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Le PAGS et le pouvoir issu du coup d’Etat du 19 juin 65

LETTRE À BOUMEDIENE (14 septembre 1968)

Des clarifications encore utiles ...

vendredi 20 novembre 2009


Cette lettre date d’un peu plus de quarante ans. Elle a été écrite dans un contexte national et international tendu, à un moment où les positions officielles balançaient entre le courant ouvertement réactionnaire du clan putschiste "d’Oujda" et des tendances populistes, antiimpérialistes et de sensibilité sociale qui allaient prévaloir trois ans plus tard et pour quelques années dans les décisions officielles. Le contenu de ce document gagne à être éclairé aussi par l’entretien accordé au Soir d’Algérie en mai 2007, dans sa partie consacrée aux rapports du PCA et du PAGS avec les pouvoirs successifs.Il peut être complété également par un document interne qui sera bientôt mis en ligne : "Cinq questions d’actualité", rédigé par Sadek Hadjerès et mis en débat à tous les échelons du parti à partir de mars 1968. Inspirée par les orientations de la 1ère Conférence nationale tenue en 1967, l’analyse des "Cinq questions" servira de base six mois plus tard, dans une forme appropriée, à la lettre à Boumediène, ainsi qu’aux thèses de la deuxième conférence nationale de 1969.

POUR L’UNION DE TOUS LES PROGRESSISTES ET ANTIIMPERIALISTES
DANS L’ACTION COMMUNE
et l’oeuvre d’édification

(copie de la lettre adressée en septembre 1968 à M. le Président Houari Boumediène)

AU LECTEUR

Lors de la réunion des cadres de la nation et de la conférence nationale des syndicats, toutes deux tenues à la veille du 1er Novembre dernier (1968), le président Boumediène a porté, dans le cadre de son analyse de la situation politique du pays, certaines appréciations sur les activités de notre Parti.

Nous estimons positif à plus d’un titre le fait que des problèmes politiques et économiques vitaux pour notre pays aient été soumis à une franche confrontation publique, sans recours à l’amalgame habituellement utilisé contre les activités de notre Parti consistant à les qualifier de « subversives ».

Boumediène a notamment fait état d’une lettre que lui a adressée un mois et demi auparavant notre camarade le docteur Sadek Hadjerès au nom de la direction nationale du Parti de l’Avant-Garde Socialiste.

Nombre de nos amis nous ont interrogés sur le contenu de cette lettre. En la rendant publique aujourd’hui notre Parti répond à leur attente légitime sans obéir pour autant à des préoccupations de propagande ou de vaine polémique. C’est au contraire dans un esprit constructif et pour mieux éclaircir le débat instauré que nous publions cette lettre. Et c’est pourquoi nous nous abstenons en le faisant, de la compléter par des commentaires sur certains jugements et assertions du président Boumediène lors des deux conférences évoquées plus haut, nous réservant d’y revenir, à l’occasion, dans un souci de clarification politique et idéologique.

Dans la mesure où la lettre de notre Parti à Boumediène peut être considérée comme une contribution à l’union des forces progressistes de notre pays, nous ne pouvons qu’être heureux qu’il en ait été fait état publiquement, en souhaitant que la confrontation des points de vue se poursuive et s’approfondisse quelles que soient les formes qu’elle emprunte aujourd’hui ou qu’elle peut revêtir demain.

Cette libre confrontation qui n’a jamais cessé d’être indispensable, et à laquelle nous appelons depuis des années, se trouve facilitée aujourd’hui par les mesures de libération intervenues en faveur de cadres, militants et sympathisants de notre Parti, de syndicalistes ou de militants progressistes. Encore que nous regrettons vivement que ces libérations ne soient pas totales ou que certaines d’entre elles soient assorties de restrictions injustifiées que nous espérons temporaires.

Cette libre confrontation trouve aussi de nouvelles conditions favorables dans les mesures prises par le gouvernement dans les domaines économique et social, car la lutte pour l’application réelle de ces mesures ne manquera pas de faciliter l’action commune de tous les patriotes et antiimpérialistes, sans laquelle les décisions et réalisations les plus positives risquent d’être remises en cause, freinées, voire sabotées par les forces réactionnaires qui, elles, savent réaliser leur jonction par delà leurs divergences.

Notre Parti ne cherche nullement à monopoliser les idées du socialisme. Dans l’intérêt de nos travailleurs et des masses, nous ne pouvons que nous féliciter du fait que d’autres forces politiques en Algérie se réclament sincèrement du même idéal libérateur. S’il existe des différences d’appréciation, l’expérience et les échanges de vues sont les meilleurs moyens pour enseigner les uns aux autres la meilleure voie.

Dans cette perspective, le problème le plus urgent (à l’heure où l’impérialisme donne mille preuves qu’il ne laissera en paix aucun pays africain ou arabe édifier le régime de son choix) est celui de l’union des forces progressistes, où qu’elle se trouvent et malgré toutes leurs divergences pour développer et achever la révolution nationale, démocratique et populaire, édifier une économie indépendante, lutter avec succès contre l’impérialisme, le néocolonialisme et la réaction.

En publiant cette lettre, nous espérons que son contenu contribuer à l’instauration, è travers l’action commune, d’une union solide de toutes les forces progressistes, révolutionnaires et antiimpérialistes.

Alger, le 20 novembre 1968


LETTRE DU PARTI DE L’AVANT-GARDE SOCIALISTE AU PRESIDENT BOUMEDIENE

Alger, le 14 septembre 1968

Monsieur le Président,

Nous prenons l’initiative de cette démarche directe auprès de vous, au nom des militants d’avant-garde socialiste ainsi que des secteurs de l’opinion progressiste qui approuvent et soutiennent nos positions et notre activité.

Nous avons voulu nous adresser ainsi au représentant du pouvoir qui détient dans les faits, les plus hautes responsabilités dans notre pays ainsi qu’à l’homme politique à qui il est souvent revenu d’exprimer les positions et l’orientation officielles de ce pouvoir.

Ce qui commande cette démarche, c’est l’intérêt de notre peuple à un moment important pour notre pays et sa révolution. Les dangers extérieurs et intérieurs qui se sont amoncelés sur l’Algérie indépendante vous en êtes certainement, Monsieur le Président, mieux informé que nous.

Il est vrai aussi que la gravité de la situation actuelle n’aurait pas suffi à permettre notre initiative si les clivages politiques n’avaient pas évolué et ne s’étaient pas clarifiés dans une certaine mesure par rapport à ce qu’ils étaient il y a trois ans.

Certes, en vous écrivant cette lettre, nul ne peut ignorer ni escamoter les divergences ou les différends qui nous séparent. Nous continuons en effet à estimer que la façon unilatérale dont les auteurs du 19 juin ont cru devoir régler certaines contradictions du pouvoir institué en septembre 1963, aurait dû être évitée empêchée, parce qu’elle a entraîné un coup d’arrêt brutal dans les possibilités de mobilisation populaire tout en donnant un plus large champ aux possibilités d’activité des forces réactionnaires et antisocialistes.

Nous nous sommes souvent expliqués publiquement sur cette question. Aussi, dans cette lettre, notre objectif n’est pas de mener auprès de vous un travail de propagande sur ce thème, ou de poursuivre une polémique sur les responsabilités encourues par les uns et les autres dans les événements de ces dernières années.

Notre objectif aujourd’hui est le suivant : parvenir, dans l’intérêt du pays, à une évaluation des perspectives acceptables par toutes les forces anti-impérialistes et attachées au progrès. De ce point de vue, nous avons toujours dit que nous ne sommes prisonniers d’aucune étiquette, d’aucune qualification politique qui serait décernée une fois pour toutes à des personnes ou des groupes. Seuls comptent à nos yeux les actes, les objectifs poursuivis et l’orientation effectivement suivie à tel ou tel moment.

Or, une constatation nous paraît déterminante : ces six années d’indépendance, marquées par des luttes souvent complexes et confuses entre les forces de réaction et de progrès, ont entraîné, par delà tous les problèmes posés au fur et à mesure à l’Algérie, un certain nombre d’objectifs communs autour desquels il serait souhaitable que tous les courants progressistes et anti-impérialistes algériens Où QU’ILS SE SITUENT PAR RAPPORT AU POUVOIR QUE VOUS PRESIDEZ, unifient leur action. Or, malgré cette communauté d’objectifs possibles, de graves heurts continuent à se produire. Pourquoi cela, et comment y remédier ? C’est le devoir commun des progressistes et des anti-impérialistes de rechercher ensemble une réponse à ces questions, en dehors d’affrontements préjudiciables et des méthodes autoritaires.
Cette préoccupation n’est pas nouvelle pour nous : elle a constitué le fil conducteur de notre politique, depuis notre déclaration de janvier 1966 jusqu’à notre brochure de juin 1968, en passant par la lettre à « El Djeich » d’août 1966, le message que nous vous avons adressé à l’occasion de l’agression sioniste ou notre prise de position à la suite de l’attentat dont vous avez été l’objet.

Nous avons mené des efforts continus pour instaurer des confrontations de points de vue ou une unité d’action entre patriotes progressistes de tous horizons, qu’ils soient nationalistes progressistes ou partisans du socialisme scientifique, qu’ils soient démocrates ou influencés par les méthodes autoritaires. Nous sommes ouverts à toute attitude qui va au-devant de libres échanges de vues en faveur d’une issue constructive et démocratique à la crise politique qui affecte l’Algérie progressiste et entrave ses efforts d’édification.

Dans la période la plus récente, alors même qu’une nouvelle vague d’arrestations frappait de nombreux camarades, des officiels, y compris dans les services de sécurité, ont fait état directement ou indirectement, de l’intérêt qu’il y a pour tous à regarder vers l’avenir, de leur souci de connaître notre point de vue sur les perspectives, ou même, selon d’autres, d’établir une discussion avec les responsables du Parti de l’Avant-Garde Socialiste.

Malgré les circonstances paradoxales dans lesquelles a été exprimé ce désir, et tout en faisant la part des manœuvres ou de l’intoxication de certains milieux, nous avons estimé que l’expression de ce désir correspondait trop aux exigences de la période présente, à nos préoccupations antiimpérialistes et à celles de tout patriote et révolutionnaire honnête pour que nous négligions la moindre possibilité d’engager un dialogue qui pourrait être utile au pays.

Notre lettre est l’une des formes que prend ce dialogue souhaitable. Nous serions heureux s’il en résultait une meilleure connaissance des points de vues réciproques, bénéfique à la révolution algérienne.

Une discussion franche qui se réclame des intérêts progressistes du pays, doit commencer par déblayer les obstacles principaux, sans crainte de heurter une quelconque susceptibilité des interlocuteurs. C’est pourquoi nous dirons d’emblée qu’il ne peut y avoir à nos yeux de discussion concluante et fructueuse pendant que de votre côté on s’efforce d’emprisonner le maximum de ces militants ou dirigeants avec qui vous pourriez estimer une discussion souhaitable.

Nous avons réagi aux dernières arrestations politiquement, avec sang-froid, en rejetant des réactions passionnelles. Mais tout patriote, tout progressiste est en droit de s’interroger : que signifient ces arrestations ? Ces hommes et ces femmes brutalement arrachés à leurs familles n’ont ni intrigué, ni comploté, ni trafiqué sur le dos de l’Algérie et de son peuple. Tout le monde, y compris la police, sait que ce sont des Algériens honnêtes, désintéressés. Nombre d’entre eux ont accompli leur devoir patriotique au péril de leur vie, de leur santé, de leur liberté. Ils se sont consacrés à leurs activités professionnelles, politiques et sociales avec le plus grand dévouement, sans ambitions ni intérêts personnels. Que ressort-il de leurs positions de principe et des documents saisis chez eux ? Rien d’autre que leur désir, et celui de tous leurs camarades, de contribuer de toutes leurs forces, de toute leur intelligence, de tout leur cœur, à l’édification de leur pays dans le sens de l’option socialiste qui est une option officielle de l’Algérie.

Qui est donc menacé par l’action de ces militants honnêtes ? En quoi l’intérêt national, l’intérêt du peuple travailleur est-il lésé par leurs activités ?

Un grand nombre de ces hommes et de ces femmes ont été malheureusement et une fois de plus odieusement torturés. On a fait violence à leur dignité d’hommes et de citoyens algériens. On s’est efforcé de les humilier pour des opinions dont ils ne peuvent être que fiers. C’est là une constatation amère dans notre pays où la torture est maudite par la conscience populaire. Pourquoi ne pas appliquer en priorité aux citoyens de notre pays les règles élémentaires de respect de la personne humaine dont l’Algérie s’honore de faire bénéficier –à juste titre- des ressortissants étrangers comme les occupants du Boeing d’un pays avec qui l’Algérie est officiellement en guerre ?

Comment en est-on arrivé là ?

La morale réprouve de telles méthodes, mais ce n’est pas seulement une question de méthodes ou de morale. Si ces méthodes policières ont été appliquées à des progressistes et des partisans du socialisme, qui ne menaçaient aucun intérêt du pays, c’est parce que l’ordre a été intimé aux milieux policiers depuis la fin mai de démanteler le PAGS à tout prix et dans les délais les plus brefs.

Cette décision, orchestrée en même temps de déclarations vaguement rassurantes en réponse aux protestations de l’opinion, constitue une décision et un calcul néfastes si on se place des points de vue progressiste et anti-impérialiste.

Quelles que soient les intentions des promoteurs de cette répression, quels que soient les torts qu’ils peuvent prêter aux personnes arrêtées, tout se passe objectivement comme si on avait voulu rassurer et encourager les hommes de monopoles occidentaux ou les gros propriétaires fonciers algériens, en leur indiquant par les faits que malgré les menaces que le pouvoir a brandies contre eux, ce pouvoir porte quand même ses coups contre les partisans résolus du socialisme.

C’est un grand dommage pour l’Algérie que les énergies et les ressources des services de sécurité soient ainsi détournées de tâches utiles contre les véritables ennemis du pays. Ce n’est pas exprimer des craintes gratuites que d’affirmer qu’en procédant ainsi, on risque de dire un jour : tel mauvais coup contre l’Algérie, de la C.I.A. ou de tous autres agents réactionnaires ou impérialistes, a réussi parce que pendant ce temps une partie des services de sécurité faisait la chasse aux progressistes.

Supposons que ces efforts considérables menés contre notre organisation soient couronnés de succès. A quoi cela aurait-il mené ? Cet « exploit » policier ne serait qu’un acte politique désastreux contre les intérêts progressistes de l’Algérie. Les problèmes de fond auront-ils été réglés par la répression antiprogressiste ? Ils ne l’ont pas été après septembre 1965. Ils ne le seraient pas plus aujourd’hui, même si on arrêtait un million de progressistes comme menaçait un policier. Ou plutôt, ces problèmes de fond, la crise politique, la situation intérieure de l’Algérie et son audience internationale n’en seraient que davantage aggravés et détériorés.

Quant aux ennemis impérialistes réactionnaires, ils auraient raison d’exprimer leur satisfaction, en continuant d’accumuler et de concentrer suffisamment leurs forces dans des conditions favorables pour eux jusqu’au jour où ils pourraient porter leur coup décisif contre l’ENSEMBLE des forces progressistes et patriotiques, ce qui est l’objectif numéro 1 de leur stratégie contre l’Algérie.

Nous n’étions pas étonnés dans le passé d’entendre confirmer par des personnalités officielles ou proches du pouvoir, que la répression contre les militants socialistes ou syndicalistes était surtout souhaitée et encouragée par des éléments de droite associés au pouvoir et qui se sont révélés par la suite comme des ennemis résolus de la politique de nationalisations et d’indépendance économique, des porte-parole de la subordination de l’Algérie au capital privé et aux monopoles internationaux.

Aujourd’hui ceux qui poursuivent la même politique de répression contre nous, avec des mobiles différents ne peuvent espérer récolter que les mêmes tristes lauriers, car ils se font, même si ce n’est pas leur intention, les instruments des forces politiques et sociales qu’ils disent combattre.

Il paraît paradoxal, si on compare cela à vos déclarations et positions publiques, que vous ayez entériné, sinon pris vous-même la décision de renforcer systématiquement la répression contre les militants progressistes et syndicalistes qui se rattachent directement ou indirectement à notre Parti. Cette mesure, en effet, ne peut qu’isoler davantage, par rapport aux masses et aux forces progressistes, les forces civiles ou militaires qui, au sein du pouvoir actuel, sont susceptibles de soutenir la politique anti-impérialiste que vous préconisez.

En effectuant la démarche présente c’est à cette dangereuse manœuvre réactionnaire que nous voulons barrer la route. Nous voulons ; par cet effort de clarification, ne pas laisser la réaction profiter largement et plus longtemps des erreurs et des divisions que nous souhaitons momentanées dans le camp de toutes les forces qui œuvrent pour le progrès.


Nous savons que le chemin des transformations progressistes n’est jamais facile. Nous ne croyons pas que tout peut se dérouler parfaitement et sans erreurs, même dans la révolution la plus assurée du succès.

Néanmoins, nous estimons que le danger a dépassé la côte d’alerte.

Si nous examinons la réalité en face, sans complaisance ni esprit partisan, nous constatons que ceux-là mêmes qui devraient être intéressés au succès des mesures de caractère progressiste, demeurent plus qu’auparavant encore démobilisés et sourds aux appels que leur lance le pouvoir lorsqu’il s’agit de faire face aux dangers impérialistes et aux tâches de l’édification.

La situation est devenue telle que l’issue de la lutte pour l’indépendance économique et le progrès social, dépend de moins en moins du rapport des forces sociales réel dans le pays, rapport qui devrait être en faveur de l’écrasante majorité des masses populaires et des travailleurs, si on leur laissait les possibilités suffisantes de s’organiser et de se mobiliser. L’issue est en réalité subordonnée de plus en plus au jeu des conflits d’appareils et de clans, terrain sur lequel les forces qui œuvrent consciemment pour le progrès ne sont pas les plus favorisées, terrain hautement favorable par contre aux complots impérialistes.

Nous ne mettons pas en cause votre souhait de voir l’Algérie s’engager sur la voie de mesures encore plus progressistes. De ce point de vue, votre discours du 20 août dernier à Tlemcen renferme des appréciations assez nettes qui méritent des prolongements ultérieurs, en direction de la réforme agraire notamment. Précisément, vous n’ignorez pas que celles des mesures qui restent à prendre aujourd’hui sont de nature, beaucoup plus que celles prises dans le passé à soulever la résistance la plus acharnée des réactionnaires.

C’est pourquoi nous attirons instamment votre attention sur les faits suivants, qui constituent la trame vivante de l’Algérie actuelle et qui risquent de mener vos souhaits et la révolution algérienne elle-même à de graves échecs si rien n’est fait pour y remédier en profondeur :

1. Les masses en général se désintéressent des initiatives du pouvoir même lorsqu’elles sont positives parce qu’elles ne se répercutent pas sur leur vie réelle. Celle-ci est le tableau inverse de celui qu’évoquent les déclarations officielles. Préoccupées par la dégradation de leur niveau de vie, elles se voient, de plus, écartées des décisions visant l’avenir du pays et leurs propres problèmes immédiats, alors que ces pouvoirs de décision sont concentrés à divers niveaux entre les mains d’exploiteurs ou de personnes qui piétinent leurs droits les plus élémentaires, en y ajoutant cette insulte permanente à la dignité populaire que constitue l’étalage indécent du luxe.

2. Les paysans pauvres, repliés sur eux mêmes, ne voient toujours pas le soleil se lever pour eux. Le maximum est fait pour les faire désespérer de l’application de la réforme agraire. D’autant plus qu’actuellement, dans plusieurs régions de l’intérieur, les impôts accablants, les brimades aveugles et systématiques des autorités locales ou des forces de sécurité, pour des raisons politiques ou autres, ont pris brusquement une grande ampleur et risquent de faire basculer la masse de la paysannerie pauvre dans le camp de la contre-révolution.

3. Les petits commerçants et artisans écrasés par les impôts et réglementations, sont entre les mains des grossistes, importateurs et gros affairistes. Ils en constituent de plus en plus une masse de manœuvre sensible à leur influence antisocialiste.

4. Les ouvriers et employés dans l’autogestion et dans les sociétés nationales constatent que non seulement ils sont toujours des salariés et que leur avis compte peu dans l’entreprise, mais qu’ils ont perdu des droits matériels et syndicaux qu’ils avaient acquis dans le secteur privé. Il est néfaste pour le secteur public que la création de ce dernier apparaisse, sauf quelques exceptions, comme un recul à la masse des travailleurs. En même temps, une minorité de privilégiés dans les appareils administratifs non directement productifs, s’arrogent des droits, des pouvoirs et un niveau de vie exorbitants, sans commune mesure avec leur utilité sociale et leur rendement dans l’entreprise.

5. Les organisations de masse (notamment les syndicats) constatent que le FLN ne défend pas les travailleurs. La réorganisation en cours dans le FLN leur apparaît comme ne changeant pas beaucoup le fond des choses : des positions nettement en contradiction avec les options officiellement proclamées s’y expriment dans la pratique. La démocratisation annoncée des organisations de masse s’avère, malgré les déclarations sur la « démocratie directe » ; une tentative de caporalisation plus grave que celles dont ces organisations se plaignaient auparavant.

Tout cela explique que ni le FLN, ni les organisations de masse ne sont en mesure de mener une activité d’explication ou de mobilisation en profondeur au sein des masses, en dehors des réunions ou meetings convoqués administrativement, qui ne peuvent avoir de grande répercussion.

Dans un tel climat, les militants progressistes de tous horizons sont, soit découragés, soit, s’ils prennent au sérieux la lutte pour l’application des mesures progressistes annoncées, ils sont amenés à entreprendre cette lutte avec la perspective d’affronter la répression, la torture, les prisons. C’est ce que du reste vous avez laissé entendre aux journalistes que vous aviez encouragés au cours d’une conférence de presse, il y a quelques mois, à défendre la réforme agraire. Nul ne pensait à ce moment que vous-même assumeriez la responsabilité de faire emprisonner et pourchasser ceux qui souhaitent la réforme agraire et sont prêts à la défendre.

Nous connaissons certes les devoirs de tous les progressistes. Le plus souvent ils doivent être unitaires pour deux en supportant, parfois, les conséquences de certaines situations complexes.

Mais nous avons aussi le devoir de rappeler que la réaction parvient très souvent à ses fins malgré la vigilance et l’abnégation des progressistes les plus unitaires. Elle y parvient par son chantage, ses pressions et ses manœuvres sont relayées et amplifiées par les erreurs de certains acteurs progressistes.

Aussi n’est-il ni dans l’intérêt de l’ensemble des forces progressistes, ni dans celui des positions anti-impérialistes que vous défendez, de laisser faire l’amalgame –ou de l’encourager- entre l’opposition progressiste et le danger réactionnaire et impérialiste. Il ne peut résulter que de graves conséquences d’une répression anti-progressiste qui se voudrait symétrique de la lutte engagée contre la réaction (qui nous paraît d’ailleurs jusqu’à présent bien insuffisante par rapport au danger qu’elle présente).

Poursuivre cette répression anti-progressiste et anti-socialiste, c’est offrir aux agents de l’impérialisme l’occasion rêvée de compromettre et d’enfoncer un peu plus la tendance nationaliste progressiste qui se trouve au pouvoir dans une politique droitière qui l’affaiblira, tandis qu’on pousserait les progressistes les plus avancés à une opposition globale et systématique qu’ils ont délibérément rejetée jusqu’ici dans l’intérêt de l’union anti-impérialiste et d’une solution démocratique de la crise.

Nous souhaitons attirer fortement votre attention sur deux autres faits graves (en plus de cette répression anti-progressiste) qui risquent de consacrer le succès de cette manœuvre réactionnaire, dans le cas où les conceptions autoritaires de milieux qui se disent acquis aux principes de l’indépendance économique et à celui de l’autogestion y prêtaient le flanc. C’est le cas de l’intention prêtée à certains responsables du FLN de démanteler la direction légale de l’UGTA et d’empêcher la convocation démocratique de son 3e Congrès. C’est le cas aussi de l’intention prêtée à ces mêmes responsables de vouloir interdire le droit de grève dans les secteurs autogéré et nationalisé, alors que dans les conditions actuelles, avec l’environnement politique et économique que tout le monde reconnaît, il n’y a pas d’autre garantie pour les travailleurs de faire respecter les droits qui leur sont reconnus théoriquement , mais qui sont pratiquement bafoués chaque jour du fait des ennemis de l’autogestion et de l’indépendance économique véritable.


Que penser du caractère « illégal » que revêtirait notre activité ?

Conscients de nos responsabilités, nous voudrions aussi éclaircir certaines questions que vous avez abordées dans des allocutions.

Vous pouvez dire en effet : « Vous mêmes contribuez à la division des forces progressistes à partir du moment où vous avez choisi d’œuvrer dans un cadre illégal. Vous critiquez systématiquement tout ce que fait le pouvoir, en rejetant le cadre légal et officiel du parti unique, le FLN, qui est ouvert à tous les révolutionnaires. De plus, vous vous placez dans le cadre d’une idéologie étrangère… »

Que penser du caractère « illégal » que revêtirait notre activité ?

Nous constatons d’abord que la grossière accusation de « tentative d’assassinat »contre des personnalités du pouvoir, accusation formulée en 1965, en réponse aux protestations de l’opinion, s’est effondrée au fil des mois sous les coups de l’évidence. Mais nous soulignerons un fait significatif : les éléments compromis dans cette affabulation, écartés par notre Parti comme des éléments provocateurs manipulés par la Sécurité militaire, ont été presque immédiatement libérés en 1965, tandis que croupissent en prison depuis trois ans nos camarades qui, justement, ont situé leur activité sur son vrai terrain, défini dans nos documents dès août 1965, c’est-à-dire le terrain politique, social et idéologique.

Nous affirmons, sans crainte d’être démentis, que notre Parti a tout fait pour situer le maximum, sinon l’essentiel de ses activités, sur le plan légal. Cet effort a été d’autant plus difficile qu’il s’agit d’une légalité étroite et partisane, constamment réduite et remise en cause par les rouages du pouvoir actuel, au gré des circonstances.

C’est ainsi qu’est menée l’activité de nos militants au sein des organisations de masse dans le respect absolu des statuts et des décisions démocratiquement adoptés qui régissent ces organisations. Ainsi a été également assurée la participation de nos militants à un certain nombre de campagnes et de journées nationales, aux débats instaurés autour de la réforme agraire et communale, à la campagne de mobilisation active et volontaire des étudiants pour leur formation militaire élémentaire, et, d’une façon générale, chaque fois que l’intérêt du pays ou de l’édification s’est trouvé engagé.

Quant à celles de nos activités légitimes que nous devons protéger par la clandestinité, ce n’est pas nous qui recherchons cette clandestinité. Ce sont les tendances antisocialistes qui font le maximum pour nous y contraindre.

Que font les autorités pour encourager la légalité du travail de TOUS les militants socialistes dans les organisations de masse ? Lorsque des militants syndicaux comme Boudräa et Rezine, hautement estimés et dévoués à la cause des travailleurs et du socialisme, ont rejoint leur domicile et leur travail sous la foi de la signature de Chérif Belkacem, on a cru remporter un grand « succès » en les mettant en prison. Nous vous laissons juge de ce procédé inqualifiable (qui ne pouvait que déconsidérer un peu plus le pouvoir dans le monde du travail), quand on sait que le dossier judiciaire de ces militants est absolument vide malgré la classique et ridicule accusation « d’association de malfaiteurs ».

Nous souhaitons pouvoir mener TOUTES nos activités sur le plan légal. Il suffit simplement qu’il s’agisse d’une véritable légalité progressiste et non d’une caricature de légalité, qui profite principalement aux activités et complots réactionnaires.
Vous nous avez reproché aussi de donner à notre activité un contenu de critique systématique négative. Si notre activité est jugée exclusivement sur la base de nos déclarations et de nos actes réels, sur quoi repose un tel grief ?

Nous pourrions citer un grand nombre d’exemples qui permettraient de constater que nos efforts constants pour mettre en échec les tendances négatives qui se sont manifestées du côté du FLN, de la « justice » ou des forces répressives et qui tendent à cristalliser, à faire pourrir, à dénaturer et à envenimer les contradictions réelles et les divergences existant sur divers problèmes. Que fait le FLN pour sa part pour encourager ceux qui ne partagent pas ses vues ou une partie d’entre elles, à une saine coopération avec lui ? Qu’il se mobilise par exemple et se tourne vers les masses pour expliquer les objectifs d’une véritable réforme agraire et pour imposer son application aux gros propriétaires fonciers, selon les projets officiels de 1966 ! Il nous trouvera immédiatement à ses côtés. Mais ce n’est pas en faisant la chasse aux étudiants ou l’obstruction aux congrès syndicaux régulièrement mandatés par la base ouvrière, qu’il gagnera la coopération des militants socialistes sincères ou de la masse des citoyens honnêtes.

Nous souhaitons vous préciser également que vous faites erreur lorsque vous nous attribuez une conception hostile à l’édification d’un Etat algérien solide. Dans quel document ou dans quelle activité de notre Parti s’est manifestée une telle tendance ? Nous pouvons vous en citer qui montrent au contraire que nous sommes pour l’Etat algérien le plus solide possible. Mais nous estimons que cette solidité, l’autorité, la discipline et la mobilisation qu’il sera capable d’instaurer, seront mieux assurés par une large assise populaire et des méthodes démocratiques que par une base sociale étroite et des méthodes autoritaires dont profitent surtout les milieux conservateurs ou réactionnaires lorsqu’ils parviennent à contrôler certains rouages, ce qui déconsidère l’Etat et entraîne la coupure entre ce dernier et les masses.

Il n’est pas vrai non plus, comme nous vous l’entendons dire, que nous soyons hostiles aux mesures de nationalisations que votre pouvoir a prises, sous prétexte qu’il s’agirait là de « capitalisme d’Etat ». Toute nationalisation qui restitue à l’Etat algérien une partie de nos richesses nationales est déjà par elle-même une mesure positive qui se situe dans un cadre anti-impérialiste. De plus, dans cette période transitoire où doit se poursuivre la révolution nationale, démocratique et populaire, nous savons, sur la base des principes mêmes qui nous inspirent, qu’on ne peut exclure et qu’on doit employer certaines formes de capitalisme d’Etat. Mais il y a capitalisme d’Etat et capitalisme d’Etat. C’est pourquoi nous ajoutons que, selon le contenu politique et social qui lui est donné, ce capitalisme d’Etat peut déboucher soit sur la voie socialiste de développement, avec un pouvoir s’appuyant de plus en plus sur le peuple travailleur et contrôlé par lui, soit au contraire sur la voie qui enfoncera davantage l’Algérie dans la subordination au capital privé national et international, et à l’instauration d’une dictature bureaucratique inféodée à la réaction. D’inquiétantes tendances se sont manifestées dans cette dernière voie. Nous ne sommes plus seuls aujourd’hui à le constater. Nous avons précisé que la façon la plus énergique de lutter contre ce danger est d’appliquer le plus large droit de contrôle des travailleurs sur la gestion des entreprises grâce à la démocratisation effective de cette gestion. C’est ce qui garantira dans l’immédiat un contenu anti-impérialiste plus profond à ces mesures. C’est ce qui, dans la perspective, ouvrira la voie plus largement et plus sûrement à l’instauration de rapports de production socialistes.

En un mot, nous estimons, et l’expérience de notre pays confirme depuis l’indépendance, qu’un militant révolutionnaire, quelle que soit l’équipe dirigeante qui se trouve au pouvoir, ne doit être ni un béni oui oui qui applaudit aveuglément tout ce qui se fait ou se décide, ni un nihiliste qui récuse tout ce que réalise ou propose ce pouvoir en place. Le révolutionnaire fait preuve d’un esprit responsable qui lui impose d’accompagner toute critique par des propositions constructives et des actes qui tiennent compte des difficultés objectives du pays à cette étape de son développement, ainsi que des réalités nationales et internationales.

En élevant le niveau de compréhension politique des masses, de telles critiques justifiées évitent à ces dernières de tomber dans les aspects passionnels et subjectifs exploités par la réaction. Il appartient à un pouvoir qui se veut progressiste de répondre à de telles critiques, non par la répression aveugle, mais en en supprimant les causes avec l’appui des masses et des forces progressistes.

De telles critiques, Monsieur le Président, nous estimons qu’elles sont bénéfiques et qu’elles peuvent réaliser l’accord de tous les progressistes et révolutionnaires où qu’ils soient. Dans la presse ou les discours officiels nous retrouvons aujourd’hui des critiques qui étaient considérées comme « subversives » lorsqu’elles émanaient de nous il y a deux ou trois ans. C’est un signe encourageant, mais nous estimons que cela est insuffisant par rapport à l’immense besoin de notre peuple de s’exprimer franchement, sans compter que la presse officielle est très peu lue dans le peuple, et de plus, quiconque dans la vie quotidienne « cherche à comprendre » se heurte généralement à la répression policière ou administrative. Du reste, même les journalistes de la presse officielle sont chaque jour entravés dans leur tâche d’information et sont souvent l’objet de discrimination par rapport à des journalistes étrangers réactionnaires.

Nous n’affirmerons pas que nous ne pouvons jamais nous tromper dans les critiques que nous portons envers le pouvoir actuel. Ce que nous pouvons affirmer c’est que la critique est portée dans un sens progressiste et constructif, y compris lorsque nous dénonçons la répression antidémocratique, devant laquelle aucun révolutionnaire ne peut rester muet sans faillir à son devoir. En accomplissant ce devoir, à la fois politique et humain, nous proposons les solutions qui doivent permettre de sortir de ce cercle vicieux de la répression et de sa dénonciation, qui ne se prolonge qu’au bénéfice des ennemis de notre peuple et des travailleurs. Notre activité critique est inséparable de l’activité constructive qui consiste à élever le niveau politique et idéologique des patriotes et révolutionnaires, à impulser l’union anti-impérialiste et le travail de masse pour l’édification.

Sur un tout autre plan, à diverses reprises, vous avez parlé à notre sujet « d’idéologie étrangère » ou « d’objectifs étrangers » pour lesquels notre pays servirait de « champ d’expérience ».

Nous déplorons ces expressions malheureuses qui ont été largement utilisées à l’époque par les colonialistes contre l’ensemble des forces patriotiques. Elles sont utilisées par les réactionnaires de chaque pays contre toute politique progressiste et anti-impérialiste, y compris celle que vous préconisez aujourd’hui dans certains domaines de l’édification économique.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes effectivement des partisans convaincus du socialisme scientifique. Nous ne voyons aucune contradiction entre nos convictions patriotiques et notre attachement à une doctrine sociale qui, à l’époque où le monde entier passe du capitalisme au socialisme, a un caractère plus universel que jamais. Nous ne voyons pas de contradiction entre le matérialisme historique et les caractéristiques arabo-islamiques de notre société et de notre civilisation à laquelle nous sommes attachés. Il n’existe d’ailleurs aucune position politique nationale, de gauche ou de droite, qui ne se rattache à un plus vaste courant politique et idéologique mondial, même lorsque ces positions sont adoptées d’une façon indépendante.

L’internationalisme prolétarien, la solidarité mutuelle entre les peuples, les travailleurs et les révolutionnaires du monde entier, sont la plus haute acquisition de l’humanité à ce jour. Cette acquisition s’inscrit dans la tradition des grands courants historiques qui, comme la civilisation islamique, ont enrichi le développement original de chaque pays. Nous estimons faire œuvre utile en l’intégrant dans le patrimoine de nos meilleures traditions nationales.

Notre solidarité avec les partis et les forces qui, dans le monde entier, expriment et défendent les intérêts des travailleurs, ne nous éloigne pas de nos tâches d’intérêt national. Elle nous aide à avoir une compréhension meilleure et plus large de ces tâches, et à appliquer une discipline et une cohésion nationale librement consentie, et commune à toutes les forces progressistes. Aucune révolution ne peut s’exporter, et c’est pourquoi notre politique, dans son élaboration comme dans son application, tire ses racines du sol national et se fonde sur l’analyse de notre réalité propre. Mais en même temps, l’action de toute organisation révolutionnaire s’inscrit forcément dans le cadre de l’action de tout le front mondial anti-impérialiste et du mouvement ouvrier international, dans le respect de l’indépendance politique et organique de chaque organisation qui est l’une des conditions de son activité créatrice.

Il est possible que cette simple affirmation de nos positions ne suffise pas à vous convaincre. Cependant, le temps et l’expérience éclaireront certainement tous les patriotes sincères et dissiperont ce que nous considérons comme un préjugé regrettable et une incompréhension à l’égard de notre activité. Nous faisons à ce sujet la différence entre les réactionnaires qui drapent leurs intérêts sordides dans la phraséologie nationaliste (malgré leurs liens avec l’impérialisme cosmopolite) et les anti-impérialistes et progressistes dont le patriotisme s’accompagne encore d’une méfiance systématique et injustifiée envers leurs compatriotes marxistes-léninistes.


Parti officiel - parti unique, seul critère de la légalité ?

Nous voulons aborder maintenant le point le plus épineux de nos divergences.

Le désaccord semble se concentrer et se cristalliser dans le fait que nous militons en dehors du Parti officiel. Ce parti, le pouvoir que vous présidez le voudrait unique. C’est ce qui selon vous devrait constituer le seul critère de la légalité.

Nous réaffirmons que notre point de vue à ce sujet est ouvert à la discussion et à certaines préoccupations légitimes de tous nos interlocuteurs progressistes. D’ailleurs les raisons pour lesquelles certains souhaitent le parti unique méritent clarification, car malgré une apparente unité dans les formulations, cette position fait l’objet, même dans les milieux officiels, des interprétations les plus opposées.

Nous avons exposé notre point de vue dans la brochure « 5 questions d’actualité » (Juin 1968) à laquelle, pour des raisons de commodité, nous souhaitons que vous vous référiez. Nous soulèverons seulement ici quelques points susceptibles de faire avancer la réflexion.

Il nous paraît difficile, avec la situation créée par les crises successives vécues par le pays, d’adopter aujourd’hui en ce qui concerne les partis un critère absolu et indiscutable pour définir ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Par exemple, à quels textes, à quelles lois faudrait-il se référer ? La Constitution de 1963 ? La Charte d’avril 1964 ? Elles ne peuvent constituer des références suffisantes car les bouleversements survenus depuis juin 1965 ont fait surgir de nouvelles réalités qui n’ont été ni prévues ni régies par ces textes. Le Conseil de la Révolution a été une de ces réalités, ainsi que le pouvoir qu’il a instauré, quelle que soit l’appréciation qu’on peut avoir des conditions dans lesquelles ce Conseil de la Révolution et ce pouvoir ont surgi. Notre Parti en est également une autre, quel que soit ce qu’on peut penser de son activité. Ce nouveau regroupement de militants socialistes dans le PAGS a surgi avec l’éclatement politique et organique du FLN, consécutif à la disparition de son Comité central et de son Bureau politique. Il a surgi avec l’orientation hostile du nouveau FLN aux militants socialistes avancés et aux communistes (accusés par Chérif Belkacem de s’être intégrés au FLN uniquement pour en prendre la direction par …. des voies légales !). Plusieurs institutions ou organisations de masse se sont trouvées elles aussi dans une situation nouvelle depuis le 19 juin ;

Tout le monde s’accorde pour dire que cette situation est provisoire. Vous avez probablement votre conception propre de ce que pourraient être les futures institutions centrales du pays. En ce qui nous concerne, nous avons préconisé, au terme d’un processus de détente politique et de démocratisation dans différents domaines, l’élection démocratique d’une nouvelle Assemblée constituante qui redéfinira les institutions du pays sur la base de la souveraineté populaire qui est un fondement des Chartes de Tripoli et d’Alger.

En attendant, en l’absence de textes dont la validité soit indiscutablement reconnue par une approbation suffisante du pays, et pour fonder justement l’Etat algérien sur des bases constitutionnelles qui répondent aux besoins d’une République réellement démocratique et populaire, les progressistes doivent faire des efforts communs pour établir un état de fait qui soit conforme à l’intérêt immédiat de la révolution algérienne en tenant compte des leçons de l’expérience et des résultats de la pratique politique de toutes ces années. Pour cela il est nécessaire de faire preuve de patience et de compréhension mutuelle, de ne pas partir de points de vue préconçus, de ne pas chercher à imposer unilatéralement des solutions qui s’avéreront inapplicables (ne serait-ce que –par exemple- parce que l’appartenance à un parti est impossible sans adhésion consciente).

Quelle est donc la réalité qu’il nous faut voir en face ?

Il existe bien un appareil officiel du FLN, composé de fonctionnaires permanents d’une part, et d’adhérents dont une partie se présente aux réunions sur convocation, d’autre part ; mais il n’y a pas réellement de parti au vrai sens du terme, et il n’y a pas non plus de parti unique. Il existe en fait un grand nombre de partis, structurés ou non, qui représentent chacun des tendances de droite ou de gauche, aussi bien parmi les partisans du pouvoir actuel que parmi ses adversaires. Cela ne nous étonne pas car cela correspond aux décantations sociales qui s’approfondissent inévitablement après l’indépendance.

La différence avec nombre de ces partis qui existent malgré la règle officielle du « parti unique » c’est que le PAGS accomplit son travail et proclame ses objectifs ouvertement, tandis que nombre des autres formations, dont les représentants se déclarent publiquement pour le parti unique, mènent leur activité d’une façon occulte, bien que suivie et organisée, que ce soit dans le FLN, les rouages gouvernementaux, l’administration, l’armée, les organisations de masse, la population, e t c…

Dans ces conditions, il n’est pas réaliste de chercher par la répression à intégrer nos militants dans un cadre artificiellement imposé. De cette façon, on tourne et on tournera le dos à la solution.

La seule voie bénéfique, pour les révolutionnaires, est de commencer par apprécier les organisations existantes d’après le contenu de leur activité. Cette activité va-t-elle ou non dans le sens des objectifs progressistes, proclamés par le parti du FLN lui-même ?

Nous voudrions illustrer cela par un exemple : de quoi s’occupaient nos militants et sympathisants récemment arrêtés ? Ils étudiaient d’une façon organisée les problèmes économiques de notre pays en vue d’établir une plate-forme commune à soumettre à la discussion de tous les progressistes. Cette plate-forme comporte entre autres le soutien et la consolidation d’un grand nombre de mesures prises ou prévues par le pouvoir. Pourquoi nos militants n’avaient-ils pas mené ce travail dans un cadre officiel ? C’est Chérif Belkacem (qui est passé du FLN au Plan et qui est de ce fait doublement « habilité ») qui apporte la réponse dans l’interview qu’il a donnée à « El Moudjahid » le 1er août, lorsqu’il dit à quel point la discussion sur le plan triennal est restée étroite et sans répercussions réelles parmi tous ceux qui sont chargés de l’appliquer. On se souvient pourtant quel battage officiel avait été fait autour de ce plan.

Nos camarades, qui se sont heurtés à l’incompréhension de responsables officiels dans le cadre « autorisé », pour qui l’option socialiste n’est qu’une « plaisanterie » ou un thème de propagande, n’ont pas voulu se soumettre à ce constat de carence, aisément prévisible. Notre Parti avait le devoir de créer un cadre de travail répondant à ces tâches. Il a donné à ses militants et sympathisants la possibilité de fournir un travail dont devaient bénéficier tous les secteurs de l’opinion et qui pouvait stimuler favorablement le FLN lui-même.

C’est de cette façon que nous comprenons le rôle et la contribution indépendante de notre parti dans ce contexte politique qui nous est imposé et que nous souhaitons transformer dans l’intérêt de la révolution elle-même. Il n’y a pas chez nous d’hostilité systématique et préconçue contre le FLN en tant qu’instrument ou porte-parole officiel de ce pouvoir. Mais cette qualité devrait justement l’amener à faire preuve d’une attitude de coopération ouverte et dans la clarté avec tous les autres courants progressistes qui, pour des raisons diverses, ne sont pas organisés en son sein. D’autant plus que cet appareil officiel de l’aveu presque unanime, (et pas seulement à notre avis) ne correspond pas à deux caractéristiques qui lui étaient assignées :

• il n’a pas le soutien populaire, qu’il s’agisse des larges masses ou des couches les plus politisées, car les unes et les autres voient en lui surtout un appareil de coercition et de course aux places ;

• il ne joue pas le rôle d’animateur, il n’est pas cette avant-garde motrice, dynamique et ouverte dont les travailleurs et la révolution algérienne ont besoin.

C’est pourquoi, sans être indifférents à ce qui se passe dans le FLN, et en encourageant toute évolution positive qui peut se produire en son sein, le PAGS est pour nous aujourd’hui le cadre naturel dans lequel nos militants ont la possibilité de mener un travail constructif de formation, d’éducation, d’impulsion et de mobilisation pour le travail de masse sans être en permanence en butte à la malveillance et aux entraves de ceux qui, dans le FLN, ont comme souci principal d’expulser ou neutraliser tout militant avancé qui les gêne.

Mais cette attitude a une signification encore plus profonde qu’une simple adaptation de nos militants aux circonstances présentes. En tant que militants socialistes, nous ne pouvons laisser vacante cette fonction essentielle de formation et d’organisation par laquelle la classe ouvrière de notre pays, comme celle de tout pays, doit s’éveiller, émerger, se regrouper, se mobiliser par ses propres efforts et à travers sa propre organisation. C’est ainsi que dans tout pays, les travailleurs conscients et tous les militants avancés deviennent et doivent devenir historiquement, sur la base de l’idéologie prolétarienne et socialiste, le noyau moteur et organisé d’une révolution sociale profonde. Ce faisant, ils ne s’opposent pas aux autres couches et forces sociales et politiques progressistes, ils agissent en alliance avec elles dans toutes leurs tâches communes. TELLE EST LA SIGNIFICATION NON PARTISANE DE NOTRE ACTIVITÉ INDÉPENDANTE.

En tant que militants socialistes, nous ne sommes donc pas indifférents à la réalisation de l’union des forces progressistes et de l’unité des plus révolutionnaires d’entre elles. Nous œuvrons à créer les conditions qui la facilitent. Mais il nous faut bien dire qu’un grand nombre de ces conditions ne dépendent pas de nous.

L’obstacle principal réside à notre avis dans le fait que :

• Le FLN n’est pas parvenu après 6 ans d’indépendance à se définir soit comme parti, soit comme front, en voulant être tous les deux à la fois, ce qui est impossible.

• Pour cette raison, il ne parvient pas à faire concorder ses déclarations de principe (parfois elles-mêmes contradictoires) avec sa réalité et ses actes.

C’est ainsi qu’il se déclare parti d’avant-garde mais n’a pas dans les faits de doctrine ou d’activité correspondante.

Dans le même temps, il reproche aux révolutionnaires de ne pas rentrer tous dans ses rangs, alors que, disent certains de ses responsables, le FLN devrait rassembler « tous les Algériens comme au temps de la guerre de libération ». Mais, sachant que la situation n’est plus la même que pendant la guerre de libération, rien n’est fait pour créer, définir et favoriser les conditions d’un nouveau rassemblement pour des objectifs correspondant à la nouvelle étape.

Voilà pourquoi aucun effort de restructuration, aucune mesure autoritaire et administrative, ne peut venir à bout de contradictions aussi fondamentales.

Pour ce qui nous concerne, notre préférence, en tant que militants socialistes, va à l’instauration d’un large Front démocratique et populaire (quelle que soit l’appellation de ce Front). Ce Front engloberait toutes les organisations et individus qui acceptent une plate-forme avec des objectifs précis correspondant aux besoins de la nouvelle étape et s’inspirant des Chartes de Tripoli et d’Alger.

Cette plate-forme commune aurait comme contenu essentiel la réalisation des tâches d’intérêt national et révolutionnaire les plus urgentes.

Un tel Front serait la meilleure base de masse pour le soutien des efforts d’un pouvoir progressiste et anti-impérialiste. Son contenu et la rapidité de sa réalisation dépendront des efforts entrepris par tous les progressistes, qu’ils se trouvent à l’extérieur ou à l’intérieur des rouages officiels actuels.

Quant à l’avant-garde socialiste qui peut et doit animer un tel Front, nous ne voyons pour notre part aucun inconvénient à ce qu’elle comprenne dans le moment présent plusieurs noyaux (dont le nôtre) qui peuvent unir leur action, sans pour autant s’imposer une fusion artificielle qui ne correspondrait pas à leurs convictions doctrinales ou aux problèmes objectifs et subjectifs qui les séparent encore. Nous estimons qu’il est possible à tous les noyaux et militants d’avant-garde de trouver sur l’essentiel un terrain commun et une discipline commune en vue de faciliter leur unité d’action et d’effacer progressivement certains de leurs points de friction. Et à la vérité nous ne voyons aucun moyen de faire autrement à partir de la situation présente.

Dans de nombreux pays libérés, comme la Syrie, la RAU, et beaucoup d’autres, où la lutte anti-impérialiste et la révolution sociale progressent, se pose le problème difficile et parfois contradictoire, qui consiste à la fois à établir un front commun de toutes les forces de progrès, et d’assurer l’émergence, le rassemblement, l’indépendance et le rôle dirigeant d’une avant-garde socialiste. Des formes et solutions transitoires différentes sont trouvées empiriquement, correspondant aux particularités de chaque pays, au degré d’avancement de sa révolution, au niveau politique et idéologique atteint dans ce pays et parmi ses milieux dirigeants.

Des expériences nombreuses, et notamment celle de la République Démocratique du VietNam, montrent que la solution est toujours rendue plus facile et plus solide par la convergence de trois facteurs favorables :

• une mobilisation la plus démocratique et la moins autoritaire des masses,

• un rôle effectif toujours plus affirmé de la classe ouvrière, des travailleurs et de leurs organisations,

• une assimilation et une application toujours plus grandes des principes essentiels du socialisme scientifique.

À chaque peuple et à ses militants progressistes de trouver leur voie. Pourquoi une solution originale conforme aux intérêts et aux réalités de la révolution algérienne ne serait-elle pas trouvée dans notre pays sur la voie de la démocratie et du progrès ?

Si nous accordons ainsi du prix au rôle de la démocratie, ce n’est pas pour préconiser une démocratie formelle bourgeoise ou, selon le mot mis à la mode par des anarchistes français, pour le plaisir de « contester ». C’est parce que la démocratie n’est pas un luxe qui serait réservé aux pays « développés », mais un puissant levier pour les masses des pays sous-développés qui veulent s’engager dans la voie de la révolution et de l’édification. Elle a d’autant plus sa place en Algérie, où elle doit réaliser le mot d’ordre « pour le peuple et par le peuple », que notre pays a ses propres traditions démocratiques. En 1853, un général français occupant disait à propos de notre peuple que le dernier de ses bergers voulait connaître les affaires de son pays. Que dire alors des capacités de notre peuple aujourd’hui à assumer pleinement cette démocratie comme instrument d’une plus grande libération, à la fois du joug impérialiste et de celui de toute exploitation de l’homme par l’homme ?

Une comparaison significative donne une idée du manque à gagner considérable qui s’instaure dès que l’on néglige, l’on entrave ou l’on sacrifie l’indispensable mobilisation démocratique des masses populaires.

Dans le Viet-Nam, pauvre et saigné par une guerre de libération implacable, il n’existe pas de pont détruit par les bombardements qui ne soit remis en état de servir après quelques heures. Des écoles maternelles pour tous les enfants fonctionnent malgré les dangers et déplacements continuels. Dans notre pays aux ressources financières considérables et en temps de paix, les écoles maternelles sont considérées comme un luxe de pays développé ! tandis que des ponts détruits par les dernières crues d’hiver restent encore interdits à la circulation, des écoles et lycées dont la construction était prévue pour 1966 sont encore sur le papier. Les appels répétés du ministre des Travaux publics à la « mobilisation » ne peuvent que rester sans écho dans le climat actuel.

Il est très difficile dans ces conditions de faire œuvre de progrès. Contrairement à la voie capitaliste où l’économie s’édifie d’une façon spontanée selon les lois du marché et où l’Etat n’intervient que pour coordonner et réprimer, la voie de développement choisie par notre peuple ne peut se réaliser sans la participation pleine et consciente des masses populaires intéressées et des organisations et militants pouvant les animer, l’Etat appliquant de son côté des mesures au service d’une telle orientation démocratique


Quelle que soit la solution future, elle sera le résultat de longs cheminements.

Il n’existe pas de solution-miracle et immédiate.

C’est pour faciliter ces cheminements que nous vous faisons part des propositions et suggestions suivantes :

1) En premier lieu, nous devons nous attacher les uns et les autres à examiner les problèmes de fond et les facteurs objectifs susceptibles de rapprocher nos efforts, en écartant les facteurs subjectifs qui peuvent nuire à ce rapprochement

En ce qui nous concerne, nous poursuivons nos efforts en vue de mettre en échec les pièges et provocations par lesquels la réaction s’efforce de diviser les forces progressistes. Ne poursuivant d’autre ambition que celle de servir les intérêts du pays et des travailleurs, nous continuerons également à soutenir tout effort positif d’où qu’il vienne.

Nous souhaitons que de votre côté soient écartés les préjugés et la méfiance de caractère anticommuniste et dirigée contre l’avant-garde socialiste, dont il ne peut découler que des déboires pour l’ensemble du mouvement progressiste.

Ces efforts mutuels permettraient de consacrer l’essentiel de notre attention à l’examen et à la mise en application des points qui peuvent sans tarder constituer le minimum d’un programme commun à toutes les forces progressistes.

Il existe pour ce programme des bases objectives solides : nous avons un ennemi commun et des intérêts communs. Nous devons donc définir les objectifs communs pour lesquels il est possible d’agir ensemble, d’une façon concertée, alors que cette action est menée jusqu’ici d’une façon dispersée et handicapée par la division et la répression

2) En second lieu nous devons laisser provisoirement de côté tous les points sur lesquels il ne peut y avoir d’accord immédiat et éviter les solutions imposées, chacun gardant ses opinions et son point de vue jusqu’à la création de conditions nouvelles.

Au nombre de ces problèmes, figurent les problèmes idéologiques tels que ceux liés au rôle de la classe ouvrière, à la question du parti unique, ou des problèmes politiques tels que la signification du 19 juin, l’appréciation des pouvoirs qui l’ont précédé et suivi, e t c…

3) Il ne s’agit pas pour autant de garder des positions « figées ». Nous pouvons et devons au contraire engager des efforts mutuels pour résoudre les questions ou les litiges parvenus à maturité, qui pourraient être résolus sur la base de conclusions communes tirées de l’expérience et des besoins de l’actualité.

Au nombre des questions sur lesquelles nous estimons que les points de vue se sont rapprochés à un degré tel qu’il est souhaitable de s’acheminer vers des solutions concrètes, nous comptons :

• l’unité d’action de toutes les forces progressistes qu’il est important et possible d’organiser sous diverses formes, en structurant si possible cette unité d’action dans certains domaines par des fronts ou comités de masse ayant des objectifs précis.

• la démocratisation la plus poussée possible de la vie politique et sociale du pays, comme meilleur facteur de mobilisation des masses populaires et des forces progressistes.

Cela peut et doit se réaliser dans l’immédiat à différents niveaux :

➢ dans les organisations de masse, les comités de gestions, les entreprises nationales, les communes, la presse écrite et parlée, e t c …

➢ par la libération de tous les détenus politiques, ce qui implique non seulement la mesure humanitaire, qui n’a que trop tardé, le retour des emprisonnés, des personnes en exil et de toutes les personnes recherchées, à leur domicile et à leur travail, mais aussi la possibilité pour chacun d’exercer ses droits de citoyen et de militant progressiste dans les formes les plus adéquates. Dans ce domaine, et quel que soit ce qu’on peut penser globalement du pouvoir qui a précédé le 19 juin, nous estimons que la libération de Ben Bella serait un acte de détente qui serait apprécié dans les masses et désamorcerait la tournure négative prise par la crise ouverte le 19 juin.

➢ le recours aux confrontations constructives toutes les fois que ce sera possible et souhaitable, toujours préférable aux interdits ou aux polémiques destructives.

En faisant toutes ces propositions, nous sommes conscients qu’il n’est pas possible de parvenir à un accord immédiat sur tous les points que les uns et les autres souhaitent évidemment voir régler dans le sens de leur propre point de vue.

Mais ne vaut-il pas mieux réaliser un pas en avant, même partiel, que laisser le champ libre à la réaction et à l’impérialisme ?

C’est dans cet esprit que, conscients de notre responsabilité, nous souhaitons que s’amorce de façon plus concrète l’effort de rapprochement entre forces progressistes, que nous avons cessé de préconiser et qui pourrait servir d’exemple et de base à des rapprochements plus larges encore que nous souhaitons avec l’ensemble des patriotes et anti-impérialistes aujourd’hui dispersés.

Nous estimons en effet qu’il existe, en dehors des nationalistes anti-impérialistes ou progressistes qui se trouvent au pouvoir ou sont associés à lui, en dehors aussi des progressistes qui se réclament comme nous de la démocratie et du socialisme scientifique, un grand nombre de patriotes, de démocrates et de progressistes, organisés ou non, dans l’opposition ou ne menant aucune activité politique, qui ne se prononcent pas tous forcément pour le socialisme, mais qui sont parfaitement capables de faire œuvre progressiste et anti-impérialiste, si les conditions dans le pays étaient autres que celles qui y règnent. Un grand nombre d’entre eux sont des alliés et des artisans possibles de la révolution, et ils ne doivent pas être traités en ennemis, au risque de faire le jeu de l’impérialisme, qui souhaiterait les transformer en masse de manœuvre de la réaction et de la contre-révolution

Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons que de votre côté, soient créées les conditions favorables à l’instauration d’un dialogue qui ne pourra être que bénéfique au pays et à sa révolution.

Nous sommes attentifs de ce point de vue à tout geste qui viendrait confirmer votre volonté d’œuvrer dans ce sens progressiste qui est la voie du bon sens et de l’intérêt national :
arrêt de la répression anti-progressiste,
libération des détenus parmi lesquels Zahouane, Hadj Ali, Harbi et tous leurs compagnons,
retour des personnes recherchées à leurs domiciles.

Nous sommes à tout moment disposés, si cette volonté se confirmait de votre part, à mandater – notamment parmi les personnes anciennement emprisonnées - une délégation susceptible d’entamer un dialogue sur les questions ci-dessus désignées ou toute autre.

Certaines garanties de sécurité concernant les personnes intéressées pourraient également, dans des conditions appropriées, et sous réserve d’étude, assurer au dialogue une représentativité encore plus grande.


Nous espérons que vous apprécierez comme il convient l’esprit de la présente lettre. Elle est inspirée par des positions de principe et non par d’étroites préoccupations de « marchandage », qui marquent malheureusement parfois les mœurs politiques de notre pays et que, pour notre part, nous rejetons. Si nous posons notamment le problème de nos camarades emprisonnés, et celui de la répression injustifiée qui frappe nos militants, c’est que ce problème est un aspect important de la situation dans notre pays, et de sa solution dépend la façon dont l’Algérie progressiste surmontera les difficultés inévitables qu’elle doit affronter.

Tous les militants et responsables qui ont été contraints de prendre le chemin difficile des prisons ou de l’activité clandestine, ont lutté non pour des postes, des faveurs ou des hautes situations, mais par attachement sincère à leurs convictions, par dévouement envers la cause des travailleurs, et avec foi dans l’avenir de leur pays et de sa révolution. Leur liberté individuelle ne peut qu’être liée à l’intérêt national et à la solution satisfaisante des problèmes politiques sur lesquels repose la poursuite de la révolution dont ils sont des artisans et des défenseurs ardents.

En vous exposant dans cette lettre nos conceptions, nous demeurons fidèles à notre ligne constante telle qu’elle a été exprimée voici 3 ans en janvier 1966. Il est clair que nos conceptions mutuelles demeurent divergentes et parfois opposées sur divers problèmes. Néanmoins, comme nous le rappelons au début de cette lettre, les luttes politiques et sociales, les besoins de notre pays à cette étape de son développement ont créé ou accentué des décantations qui permettent d’envisager une solution durable, démocratique et constructive à cette crise politique que traverse notre pays. Nous estimons en effet que :

1°) ce serait une faute très grave de sous-estimer le danger impérialiste. Dans ces conditions, il n’est de l’intérêt d’aucun patriote et révolutionnaire de transformer les contradictions réelles existantes en antagonismes préjudiciables à l’unité dans la lutte anti-impérialiste, dont dépend tout le sort de l’Algérie.

2°) il est possible d’arriver à une solution à partir des données de la situation actuelle, aussi regrettable que cette dernière paraisse aux uns et aux autres. A condition, selon nous, que les actes et les objectifs immédiats proposés se traduisent non par des reculs favorables à la réaction, mais par une évolution constante vers la démocratisation, vers des améliorations progressistes continues, qui, en libérant les énergies, les luttes et la vigilance populaires, créeront des conditions favorables aux profonds changements ultérieurs souhaités

Chaque fois que la situation paraît mûre pour une discussion fructueuse menée dans cet esprit en vue de l’unité d’action entre forces progressistes et anti-impérialistes, nous en sommes les premiers heureux et faisons tout pour qu’elle débouche sur un succès. Sinon, nous poursuivons patiemment notre lutte et notre activité unitaire contre la réaction et l’impérialisme, en nous appuyant sur les masses, afin de faire mûrir un jour ou l’autre de telles conditions favorables.

C’est donc dans cet esprit que nous poursuivons nos efforts car nous ne sommes attachés à aucune lutte de clan, nous avons conscience de mener une lutte de longue haleine en vue de la transformation radicale des rapports de production dans notre pays, idéal qui, inévitablement, rassemble et rassemblera dans une lutte unie les révolutionnaires et anti-impérialistes les plus conséquents.

En espérant que cette lettre dont nous nous excusons de la longueur aura contribué à éclairer à la fois certains aspects de nos divergences et les domaines dans lesquels nos points de vue peuvent se rejoindre, ce qui ne peut qu’être mutuellement bénéfique, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments patriotiques et révolutionnaires.

POUR LE PARTI DE L’AVANT -GARDE SOCIALISTE
Direction nationale

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