agit pas bien sûr de la foule anonyme des électeurs qui ont voté sous la pression, ni, sur un autre plan, des quelques valets et mouchards des Français.

[3Ce qui exigera du temps.

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