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40è ANNIVERSAIRE DU COUP D’ÉTAT CONTRE LE PRÉSIDENT SALVADOR ALLENDE - ENTRETIEN AVEC EMILIO PACULL, CINÉASTE CHILIEN

vendredi 20 septembre 2013

EMILIO PACULL CINEASTE CHILIEN :

‘’Que serait-il devenu le monde
si Allende avait réussi son projet ? ‘’

Entretien exclusif
réalisé par Abdelmadjid KAOUAH


EXERGUES :

‘’Nous voulions une société plus juste, un monde meilleur : eux ils voulaient nous détruire’’.

‘’L’aspiration au socialisme à travers la voie électorale, et sans lutte armée était une idée nouvelle et une idée qui était observée avec intérêt par le monde entier’’

‘’C’est certainement la raison pour laquelle la CIA et les USA se sont acharnés avec autant de détermination et de violence à détruire le rêve d ‘Allende et des millions des Chiliens’’.

‘’Le documentaire m’a apporté joies, expériences et plaisirs incroyables, et je trouve que c’est un moyen d’expression aux possibilités narratives et créatives infinies’’.

Les morts, la torture, la souffrance des autres est pour eux le prix à payer pour avoir une « société libre »…

‘’Les enfants de Friedman ont expérimenté avec le Chili comme avec un rat de laboratoire. Ils se sont partagé toutes les richesses du pays et ont imposé leurs vues sur société où régnait la peur’’

‘’Le néolibéralisme n’est pas seulement une doctrine économique, c’est aussi une idéologie qui segmente, isole et divise et dont le seul but et convaincre l’humanité toute entière que le consommation est le but ultime de la liberté individuelle’’.


EMILIO PACULL est né à Santiago du Chili en 1950.
Auteur et réalisateur pour le cinéma et la télévision. Il a été l’assistant de Costa-Gavras, Miguel Littin, Roberto Rossellini, François Truffaut.
Emilio Pacull a réalisé une vingtaine de films documentaires dont, notamment,
“Mémoires de la Terre de Feu” (Grand Premier Prix du festival « Cinéma et Histoire » de l’UNESCO), “Les Orphelins du Condor” (sélectionné au FIPA 2003), “Héros fragiles” (2007), “La route australe” (2010), “Hollywood et le Pentagone” (Arte).

Il a également signé un long métrage pour le cinéma, “Terre sacrée”, présenté au Festival de Cannes en 1988.
Il vient de terminer le tournage de
“Chroniques du bout du Monde”, réalisé dans l’Antarctique.

Nous l’avons rencontré presque jour pour jour à une rencontre- initié par l’Association Chili Culture et solidarité Chili, autour du quarantième anniversaire du Coup d’Etat contre le président Salvador Allende. Par son beau-père, conseiller et proche ami d’Allende, il était au cœur de ce qui fut nommée la voie chilienne vers le socialisme. Il évoque dans un film bouleversant,"Héros fragiles », la fin tragique de cette expérience historique et de ses auteurs ainsi que ses conséquences politiques et économiques ultérieures sur une échelle plus vaste du monde actuel.


Algérie News : Emilio Pacull, à l’occasion de la Journée hommage : 40 ans après le coup d’Etat militaire contre le président Salvador Allende et le gouvernement de l’Unité populaire, trois de vos films ont été projetés et débattus à Toulouse. Ces trois films, comme le reste de votre production cinématographique, traitent du Chili .Vous-mêmes êtes d’origine chilienne. Pour beaucoup de chiliens, le coup d’Etat de Pinochet a signifié répression et assassinats, fin d’une utopie révolutionnaire, arrachement au pays natal, exils douloureux… Comment vous-même avez-vous-vécu ce drame à vingt ans ?

Emilio PACULL :
Je venais d’arriver en France pour poursuivre mes études de cinéma et j’ai appris la nouvelle à travers le journal télévisé. J’ai appris alors la mort du président et celle de mon beau père qui était l’un de ses plus proches collaborateurs. Tout s’est effondré autour de moi. On apprenait tous les jours les morts, la torture les massacres et tout cela nous paraissait invraisemblable. Nous étions loin de mesurer la haine de nos ennemis. Les services secrets des Etats-Unis en collaboration avec les séditieux locaux avaient monté une stratégie de la terreur d’une monstruosité inimaginable. Nous voulions une société plus juste, un monde meilleur : eux ils voulaient nous détruire.

Vous avez été à la fois un témoin et un protagoniste de cette histoire. Est-ce pour cette raison que vous n’hésitez à vous mettre en scène dans vos documentaires. Mais ce choix dans vos films s’accompagne de la rigueur de l’enquête, de la recherche des documents et des témoignages des acteurs du drame chilien. Investir sa propre subjectivité dans la construction du documentaire reste peu courant, n’est-ce pas ?

Emilio PACULL :
Je ne sais si c’est aussi peu courant… Dans le film «  Héros Fragiles » il s’agissait d’une démarche cinématographique relativement complexe, à savoir tenter de naviguer dans l’histoire à partir de ma propre subjectivité. Autrement dit, essayer de joindre l’Histoire avec un grand H à partir de l’infiniment petit, d’un souvenir intime, d’un doute, d’une émotion lointaine. La difficulté c’est qu’on parle au public et que le public n’a, en principe, rien à faire de ton histoire, et c’est légitime. Donc tu dois imbriquer le plus profondément possible ta subjectivité avec les faits objectifs, et avancer ma main dans la main. Mais comme vous le signalez, l’enquête objective doit être irréprochable

Et surtout que vous ne cachez pas convictions. Vous utiliser parfois même des extraits de films de fiction (Etat de siège et Porté disparu de Costa-Gavras) comme des images quasi-documentaires. N’avez-vous pas innové ? Pensez-vous avoir été suivi par le public ?

Emilio PACULL :
Pourquoi cacherai-je mes convictions ? Allende et ceux qui le suivaient étaient porteurs d’un projet magnifique : créer une société nouvelle dans un pays où les injustices étaient et sont immenses. L’aspiration au socialisme à travers la voie électorale, et sans lutte armée était une idée nouvelle et une idée qui était observée avec intérêt par le monde entier, non seulement par d’autres pays d’Amérique Latine, mais aussi par l’Italie, l’Espagne, la France… C’est certainement la raison pour laquelle la CIA et les USA se sont acharnés avec autant de détermination et de violence à détruire le rêve d ‘Allende et des millions des Chiliens. D’ailleurs il suffit de regarder les documents déclassifiés de la CIA pour se rendre à l’évidence.
Que serait-il devenu le monde si Allende avait réussi son projet ?
J’aime bien votre observation sur l’utilisation de la fiction comme un archive documentaire. En effet ce n’est pas très courant de le faire, et j’aime beaucoup comme cela fonctionne dans le film.

Vous avez eu un long et riche parcours aux côtés de cinéastes prestigieux tels que Costa-Gavras, Miguel Littin, Roberto Rossellini, François Truffaut dont vous avez été l’assistant.
Vous jouez dans « Etat de siège » de Costa Gavras.
Pouvez-vous nous dire ce que vous avez retenu de la « méthode » de ces différents réalisateurs qui pour l’essentiel ont signé des films dits de fiction ?

Emilio PACULL :
La seule chose que je peux vous dire c’est que de mon expérience avec ces grands réalisateurs, j’ai retenu avant tout la qualité humaine, la sensibilité, l’élégance, qualités qui,aujourd’hui, sont en voie d’extinction dans nos sociétés dominées par la marchandisation et la lutte effrénée des egos.

À une are exception, vous avez réalisé un long-métrage qui fut bien reçu au Festival de Cannes en 1998. Pourquoi n’avoir pas continué dans cette voie ?

Emilio PACULL :
Je trouvais que monter un long-métrage de fiction était trop long…, et je suis un amoureux des voyages, des rencontres avec l’autre.
Le documentaire m’a apporté joies, expériences et plaisirs incroyables, et je trouve que c’est un moyen d’expression aux possibilités narratives et créatives infinies. Mais je ne perds pas espoir de réaliser maintenant une fiction après toutes ces années imprégnées du réel.

Dans « Héros fragiles » , l’un de vos plus récentes productions, vous donnez en quelque sorte la clé de votre implication personnelle dans vos documentaires en évoquant le martyre de votre beau-père, proche conseiller du président Salvador Allende, si proche qu’il lui ressemblait même physiquement. Votre mère aussi est un personnage qui sort de l’ordinaire. Ce film est d’une grande force d’évocation à la fois esthétique et subjective mais sans pathos. Avez-vous construit votre film à la façon d’un poème ou sur la base d’un synopsis rigoureux ?

Emilio PACULL :
Merci pour l’observation. Quand j’ai eu envie de faire ce film, il existait déjà pas mal des films sur des sujets similaires. J’ai voulu faire un film différent, un prototype en quelque sorte. Je dis ceci avec une totale modestie. J’ai lutté en permanence lors du tournage et du montage pour gommer tout ce que je ressentais comme superflu, prétentieux. Oui, je crois que c’est comme la mise en images d’un long poème épique, c’était l’ambition inconsciente. Je crois que j’ai réussi à le faire, et pour moi c’est le plus bel hommage que je pouvais rendre à ces Héros Fragiles qui se sont battus les mains nues défendant la démocratie tandis que les chars et les avions bombardaient le palais présidentiel et que le drapeau chilien brûlait sur le frontispice de La Moneda.

Dans « Héros fragiles » , vous avez réussi la prouesse non seulement de mettre en exergue les documents et les mécanismes qui attestent de l’implication nord-américaine dans le complot contre Allende mais aussi recueilli des témoignages de certains conspirateurs chiliens, comme le président de l’organisation du patronat, par exemple. Comment avez-vous pu obtenir ces témoignages accablants ? Pourquoi témoignaient-ils à visage découvert. Étaient-ils bien conscients de la portée de leurs propos ?

Emilio PACULL :
Ces gens-là ont toujours la conviction qu’ils ont agi pour le « bien du Chili ». Les morts, la torture, la souffrance des autres est pour eux le prix à payer pour avoir une « société libre »… Évidemment qu’ils ne pensent qu’en fonction de leurs intérêts économiques et de leur pouvoir dans la société.

Justement, venons-nous à l’impunité dont ont joui les auteurs du coup d’Etat (à leur tête Pinochet qui est mort dans son lit comme Franco), contrairement à ce qui s’est passé en Argentine ? Est-ce le prix d’un Chili apaisé ?

Emilio PACULL :
Je ne pense pas que le Chili soit aujourd’hui un pays apaisé. Je pense que les cicatrices laissées par la dictature sont encore douloureuses. Le Chili est le pays où la répartition des richesses est la plus inégalitaire au monde !!
Les étudiants du Chili mènent depuis quatre ans un combat formidable contre l’éducation privée et luttent pour une éducation gratuite pour tous les Chiliens, comme c’était le cas avant la dictature. Les indiens mapuches aussi luttent pour leurs droits. Le pays est loin d’être apaisé et je pense que une grande majorité des chiliens exigent que justice soit faite.

Dans votre dernier film « La route australe » , vous semblez prendre une nouvelle direction dans votre travail. En évoquant la beauté et la profondeur d’une région du Chili, la Patagonie, vous vous attaquez aux périls industriels qui pèsent sur elle : marchandisation, privatisation et pollutions à venir si les projets industriels venaient à se réaliser. Est-ce à dire que c’est l’ultra-libéralisme qui a façonné un Chili aux antipodes du rêve d’Allende et de l’Unité populaire ? Les chars et l’aviation contre la Moneda suivie de la charge économique des « Chicago-boys » au Chili n’a-t-elle pas sonné il y a quarante ans pour le reste du monde le dogme tout-puissant de l’ultralibéralisme ?

Emilio PACULL :
Dans mon film « Héros Fragiles », j’ai réussi à obtenir la dernière interview de Milton Friedman avant sa mort. Friedman depuis sa chaire à l’Université de Chicago fut le concepteur de ce qu’on appelle aujourd’hui le néo-libéralisme de marché dérégulé, autrement dit l’école monétaire de Chicago. Leurs disciples, on les appelle désormais « les Chicago Boys ». Les élèves chiliens de Friedman ont appliqué le modèle économique au Chili dès les jours qui ont suivi le coup d’Etat. Dans un pays soumis à la dictature, les enfants de Friedman ont expérimenté avec le Chili comme avec un rat de laboratoire. Ils se sont partagé toutes les richesses du pays et ont imposé leurs vues sur société où régnait la peur. Le Chili est devenu le premier pays où on a été expérimenté ce modèle qui aujourd’hui parcourt allègrement le monde pour notre plus grand malheur. Le néolibéralisme n’est pas seulement une doctrine économique, c’est aussi une idéologie qui segmente, isole et divise, et dont le seul but et convaincre l’humanité toute entière que le consommation est le but ultime de la liberté individuelle.

Il semble que même de retour aux affaires la gauche chilienne n’est pas arrivée à s’en dégager et renouer avec l’idéal d’un socialisme démocratique ?

Emilio PACULL :
La Concertation, c’est à dire la coalition qui à permis de gouverner le Chili après Pinochet, n’a jamais eu la volonté politique de changer le modèle instauré par la dictature. Il faudrait d’abord changer la Constitution héritée de la dictature, mais les partis démocratiques n’ont toujours pas réussi à faire un front majoritaire et changer l’ordre établi depuis les années 1973.

Une dernière question : vous vivez et produisez vos films en France. Quel regard portez-vous sur le cinéma chilien actuel ?

Emilio PACULL :
Je trouve que le cinéma chilien, notamment le courant de fiction est très intéressant. Il faudra voir l’évolution les prochaines années, mais il y des réalisateurs jeunes et très créatifs.


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