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Juillet-Aout 1990 : LE PAGS SUR UNE PENTE FATALE

Un éclairage global des épisodes successifs

jeudi 15 juillet 2010, par Sadek Hadjerès


Fin Mars dernier, avant l’interruption momentanée des publications du site, "SOCIALGERIE" avait annoncé la mise en ligne progressive de nouveaux documents, récits et témoignages relatifs à la crise du PAGS en 1990, crise dont c’est actuellement le vingtième anniversaire.
Plusieurs matériaux et contributions de ce type (voir notamment la rubrique mouvement communiste algérien) ont déjà été publiés pour éclairer cet épisode.
Son déroulement et sa signification en effet demeurent encore en grande partie obscurs ou confus pour l’opinion algérienne et internationale.

L’article présent esquisse une vue d’ensemble de nature à faire le lien entre les diverses contributions et documents qui continueront à être présentés.

(JUILLET-AOUT 1990 ) :

LE PAGS SUR UNE PENTE FATALE

(Ce texte est la réponse à une question posée à Sadek HADJERES en 2008 par Arezki Metref, en prolongement de l’entretien publié dans Le Soir d’Algérie du 1er et 2 Juin 2007)

Arezki Metref :
Comment résumeriez-vous les racines internationales et nationales de la crise qui avait commencé à se nouer à l’occasion des élections municipales de juin 1990 ?

S. H :
Les divergences, à l’occasion du résultat de ces élections, étaient apparues principalement au niveau de l’instance de direction exécutive provisoire issue de 24 ans de clandestinité du PAGS. J’avais fait un premier récit en juin 2007 de la façon dont les débats ont été immédiatement faussés et dévoyés au niveau de cette instance. Comme le démontrera la suite des évènements, ces divergences ont été au plan formel sciemment répercutées à différents niveaux en les exacerbant et en violation des normes démocratiques à des fins de manipulation. Mais quant au fond, elles ont surtout révélé des problèmes fondamentaux déjà présents dans un contexte national et international, lui-même en crise.

Toutes proportions gardées, la crise du PAGS fait penser par son dénouement inattendu, à ce qui est arrivé en URSS et d’autres pays du système socialiste d’alors. Elle a surpris le plus grand nombre de ses amis et des militants eux-mêmes. D’où les nombreux questionnements sur les tenants et aboutissants et souvent des approches simplistes en guise d’explications.

Pour ce qui est de l’Algérie, la crise a été le fruit d’une conjonction entre trois facteurs qui s’étaient amplifiés sur la scène nationale et internationale. Ces facteurs n’ont pas seulement porté atteinte d’abord au PAGS mais à l’ensemble de la vie et de la sphère politique algérienne, avec des décalages dans le temps.

Les deux premiers facteurs ont constitué le cadre objectif de la crise. Un contexte géostratégique, économique et politique particulièrement dangereux s’est conjugué avec les menées systématiques et déstabilisatrices des forces hostiles à une évolution démocratique du pays.
Le troisième facteur, plus subjectif, a résidé dans le niveau insuffisant et inapproprié de la riposte politique opposée à ces dangers par les forces et courants démocratiques et progressistes.

Selon les positionnements des acteurs sur l’échiquier politico-idéologique, selon les intérêts matériels et de pouvoir des uns et des autres, des interprétations unilatérales ont été données de la crise et de son aboutissement négatif, tendant à attribuer une importance exclusive à l’un de ces facteurs au détriment des autres, ou à l’inverse, à les ignorer ou les sous-estimer.
En fait, ce n’est pas seulement le poids relatif de chacun de ces facteurs pris en soi qui explique l’évolution fatale. L’impact déstabilisateur de ces trois facteurs a tenu essentiellement aux interactions qui ont démultiplié leurs effets respectifs. Chacun de ces facteurs à lui seul aurait pu provoquer une assez sérieuse déstabilisation, mais surmontable à court terme.
Les trois, en se conjuguant au même moment, ont enclenché des enchaînements qui ont échappé à la perception et à la maîtrise des courants les plus sains du PAGS jusqu’à déboucher à terme sur une implosion politique et organique qui a surpris autant les militants que des observateurs extérieurs.

Voila pourquoi je cite ci-dessous ces facteurs sans les hiérarchiser ni présumer de l’importance intrinsèque de chacun d’eux.
Le plus instructif pour les leçons à tirer résidera dans les modalités et les raisons de leur enchaînement vers un engrenage fatal.

1- Une situation nationale et internationale exceptionnellement tendue et défavorable

, par suite de la montée simultanée et depuis un moment déjà de plusieurs phénomènes liés entre eux :

  • les effets directs et indirects d’une mondialisation capitaliste néolibérale ultra agressive, que ce soit au niveau des centres impérialistes occidentaux ou de leurs relais dans le monde arabe et musulman.
    L’impact néfaste de cette mondialisation financière capitaliste s’est exercé sur un terrain national déjà fragilisé par les déstructurations et le glissement à droite de l’époque Chadli ;
  • l’affaissement inopiné des systèmes étatiques et politiques les plus importants du socialisme mondial, qui constituaient jusque là - on l’a mieux compris plus tard - un rempart appréciable contre l’agressivité impérialiste, la cupidité des multinationales et les complicités des régimes du monde arabe et islamique (juillet 2010 : lire à ce sujet l’article de Dominique Vidal dans Manière de Voir : le temps des Utopies) ;
  • l’infléchissement et la manipulation réactionnaire des représentations identitaires dans chaque pays, particulièrement celles de plusieurs courants islamistes émergeant dans des formes virulentes comme expression du large mécontentement social et politique contre l’arbitraire et la corruption du pouvoir, alimentant ainsi à travers des actes d’intolérance et de violence une contestation de plus en plus hostile à des restructurations démocratiques.

2- Une opération technique de déstabilisation menée par les clans les plus influents de la police politique algérienne

, utilisant ses relais au sein même des organisations du PAGS.
L’opération visait la mise sous contrôle des appareils de direction et des chaînes de communication et de transmission organiques du PAGS au moment le plus fragile et le plus complexe de leur reconversion à la légalité.
Elle était destinée à perpétuer une stratégie autoritaire du pouvoir d’Etat battue en brèche en Octobre 88.
Ces milieux étaient hantés par le spectre d’une contestation radicale que l’avènement du multipartisme risquait d’engendrer au détriment de leurs privilèges financiers et de pouvoir.
Le même spectre anticommuniste avait déjà motivé l’interdiction du PCA en novembre 1962 et sa répression après le coup d’Etat du 19 juin 65, par crainte d’une montée déjà sensible du mouvement social et démocratique de protestation que ce parti animait avec succès.

3- De sérieuses insuffisances politiques et idéologiques dans les rangs du PAGS

lui-même. Elles étaient latentes ou déclarées durant la longue clandestinité d’un quart de siècle. La légalité avait vocation de les surmonter par le débat libre et contradictoire et le travail de formation politique, en faisant fructifier à travers les nouvelles luttes les points forts d’une riche expérience et la découverte des faiblesses favorisées en partie par la clandestinité.

Sans sous estimer le caractère déterminant des deux premiers, je considère ce troisième facteur comme le plus important pour la réflexion d’avenir des partisans du socialisme et de la démocratie, membres ou non du PAGS.
Ses enseignements sont irremplaçables pour les mouvances démocratiques de divers horizons idéologiques.
Souligner le caractère décisif de ce facteur ne dispense certes pas d’analyser les deux facteurs précédents. Ces deux derniers ont en effet constitué le lourd environnement objectif, hostile aux aspirations concrètes de la majorité de la population.
Mais les capacités subjectives de riposte et d’adaptation à ces deux facteurs défavorables sont du ressort direct des partisans d’un avenir démocratique et social pour l’Algérie et pour un monde libéré des menaces actuelles.

Nul autre ne tirera pour nous ces enseignements à notre place.

D’où l’importance de désigner, avec sang froid et sans écarts subjectivistes, les phénomènes et les mécanismes qui ont marqué cette crise, parce qu’ils ont été pour la plupart occultés ou mal connus, à cause à la fois des modes de fonctionnement hérités de la clandestinité et des intrigues policières occultes.

Certaines révélations sur ces faits, émanant de moi-même ou d’autres témoins et acteurs que j’invite à contribuer de façon sincère et constructive, seront surprenantes et pourront soulever de vives réactions subjectives. Des réactions humainement compréhensibles, au regard de tant d’espoirs et de confiance qui avaient animé les citoyens honnêtes et les militants sincères.
Dans un bilan qui gagne à rester serein, je tiendrai compte le plus possible des sensibilités et susceptibilités, pour des raisons à la fois humaines et politiques.
Car les responsabilités par delà les individus ou les groupes sont à rechercher avant tout au niveau de leurs racines dans les problèmes de société et d’institutions.
J’ai souvent souligné ce fait à propos des lourdes erreurs nationalistes ou graves méfaits qui ont marqué la guerre de libération.
J’insiste sur les limites et la stérilité des approches qui en restent à culpabiliser des individus ou des groupes, en ignorant les raisons profondes qui les ont trompés et dévoyés, en ignorant tout simplement les données historiques pour s’enliser dans des polémiques malsaines dont les anciennes et les jeunes générations sont lassées et même indignées quand elles apparaissent comme des diversions à la mobilisation pour la solution des problèmes actuels.

Une chose compte par-dessus tout. En dernier ressort, quelle est la force suprême qui soude et galvanise les acteurs engagés dans les causes justes, vers une société et un monde de paix, d’égalité et de justice sociale, de libertés et de droits humains ?
C’est la clarté et l’objectivité dans les relations et les débats.
Elles sont capables de fonder une confiance raisonnée entre des acteurs tournés vers un avenir progressiste. Il est important de forger cette confiance révolutionnaire, de la préserver contre les risques de trahir les espérances.

La transparence n’est pas une qualité qui tombe du ciel ou dépendrait essentiellement du caractère des individus. C’est un problème important et décisif qui se pose à tous ceux qui oeuvrent à une transition démocratique.
Le sort qu’a connu la « glassnost » (transparence) au cours de la « perestroïka » tentée dans la deuxième moitié des années 80 en URSS, confirme que son instauration dépend des efforts engagés pour protéger aux différents niveaux le fonctionnement des instances contre les effets néfastes à la fois de l’autoritarisme dirigiste et de l’anarchie pseudo démocratique
La transparence d’un fonctionnement politique au service d’une cause démocratique et sociale progressiste ne peut résulter que d’une construction et d’un effort collectifs.
C’est le résultat d’une pratique vigilante et de règles jalousement et courageusement défendues à contre-courant des intrigues hégémonistes favorisées aussi bien par les pulsions autoritaires intolérantes que par le laxisme irresponsable. Ces tendances et pratiques négatives existent non seulement dans les courants conservateurs et réformistes mais aussi parmi les progressistes radicaux submergés par les pratiques et les mentalités perverses ambiantes dans la société et les sphères du pouvoir.

L’expérience de classe acquise sur le terrain de la lutte contre l’exploitation sous toutes ses formes est un des acquis fondamentaux qui restent à préserver face aux tentations et reniements révisionnistes.
Mais il reste une tâche importante et jusqu’ici sous estimée, à résoudre par les partis et le mouvement progressiste à l’échelle internationale. C’est celle du contenu et des formes à donner à l’exercice du pouvoir, de toute forme de pouvoir, dans les relations avec la société comme au sein de ses propres organisations.
Il est vital que les générations nouvelles soient mieux armées quant aux illusions et aux embûches prévisibles et normales des combats qui les attendent, des combats rendus incontournables par l’entêtement et les appétits des forces d’oppression et d’exploitation.

Éclairer ce chemin et ses obstacles est l’objectif des documents, témoignages et récits que je mets progressivement en ligne. Ces matériaux concernent des problèmes et des épisodes surgis pendant le déroulement de la crise de 1990 du PAGS ; mais aussi en amont et en aval, susceptibles d’éclairer le déroulement, la signification et les enseignements de cette crise.
Bien entendu, il est hautement souhaitable que cette recherche historique et politique ne se limite pas aux efforts de quelques uns, et qu’elle s’enrichisse des contributions largement ouvertes à « Socialgérie » et tous autres lieux de recherches, de débats et d’échanges.

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