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DDA LMULUD L’ HÉRITAGE OUBLIÉ

vendredi 17 avril 2015

El Watan
le 17 avril 2015

« Vous me faites le chantre de la culture berbère et c’est vrai. Cette culture est la mienne, elle est aussi la vôtre. Elle est une des composantes de la culture algérienne, elle contribue à l’enrichir, à la diversifier. Et à ce titre, je tiens – comme vous devriez le faire avec moi – non seulement à la maintenir mais à la développer », disait Mouloud Mammeri en avril 1980.

C’est l’interdiction d’une de ses conférences, à Tizi Ouzou, sur la poésie kabyle ancienne qui est à l’origine des événements du Printemps berbère, le 20 avril 1980. Retour, 35 ans après, sur les idées et les pensées du linguiste, anthropologue et écrivain, jamais enseigné à l’école. Est-ce un héritage ou s’agit-il d’une simple récupération d’un symbole ?

Hend Sadi. Auteur et universitaire : Une dimension historique

L’héritage de Mouloud Mammeri, c’est d’abord une œuvre variée dans son expression mais unie dans sa finalité. Son apport au renouveau amazigh est immense : passage à l’écrit de la langue, création — dans la voie ouverte par Jean Amrouche — d’anthologies devenues des classiques littéraires, travail sur la néologie qui a ouvert les portes de la modernité à la langue amazighe ; travail grâce auquel, par exemple, on a pu voir tout récemment des Amazighs du Nefoussa libyen, de l’Atlas marocain, du M’zab, des Aurès et du Djurdjura algériens échanger en tamazight sur leur devenir commun.

L’héritage qu’il nous lègue, c’est aussi une certaine éthique qui devrait inspirer les acteurs d’aujourd’hui, davantage accaparés par leur ego plutôt que par l’intérêt collectif. Son aura faisait qu’il était, à lui seul, une institution plus écoutée que des organismes qui, au final, œuvrent à l’assujettissement.

Cela étant, son œuvre ne doit pas être figée ou momifiée, mais fécondée à travers une approche critique rationnelle. Quant à ceux qui cherchent à récupérer ce symbole, ils témoignent seulement que pour exister, on peut faire avec lui, contre lui, mais pas sans lui. La liberté, l’honnêteté intellectuelle, si naturelles chez lui, la fidélité à la terre qui l’a vu naître demeurent à mes yeux des valeurs cardinales.

S’il a pu gagner l’estime de personnalités internationales considérables appartenant au monde des idées aussi diverses que Taha Hussein ou Pierre Bourdieu, a priori si loin de sa Colline, tout en étant célébré par son peuple alors qu’il a été combattu, diffamé sans relâche de son vivant par l’élite de son pays soumise au dogme arabo-islamique, c’est qu’il incarne un idéal qui transcende sa personne pour atteindre une dimension historique.

  • Abdennour Abdesselam. Ecrivain : C’est un héritage assumé

On ne peut évoquer Mouloud Mammeri sans signaler que seul, il a réussi à influer sur le cours des événements durant la longue période où la langue amazighe était frappée d’ostracisme. Cette influence, soutenue par une immense œuvre scientifique, a mis en échec la terrible machine mise en place par le pouvoir d’alors pour exterminer la langue amazighe et effacer l’élément principal qui fonde l’identité algérienne, à savoir l’amazighité.

Ceci dit, je considère que l’héritage légué par Mammeri est aujourd’hui assumé et célébré. Il a servi de soubassement et de rampe de lancement dans divers secteurs permettant le développement de la langue. Ainsi, la langue amazighe est aujourd’hui enseignée officiellement en Algérie sur les bases grammaticales établies par Mammeri au niveau des différents cycles et paliers scolaires, après une période de lancement à titre expérimental. Son enseignement est une réalité professionnelle. Les trois départements de langue et culture amazighes des universités de Tizi Ouzou, de Béjaïa et de Bouira assurent une formation universitaire quantitative et qualitative. Des laboratoires de recherche lui sont consacrés.

L’institution du Haut conseil à l’amazighité (HCA), arrachée au prix du boycott d’une année scolaire, fait un travail scientifique et culturel dans ses missions de réhabilitation du fait amazigh. Le monde de l’audiovisuel grouille en production. Des festivals culturels sont organisés régulièrement. Des auteurs et des traducteurs dans différents genres (poésie, littérature, théâtre, nouvelles, etc.) publient des ouvrages intéressants, même si l’on aurait à redire sur certaines productions. Des maisons d’édition spécialisées dans le domaine amazigh voient le jour et les étalages des librairies ne désemplissent pas.

À travers ces quelques exemples qui confirment que l’héritage de Mammeri est assumé, je voudrais apporter ici une réponse à une question teintée d’inquiétude et de pessimisme que ne cessent de se poser des citoyens. En effet, ils pensent que la militance ayant porté la revendication de la question amazighe s’est considérablement affaiblie et est plongée dans une léthargie sans pareille. Certains parlent même d’un effroyable évanouissement et de la désaffection de la population sur le sujet.

L’argument développé autour de cette inquiétude tient de ce que la revendication n’est effectivement plus visible sous les traditionnelles formes de manifestation de rue. Cette constatation — de bonne foi somme toute, surtout lorsqu’elle n’est pas enjointe par des influences politiciennes de centres d’intérêt bien connus — est vraie mais elle peut s’expliquer par un manque de discernement et d’évaluation, justement, de la longue marche de la revendication qui s’est déplacée aujourd’hui sur le terrain de la production plurielle et scientifique d’une extrême et vitale importance.

  • Rachid Bellil. Chercheur au CNRPAH : Nous sommes dans l’« entre-soi »

Aujourd’hui, nous n’avons malheureusement pas une vue d’ensemble pour évaluer l’exploitation de l’héritage de Mammeri mais, première hypothèse, je dirais qu’on s’éloigne de plus en plus de sa pensée. Les horizons sont aujourd’hui réduits alors que ce penseur réfléchissait à l’échelle du Maghreb, allant même jusqu’au Niger et au Mali en passant bien sûr par les Touareg. Nous sommes dans un esprit de rétrécissement. Les discussions sur la société se limitent en kabyle seulement. Il n’y a pas eu, d’ailleurs, d’étude systématique de l’évolution de la pensée de Mammeri.

Il faudrait élargir les horizons et, maintenant, nous sommes dans une autre étape. Nous enregistrons aussi une absence d’aventure. Cela est dû à la difficulté de connaître l’autre. Il y a un sérieux problème de relation avec les autres sociétés. Nous sommes dans l’« entre-soi ». Sociologiquement, la société de l’Afrique du Nord n’a pas le désir de connaître l’autre. Elle se limite à la tribu seulement.

  • Slimene Hachi. Directeur du Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique : C’est une présence permanente

Ce qu’a semé Mammeri est indestructible. C’est une présence permanente. Mammeri, l’écriture entomologique et romanesque, visait le même but, c’est-à-dire parler de sa société. Cet héritage est aujourd’hui là, il a fait le boulot, maintenant le reste, c’est de mobiliser la société. On le trouve si on veut y avoir recours. Certains y recourent. S’il y a une anthropologie maghrébine, c’est Mammeri qui en est le fondateur. Si aujourd’hui l’Algérie a vécu les années 1990, c’est que nous nous sommes éloignés de nous-mêmes et du chemin menant à nous-mêmes, et Mammeri c’est l’exact contraire.

Après le constat des années 1990, le remède est d’aller à nous-mêmes. Et cela est une invitation de Mammeri. C’est surtout reprendre ce que nous sommes dans le monde. Ceux qui le réduisent à une culture kabyle, ce sont des gens qui n’ont pas compris la pensée de Mammeri. Il était Algérien dans toutes ses composantes, sa diversité, sa complicité, bref… son histoire. Il s’agit d’un savant et d’un anthropologue qui avait travaillé sur sa société. Son destin l’a mené à l’âge de 11 ans au Maroc où il a découvert très tôt la vastitude et en même temps l’unité du monde.

Après de brillantes études, il a travaillé sur sa société. Il a emprunté plusieurs chemins pour en parler. A travers ses romans, il n’a pas arrêté d’écrire et de décrire la société en utilisant tous les moyens (le roman, l’analyse anthropologique, la poésie...). Il était un anthropologue en soi. Il était un acteur important dans sa société. C’était quelqu’un qui produisait de l’idée, du savoir, de la connaissance et de la perspective sur et pour sa société. Si, globalement, on a retenu tout cela de lui, cela veut dire qu’il a semé. On ne peut pas ne pas retenir tout cela.

L’héritage est d’abord une quête et une position sur la société maghrébine. Aujourd’hui, au niveau de la sphère intellectuelle et professionnelle, on ne peut pas se déployer sans s’appuyer sur les travaux de Mammeri, car il s’est sérieusement attaqué à de principaux aspects, comme la grammaire et le dictionnaire et d’autres formes esthétiques de la langue. Il était convaincu que les civilisations n’existent qu’avec ce qu’elles ont comme aspects formalistes et esthétiques.

C’est lui qui avait tracé la voie. En 1978, lorsqu’il avait organisé une table ronde, il avait évoqué l’importance de recueillir tout le patrimoine, puisque nous vivons des mutations sociales qui pouvaient mettre en danger notre mémoire. Il fallait, selon lui, fixer cette mémoire. A son époque, au lendemain de l’indépendance, tous les efforts étaient concentrés sur la reconstruction techniciste, sans trop se soucier de la science humaine.

D’où les inquiétudes de Mammeri de voir le patrimoine disparaître, car il savait que les mutations sociales pouvaient mener à une disparition de la mémoire. Nous sommes-nous éloignés du chemin de Mammeri ? Maintenant les choses ont évolué, tamazight pour lequel il avait combattu est devenue langue nationale.

Le plus important, c’est que cette langue a cessé d’être clandestine. Aujourd’hui, on discute pour que le statut puisse évoluer. C’est la victoire de Mammeri. Il s’agit de victoire au plan mondial, face à la mondialisation et à la globalisation. Le monde prend conscience de la culture héritée. Car la culture est un mélange entre l’héritage et la créativité. Lettre à un Français est une missive que Mammeri avait envoyée le 30 novembre 1956 à Jean Senac, installé à Rodez, à la demande de ce dernier de lui fournir un texte pour un numéro sur l’Algérie combattante qu’il envisageait de publier dans la revue Entretiens sur les lettres et les arts. Pourquoi cette lettre n’est pas enseignée à l’école ? Elle devrait être connue de tous les enfants d’Algérie. Il faut qu’elle soit prise comme un texte littéraire.

  • Brahim Tazaghart. Editeur : Le Mouvement berbère est devenu un rite

Aujourd’hui nous pouvons évoquer une société en crise qui ne recourt plus aux idées de Mammeri. On se réfère de moins en moins à Mammeri comme action, c’est-à-dire à tout le travail généreux qu’il a effectué sur l’Afrique du Nord et la société maghrébine. Mammeri est synonyme de la fécondité dans l’action de sa lutte, par exemple sur tamazight. Or ce qui se passe, aujourd’hui, dans le Mouvement berbère obéit à un rite. Il n’y a pas e fécondité ni de production. Contrairement aux idées de ce savant, il n’y a plus de voie qui se dessine.

Nassima Oulebsir


Voir en ligne : http://www.elwatan.com//culture/dda...

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