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1990 : Retour sur crise du PAGS (suite 2)

JUILLET-AOÛT 1990 : DE QUELLE STRATÉGIE ANTICRISE L’ALGÉRIE AVAIT-ELLE BESOIN ?

CONVAINCRE et MOBILISER OU DECRETER et INTERDIRE ?

samedi 17 juillet 2010, par Sadek HADJERES


Dans la situation de juillet et Août 90, les remous qui agitaient le PAGS tournaient autour de la question concrète suivante : quelle bataille sur le terrain était-il souhaitable et possible d’engager ?
Le vrai combat, le rôle qu’on voulait faire jouer au PAGS, et au-delà de lui aux forces attachées aux libertés démocratiques, devait-il se réduire à des constats incendiaires et alarmistes, à lancer des proclamations idéologiques, envoyer des fax, se faire les hauts parleurs pour la « bonne cause » dans des formes et des orientations décrétée ailleurs sans avoir été réellement discutées, s’en tenir à dénoncer le caractère non-conforme à l’esprit de la Constitution concernant l’agrément du FIS ainsi que ses agissements ?
Les anathèmes théoriques fondés ou non, les injonctions et les « Il n’y a qu’à…interdire » ne coûtaient rien à ceux qui les prononçaient.

JUILLET 1990 :
QUELLE STRATEGIE POUR LES FORCES DEMOCRATIQUES :

Convaincre et Mobiliser
ou décréter des interdits administratifs ?

Camper sur ce rôle passif et suiviste en perdant son autonomie de décision et sa liberté d’action, c’était défoncer des portes ouvertes, ressasser une évidence dont le démocrate le moins informé était convaincu. C’est pourtant à cette activité que les chefs d’une conspiration liée à certains cercles du pouvoir voulaient que le parti consacre ses forces et son attention, en même temps qu’à la chasse aux sorcières contre ceux qui ne partageaient pas leur point de vue, dans l’esprit du précepte tranchant : « qui n’est pas avec nous est contre nous ». Quant aux « luttes sociales, politiques et idéologiques, c’était des remèdes de bonne femme » prétendaient-ils par rapport à la médication miracle qu’ils préconisaient (formule de Medjaoui dans son ouvrage des « Yeux bleus » p. 433).

Certains de bonne foi ont accepté l’idée de la manipulation initiée par un groupe de « décideurs » occultes, estimant à tort qu’elle pourrait faire pression sur l’ensemble du pouvoir pour annuler les élections et interdire le FIS dès l’épisode des élections municipales. Mais même si on partageait cette thèse discutable, l’efficacité du procédé était loin de correspondre aux calculs souhaités par ce groupe. La manipulation ne pouvait entraîner qu’un cercle limité de convaincus ou de gens tenus par diverses contraintes. Loin d’élargir la base sociale et politique capable de soutenir cette initiative, elle réduisait et détruisait cette possibilité en portant de plusieurs façons un coup non seulement au PAGS dont on escomptait qu’il en devienne l’instrument par sa forte audience, mais à l’ensemble du mouvement progressiste et démocratique.

La mission déclarative et incantatoire qu’ils assignaient au parti, en croyant
peser sur le pouvoir, pouvait peut être donner des satisfactions morales et un semblant d’assurance aux états-majors politiques parmi des démocrates réels ou autoproclamés, c’est-à-dire à des cercles déjà convaincus.

L’ancrage réel de ces cercles dans la société n’avait pas eu auparavant le
poids suffisant pour empêcher la décision du pouvoir d’agréer une formation politique islamiste (le FIS) dont les dirigeants proclamaient pourtant agressivement la soumission du politique à l’identitaire islamiste tel qu’ils le concevaient, (c’est-à-dire rejetant ouvertement le projet d’Etat démocratique).
La décision avait été prise en 1989 par le pouvoir en place de « Chadli » en dehors et en dépit de la volonté des organisations démocratiques, affaiblies par leur dispersion et leurs préoccupations particulières au moment de leur émergence à la légalité.
Le pouvoir était soucieux surtout, comme au cours des décennies précédentes, d’établir contre les organisations progressistes et démocratiques des contrepoids conservateurs ou réactionnaires et de fausses symétries idéologiques qui facilitent ses calculs d’hégémonie et de division.

Face aux calculs politiciens persistants dans un pouvoir fondé sur l’arbitraire et le fait accompli, face en même temps à la grosse vague populiste qui a prolongé Octobre 88 sous la forme d’un islamisme politique autoritaire et intolérant, il se posait pour les courants démocratiques et pour le PAGS un problème de rapport de forces politiques.
Comment parvenir à instaurer dans le rapport de forces national un changement favorable aux courants et aux aspirations démocratiques ?
Quelles forces sociales profondes, au-delà de certaines « élites » imbues à des degrés divers d’esprit et de culture démocratique, parviendrait-on à convaincre et mobiliser pour barrer la route aux menaces réelles de déchirement du pays ?
Par quelles voies les entraîner à l’action pour faire appliquer les progrès
récents mais restés formels dans la Constitution et dans la loi sur les partis
et les associations ?

L’ABANDON DU TERRAIN :
RÉPONSE ERRONÉE ET DANGEREUSE À UNE VRAIE QUESTION

En réponse à cette vraie question, les futurs protagonistes du FAM martelaient : « Surtout pas d’action ou d’initiative politique, sociale et idéologique, tout cela fait diversion à la lutte contre l’intégrisme ».

Alors, en l’absence d’action dans ces divers domaines, ça devait être quoi, la lutte contre l’intégrisme ? Les invectives à distance, pour meubler l’attentisme et l’espoir impatient et passif que le pouvoir et l’armée viennent enfin mettre de l’ordre dans tout cela ? Et pendant cette attente, les cercles intégristes qui manipulaient et dirigeaient la vague islamiste, vont-ils rester les bras croisés, arrêteront-ils leur travail intense social, idéologique et politique ?

Ce qui, pour tromper son monde, était présenté par des infiltrés comme devant être la stratégie d’un mouvement communiste rénové, était dans les faits une désertion pure et simple du terrain des luttes réelles.
Pourtant les possibilités existaient à ce moment là et tout au long de l’année suivante, c’est-à-dire avant que s’enclenche l’engrenage funeste de la violence armée, d’engager de telles luttes avec des résultats tangibles.
On pourrait en citer des exemples nombreux, tels que ceux figurant dans mon rapport pour l’Assemblée d’août 90, un rapport qui m’avait été demandé par l’exécutif et qui à la dernière minute, a été escamoté et n’a pas été présenté (voir le récit de l’assemblée d’août, de ses préparatifs et de son déroulement ; ce récit et le rapport en question seront mis en ligne prochainement)

Faute de stratégie appropriée, remplacée par les approches politiciennes du pouvoir, le terrain a été abandonné aux ambitions des islamistes les plus hégémonistes .

Il ne s’agissait pas du tout, j’y insiste, contrairement aux assertions
malveillantes à ce sujet, de rechercher des alliances compromettantes avec des directions islamistes hostiles (à supposer que cela soit accepté par elles).

Depuis sa naissance, la stratégie du PAGS, (prolongeant aussi celle du PCA) a consisté comme finalité et moyen, en des efforts de mobilisation à la base autour d’objectifs reconnus communs, y compris envers des courants politiques éloignés idéologiquement de nous et comprenant en leur sein des composantes hostiles. Nous avons toujours encouragé la concertation en direction de personnalités représentatives de ces courants autour d’objectifs minimum communs. Ce faisant, l’objectif essentiel était non pas de constituer des coalitions au sommet fragiles et coupées de la base, mais de favoriser au sein de ces courants et dans leur base des décantations positives sous la pression de l’opinion et des besoins nationaux.

MALADRESSES OU CARENCES POLITIQUES GRAVES ?

Le fait d’abandonner le travail sur le terrain autour des problèmes vécus par les gens partout où c’était possible, le fait de remplacer ces efforts par des diatribes médiatiques irréfléchies quant à leurs répercussions, a entraîné une conséquence encore plus grave que l’éloignement ou la désaffection des masses.
Les invectives ont aiguisé des coupures hostiles avec de larges secteurs de la population, créé dans de nombreux milieux populaires la conviction que les communistes étaient vraiment ce que leur déversaient des sermons religieux virulents, c’est-à-dire à la fois des alliés du pouvoir et des ennemis de l’islam.

Le manque d’attention de certains camarades envers les sensibilités populaires a eu souvent des conséquences déplorables dans les milieux croyants sincères et honnêtes, c’est-à-dire les milieux à qui la distinction entre islam comme religion et l’islamisme comme politique apparaissait peu clairement ou pas du tout à ce moment.
Le « La Yadjouz » n’a pas été le monopole des courants
sectaires islamistes. Il a eu aussi des adeptes chez des camarades dans sa
version communiste.
La résurgence des intolérances élitistes dans les rangs
progressistes a fait le jeu de la propagande intégriste alors que le PAGS
s’était jusque là efforcé de faire reculer ce genre d’incompréhensions et de
confusions en son sein et y avait réussi en partie.
Au moment où plus que jamais, l’enjeu stratégique était la conquête politique des masses populaires sur des bases justes, les intolérances élitistes de militants sincères mais obnubilés par le sectarisme envers la foi religieuse massive de la population, ont contrecarré les efforts courageux des camarades notamment les jeunes, qui faisaient front de manière offensive dans les cités et quartiers les plus chauds, comme j’ai eu l’occasion de le constater directement et de façon spectaculaire à la cité des Dunes d’El Harrach, sur la route de Bordj El Bahri.
Les activistes virulents de l’islamisme politique exploitaient à fond auprès
des croyants chacune des bourdes et maladresses de camarades rendus encore moins soucieux et respectueux de leurs concitoyens par les appels irréfléchis et irresponsables à l’interdiction du FIS à ce stade, qui ne pouvait apparaitre alors que comme une injustice après sa reconnaissance officielle, toute inadéquate et complaisante qu’elle ait été.
Durant la campagne électorale des municipales, une affiche du PAGS représentait par exemple le visage d’un barbu barré d’une large croix. L’auteur et le propagandiste voulaient sans aucun doute appeler à barrer politiquement la route à l’intégrisme.
Les militants du FIS ont placardé eux-mêmes l’affiche devant toutes les mosquées pour dire : vous voyez, ils appellent à assassiner chacun de nous (yaqdhiw a’lina bel wahed).
Un autre dessin pour dénoncer la vie chère montrait un marchand de légumes devant son étal aux étiquettes de prix astronomiques.
Evidemment, du visage réjoui de ce spéculateur type, descendait une barbe qui lui couvrait toute la poitrine pour ne laisser aucun doute sur ses opinions et son appartenance politiques.
On ne pouvait pas faire mieux dans la provocation et paraître oublier (et pardonner du même coup) d’innombrables et puissants spéculateurs sans barbe, ceux par exemple qui jusqu’au sein du pouvoir et des administrations centrales ou régionales s’étaient emparés sans honte des terres provenant du démantèlement du secteur agricole !
Ceux qui avaient commencé à être démasqués dans la presse par les listes officielles que le gouvernement Hamrouche avait entrepris de publier jusqu’à ce que la publication soit brusquement interrompue !

Autre exemple qui illustre l’inconscience des enjeux de la part de démocrates sincères mais obnubilés par des visions simplistes. Un caricaturiste
célèbre, habituellement mieux inspiré et d’une grande finesse, présentait dans "Le Matin" (des années plus tard) un barbu porteur d’un grand couteau, étendu à terre assommé par un « patriote » « républicain ». Ce dernier se vantait de l’avoir assommé d’un coup de bouteille de « rouge ». La légende prête à l’auteur de l’exploit des propos éloquents sans se douter que ces propos se retournent contre sa cause à la manière d’un boomerang, pour quiconque accorde de l’attention à l’immense majorité de ses compatriotes et non à un cercle étroit de gens "émancipés" : « J’ai abattu ce terroriste avec une bouteille de Mascara pleine ! On est des patriotes d’un genre nouveau ! C’est l’ONCV qui nous fournit les armes ! » Arme pacifique, dira-t-on de cette bouteille et de l’humour qui l’accompagne ? Mais mesure-t-on assez à quel point cette tournure d’esprit et cette conception des « Lumières » sont porteuses de malentendus ravageurs au sein de l’Algérie profonde ?

Fort heureusement, l’engagement des hommes en armes en autodéfense pour la sauvegarde de leurs familles et de leur village, la résistance massive des enseignants et écoliers, des hommes et femmes de la Santé, des ouvriers salariés et des paysans pour leur travail et leur gagne-pain, des journalistes, gens de culture et de savoir, ont eu un état d’esprit et des motivations autrement plus efficaces et partagées par les couches populaires dont les basculements ont finalement pesé lourd dans les évènements !
En fait n’y avait-il pas plutôt chez l’assommeur par bouteilles ONCV une dose de douce et confortable inconscience élitaire, non corrigée par une culture politique à la hauteur de la gravité du problème. Difficile d’interpréter autrement les attitudes et propos de ceux qui se contentaient de se faire ainsi plaisir à eux-mêmes et à leur cercle restreint sans en mesurer la portée. Ils ne soupçonnaient pas dans leur « modernisme » coupé des réalités, qu’ils tombaient dans des pièges que n’importe quel spécialiste de la communication moderne leur aurait conseillé d’éviter !

Que dire aussi du choix de caste (des « bien pensants ») fait par l’auteur d’un hommage rendu dans Alger républicain au grand poète et guitariste
latino-américain Atahalta à l’occasion de son décès ?
Dans l’immense répertoire du prestigieux Youpanqui, n’y avait-il pas autre chose à choisir et présenter à cette occasion que le chant, pourtant poignant, d’un paysan pauvre qui dans sa détresse rend Dieu (et non le système qui l’a ruiné lui et ses semblables) responsable de la sècheresse et de sa misérable récolte ?
Dans quelle planète vivons-nous, mes camarades, pour habiller à la légère nos revendications et aspirations fondamentales avec les habits d’autres cultures et civilisations pourtant respectables, mais avant tout fruit de leurs itinéraires historiques spécifiques ?
Dans des secousses aussi graves apparaît mieux l’importance de mener les luttes sociales et politiques avec les armes adaptées au socle national et à la culture des intéressés.

IL N’EST PAS FATAL DE TOMBER DANS LE PIEGE ANTIDEMOCRATIQUE !

C’est ce qu’indiquaient les camarades familiers du travail militant dans les
cités et les quartiers populaires, raison pour laquelle ils s’étaient inquiétés
ou indignés de la déclaration de l’Exécutif du PAGS du 18 juin puis de celle du 18 juillet.
 [1]
 [2]

Ce que soulignait par exemple Sadek Aïssat dans sa lettre à la direction du 24 Juillet (déjà mise en ligne par « Socialgerie »).
 [3]
Ce dernier précisait notamment :
« A mon sens, le problème n’est pas d’apparaître à coups de communiqués dans la presse, comme les ennemis les plus déterminés du FIS, mais d’être par notre orientation et par notre action les alliés les plus déterminés du peuple.
ll me semble que l’orientation la plus juste aujourd’hui, la tâche vitale des
communistes, c’est d’œuvrer à gagner la classe ouvrière et les couches les plus larges de notre peuple au combat pour la démocratie
Ce qui est grave, le plus grand danger pour la démocratie, ce n’est pas la présence du FIS, mais l’absence du peuple dans le combat pour la démocratie.
C’est sur cela que doit être fondée notre ligne, c’est cela qui élargira la base sociale du processus démocratique….
En tournant le dos à notre peuple, notre parti aura failli à sa responsabilité devant l’histoire ».

Il avait indiqué auparavant : « Je considère pour ma part cette ligne comme défensive et poussant à la jonction, parce quelle en exprime le désarroi, avec la petite bourgeoisie occidentalisée. Elle nous coupe du peuple et de la réalité. .. C’est elle qui apparaît de façon élaborée et cohérente dans le projet de résolution politique et idéologique ».(Fin de citation)

Je voudrais ajouter ici la raison profonde, qui selon moi rendait improductif et dangereux le choix de mener la lutte anti-intégriste sur l’axe principal du caractère constitutionnel ou non d’une organisation politique, ou sur sa non-conformité avec les énoncés des textes officiels proclamant la démocratie.

En d’autres termes était-ce un choix judicieux de déplacer la bataille sur le
terrain juridique et légaliste en perdant de vue le terrain décisif et
déterminant des réalités sociales et politiques.
Le problème s’était déjà posé avec le pouvoir instauré par le coup d’État
anticonstitutionnel du 19 juin 1965, ainsi qu’avec les agissements des
organisations politiques officielles qui contredisaient gravement les principes solennels proclamés dans la Constitution ou les « Chartes » de Tripoli et d’Alger.
La dénonciation de leurs violations était légitime dans son principe,
tout comme l’étaient, en perspective, les appels au changement de régime
politique ou à l’élection d’une Assemblée Constituante souveraine.

Ils ne pouvaient néanmoins remplacer ou rendre sans objet des programmes d’action et mots d’ordre réalistes comme objectifs adaptés aux conditions du court terme. Séduisants et cohérents intellectuellement, ces appels risquaient même d’accroître la démobilisation et l’attentisme s’ils n’étaient pas articulés avec des mots d’ordre plus sensibles à la majorité de la population, tant que cette dernière n’aurait pas saisi le lien entre son vécu quotidien dramatique et la nocivité dans les faits du système instauré.

Pendant vingt six ans après le coup d’État du 19 juin 65, les seules
condamnations générales sont restées sans effet jusqu’à ce que mûrisse sur la base de l’expérience un état d’esprit résolument hostile au système subi.
Une grosse vague populaire a pu alors en 1988 balayer dans des conditions complexes et obscures les prérogatives formelles du parti unique. Sous une pression politique devenue massive et face aux contradictions du système, des changements substantiels ont été apportés DANS LES TEXTES par la Constitution de 1989.
Mais dans les faits, nombre de caractéristiques antidémocratiques précédentes ont subsisté sous l’égide d’un pluralisme formel, non ancré sur des changements suffisants dans les réalités et les mentalités de la base sociale.
Il ne suffit pas que les évolutions se fassent dans les couches dites « éclairées », telles qu’elles se sont exprimées par exemple dans certaines études élitistes des Offices
stratégiques officiels.
L’une d’elle envisageait en filigrane une espèce de démocratie à deux vitesses. C’était une variante « soft » et très atténuée, mais entrant dans la même logique coupée des réalités, que le projet Donquichottesque de partition de l’Algérie, avancé par le FAM dans son opération commando contre le PAGS de janvier 92.

Autrement dit, sans nier l’utilité des références juridiques et légalistes, la
constitutionnalité et la démocratie ne se décrètent pas. C’est dans les faits et par les actes qu’elles sont conquises et garanties, si elles sont enracinées dans le soutien populaire, qu’il s’agisse d’un pouvoir, d’une organisation, d’une décision administrative ou d’un comportement social.

CE QU’ENSEIGNENT LES FAITS

Si on veut faire mûrir les conditions de grands changements et même d’une
rupture substantielle, les efforts doivent porter principalement à forger et
accumuler les capacités de mobilisation en mesure de faire évoluer le rapport de forces politique à partir des aspirations et du niveau atteint par la conscience populaire.
Du temps de la colonisation comme après l’indépendance, les mesures
administratives répressives pouvaient temporairement rendre plus précaire le statut des organisations par rapport aux lois, y compris les interdire.
Elles ont été totalement impuissantes à peser sur les évolutions politiques profondes.
Pour ceux qui sont soucieux de gagner politiquement la majorité de
la population, l’erreur la plus grossière est de croire que la population se
détermine, y compris dans ses couches les plus instruites, par l’analyse des
textes constitutionnels ou les critères d’une démocratie abstraite et les
paragraphes d’un projet de société partisan.
L’habileté des politiciens anti-démocrates et antisociaux, tant du côté du pouvoir que dans la mouvance islamiste, a été de tout faire pour laisser penser à la majorité de la
population que les courants démocratiques se trouvaient du coté du système en place.
Ceux parmi les progressistes qui ont cru servir la démocratie en évitant
de s’engager de façon autonome contre les atteintes aux libertés démocratiques quels qu’en soient les auteurs, sont tombés dans le panneau.

Il y avait pourtant des occasions quotidiennes d’éviter le piège et s’engager
dans l’action au cœur de la population.
Un exemple significatif en a été l’absence délibérée de réaction de notre part contre le saccage d’un local de jeunes à Bou Smail, alors que le FFS appelait à une large action de protestation sur le terrain. Les anti-intégristes par fax et grands pamphlets estimaient que ces « petites actions » au jour le jour n’étaient rien par rapport à
l’interdiction globale qu’ils enjoignaient au gouvernement de prononcer.
Ils contribuaient ainsi à laisser dans le doute et l’attentisme prudent la majorité de la population qui observait les groupes islamistes imposer leur seule présence sur le terrain sans réaction ni du pouvoir ni d’aucune autre
organisation démocratique.
Quand des camarades de la cité de Diar El Kaf défendaient le fonctionnement et le renouvellement démocratique du comité de locataires, ils étaient suivis par la majorité des sociétaires contre la prétention des militants islamistes de conserver le monopole de la représentation associative.
Quand des courants islamistes minoritaires de la cité de Sidi Ammar, habitée par de nombreux ouvriers et cadres du complexe sidérurgique d’El Hadjar, souhaitaient des actions de terrain communes pour isoler un autre groupe de meneurs islamistes sectaires, nos camarades étaient bloqués par les instances de direction sous prétexte que "tous les islamistes se valaient".

Malgré cette sérieuse carence sur le terrain, on aura remarqué qu’entre les
municipales de juin 90 et les législatives de décembre 91, un million
d’électeurs instruits par l’expérience de la gestion des APC n’ont plus donné
leurs voix au FIS.
Le progrès n’aurait-il pas été plus important si durant ces dix huit mois les forces démocratiques avaient initié, de préférence ensemble, des milliers d’actions sur le terrain, confirmant leur autonomie et leur proximité des aspirations populaires ?

Toutes ces actions étaient possibles avant 1992 si les directions en avaient
compris l’importance politique et écouté la base sans être paralysées par des considérations politiciennes fallacieuses.
Nous n’étions pourtant pas encore dans les années de feu de la décennie 90.

(Je préciserai une autre fois comment une possibilité exceptionnelle d’une
grande action commune d’envergure nationale, a été gâchée au cours du mois de mai 1990 par les réticences de l’ensemble des courants et organisations se réclamant de la démocratie mais limitant jalousement leur action à la leur propre.
J’estime que cette action unie (malheureusement non réalisée) aurait pu influer positivement sur l’évolution de l’opinion) .
Même dans les années sanglantes de cette décennie, la preuve a été faite que le tournant s’est opéré vers la défaite politique du terrorisme à partir du moment où la majorité de la population a pris conscience que le projet et les modes d’action de la formation islamiste dominante (qui cautionnait les actes terroristes ou en avait une appréciation équivoque), loin d’être libérateurs, s’opposaient à leurs aspirations au travail, à l’enseignement, à la santé, à la dignité, à la culture, à la paix civile.
Ce sont des motivations et des préoccupations déterminantes, qui gagnent à dépasser le stade des proclamations et slogans.
Durant la guerre de libération, le PCA avait constamment appelé, et il l’a rappelé avec insistance dans ses lettres au GPRA de 1959, à engager avec plus d’intensité un tel travail politique et social.
Le tournant de décembre 1960 a été le fruit des initiatives de la base militante et populaire qui ont pris conscience de capacités et d’orientations que les appareils du FLN avaient majoritairement sous-estimées.
Mais en 1990, au moment de la montée de la crise nationale, même des militants communistes n‘ont pas fait suffisamment ce travail.
Soit parce que dès juillet 90, nombre d’entre eux se sont éloignés ou marginalisés en protestation contre la direction, soit parce que les autres ont été désorientés ou contrecarrés par des appareils qui les appelaient à baisser les bras en attendant le grand « clash » qu’ils leur promettaient en sous-entendant des sources mystérieuses.

C’est surtout dans le domaine social que le tort le plus grave a été porté aux mobilisations clarificatrices.
On a abandonné à eux-mêmes ceux qui au lendemain des élections municipales venaient spontanément nous dire que leur vote pour le FIS était dirigé contre le FLN et n’avait entamé ni leur engagement ni leur sympathie envers le mouvement social dont le PAGS était un des symboles.

L’A. R. P. I.
(Avant projet de résolution politique et idéologique)
UNE BAUDRUCHE « IDEOLOGIQUE » ERIGEE EN STRATEGIE

Nombre de camarades, perplexes et troublés, se sont posés la question après les municipales.
La positon imposée sans réelle discussion à la base du parti face à la montée d’un islamisme politique agressif était-elle le fruit d’une stratégie nourrie à des bases de principe cohérentes et enrichies par les leçons de l’expérience nationale et internationale ?
Les promoteurs de la RPI tentaient bien avant le mois de juillet de le faire croire en noyant le poisson et en invoquant la rénovation du communisme tel que l’incarnait alors Eltsine.
Ce dernier était alors la "coqueluche", la grande vedette selon nos chefs de file « modernistes », qui l’invoquaient beaucoup plus que Gorbatchev et même en faisaient une idole, le modèle d’un nouveau style qui allait sauver et révolutionner le mouvement communiste.

Je n’aborde pas ici le fond de cette arnaque et de ses arguments fallacieux,
pour affirmer seulement qu’elle n’a été que l’habillage idéologique destiné à rendre « hallal » une opération de déstabilisation organique au service d’un
plan de renforcement d’un des clans du pouvoir à la faveur d’une situation nationale
et internationale inquiétante pour l’Algérie.
Les évènements de l’année comme ceux des années suivantes le montreront.
Tous les arguments avancés à cette époque avec des prétentions d’ancrage marxiste, ont fluctué en permanence, soumis à chaque moment aux impératifs étroits et conjoncturels, aux intérêts, aux analyses et aux directives momentanées des services commanditaires de la déstabilisation.

Observons par exemple les pirouettes successives de celui qui fut l’architecte du fiasco retentissant du FAM de janvier 1992.
Le moment le plus significatif et révélateur de ses incohérences stratégiques, se situera quatre ans après sa première volte-face opérée en juin 90, c’est à dire aussitôt constaté l’échec de son approche de participation "active" qu’il préconisait avant les élections municipales.
Sa nouvelle pirouette, pour raisons de service, se produira en effet en juillet 1994. Dans un quotidien national, il préconise alors ce qu’il appelle « un nouveau combat ».
 [4]
et
Dans ce texte, il préconise des orientations aux antipodes de ses positions ultra-sectaires et hermétiquement fermées de 1990. Il défend avec la même assurance, comme étant, sans discussion aucune, la solution miracle, un point de vue "plus raisonnable" qu’il diabolisait auparavant de façon véhémente et avec des accents haineux.
Dans la situation de 1990 où il était possible encore et vital de conjurer le risque de fitna nationale tragique et préserver les chances d’une paix civile, lui et ses adeptes prétendaient qu’il fallait aiguiser jusqu’au bout les contradictions (ceci présenté comme la quintessence du marxisme).
Il pourfendait tout compromis ou position différenciée envers l’ensemble des mouvances islamistes, toute alliance avec quelque courant ou organisation démocratique que ce soit si elle n’adoptait pas son point de vue à lui.
Il condamnait comme trahison nationale toute position qui préconisait la lutte et des efforts politiques, socio-économiques et culturels pour une solution pacifique des graves conflits qui pointaient à l’horizon.
Il préconisait des orientations visant à briser un parti comme le PAGS porteur de mobilisation pacifique et un gouvernement comme celui de Hamrouche qui s’efforçait d’approfondir les réformes démocratiques, d’atténuer la dépendance envers les monopoles et de désamorcer les courants les plus agressifs et réactionnaires du FIS.
Que dit-il peu d’années plus tard, après que l’Algérie populaire ait été précipitée dans des affrontements sauvages par un pouvoir d’apprentis sorciers et un soulèvement armé professant des mots d’ordre aventuristes et obscurantistes.
Non vacciné par l’échec du FAM, il croit encore trois ans plus tard que tout le monde reconnaît la nécessité d’un grand parti de « projet de société » (le sien évidemment sur les ruines de tous les autres) afin d’appliquer une politique dont le seul énoncé (j’en ai été témoin) a stupéfié plus d’un parmi ceux qui avaient été influencés à l’époque par son projet flamboyant de modernité par le haut.
Que dit il en substance ?
Il dit que le combat le plus fondamental est celui qui vise le retour à une paix civile totale ;
Les Algériens, quel que soit leur regard idéologique ou politique, ont un intérêt vital au compromis pour la paix civile.
L’éventail des alliances contre le terrorisme et pour la paix civile doit être
étendu avec audace même aux très larges forces qui, sans s’opposer au
terrorisme, s’en démarquent pourtant de mille et une façons, même timidement, même avec inconséquence, même en chancelant à chaque pas en avant.
En fin de compte, conclut-il, le passage obligé commun à toutes les forces socialistes légalistes, dans leur diversité et même dans l’antagonisme de leurs projets de société particuliers, c’est un véritable front de la Paix civile…

Que s’était-il passé qui ait en ces deux années incité à une approche plus politique et plus rassembleuse ?
S’est-il produit une refondation théorique et idéologique qui amène les cercles de « M’khakh » (cerveaux) du pouvoir à brûler ce qu’ils avaient poussé véhémentement à adorer ?
Non, tout simplement nous sommes en 1994 : les leaders va-t-en guerre « républicains » ou « islamistes » ont commencé à mesurer le gâchis survenu à la nation et à leur propre réputation, l’opinion internatiionale, y compris dans ses cercles laïques a évolué et pris ma mesure d’un certain nombre de réalités.
À contretemps et une fois les dégâts avérés, la situation a mis de plus en plus en demeure les pyromanes de tous les bords à chercher à se faire pompiers pour sauvegarder des intérêts de pouvoir et financiers.
La situation pousse les uns et les autres à revoir leurs a priori initiaux "d’éradicateurs" mutuels et à se faire "réconciliateurs". Et pour quelle réconciliation ? Celle d’un repartage des pouvoirs et des rentes, ou celle pour la solution des problèmes gravissimes de la nation ?

Pour la population, pour les démocrates, pour les partis et les associations, pour les communistes, l’enseignement, pour ne pas être les otages et victimes d’enjeux et de calculs concoctés par dessus leurs têtes,

  • c’est une fois de plus la sauvegarde de leur autonomie,
  • une fois de plus la lutte pour déjouer les manipulations sur fonds de commerce idéologiques et identitaires,
  • une fois de plus que les tâches sécuritaires incontournables des appareils d’Etat ne soient pas détournées de leur vocation d’être au service de la nation et de l’intérêt général,
  • et que ces légitimes tâches sécuritaires de sauvegarde nationale et d’ordre public ne contrecarrent pas le processus d’instauration de la souveraineté populaire et de la citoyenneté,
  • qu’elles respectent et encore mieux, qu’elles protègent les mécanismes démocratique de contrôle des affaires de la nation par les citoyens.

(fin de cette partie concernant les deux démarches « stratégiques » opposées des protagonistes de la violence armée durant la crise, pour le malheur du peuple et d’une démocratie réelle et sociale)

Sadek Hadjeres, juillet 2010

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