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DOSSIER

MALI : ACTUALITÉS - DÉBATS FÉVRIER 2013

mercredi 6 février 2013


MALI : LE REGARD DE BOUBACAR BORIS DIOP - Posted by Candide
- 2 février 2013
- Propos recueillis par Souleymane Ndiaye -ndarinfo.com - tunisitri.wordpress.com ;


MALI - RÉSOUDRE LES PROBLÈMES ESSENTIELS… - extraits de l’introduction de Jacques Fath - Lettre des Relations Internatoinales (LRI) - Janvier 2013 ;


GÉNÉRAL YALA : QUELLE INSERTION MONDIALE ET RÉGIONALE ? - article El Watan - 5 février 2013 - repris sur algerieinfos ;


VAINE STRATÉGIE FRANÇAISE AU MALI - par Olivier Roy, directeur d’études à l’EHESS - Le Monde - le 04 février 2013 ;


POURQUOI LE MALI PERD LE NORD ET L’ ALGÉRIE RISQUE DE PERDRE LE SUD ? - Kamal Daoud - Le Quotidien d’Oran - le 4 février 2013.


SAMIR AMIN RÉPOND SUR LE MALI - 4 février 2013 - site du MPEP ;



MALI : LE REGARD DE BOUBACAR BORIS DIOP
2 février 2013
Propos recueillis par Souleymane Ndiaye
Le pays au quotidien

Il était prévu avec Boubacar Boris Diop, écrivain et enseignant soucieux de l’Afrique, un entretien portant sur divers sujets, mais rattrapé par l’actualité brûlante, nous avons choisi de nous arrêter sur le Mali. Car ce qui s’y passe est grave…

Peut-on dire que le Nord-Mali, c’est encore la Françafrique dans ses œuvres ?
Oui et non. Au Mali, la France est certes dans son pré-carré et, à l’exception du Nigeria, les pays engagés avec elle sur le terrain font partie de son ancien empire colonial mais dans le fond on est plutôt ici dans une logique de guerre globale.
Le modèle serait plutôt l’invasion américaine en Irak. En outre, les interventions françaises en Afrique ont toujours été faites avec une certaine désinvolture, presque sans y penser, alors que celle-ci, ponctuée de conseils de guerre à l’Élysée, a été conçue comme un grand spectacle médiatique. Elle fait l’objet de sondages réguliers et deux ministres, ceux de la Défense et des Affaires étrangères, n’ont jamais été aussi bavards.

Comment expliquez-vous ce changement d’attitude ?
Quelques jours après le début des combats, tous les hebdos français ont titré : « Hollande en chef de guerre ».
Le Nord-Mali, ça a été l’occasion pour un président jugé terne, mou et indécis de se donner à peu de frais l’image d’un dirigeant volontaire et capable de préserver le rang de son pays dans le monde.
Le contraste n’en est pas moins frappant avec la précipitation peu glorieuse de Paris à se retirer d’Afghanistan suite à des attaques mortelles des Talibans contre un certain nombre de ses soldats.

Mais les problèmes d’image de Hollande ne peuvent pas à eux seuls expliquer une intervention aussi coûteuse…
C’est évident, mais il ne pouvait pas rater la si belle occasion de se refaire une santé. L’objectif déclaré de cette guerre, c’est d’aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale mais sans la prise de Konna par les islamistes, rien ne se serait sans doute passé.
La chute de Konna, c’est le moment où Paris, qui ne perd jamais de vue ses otages et l’uranium d’Areva, comprend que ses intérêts économiques et sa position dans la région sont gravement menacés.
Et à partir de là, les acteurs ne sont plus les mêmes.
Cette guerre est suivie de près par des pays comme l’Algérie, la Mauritanie, le Nigeria, sans parler des autres puissances occidentales et du Qatar, cette monarchie du Golfe qui se livre ici comme en Syrie et partout ailleurs à un drôle de jeu.
Vous savez aussi que depuis l’attaque d’In Amenas, Américains et Anglais se sentent bien plus concernés et que le Japon, important partenaire économique du Mali et dont dix ressortissants sont morts lors de la prise d’otages, a accordé une contribution de 120 millions de dollars en soutien à la Misma, lors de la conférence des donateurs que vient d’organiser l’Union africaine à Addis.

Etes-vous d’accord avec l’ambassadeur de France à Dakar quand il déclare que si son pays n’était pas intervenu personne d’autre ne l’aurait fait ?
On peut le lui concéder et c’est en fait cela le coup de génie de Paris dans cette histoire où la France peut se présenter comme l’ennemi des « méchants ». J’utilise ce dernier mot à dessein, car la politique internationale me fait très souvent penser à un film hollywoodien, le tout étant de savoir être du côté des bons.
Lorsque vous apprenez par exemple que des narco-terroristes occupent les deux tiers du Mali et qu’ils détruisent les mosquées et les tombeaux de saints, mettent le feu à la bibliothèque Ahmed Baba et coupent les mains des gens, votre premier mouvement est d’approuver ceux qui essaient de les mettre hors d’état de nuire.
Et lorsqu’on écoute ces jours-ci les prises de position des uns et des autres sur le Mali, on se rend compte de notre difficulté à penser cette énième intervention française en Afrique.
J’ai vu l’autre soir sur la 2STV Massaer Diallo l’approuver sans ambages et deux jours plus tard Gadio et Samir Amin en ont fait de même.
N’est-ce pas troublant ?
Après tout, il s’agit là, quand on en vient à l’analyse des dérives criminelles de ­la Françafrique, de trois intellectuels au-dessus de tout soupçon…­

Est-ce à dire que vous êtes d’accord avec eux ?
Ah non ! Certainement pas. Je les comprends, je n’ai aucun doute quant à leur sincérité mais je ne partage pas leur point de vue.
Le danger, à mon humble avis, c’est d’analyser cette guerre comme un fait isolé.
Tout le monde la relie à l’agression contre la Libye, mais pas avec autant d’insistance qu’il faudrait.
Il ne suffit pas de dire que l’agression contre la Libye est en train de déstabiliser la bande sahélienne et toute l’Afrique de l’Ouest.
Il faut la placer, de même que le « printemps arabe », au cœur de la réflexion sur le Nord-Mali.

Nous devons peut-être même aller plus loin et nous demander si nous n’aurions pas dû hausser la voix dès le jour où des chars de combat français ont forcé les grilles du palais de Gbagbo. Il était possible, sans forcément soutenir Laurent Gbagbo, de bien faire savoir à Paris qu’une ligne rouge venait d’être franchie.
Mais nous avons trop bien appris notre leçon sur la démocratie, on a inventé exprès pour nous des termes comme « bonne gouvernance » – qui donc a jamais entendu parler de la « bonne gouvernance » en Belgique ? – et nous en sommes venus à perdre tout sens des nuances et surtout la capacité d’inscrire des évènements politiques particuliers dans une logique globale.

Dans cette affaire, quels reproches très précis peut-on formuler aujourd‘hui contre la France ?

Ici aussi, il suffit de remonter le fil des évènements. Après avoir assassiné Kadhafi dans les conditions scandaleuses que l’on sait, L’Etat français a cru le moment venu de confier la sous-traitance de la guerre contre Aqmi et le Mujao à la rébellion touarègue.
Comme vient de le rappeler Ibrahima Sène dans une réponse à Samir Amin, Paris et Washington décident alors d’aider les Touareg présents en Libye à rentrer lourdement armés au Mali mais, détail important, pas au Niger où on ne veut prendre aucun risque à cause d’Areva.
Les Touareg sont ravis de pouvoir concrétiser enfin leur vieux rêve d’indépendance à travers un nouvel Etat de l’Azawad, allié de l’Occident.

Certains medias français se sont alors chargés de « vendre » le projet de ces « hommes bleus du désert » qui se préparent pourtant tout simplement à entrer en guerre contre le Mali.
Il suffit de faire un tour dans les archives de France 24 et de RFI pour voir que le MNLA en particulier a été créé de toutes pièces par les services de Sarkozy. Ces stratèges savaient très bien que cela allait se traduire par l’effondrement de l’Etat malien et la partition de son territoire. Ça ne les a pourtant pas fait hésiter une seconde.
Juppé s’est ainsi permis de minimiser l’égorgement collectif par les Touareg d’une centaine de soldats et officiers maliens le 24 janvier 2012 à Aguelhok et suggéré la possibilité d’un Azawad souverain au nord.
Mais au bout du compte, le MNLA qui n’a pas été à la hauteur des attentes de ses commanditaires face aux jihadistes, s’est pratiquement sabordé, ce qui est d’ailleurs sans doute une première dans l’histoire des mouvements de libération.

Dans cette affaire, la France est clairement dans le rôle du pompier pyromane. Tout laisse croire qu’elle va défaire les jihadistes, mais sa victoire coûtera aux Maliens leur Etat et leur honneur.

Qu’entendez-vous par là ?
Je veux juste dire que c’en est fini pour longtemps de l’indépendance du Mali et de sa relative homogénéité territoriale.
Il faudrait être bien naïf pour s’imaginer qu’après s’être donné tant de mal pour libérer le Nord, la France va remettre les clefs du pays à Dioncounda Traoré et Maliens et se contenter de grandes effusions d’adieu.
Non, le monde ne marche pas ainsi.

La France s’est mise en bonne position dans la course aux prodigieuses richesses naturelles du Sahara et on la voit mal laisser tomber la rébellion touarègue qui reste entre ses mains une carte précieuse.

Un épisode de cette guerre est passé inaperçu, qui mérite pourtant réflexion : la prise de Kidal. On en a d’abord concédé la « prise » à un MNLA qui n’a plus aucune existence militaire et quelques jours plus tard, le 29 janvier, les soldats français sont entrés seuls dans la ville, n’autorisant pas les forces maliennes à les y accompagner. Iyad Ag Ghali, patron d’“Ansar Dine”, discrédité par ses accointances avec “AQMI” et le “MUJAO”, est presque déjà hors jeu et son rival « modéré » Alghabasse Ag Intalla, chef du “MIA”, est dans les meilleures dispositions pour trouver un terrain d’entente avec Paris.
En somme, les indépendantistes Touareg vont avoir après leur débâcle militaire un contrôle politique sur le nord qu’ils n’ont jamais eu. C’est un formidable paradoxe, mais l’intérêt de l’Occident, c’est un Etat central malien sans prise sur la partie septentrionale du pays.
Les pressions ont commencé pour obliger Dioncounda Traoré à négocier avec des Touareg modérés sortis de la manche de Paris et on ne voit pas un président aussi affaibli que Dioncounda Traoré résister à Hollande.
Que cela nous plaise ou non, le « printemps arabe » est en train de détacher définitivement l’Afrique du Nord du reste du continent et la « nouvelle frontière » c’est en quelque sorte le Nord-Mali.
Cela correspond à un projet stratégique très clair, très cohérent, de l’Occident et il est en train de le mettre en œuvre.

Qu’avez-vous pensé en voyant ces jeunes Maliens brandissant des drapeaux français ?
Certains disent que c’est un montage. Je ne suis pas du tout de cet avis.
Ces images disent au contraire l’immense soulagement des Maliens.

Ce sont des images particulièrement perturbantes et c’est pour cela que nous devons oser les affronter.
La vraie question c’est moins ce qu’il faut penser de l’Etat Français que de nous-mêmes, je veux dire de nous les intellectuels et les politiciens africains.
Comment se fait-il que nos populations soient laissées dans un tel état d’abandon ?
Ce qui doit nous interpeller tous, ce sont ces images-là : les troupes françaises qui ont occupé ce pays voisin, le Mali, pendant des siècles d’une colonisation barbare, y reviennent cinquante ans après l’indépendance et sont accueillis comme des libérateurs.
N’est-ce pas là un sérieux motif de perplexité ? Que pouvait bien valoir, finalement, l’indépendance du Mali ?
Qu’a-t-il fait de l’héritage de Modibo Keita ?
La question qui se pose en définitive à nous tous, et sans doute avec une force particulière aux anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne, c’est celle de notre souveraineté nationale.
Certains retournements historiques sont durs à avaler et nous y avons tous une part de responsabilité. Mais il m’arrive d’en vouloir surtout à nos historiens ; j’ai parfois l’impression que la plupart de ces brillants esprits ne mettent pas leur connaissance intime de notre passé au service de la compréhension des enjeux du présent.
Beaucoup d’entre eux ont pour ainsi dire le nez dans le guidon tandis que d’autres répètent les mêmes phrases depuis des décennies sans paraître se rendre compte des mutations qui n’en finissent pas d’intervenir.

Quelles sont les autres images qui vous ont frappé dans cette guerre ?
Une en particulier : celle de ces gamins maliens au bord des routes, regardant passer les militaires Toubab un peu comme ils le faisaient à l’occasion du Paris-Dakar. Je me suis plusieurs fois demandé ce que ça doit faire dans la tête d’un enfant de voir ça.
On a rarement vu une population à ce point ébahie par ce qui se passe chez elle et ne comprenant rien à ce qui est pourtant censé être sa propre guerre. On a parfois le sentiment qu’ils ne savent pas si ce qu’ils ont sous les yeux, et qui est si fou, c’est de la réalité ou juste de la télé.

L’opération Serval ne va-t-elle pas, malgré tout, redorer le blason de la France en Afrique ?
Ce n’est pas impossible mais cela m’étonnerait. Les transports amoureux en direction des soldats français viennent du cœur, mais ils sont passagers.

Les véritables objectifs de cette guerre vont être de plus en plus clairs pour les Maliens et, pour eux, le réveil risque d’être douloureux.
Ça n’existe nulle part, des forces étrangères sympa.
Les medias français peuvent toujours se bercer d’illusions, mais à leur place, je me dirais que la mariée est quand même trop belle !

Et puis, vous savez, l’opération Serval a lieu au moment même où la presse parisienne révèle chaque jour des faits de plus en plus précis prouvant le rôle actif des services français dans l’attentat du 6 avril 1994 qui a déclenché le génocide des Tutsi du Rwanda.
L’implication résolue de la France dans le dernier génocide du vingtième siècle est une tâche indélébile sur son honneur, les vivats momentanés de Gao et Tombouctou ne vont pas l’effacer.

Quelles leçons le Mali peut-il tirer de ce conflit ?
Tout d’abord, cela doit être extrêmement dur ces temps-ci d’être un militaire malien. Voici une armée nationale se battant dans son propre pays et dont les morts ne comptent même pas, à l’inverse de celle du pilote français d’hélicoptère, Damien Boiteux, abattu au premier jour des combats.

Ce que toutes ces humiliations doivent montrer au Mali, c’est ce qu’une certaine comédie démocratique, destinée surtout à plaire à des parrains étrangers, peut avoir de dérisoire.

Le Mali est un cas d’école : cité partout en exemple, il a suffi d’un rien pour qu’il s’effondre. Et on y voit déjà à l’œuvre des mécanismes d’exclusion qui peuvent devenir de plus en plus meurtriers : tout Touareg ou Arabe risque d’être désormais perçu comme un complice des groupes jihadistes ou de la rébellion touarègue.
Conscients de ce danger, des intellectuels maliens comme Aminata Dramane Traoré n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme au cours des derniers mois, mais personne n’a voulu les écouter.

Les relations entre les différentes communautés du Mali ont toujours été fragiles et la menace d’affrontements raciaux n’a jamais été aussi sérieuse.
C’est le moment de dépasser les vieilles rancœurs.

Peu de temps après le carnage d’Aguelhok, j’ai eu l’occasion de parler dans un lycée de Bamako. Il y avait des jeunes Touareg dans l’assistance et ils avaient manifestement peur de ce qui pourrait leur arriver un jour ou l’autre.
Rien, justement, ne doit leur arriver. Ils n’ont pas à payer pour les crimes de quelques politiciens ambitieux, qui sont d’ailleurs surtout laquais de Paris.

Il se dit partout que la lenteur de la réaction africaine a ouvert un boulevard à la France et l’a même légitimée. Comment peut-on éviter qu’une telle situation ne se reproduise ?
Oui, on a beaucoup critiqué, à juste titre, les atermoiements des Etats africains, mais il faut tout de même comprendre qu’il est suicidaire de s’engager à mains nues dans une guerre aussi complexe.
C’est toutefois précisément le reproche qu’on peut faire à nos pays : de ne s’être pas dotés des moyens de se défendre, individuellement ou collectivement.

Et ici, on en revient à ce que Cheikh Anta Diop a toujours dit : « La sécurité précède le développement et l’intégration politique précède l’intégration économique. »
Son parti, le RND, vient d’ailleurs de le rappeler dans une déclaration sur la guerre au Mali.

Sa vie durant, Cheikh Anta Diop a insisté sur la nécessité d’une armée continentale forte.
Sa création ne peut évidemment pas être une affaire simple, mais en voyant tous ces soldats ouest africains redevenus des « tirailleurs sénégalais », on a un peu honte et on se dit que sur cette question aussi Cheikh Anta Diop avait vu juste avant tout le monde. Je pense qu’il n’est pas trop tard pour méditer ses propos.
Et, soit dit en passant, le président Sall ferait bien de s’en souvenir au moment où il semble vouloir donner une seconde vie au NEPAD.

Cet entretien devait être exclusivement consacré à la situation au Mali, mais je ne peux m’empêcher, en conclusion, de vous demander votre avis sur les audits et la CREI…
Pour moi, c’est tout simple : des milliards ont atterri dans des comptes privés et l’Etat se doit de les réinjecter dans notre économie, quitte à négocier avec les détourneurs mais en se montrant résolu à contraindre les récalcitrants à rendre gorge, par des voies légales, bien entendu.

Même Wade devrait être invité à répondre en justice de sa gestion.
J’admets que son âge pourrait poser problème par rapport à notre manière de voir les choses au Sénégal, mais on ne doit pas non plus oublier que cela ne l’a pas empêché de vouloir continuer à occuper les lourdes charges de président il y a moins d’un an.

Cela dit, on ne développe pas un pays en récupérant de l’argent détourné, on développe un pays en empêchant que l’argent public soit impunément détourné.

Or il faut être aveugle pour ne pas voir que la gangrène de la corruption continue à ronger notre société. Tout est monnayé de l’aube au crépuscule. Pourquoi n’en parle-t-on jamais ? Le racket quotidien en pleine rue, au vu et au su de tous, ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
Je suis convaincu que la plupart des membres du nouveau gouvernement sont des gens honnêtes, mais, dans ce domaine, on ne peut pas s’en remettre à la bonne volonté des personnes.
Si le système n’est pas repensé, si le consensus social au sujet de la corruption n’est pas brisé, dans cinq ou dix ans le nouveau pouvoir va dépenser des milliards mais aussi beaucoup d’énergie pour récupérer d’autres milliards détournés par quelques-uns des ministres ou responsables nationaux aujourd’hui en activité.
C’est absurde et il est urgent de se dégager de ce cercle vicieux.

Propos recueillis par Souleymane Ndiaye

Le pays au quotidien

Sources :

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MALI
RÉSOUDRE LES PROBLÈMES ESSENTIELS…

Lettre des Relations Internatoinales (LRI)
extraits de l’introduction de Jacques Fath
Janvier 2013

.../... L’intervention militaire française, elle-même, traduit l’impasse dans laquelle
se trouvent les puissances capitalistes dominantes – dont la France – pour
surmonter les conséquences, au Sud, de leurs propres politiques, pour pouvoir
maintenir leur domination et garantir une stabilité minimum conforme
à leurs intérêts (AREVA au Niger par exemple).

On sait que la guerre déroule ses propres processus qui peuvent devenir
non maîtrisables.
On sait aussi que sans réponses crédibles aux enjeux du
développement humain dans toutes ses dimensions, aux attentes sociales et
démocratiques populaires, rien de durable ne peut advenir.
En fait, la question
est la (re)construction de l’État malien, du consensus politique national
nécessaire pour une nécessité aussi existentielle.

La crise malienne est probablement l’exemple même des problématiques
fondamentales de ce début du XXIème siècle.
Saura-t-on, voudra-t-on, résoudre
les problèmes du Sud et du monde ?
La France, l’Union européenne
auront-elles la volonté et la capacité – au moins – d’y contribuer ?

Cela
dépendra largement de notre propre engagement, de la qualité de notre
intervention sur cet enjeu colossal mais incontournable de coopérations
dans le respect mutuel et l’intérêt réciproque, l’enjeu d’un nouvel ordre
international.

Jacques Fath

Sources :
Lettre des Relations Internatoinales (LRI)
Janvier 2013

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GÉNÉRAL YALA :
QUELLE INSERTION MONDIALE ET RÉGIONALE ?

article El Watan
5 février 2013
repris sur algerieinfos

Une intervention publique conçue comme rappel de ses propositions d’avril 2012. C’est l’impression qui vient à la lecture de la contribution de l’ancien général, commandant des forces navales. Inscrivant cette nouvelle contribution dans le consensus national qui s’est manifesté à l’occasion de Tiguentourine, il conclut en appelant à « un projet de relance nationale, par un Etat de citoyenneté et une Algérie résolument tournée vers l’avenir et le long terme ». Mohand-Tahar Yala précise : « Il s’agit là d’un projet d’insertion mondiale et régionale qui aura à tenir compte des axes civilisationnels, géo-économiques, géostratégiques et géopolitiques ».

Quelle insertion ?

Point de vue :
L’ APRÈS -TIGUENTOUNINE, L’AFFAIRE DE TOUS !

par Mohand Tahar Yala,
ancien général commandant des forces navales

L’attaque de Tiguentourine vient de prouver à tous les citoyens que c’est « l’Algérie avant tout » qui est ciblée. L’Algérie, donc avec ses immenses ressources et potentialités, dont notre population, propriétaire souveraine, est la première concernée. Mais en a-t-elle seulement conscience ?
Aussi, je soumets ma contribution aux quatre questionnements suivants, actuellement récurrents au sein de notre opinion publique et des médias :

1 - L’image de l’Algérie a-t-elle été dégradée par l’opération de l’ANP à In Amenas ?
Non ! Absolument pas. Bien au contraire, car je considère que ce qui compte le plus et qu’il faut préserver en toute situation, c’est l’image de l’Algérie dans le cœur des Algériens. La riposte, menée à In Amenas, est une véritable leçon donnée à ceux qui, à l’extérieur et à l’intérieur du pays, pensaient que la souveraineté et la sécurité de l’Algérie pouvaient être négociables. Et il n’est pas du tout exclu de penser qu’au-delà de son très haut niveau de résonance médiatique, la véritable intention de ces terroristes relevait d’une projection de plus large contagion stratégique, par l’ouverture d’une brèche, afin de s’y installer durablement et faire de ce site gazier une tête de pont protégée, sachant qu’en plus du bouclier humain que constituent les centaines d’otages, pour la plupart algériens, son bombardement est a priori non envisageable compte tenu de la forte concentration de matériaux inflammables. Il fallait donc réagir très vite et très fort, sans aucune hésitation. Aussi, je fais partie de cette majorité des compatriotes qui sont fiers de l’intervention de nos forces et je rends hommage aux hommes sur le terrain qui ont exécuté une des missions les plus compliquées qui soient avec détermination et compétence.

Pour ce qui est de notre image à l’extérieur, cet événement et la réaction de notre armée ont suscité un regain de respect pour notre pays, même de la part de ceux qui nous sont traditionnellement hostiles. Aujourd’hui, après cette opération de prise d’otages massive et sans précédent au niveau planétaire, tous les experts reconnaissent à nos forces de sécurité leur niveau d’efficacité. Et tout le monde sait également que cette opération porte de bout en bout la signature de l’armée : prise de décision sans ambiguïté, résolution, rapidité de réaction, prise de posture offensive.

Telle aurait dû être l’attitude du pouvoir en 2012, dès l’enlèvement de nos diplomates au sein même de notre enceinte consulaire à Gao. À ce jour, certains sont encore détenus en otages et nous ne pouvons pas les oublier.

Pour rappel, la veille de la prise de notre consulat à Gao, le 5 avril 2012, j’avais préconisé les règles de comportement d’une Algérie forte, dans l’interview parue dans “El Watan.”

2 - Quelles suites réserver aux éventuelles défaillances exploitées par le groupe terroriste pour attenter à ce site, prétendu « hautement sécurisé » ?
Beaucoup d’enseignements devront être tirés pour la mise en place d’un véritable dispositif de sûreté et d’intervention adapté à l’immensité du Sud et à même de contrer une menace de type « diluée ».

Et je préconise même d’instaurer, en coordination avec les Etats frontaliers, des mécanismes d’action sur leur territoire en cas de nécessité de traiter une menace avérée sur l’Algérie. Pour être tout à fait efficace, ce dispositif doit, d’une part, s’apparenter à ce qui est mis en place par les puissances dans les espaces maritimes et, d’autre part, intégrer tous les potentiels disponibles, y compris les populations locales. La sécurité de l’Algérie concerne tous les Algériens, ils doivent donc y être activement associés. Dans l’appel paru dans l’édition d’“El Watan” du 22 octobre 2012, j’avais souligné la nécessité d’installer le citoyen au centre de la sécurité nationale.

3-La communication a-t-elle été à la hauteur des événements, des enjeux et des intérêts supérieurs de la nation ?
Encore une fois : non ! Faire pire, cela aurait été difficile. Elle semblait clairement provenir de sources discordantes.

S’agissant d’opérations de cette nature et de cette envergure, un plan d’opération militaire est mis en place, qui normalement doit intégrer son plan de communication, parfaitement cohérent, tous communicants (institutions, chancelleries, réseaux…) et médias confondus. La communication est un acte opérationnel en cas de crise ou de guerre. Alors que l’Algérie a toujours affirmé que le terrorisme est transnational, force est de déplorer que la communication la plus dommageable aura été celle qui a ciblé la population locale, comme composant le groupe terroriste. Je crains que cette affirmation ne laisse des stigmates et rajoute à la déstabilisation des enfants de la région, dont les parents ou les grands-parents ont, un certain mois de février 1962, à la veille des Accords d’Evian, affronté la mort pour s’opposer à la partition du pays et imposer l’intégrité du territoire algérien.

4-Le problème de l’islamisme a-t-il été réglé ?
J’aurais à m’exprimer très prochainement sur cette délicate question d’islamisme et d’islam, dans sa dimension mondiale. Mais, aujourd’hui, je reste concentré sur les préoccupations immédiates. En Algérie, nous gérons encore des actions violentes : le problème n’est donc pas réglé. Pour preuve, l’attaque de Tinguentourine vient à peine d’être solutionnée que déjà une toute récente opération terroriste armée a tenté de saboter un gazoduc à Bouira. À l’évidence, nous ne pouvons pas exclure que d’autres actions d’envergure soient programmées contre chacune de nos installations stratégiques, plus particulièrement dans le Sud, du fait des troubles et de l’instabilité dans nos pays frontaliers et de la facilité de mouvement de groupes fortement armés.

C’est pourquoi, à mon avis, le problème ne trouvera sa solution, comme tous nos autres problèmes d’ailleurs, que dans un projet de relance nationale, par un Etat de citoyenneté et une Algérie résolument tournée vers l’avenir et le long terme. Il s’agit là d’un projet d’insertion mondiale et régionale qui aura à tenir compte des axes civilisationnels, géo-économiques, géostratégiques et géopolitiques.
Je terminerai en rendant hommage au jeune Lamine Lahmar, ainsi qu’à toutes les victimes innocentes de la prise d’otages de Tiguentourine.

Mohand-Tahar Yala,
ex-commandant des forces navales.
El Watan, 5 février 2013

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VAINE STRATÉGIE FRANÇAISE AU MALI

par Olivier Roy, directeur d’études à l’EHESS
Le Monde
le 04 fécrier 2013
repris sur algerieinfos

DR-Olivier Roy : « Al-Qaida est une nuisance,
mais pas une menace stratégique. Pour lui ôter
une grande part de sa puissance, il suffit de
faire en sorte que les forces locales que le
mouvement veut parasiter n’aient plus
aucune bonne raison de les protéger ».

Les buts de guerre officiels de la France au Mali sont de combattre le "terrorisme islamique" et rétablir l’intégrité territoriale du Mali. Le problème est de savoir quel est le rapport entre les deux : l’intégrité du Mali est-elle menacée par le "terrorisme islamique" ?

Cela dépend bien sûr de ce que l’on appelle "terrorisme islamique", et l’on voit ici que l’on n’est pas sorti de la confusion sémantique et politique introduite par l’administration Bush lorsqu’elle a lancé le slogan de la "guerre contre le terrorisme" après le 11-Septembre.

Sous le vocable de terrorisme islamique on met à peu près n’importe quoi : Al-Qaida bien sûr, mais aussi des partis qui sont avant tout nationalistes, comme le Hamas palestinien, des mouvements locaux voulant établir la charia, comme les talibans afghans ou l’Ansar Eddine malien, voire n’importe quelle communauté religieuse parlant de charia islamique.

L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE DU MALI EST MISE EN CAUSE

Or cette confusion interdit de définir une stratégie claire et de long terme, car elle ne permet pas de distinguer entre des acteurs légitimes, avec qui on peut et doit négocier, même s’ils s’opposent à l’Occident, et des terroristes dont le seul objectif est la confrontation, et qui n’ont aucune base sociale.

L’intégrité territoriale du Mali est mise en cause d’abord et avant tout par les mouvements touareg du nord du pays, qui considèrent, à tort ou à raison, ne pas être assez pris en compte par les gouvernements maliens, avant tout tenus par les Africains noirs du sud.

Il s’agit ici d’une vieille revendication de plus de trente ans, conséquence du partage colonial entre l’Afrique du Nord, tenue par des Etats avant tout arabes, et l’Afrique centrale, tenue par des Africains noirs.

Les Touareg, peu nombreux mais présents sur un territoire immense aux confins de ces deux ensembles, ont été les perdants de ce partage et se manifestent au Tchad, au Mali, au Niger, voire en Algérie et en Libye depuis des décennies.

Exclus du pouvoir, ils ont trouvé dans la contrebande transfrontalière de nouvelles ressources économiques ; de tradition guerrière, ils ont profité des conflits régionaux (dont la révolution libyenne) pour trouver les moyens de s’armer ; enfin, la référence récente à l’islam permet à certains d’apparaître comme porteurs d’un message universel, au-delà de leur identité tribale, et de trouver des alliés dans les populations africaines.

Mais la question touareg relève de tensions ethno-nationales, et pas de l’islamisme. Ce problème ne peut être résolu que par une négociation politique visant à un partage plus équitable du pouvoir.

De plus, pour rétablir l’intégralité territoriale du Mali, il faudrait qu’il y ait un Etat malien central stable, solide et reconnu, ce qui n’est pas (ou plus) le cas. Le risque est qu’au lieu de rétablir un Etat pour tous, l’intervention française redonne le pouvoir à une faction, peu soucieuse de le partager, et aggrave donc les tensions ethniques.

Un second problème, qui va bien au-delà du Mali, est la radicalisation religieuse de mouvements qui sont avant tout ethnonationalistes. Les mouvements touareg étaient représentés par des groupes plutôt séculiers – comme l’est le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), à l’origine de la révolte –, mais ils se font doubler par des mouvements salafistes, qui sont aussi touareg, comme Ansar Eddine, qui mettent en avant la mise en œuvre de la charia et la construction d’un émirat islamique, qui comme par hasard occupe de fait les zones revendiquées par les mouvements nationalistes.

ISLAMISATION D’UNE REVENDICATION NATIONALISTE OU RÉGIONALISTE

C’est un phénomène récurrent dans le monde musulman depuis les années 1980 : les moudjahidine afghans, suivis par les talibans, le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais, par exemple, incarnent cette islamisation d’une revendication nationaliste ou régionaliste.

Curieusement, c’est dans les zones tribales - Afghanistan, Pakistan, Yémen, Mali - que la mutation de mouvements régionalistes en mouvements religieux salafistes est la plus forte. La revendication autonomiste ou ethnique se double d’une volonté de créer des "émirats islamiques" ; le sud de l’Afghanistan est un bon exemple d’une société tribale (les Pachtouns) qui se donne comme expression de son identité ethnique un mouvement religieux, les talibans.

Sans doute est-ce parce que seule la référence à la charia permet de dépasser les clivages tribaux, sans pour autant abolir le système tribal. C’est un phénomène ancien dans la mobilisation des tribus - que l’on pense au Mahdi soudanais des années 1880 ou à la guerre du Rif de 1920 à 1925. Mettre ces mouvements dans la case "terrorisme islamique" est absurde et dangereux.

La récente scission d’Ansar Eddine au Mali entre la tendance salafiste et celle qui se revendique d’abord de l’identité touareg (Mouvement islamique de l’Azawad), scission annoncée le 24 janvier 2013, est une claire indication que ce triple niveau (charia, coalition tribale, revendication ethnico-nationale) peut se recomposer de manière variable autour d’un des trois éléments.

RIEN DE NOUVEAU DANS LES VA-ET-VIENT D’AQMI, DU MUJAO

Que vient faire Al-Qaida là-dedans ? Il n’y a rien de nouveau dans les va-et-vient d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), du Mujao ou de n’importe quel petit groupe de djihadistes internationalistes qui évoluent à leur guise dans le Sahel. Les groupes liés à Al-Qaida sont par excellence des nomades, mais qui nomadisent d’abord dans l’espace global : ils ne sont pas réellement ancrés dans les sociétés où ils opèrent et rassemblent plutôt des "déracinés" souvent d’origine étrangère et par définition très mobiles, d’autant plus qu’ils sont peu nombreux.

Le schéma est le même depuis une vingtaine d’années : Al-Qaida est composée de djihadistes internationaux et n’exprime jamais un mouvement social ou politique local. C’est ce qu’illustre la composition du groupe ayant attaqué le complexe gazier d’In Amenas en Algérie : des gens de toutes origines, de toutes races et incluant des convertis.

AQMI n’a pas d’ancrage sociologique dans le Sahel, mais s’implante grâce à son alliance avec des forces locales, en général salafistes, mais aussi avec des éléments délinquants.

Ce fut le cas en Afghanistan et au Pakistan. Al-Qaida agit essentiellement dans les périphéries du monde musulman - Bosnie, Tchétchénie, Afghanistan, Yémen, Sahel - et rarement au coeur du Moyen-Orient (à part l’épisode bref d’Abou Moussab Al-Zarkaoui en Irak).

AL-QAIDA PARASITE DES CONFLITS LOCAUX

Al-Qaida n’est pas un mouvement politique qui cherche à établir de vrais émirats islamiques locaux : son objectif, c’est avant tout l’Occident, comme le montre l’attaque contre le complexe gazier algérien, où seuls les expatriés non musulmans furent ciblés.

La stratégie d’Al-Qaida est globale et déterritorialisée : il s’agit de multiplier les confrontations, mais toujours en visant l’Occident.

En un mot, Al-Qaida parasite des conflits locaux, qui ont leur logique propre, pour les radicaliser dans un sens anti-occidental et pour attirer l’Occident dans le piège de l’intervention.

L’administration Bush n’avait pas compris cette dimension déterritorialisée d’Al-Qaida et a cherché à réduire les sanctuaires potentiels en contrôlant du territoire par le déploiement de troupes au sol (intervention en Afghanistan en 2001, sans parler de l’Irak en 2003).

Or cette stratégie est vaine : pour occuper du territoire, il faut des centaines de milliers de soldats, et, quand ils sont en place, Al-Qaida est déjà partie (comme en 2001 en Afghanistan, et ce sera le cas au Mali). En ce sens, la stratégie antiterroriste d’Obama - ne pas engager l’armée, mais utiliser les drones, le renseignement et les forces spéciales -, quelles que soient les réticences qu’on peut avoir par rapport à sa légalité ou plus encore à sa moralité, est plus efficace et moins coûteuse, car elle est adaptée à la nature d’Al-Qaida.

Si la France espère mettre fin à la sanctuarisation d’Al-Qaida au Maghreb par une occupation d’un territoire, c’est absurde : le groupe ira se reconstituer un peu plus loin.

Et si le but est la destruction de ces groupes, c’est tout aussi absurde : vu le faible nombre de combattants qu’ils comprennent (quelques centaines), vu leur recrutement international, rien de plus facile pour eux que de bouger, passer les frontières, ou revenir en jean et sans barbe à Toronto ou à Londres.

Al-Qaida est une nuisance, mais pas une menace stratégique. Pour lui ôter une grande part de sa puissance, il suffit de faire en sorte que les forces locales que le mouvement veut parasiter n’aient plus aucune bonne raison de les protéger.

C’est ce qui n’est pas arrivé en Afghanistan en 2001, quand le mollah Omar, contre l’avis de ses conseillers, a refusé d’extrader Ben Laden ; c’est ce qui est arrivé en Bosnie et en Irak, où les combattants locaux ont eux-mêmes fini par chasser les djihadistes étrangers ; c’est ce qui peut arriver au Yémen et en Syrie, c’est ce qui devrait arriver au Mali si on négocie avec les forces locales.

Mais pour cela, il ne faut pas leur coller l’étiquette "terroristes avec qui on ne discute pas". Or rien n’a été dit à leur adresse ; on peut seulement espérer qu’en coulisses, les canaux de communication fonctionnent.

Derrière la rhétorique de la guerre contre le terrorisme, ce qu’il faut, c’est une approche politique de la situation.

Olivier Roy,
directeur d’études à l’EHESS


Olivier Roy, professeur agrégé de philosophie et diplômé de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) ; directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de recherche au CNRS ; spécialiste de l’islam politique.
Depuis 2009, il dirige le Programme méditerranéen à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie). Auteur de nombreux ouvrages, dont "L’Asie centrale contemporaine" (PUF, 2010), "La Laïcité face à l’islam" (Stock, 2005).


Lire aussi l’éclairage : “Les raisons de l’engagement de la France au Mali”, par Olivier Roy


Sources : Le Monde et algérieinfos


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SAMIR AMIN RÉPOND SUR LE MALI

Un nouveau texte de Samir Amin, diffusé par les soins du site du M’PEP, suite aux réactions suscitées par son texte précédent.
Il alimente opportunément le débat nécessaire et utile autour de l’intervention unilatérale française au Mali.
Ci-dessous le texte en date du 4 février :

Bref commentaire concernant les critiques
adressées à mon article « Mali janvier 2013 »

Toutes les critiques qui me sont adressées disent la même chose : que la France de Hollande est une puissance impérialiste, ex-coloniale, qu’elle défend ses intérêts impérialistes, qu’elle n’a jamais renoncé à exercer son emprise sur des États clients en Afrique, etc. Le lecteur de mon article constatera que je ne dis pas autre chose et que j’en tire la conclusion : la France, telle qu’elle est, ne peut pas contribuer à la reconstruction du Mali. À moins d’un miracle auquel je ne crois pas : qu’elle abandonne les concepts « libéraux » du « développement ».

Ceux qui me critiquent font dériver directement de leurs prémices une conclusion et une seule : la condamnation de l’intervention française. Sans proposer d’alternative autre que rhétorique et générale : il appartient aux Maliens et aux Africains de régler seuls ce problème, sans dire comment. Ceux qui me critiquent ne disent rien du projet de pouvoir dit « islamique » établi au Nord Mali. Quels intérêts se profilent derrière ce projet ?

De facto, donc, leur attitude permet aux sécessionnistes du Nord d’établir leur Etat, voire de conquérir le Sud malien et d’établir un ou deux Etats « islamiques ». Ce résultat correspond précisément à l’objectif poursuivi par les Etats-Unis et, dans leur sillage, l’Europe. Ce projet avait d’ailleurs été entériné par Sarkozy.

Les peuples africains et maliens tireront-ils un avantage de cette solution ? Ces Etats dits « islamiques » constitueront-ils un rempart contre l’impérialisme ? Ceux qui me critiquent ne disent rien sur ces questions décisives. Ce que je dis par contre, c’est que cette solution répond parfaitement à la poursuite du contrôle de la région par l’impérialisme, qu’elle n’affaiblirait pas ce contrôle mais au contraire le renforcerait.

La preuve en est donnée chaque jour : les Etats-Unis et l’Europe ne « suivent » pas Hollande. Les positions prises par de nombreuses ONGs dont certaines sont connues pour leur inspiration directe par la CIA se joignent au chœur. Certes la diplomatie française s’emploie à cacher ces faits en prétendant que les Etats-Unis et l’Europe sont engagés avec la France, ce qui n’est tout simplement pas vrai.

Il y a une fissure qui s’est dessinée entre la France et ses alliés majeurs, qui restent ses alliés en Syrie et ailleurs. Face à ce fait, que ceux qui me critiquent paraissent ignorer, que faire ? Soutenir de facto le projet de Washington et de ses alliés européens, accepter le démantèlement du Mali et l’installation de régimes dits islamiques ? Je dis que c’est la pire solution. Les critiques en question font comme si les Etats-Unis et l’Europe étaient « moins impérialistes » que la France. Ils prennent position de facto comme si le soutien des Etats-Unis « contre » la France pouvait servir les intérêts des peuples africains. Quelle erreur tragique ! Ceux qui me critiquent font comme si on pouvait ignorer que la « conquête » du Nord du Mali n’a pas été le produit d’un mouvement populaire. Pas du tout, cette conquête a été le fait de groupes armés dont les motivations restent douteuses, pour le moins qu’on puisse dire : imposer par la violence leur pouvoir, piller et organiser leurs réseaux de trafics en tout genre. La base militaire des « djihadistes » établie dans la région vise directement l’Algérie. Ses émirs poursuivent l’objectif d’en détacher le Sahara algérien, à défaut de pouvoir prendre le pouvoir à Alger. Une perspective qui n’est pas pour déplaire forcément aux États-Unis. L’incursion d’In Amenas, préparée longtemps avant l’intervention française au Mali, en donne une preuve lisible.

Que la minorité touareg du Nord Mali ait en grande partie soutenu ces groupes « djihadistes », en réponse aux politiques inacceptables de Bamako à l’endroit de leurs revendications légitimes est tragiquement malheureux ; et dans l’avenir Bamako doit changer d’attitude à leur égard. Mais dans la situation créée par l’intervention des groupes armés prétendus « islamiques » il fallait accepter les risques que comporte l’intervention française.

La France est mal placée pour contribuer au redressement économique du Mali. Car la reconstruction du Mali passe par le rejet pur et simple des « solutions » libérales qui sont à l’origine de tous ses problèmes. Or sur ce point fondamental les concepts de Paris demeurent ceux qui ont cours à Washington, Londres et Berlin. Les concepts « d’aide au développement » de Paris ne sortent pas des litanies libérales dominantes. Au plan politique la France, avec les pays de la CDEAO, préconise l’organisation rapide d’élections. Cela n’est certainement pas le moyen de reconstruire le pays et la société ; c’est même le moyen le plus certain pour ne pas y parvenir, comme toutes les expériences, du monde arabe par exemple, le démontrent. Et de quel droit la France, ou même la prétendue « communauté internationale » (cad les États-Unis, leurs alliés subalternes européens, et les acolytes du Golfe), peuvent se prévaloir à ce titre ? Il appartient au peuple malien de s’organiser pour définir les moyens de sa reconstruction. Travailler avec les forces progressistes maliennes et africaines pour que le Mali parvienne à imposer sa solution juste à son problème : reconstruire l’unité du pays, de sa société et de l’Etat, dans le respect démocratique de la diversité de ses composantes.

Sources :
http://www.m-pep.org/spip.php?article3191

Texte inédit de Samir Amin diffusé par le M’PEP avec l’autorisation de l’auteur. Économiste franco-égyptien, Samir Amin est directeur du Forum du Tiers-Monde.

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