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Septembre 1966 ... octobre 1988 .....????

L’ARBITRAIRE, par BACHIR HADJ ALI

Le devoir de vigilance et de mobilisation...

jeudi 14 janvier 2010


HOMMES, VEILLEZ !
C’est la recommandation ultime que Julius Fucik, dirigeant communiste tchécoslovaque sous l’occupation nazie, avait faite à ses compatriotes après un long calvaire, dans "Ecrits sous la potence" à la veille de son exécution.
Aujourd’hui que dans de multiples zones industrielles de notre pays se déploient les légitimes et pacifiques revendications sociales indéfiniment rejetées, l’aveuglement répressif des autorités fait revivre le souvenir des exactions commises en octobre 88 contre les travailleurs, les militants syndicaux et politiques, les jeunes de façon générale, pour dresser à l’époque un "contre-feu" au puissant mouvement des travailleurs de la zone de Rouiba.
C’est ce devoir de vigilance qui nous fait reproduire l’admirable préface de Mohamed KHADDA (août 1989) à la nouvelle édition de L’ARBITRAIRE rédigée par Bachir HADJ ALI après ses supplices subis en 1965. Ce dernier texte, accompagné des commentaires de ses codétenus Mohamed HARBI et Hocine ZAHOUANE, avait été aussitôt diffusé clandestinement par le PAGS sur le sol national à partir de fin janvier 66 et repris massivement à l’échelle internationale à partir de sa publication par les Editions de Minuit.

Puissent ces textes demeurer un avertissement et un appel permanents à la mobilisation démocratique contre les tentatives à répétition de déchaîner les vieux démons.

PRÉFACE

de Mohamed KHADDA, en août 1989,
"L’arbitraire"
Dar El Ijtihad - Alger - (réédition 1989)

Ce petit livre a paru il y a 23 ans. Interdit sur le territoire national, il fut, sous différentes formes, reproduit et diffusé clandestinement. Il aurait pu rester à sa place dans nos archives de douloureuse mémoire et, lentement, jaunir, vieillir. Il voisinait avec les poèmes d’Anna Gréki ; « ils m’ont dit des choses à rentrer sous terre » écrivait-elle dans des circonstances analogues. Sur les mêmes rayons, il côtoyait « La question », « Le camp », « les torturés d’El Harrach » et d’autres pénibles témoignages sur les atrocités des ennemis de l’humanité.

Et voilà que l’ampleur des crimes et sévices d’octobre 1988 viennent, sinistres répétitions, lui faire écho, réveiller les mémoires oublieuses. L’arbitraire dans notre pays est, hélas, encore à l’ordre du jour. Ce livre nécessitait une réédition.

En réalité la torture n’a jamais cessé en Algérie et cette immonde pratique, survivance de temps tyranniques, a éclaboussé beaucoup de monde. Les hommes au pouvoir qui l’ont ordonnée, leurs tortionnaires et leurs sbires, cela va sans dire, mais aussi tous ceux qui savaient et qui se sont tus par complicité, par complaisance, par indifférence, par lâcheté ou par peur. Il est vrai que la terreur instaurée et planifiée bâillonnait notre peuple, paralysait chaque individu, obnubilait les esprits, décourageait même les plus conscients.

Voilà encore quelques pages noires de notre histoire récente qui nous introduisent au cœur de l’enfer où s’activent des démons à masque humain. Un univers hallucinant où l’imagination sadique des inquisiteurs s’acharne à broyer l’homme, corps, cœur et esprit.

Mais, contrairement à Dante qui inscrit au fronton de la géhenne une formule de la pire désespérance, Bachir Hadj Ali met à l’incipit de son ouvrage « une voix merveilleuse de contralto venue ders bords du Nil ». Ce dirigeant communiste est, nous le savons, un poète au lyrisme généreux et c’est tout à l’honneur de son Parti d’avoir promu au faîte de son organisation le rêve et l’imaginaire. Aussi au-delà du cauchemar, c’est d’espérance que nous entretient l’auteur, c’est la victoire sur les forces destructrices qu’il nous engage à entrevoir. Au plus profond des ténèbres de l’antre du Chemin Poirson, théâtre des maléfices, cet homme pudique que l’on dénude se drape d’espoir et oppose l’intelligence à la barbarie, la raison aiguisée à la meute qui l’assiège.

Il subit les pires sévices et les plus viles injures, mais parce qu’en lui il n’y place ni à la soumission, ni au fatalisme, il verrouille et obstrue sa mémoire et ses refus sont lucides, dit-il. Puis, méthodiquement, il apprivoise et domine sa peur. Le supplice, dès lors, se transforme en duel, inégal, certes : car il s’agit bien d’un combat et les enjeux sont parfaitement clairs. Il lui faut déceler chez ces brutes le mensonge et la faille, analyser la moindre faute de l’adversaire, ruser parfois, retenir son souffle lors de l’immersion, rêver si possible pour atténuer la douleur et tolérer les souffrances que le corps endure.

Le poète des mémoires-clairières se cuirasse de ses certitudes, l’amour de sa femme décuple sa résistance physique et amplifie sa foi en l’homme, un lointain appel à la prière du soir lui rappelle la douceur des crépuscules et l’ancre encore davantage à la vie. Il lui faut tenir, ne pas livrer les secrets vitaux, sauvegarder la précieuse organisation. Son silence rendra indestructibles ses camarades de matins clairs, ces cèdres de la vie droite, ils devront à sa résistance de pouvoir poursuivre au-dehors le combat.

Et quand se lassent les bourreaux et que s’émousse leur rage, quand enfin il parvient au bout de l’odieux calvaire, le poète des cantiques cristallins et du basilic dira, s’adressant à Henri Alleg « comme toi, j’ai vaincu les monstres ».

J’avoue que je trouve à ce terrible récit un goût d’épopée. On songe à ces lieux de tourments que content les légendes ou à cette effroyable Géhenne que les religions promettent aux pécheurs. On songe à la faculté des héros à grandir la condition humaine. On pense aussi à ces poètes dans leurs quêtes de vérité et à leurs harassantes épreuves. Ainsi Orphée va-t-il tirer des entrailles de la terre sa compagne Eurydice prisonnière des Limbes. Ainsi Dante traverse-t-il de part en part les neufs cercles infernaux pour rejoindre Béatrice, sa salvatrice. Ainsi Bachir Hadj Ali en onze séances de torture traverse-t-il, lui, un enfer bien réel allumé par ses compatriotes. La voix de Safia, son épouse, lui parvient du fond d’un couloir obscur, mais ce n’est là qu’un ignoble leurre de flics.

Que la réalité et la fiction se regroupent, elles nous disent l’éternel combat de l’homme contre les puissances de l’ombre et du mal, fussent-elles d’apparence transcendante. Mais cette volonté de défier les ténèbres, de leur ôter leurs proies, cet acharnement à sortir des abjects souterrains pour faire advenir la clarté du jour n’est plus aujourd’hui un rêve mythique. Elle devient une exigence des hommes, une aspiration des peuples. Dès lors il ne s’agit plus de tolérer l’enfer, mais de raser les officines de l’arbitraire, de mettre hors-la-loi la torture, de condamner et de châtier ceux qui la pratiquent et ceux qui l’ordonnent.

Aujourd’hui, 25 ans après qu’il fut écrit et un an après l’horrible tragédie d’octobre 1988, le message de Bachir Hadj Ali prend encore plus d’acuité, acquiert plus d’urgence. C’est qu’à cette occasion, la torture s’est généralisée, elle a redoublé de cruauté. C’est que les bourreaux ont osé s’attaquer aux enfants. Et demain, si elle se trouvait aux abois, la bête immonde peut se réveiller et recommencer ses ravages. Chaque citoyen de ce pays est encore en danger.

Ce témoignage qui, nous l’avons dit, s’ouvre par un chant des plaines fertiles est clos par un serment de la plus haute dignité. C’est donc du même mouvement que le poète profère son hymne à la liberté et que le militant politique proclame le mot d’ordre clair de démocratie. C’est dans un même élan qu’il projette la cité du rêve et travaille à l’édification de la cité de l’équité. C’est par la force conjuguée de cette double lutte qu’il s’applique à ancrer ces certitudes élémentaires dans les consciences. Car c’est la seule condition pour que refluent ces pratiques inhumaines.

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LE SUPPLICIÉ
Tableau de Mohamed KHADDA
Couverture de la réédition - 1989 - de L’ARBITRAIRE

Août 1989

Mohamed KHADDA


Post-Scriptum

Un visiteur du site nous a écrit pour faire opportunément remarquer : "La magnifique illustration de Mohamed KHADDA a été publié (à ma connaissance pour la première fois) dans "LA GUERRE D’ALGERIE" (Henri Alleg et coll., éditions "Temps Actuels" - Tome 2, page 513 - troisième trimestre 1981 ) sous le titre : "LA TORTURE" (Coll. particulière)"

C’est bien exact et nous amène à une constatation significative :

En 1989 les éditions Dar El Ijtihad - Alger ont choisi ce même tableau en couverture de leur réédition de "L’ARBITRAIRE", (texte précédemment écrit en prison par Bachir Hadj Ali en 1966 ) ;

En 1995 ,ce même tableau est reproduit en couverture du livre "L’ALGERIE EN MURMURE - Un cahier sur la torture", écrit par Moussa Aït-Embarek, préfacé par Me Abdennour Ali-Yahia (Ce livre a été mis en ligne par HOGGAR  : www.hoggar.org).

Autrement dit, la reproduction à différents moments historiques de ce tableau d’une force d’expression exceptionnelle confirme bien la continuité de ce grave problème.

Il est tragiquement instructif, que l’on retrouve la même illustration pour ces trois périodes :

  • sous l’occupation coloniale française (jusqu’en 1962),
  • après l’ indépendance sous régime nationaliste pseudo-socialiste (1966... 1988),
  • lors de la décennie sanglante des années 90,alors que s’affrontent sur le dos des populations deux libéralismes sauvages concurrents et aux objectifs de pouvoir opposés mais convergeant sous des formes différentes dans l’ hégémonisme antidémocratique et dans les pratiques violant radicalement les droits humains.

FORUM :

L’ARBITRAIRE, par BACHIR HADJ ALI
30 mai 18:19, par Safiya

Je pleure de colère tardive

Je pleure d’indignation impuissante

Je pleure d’ignorer l’histoire réelle de mon pays et de ses Hommes

Je pleure l’irréparable fêlure de l’imposture

Je pleure la méconnaissance d’hommes et de femmes qui ont tant donné pour que l’on soit et qui restent frappés d’ostracisme du fait qu’ils-elles sont communistes

Pour Lucette et Bachir femme et homme Amour-toujours

Tu es absente Lucette autant que l’est Bachir ton amour

De ma mémoire effilochée

De petite fille colifichet

Vrillée de fils de fer barbelés

Avec Bèba et Yemma harcelés

Tu es absente Lucette autant que l’est Bachir ton amour

De ma mémoire d’adolescente

Refusant la vie indécente

De mes élans contrariés

Et mon devenir entravé

Tu es absente Lucette autant que l’est Bachir ton amour

De ma mémoire de "prime" femme

Qui voulait être et ne pas rendre âme

Prenant le maquis de l’exil âpre

Et mes vingt ans en bandoulière

Je te découvre à l’automne de ma vie

Au moment où tu quittes la tienne de vie

Et te remercie pour ce par delà la mort

Tu nous donnes encore

À titre posthume

Combler nos lacunes


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